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Bilan des historiens

Dans le document Université de Montréal (Page 31-34)

Chapitre 2 – Bilan historiographique

2.1 Bilan des historiens

Plus particulièrement, deux ouvrages sont incontournables, soit Dungeons & Desktops (Barton et Stacks 2019) ainsi que L’histoire du RPG. Passés, présents et futurs (Lucas 2014).

Comme le note Offenstadt, il est nécessaire d’avoir un second regard sur l’histoire qui a été écrite jusqu’à maintenant :

(…) les historiens ne sont pas des ordinateurs qui enregistreraient méthodiquement le passé et feraient parler les faits. Ils sont des sujets inscrits dans une époque, dans un certain état des techniques, confrontés à des enjeux publics ou politiques, plus ou moins pressants, qui peuvent toucher à leurs croyances politiques ou religieuses, à leurs expériences propres. Leurs travaux, leurs orientations ne peuvent échapper à cette inscription. (Offenstadt 2011)

Dungeons & Desktops, coécrit par Matthew Barton et Shane Stacks, s’intéresse avant tout au jeu de rôle numérique sur ordinateur. L’ouvrage a eu droit à deux éditions, la seconde ayant gagné un coauteur (Shane Stacks) ainsi que onze ans de plus pour ajouter du contenu et amender

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certaines affirmations initiales7. Les auteurs sont d’origine états-unienne, où Matthew Barton est professeur d’anglais à la St Cloud State University. Shane Stacks, quant à lui, est animateur de radio, blogueur et podcaster (Barton 2021 ; Routledge 2021). Dès l’introduction, les auteurs posent une définition du jeu de rôle numérique qui va comme suit :

By contrast, in a pure CRPG there is no attempt whatsoever to match what’s happening on the screen with what’s happening with the keyboard, mouse, or controller. Most, if not all, of the physicality called for in these games is to move the characters, navigate menus, and, above all else, constantly save the game. Otherwise, only the character’s skill matters. In such a CRPG, the outcome is not determined by manipulation (a word that derives from the Latin word for “hand”), but calculation. For this reason, it is possible to play a CRPG without ever touching a keyboard or mouse; you could simply direct someone else to do it for you. (Barton et Stacks 2019, p.9)

Cette définition est au cœur de leur écriture de l’histoire, puisqu’ils en profitent pour dessiner une trajectoire où l’action en temps réel gagne une place de plus en plus importante au fil du temps. Ils vont (par exemple) définir le jeu de rôle numérique « moderne » comme ayant un accent prononcé pour l’action en temps réel (Barton et Stacks 2019, p.419).

Leur approche de l’écriture de l’histoire se concentre sur les jeux en eux-mêmes, qui servent de pierres angulaires à l’élaboration d’une historiographie chronologique segmentée par de larges tranches historiques, qu’ils appellent « âges », soit des périodes historiques vagues qui correspondent à des points d’évolutions qu’ils posent et définissent. Ces périodes sont équivalentes à ce qu’on pourrait appeler des périodes « refroidies », des « découpages hérités, bâtis par ajustements successifs, parfois depuis fort longtemps (…) » (Offenstadt 2011). Si ces périodes ont l’avantage de fournir certaines balises, celles-ci sont peut-être désuètes ou mésadaptées. En agrément, les auteurs font appel à des entrevues réalisées dans le cadre de leur chaîne YouTube et de leurs baladodiffusions respectives pour compléter leur écriture de l’histoire (Barton et Stacks 2019, p.xxviii).

Raphaël Lucas, quant à lui, écrit à l’aide de son expérience de journaliste en jeu vidéo ainsi que d’une maîtrise en Histoire obtenue à Paris 1 (Lucas 2014, p.xxi). Il choisit d’aborder l’histoire

7 L’obsolescence anticipée du jeu de rôle numérique à un joueur discutée à la section 2.8 provient notamment de la première édition de Dungeons & Desktops. La seconde édition justifie par ailleurs en partie son existence due au besoin de relativiser cette obsolescence anticipée (Barton et Stacks 2019, p.xxviii-xxix).

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à l’aide et en réaction à la première édition de Dungeons & Desktops. Lucas reçoit les âges balisés par Barton et Stacks comme périodes refroidies, périodes qu’il questionne et conteste :

Enfin, j’ai décidé de mettre de côté la périodisation de Matt Barton, auteur de l’ouvrage Dungeons & Desktops, périodisation qui brise la course des évolutions du genre en imprimant des ruptures trop franches et radicales, du reste tout à fait objectives.

L’analyse présentée ici propose une histoire du RPG non pas constituée de cassures propres, nettes et visibles, mais plutôt de fissures, de légers bris dans un modèle original qui se déstructure et se désagrège peu à peu. (Lucas 2014, p. XX)

Bien que la périodisation proposée par Barton et Stacks amène beaucoup d’information pertinente, la critique de Lucas est légitime. C’est pourquoi, dans le reste de ce chapitre, les âges de Dungeons and Desktops seront mentionnés à titre de « période refroidie », mais ne serviront pas de cadre hermétique.

Cela étant dit, tout comme les auteurs de Dungeons & Desktops, Lucas mobilise des entrevues avec différents acteurs du jeu de rôle numérique8. Si ces entrevues sont certes pertinentes, elles peuvent favoriser un discours élogieux de l’histoire. Raphaël Lucas donne également une plus grande part au jeu de rôle numérique sur console produit au Japon, qui est plus représenté dans le texte. En revanche, en souhaitant restituer la place de ces jeux dans l’histoire, il est possible d’avoir fait un mouvement de balancier en sens inverse. Par exemple, l’une de ses sources mentionnées en entrevue, le rédacteur en chef d’un magazine spécialisé, avait fait le choix éditorial de ne considérer comme « RPG » que des jeux de provenance japonaise (Lucas 2014, p.273). Enfin, l’historiographie de Lucas est également ancrée dans un bassin culturel français, comme en témoigne une variété de sources écrites qu’il mobilise9. Ainsi, le contexte socioculturel se généralise mal puisque les sorties de jeux et de plateformes n’ont pas toujours été en simultané partout dans le monde. Lorsque Lucas utilise des magazines de jeu vidéo, il puise des extraits à la fois du monde français et états-unien (tels que le Nintendo Power), ce qui ne rend pas compte des contextes spécifiques dans lesquels ces publications s’inscrivent.

8 On peut penser à divers développeurs de jeu vidéo tels que Greg Zeschuk et Ray Muzyka, fondateurs de Bioware.

9 Les revues françaises Joypad Magazine, Joystick, Gameplay RPG, Background, Consoles + et Player One présentées dans le chapitre 7 du livre permettent de cadrer le contexte culturel dans lequel Lucas écrit.

Dans le document Université de Montréal (Page 31-34)