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Bilan et apports de nos travaux : l’intégration de la rationalité et de l’esthétique

Les résultats de nos travaux permettent de mieux comprendre comment les stratégies sont formulées et mises en œuvre dans les organisations, quels sont les déterminants macro et micro organisationnels et enfin quelle est leur incidence sur des éléments de performance décisionnelle et organisationnelle. Les principaux résultats sont synthétisés dans le tableau 23. Dans l’ensemble, nos résultats de recherche témoignent de la nature complexe et multidimensionnelle de la stratégie ainsi que de son lien à la fois avec les contextes organisationnels internes et externes, mais également avec les différentes dimensions économiques ou sociales de la performance (Desreumaux, 2008 ; Martinet, 2016 ; Durant et al., 2017 ; Bulgerman et al., 2018). Ensuite, ils témoignent du fait que les organisations et ses acteurs peuvent développer des comportements stratégiques très complexes faisant preuve de logiques à la fois rationnelles et esthétiques, et que ces deux dimensions peuvent impacter le développement, le changement et la performance organisationnelle (Taylor, 2013 ; Adler, 2015). Une prise en compte séparée des deux logiques peut être réductrice de la réalité stratégique des organisations. Une approche holistique de la stratégie, intégrant rationalité et esthétique, dans une logique de complémentarité, semble nécessaire pour une meilleure compréhension de la stratégie et de son impact sur la performance. En résumé, bien que les variations des contextes macro et micro organisationnels et des situations de décision peuvent impacter la stratégie et sa performance, un ensemble de trois éléments (contexte, stratégie et performance) semble être en capacité de générer des expériences à la fois rationnelles et esthétiques chez les acteurs organisationnels (individus et collectifs d’individus). Ces

expériences sont complexes, mais aussi interdépendantes. Elles peuvent influencer seules ou en interaction avec les autres les choix stratégiques, ainsi que les différents éléments de la performance.

Tableau 23 : La stratégie, ses déterminants et ses leviers rationnels et esthétiques de la

performance

La stratégie (croissance, externalisation, DD, RSE) et ses déterminants (institution, environnement, organisation, individus, décision) dans des organisations publiques et privées (CCI, PME, et EM)

Les leviers rationnels (diversité cognitive et de genre) et esthétiques (art, pratique esthétique) et leur influence sur la performance (économique ou sociale)

 Des processus de décisions et des logiques stratégiques multiples combinant des comportements rationnels, incrémentales, politiques ou aléatoires.

 Rôle clés et conjoint des contextes institutionnels (règles, normes, culture), environnementaux (dynamisme, incertitude, munificence), organisationnels (stratégie, structure, pouvoir), décisionnels (urgence, importance) et individuels (valeurs, attitudes, croyances) sur l’adoption des logiques stratégiques et leurs résultats. (satisfaction, participation).

 Interdépendance ente logiques stratégiques : stratégies DD/RSE - stratégies marketing – stratégies de communication. Importance du développement de compétences organisationnelles en termes de marketing et de communication responsables pour la mise en œuvre du DD et de la RSE.

 Rôle des parties prenantes internes et externes : dirigeants, actionnaires, experts consultants, clients, partenaires, collectivités, etc. Injonctions paradoxales entre des logiques contradictoires.

 Rôle modérateur du contexte national sur le lien diversité de genre - attractivité organisationnelle. Différence d’attitudes entre les femmes américaines et françaises envers les programmes de management de la diversité de genre (discrimination positive).

 Rôle modérateur du contexte affectif sur le lien diversité cognitive - performance d’équipe. Importance de la sécurité psychologique et des conflits relationnels.  Contribution de l’art et de l’esthétique organisationnelle

sur le DD grâce à l’émotion et la passion.

 Rôle clés de l’artiste en tant visionnaire, performeur et chalengeur.

 Contribution de l’expérience de la beauté des composantes organisationnelles (ressources, processus, résultats, vision, environnement) sur la création de valeur (qualité des produits et services, satisfaction, motivation, engament, bien être, changement).

 Contribution de la pratique esthétique sur le management stratégique des organisations par l’intégration de la pensée, de l’action et de l’émotion.

Dans ce contexte de complexité naturelle du phénomène de la stratégie, les organisations de tous types et de toutes tailles doivent être capables de développer de multiples ressources et compétences stratégiques, à la fois rationnelles et esthétiques, leur permettant de mettre en place des leviers adaptés à l’amélioration de la performance. Rappelons que de par la nature générique de la stratégie et aussi l’importance de ses conséquences sur la survie des organisations (Hutzschenreuter et Kleindienst, 2006 ; Martinet, 2008 ; Hafsi et al, 2014 ; Luoma, 2015 ; Mirabeau et al, 2018), les dirigeants sont contraints en permanence de faire des choix stratégiques. Ces choix sont encore plus cruciaux aujourd’hui dans une situation de forte incertitude et de changement permanent touchant toutes les sphères : politique, économique, sociale, et environnementale (Adeler, 2015 ; Martinet, 2018). De plus en plus, et en parallèle d’une principale responsabilité économique, les dirigeants semblent devoir

assumer des responsabilités de gestion des dimensions affectives et esthétiques de la vie organisationnelle, afin de rendre les organisations plus attractives, plus performantes et plus « belles » (Adeler, 2015 ; Antal et al., 2018).

De façon plus spécifique, et dans une posture d’intégration de multiples formes de rationalité et d’esthétique organisationnelle, les résultats de l’ensemble de nos travaux nous invitent à conseiller les organisations à développer les aptitudes stratégiques suivantes quant à l’élaboration et à la mise en œuvre de la stratégie et la maîtrise de son impact sur la performance :

 Aptitude à combiner plusieurs logiques décisionnelles. Nos travaux sur la prise de décision stratégique dans les CCI de même que ceux sur les stratégies de DD et de RSE dans les EM ont mis en évidence le fait que plusieurs logiques décisionnelles pouvaient coexister au sein des organisations et manifester à la fois des caractéristiques rationnelles, politiques ou aléatoires de la prise de décision. Ces logiques ne sont ni contradictoires ni exclusives et elles peuvent coexister au sein de la même organisation, tout en apportant des résultats satisfaisants en termes de processus décisionnel, voire de performance. Cela présuppose que les décideurs organisationnels peuvent avoir recours à des modes de prise de décision beaucoup plus variés que la seule approche rationnelle encore dominante dans la pensée et la pratique managériale. En effet, tels que découverts par d’autres recherches empiriques, les processus de décision peuvent combiner des logiques variées à la fois rationnelles, politiques, voire intuitives (Shrivastava et Grant, 1985 ; Bailey et Johnson, 2000 ; Velu et Stiles, 2013 ; Calabretta et al, 2017). Aucune de ces logiques ne semble avoir la supériorité sur l’autre et une forme de flexibilité et de polyvalence décisionnelle peut faciliter le processus de choix stratégique. Cependant, ces logiques peuvent conditionner les résultats organisationnels en termes de performance décisionnelle (implication et satisfaction des parties prenantes, gain de temps dans la prise de décision, gestion de situations conflictuelles, etc.).

 Aptitude à s’adapter à de multiples facteurs de contingence. Les résultats de nos travaux ont mis en évidence la nature contingente de la stratégie et sa dépendance à plusieurs types de facteurs, à la fois institutionnels, environnementaux, organisationnels, décisionnels et individuels. Ces facteurs peuvent intervenir en même temps et sont présents à tout moment et dans tout type d’organisation. Leur variation conditionne les comportements stratégiques, mais aussi leurs résultats. Leurs concomitance et

interdépendance rendent le choix stratégique et son succès très complexes. Ils dépendent d’une multitude de paramètres dont la maîtrise est difficile du fait de leur nombre élevé, mais aussi de leurs interactions. Dans ces contextes, le développement d’une capacité organisationnelle et individuelle à intégrer et à gérer la complexité contextuelle devient une compétence stratégique très importante pour l’ensemble des parties prenantes (Durand et al., 2017 ; Burgelman et al., 2018 ; Martinet, 2018). Les dirigeants doivent alors être capables de comprendre et d’anticiper l’incidence des changements de ces contextes macro et micro organisationnels sur le fonctionnement de l’organisation. Le développement des activités à l’international, l’intégration des exigences sociétales en termes de responsabilité sociale et de développement durable, l’évolution des modes de pensée, des valeurs et des croyances des équipes dirigeantes, mais aussi les changements du positionnement de l’ensemble des parties prenantes organisationnelles sont des paramètres à prendre en considération dans le processus d’élaboration et de mise en œuvre de la stratégie.

 Aptitude à développer des leviers de performance, cognitifs, émotionnels et esthétiques. Nos travaux ont mis en évidence que les processus stratégiques ainsi que ses leviers de performance intègrent des éléments à la fois cognitifs, émotionnels et esthétiques, et que ces éléments sont interdépendants et complémentaires. L’ensemble de ces éléments peut conditionner la performance des individus et des équipes de travail et le développement organisationnel. Les décideurs et les organisations ont intérêt à développer des compétences d’intégration et de gestion à la fois des aspects cognitifs, émotionnels et esthétiques des comportements organisationnels et des individus. Au-delà d’une intelligence rationnelle et cognitive, une intelligence émotionnelle et esthétique est nécessaire pour créer de la valeur dans les organisations et chez les individus, mais aussi pour favoriser leurs aptitudes à changer durablement (Sanchez-Burks et Huy, 2009 ; Shrivastava, 2010 ; Adler, 2015). A ce niveau, la gestion intelligente des ressources humaines, notamment en termes de diversité, devient une source de performance durable, de même qu’une gestion bienveillante portant une attention accrue à la sécurité psychologique et la gestion des conflits relationnels.

 Aptitude à développer une « belle organisation » au service de la performance. Nos travaux sur la contribution de l’art et de l’esthétique ont montré l’importance de l’expérience esthétique dans l’organisation et son impact sur le développement et la

performance organisationnelle. La capacité des décideurs à penser et agir au-delà d’une logique du « bon » et du « vrai », afin de rendre les organisations également « belles » en termes d’esthétique organisationnelle, peut aussi être un levier de performance à la fois économique et sociale. Une organisation peut être perçue et rendue « belle » grâce à l’ensemble de ses composantes organisationnelles : stratégie, structure, culture, processus, ressources, produits et services. Une « belle » organisation peut rendre les individus plus engagés, plus motivés, voire plus performants, comment cela a déjà été souligné dans la littérature (Bjerke et al., 2007 ; Taylor, 2013 ; De Groot, 2014). Les décideurs devraient porter de plus en plus leur attention non seulement sur les leviers rationnels de la performance, mais aussi sur les leviers esthétiques qui peuvent améliorer la qualité des produits, rendre les clients plus attractifs (Townsend, 2010), les employés plus motivés et plus créatifs, et enfin sur la qualité esthétique et conviviale des lieux de travail (Antal et al., 2018).

 Aptitude à intégrer l’art, les artistes et les approches artistiques. Nos travaux ont permis de mettre en évidence la contribution de l’art et de l’artiste sur des problématiques de management stratégique. Les modes de pensée, les processus de création et les méthodes de travail des artistes peuvent permettre d’effectuer des transferts et des apprentissages organisationnels enrichissants pour l’action stratégique, notamment en termes de vision, d’innovation, d’implication et de changement organisationnel. La méthode de « pratique esthétique » que nous avons mise en place pour intervenir directement dans les organisations a montré l’intérêt des approches artistiques pour l’implication des membres d’un groupe dans l’action et dans le changement stratégique. Ces approches devraient être mobilisées par les décideurs en complément des approches managériales traditionnelles afin de donner du renouveau aux organisations et plus de sens à leurs actions stratégiques (Antal, 2014 ; Eaves, 2014 ; Crichton et Shrivastava, 2017 ; Antal et al., 2018). La mobilisation de l’expérience esthétique de tous les acteurs organisationnels, avec la contribution toute particulière de l’artiste, devrait ouvrir le champ des choix stratégiques possibles et rendre les organisations à la fois plus belles et plus performantes. Ce type d’expérience facilite la compréhension du sens et de la complexité des phénomènes stratégiques ; il rend ainsi possible le développement d’une vision stratégique partagée grâce à une implication émotionnelle et mentale intenses des individus et des groupes et donc des processus créatifs engageants.

Les différents points mentionnés sous forme d’aptitudes stratégiques à développer au sein des organisations peuvent s’appliquer, selon nous, à différents types d’organisations (CCI, PME, EM). Ils semblent valables pour des décisions stratégiques de différentes natures (croissance, externalisation, DD, RSE) et pour des formes diverses de performance : économique, sociale et environnementale. Nous pouvons toutefois suggérer la prise en compte des spécificités de ces contextes organisationnels, décisionnels ou performatifs comme des paramètres à part entière de différenciation des pratiques managériales, étant donné qu’elles constituent aussi des facteurs d’influence sur les comportements stratégiques organisationnels.

Au final, la contribution de nos travaux de recherche sur la stratégie et ses leviers de performance peut s’apprécier sur le plan théorique. Sans entrer dans le détail de nos contributions mentionnées dans le corps de ce mémoire et dans les deux synthèses de fin de chaque partie, nous pouvons mettre en exergue une contribution plus globale de notre travail autour du développement d’une connaissance intégrative et holistique de la stratégie. Cette contribution va dans le sens des appels lancés par plusieurs référents académiques du champ de la stratégie, et qui mettent en avant la nécessité d’intégration, d’ouverture, d’élargissement et de renouveau du domaine (Nag et al., 2007 ; Hafsi et al, 2014 ; Durand et al., 2017 ; Martinet, 2018 ; Burgelman et al., 2018). Cette dimension holistique et intégrative se manifeste dans notre travail à plusieurs niveaux.

Tout d’abord, notre vision intégrative de la stratégie transparaît dans la variété des perspectives théoriques mobilisées. Nous avons étudié la stratégie sous l’angle de plusieurs approches théoriques dans une logique de complémentarité et non pas d’antagonisme ou de supériorité d’une perspective par rapport à une autre. Des théories économiques, institutionnelles, organisationnelles, cognitives et esthétiques ont été mobilisées en fonction des problématiques stratégiques étudiées. L’ouverture de la stratégie vers une approche esthétique des organisations constitue une nouveauté sur le plan conceptuel. Notre recherche a montré que la compréhension de la stratégie ne pouvait pas se faire ni dans le cadre d’un modèle idéal ni dans celui d’un modèle dominant et qu’un pluralisme théorique était nécessaire pour une compréhension plus fiable de la complexité des pratiques stratégiques des organisations. La compréhension traditionnellement rationnelle de la stratégie peut réellement s’enrichir d’une compréhension esthétique qui ouvre le champ des choix stratégiques vers la prise en compte de la subjectivité, des émotions et de la sensibilité esthétique. Cette conception esthétique de la stratégie n’est pas courante dans le domaine qui reste encore sous l’influence d’un modèle rationnel dominant et qui favorise la rivalité entre courants théoriques

(Volberda, 2004 ; Desreumaux, 2008 ; Martinet, 2009 ; Durand et al., 2017), voire l’exclusion en dehors de leur champ d’action d’approches innovantes venant d’autres formes de connaissance.

Ensuite, notre contribution à une connaissance intégrative de la stratégie tient aussi à l’explication de la stratégie par des contingences contextuelles multiples et interdépendantes. Nous avons ainsi souligné la nécessité de prendre en compte un ensemble très large de facteurs explicatifs et l’intégration de contextes peu étudiés tels que les contextes institutionnels et individuels. Cette approche n’a pas été celle de la plupart des recherches menées jusqu’à présent qui aboutissent à des explications partielles et se concentrent sur des facteurs environnementaux ou des facteurs organisationnels (Hutzschenreuter et Kleindienst, 2006 ; Burgelman et al., 2018).

Enfin, notre contribution à une connaissance intégrative de la stratégie tient également à la prise en compte de l’impact de la stratégie et de ses leviers sur des éléments de performance organisationnelle autre que la performance économique. Si de façon globale, les effets de la stratégie sur la performance ont été beaucoup étudiés et se sont concentrés sur des éléments de performance économique, les éléments de performance sociale telles que l’attractivité organisationnelle ou la performance d’équipe ont été relativement peu analysés. Selon nous, l’ouverture vers une approche de création de valeur par l’expérience esthétique et la « beauté » permettrait de renouveler la vision classique de la performance organisationnelle et d’aller vers une vision intégrée, plus sociétale, voire philosophique, qui questionne le lien entre le « bon », le « bien » et le « beau » (Taylor, 2013). Nos recherches semblent indiquer la nécessité de considérer le lien dynamique potentiel entre ces trois éléments. Sans pour autant avoir testé empiriquement un tel lien, une hypothèse assez plausible semble être le fait que l’expérience du « beau » dans les organisations pourrait faire du « bien », ce qui à son tour pourrait générer du « bon » à la fois pour les individus et les organisations.

2. Limites et perspectives : un triple programme de recherche liant la stratégie au