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BILAN DE L'ANALYSE DE LOHMANN, A LA CROISEE DE HUMBOLDT ET D'HEIDEGGER

1 ère PARTIE : LANGUE ET ONTOLOGIE

IV- BILAN DE L'ANALYSE DE LOHMANN, A LA CROISEE DE HUMBOLDT ET D'HEIDEGGER

Lohmann dialogue, dans cet essai, avec Heidegger et Humboldt. C'est sous l'égide de ce dernier qu'il place la deuxième partie de son argumentation. En effet, il pose comme première la différentiation des langues qui doit pouvoir former un système logique cohérent. A l'instar d'Humboldt, il dispose les différents types linguistiques sur un axe comparatif ; il suppose l'existence d'une « forme interne » des langues, dont la nature, ou le critère pertinent, est essentiellement syntaxique, légitimant ainsi l'intuition de Humboldt en lui donnant une assise logique en même temps qu'ontologique. Le système de Humboldt ne trouve par ailleurs sa justification que dans l'étude comparative des langues, en supposant, de manière rigidement kantienne il est vrai, des idées immuables, qui, alliées aux phonèmes, leur donnent une valeur ; la langue en est le résultat. Lohmann ne situe pas son analyse au même niveau avec son énoncé (sa supposition) in actu comme énoncé idéal dont sont dérivées les langues naturelles. La supposition demeure dans la sphère de la logique opératoire de la

langue, qui est d'associer un mot à une chose dans un énoncé proféré (ou écrit) : il ne s'agit pas d'idées immuables. Mais le comparatisme d'Humboldt fournit un outil précieux à Lohmann, en tant qu'il sous-entend une organisation globale des

langues selon différents critères : syntaxe et morphologie (grammaire) mis en étroite relation, ontologie (manière dont s'exprime ou non la différence

ontologique dans l'énoncé), sociologique (cette approche est comparable à la démarche de la linguistique générale de Humboldt). Les types linguistiques sont des catégories de classement permettant la comparaison, mais ils ne sont pas absolus, et ils demeurent des modèles que Lohmann qualifie volontiers d' « extrêmes », et l'on remarque alors que les langues forment des ensembles ayant une influence les uns sur les autres (emprunts lexicaux, grammaticaux) : les langues forment un continuum en même temps que des blocs contrastés. Lohmann multiplie les critères classificatoires afin d'éviter le piège d'un certain fixisme se bornant à constater les écarts entre les langues ; c'est la raison pour laquelle il accorde autant de place dans son analyse aux points de convergences transcendant les frontières des types. La perspective s'en trouve profondément bouleversée, comme le montre la présentation en quatre tableaux qu'il

commente en conclusion de son essai.

A- La classification.

1/ Dimension catégorielle

Lohmann, à la suite de Finck, auquel il emprunte la plus grande partie de sa nomenclature des types linguistiques fondamentaux, présente ces tableaux récapitulatifs comme l'explicitation d'un « système clos de la forme interne des langues, recensant toutes les possibilités logiques de la formation des langues ». La diversité des tableaux a pour but de classer les groupes linguistiques selon des critères généraux (les radicaux, tableau 1), morphologiques (tableau 2) ou syntaxiques (tableau 3) selon un axe double : la division symétrique imposée par

le critère ontologique (séparant les langues de la différence ontologique fondées sur le principe de la congruence grammaticale, de celles où domine

l'indifférence ontologique, qui ne connaissent pas la flexion) et celui de la répartition géographique (du Nord au Sud, et de l'Ouest à l'Est), le nombre, la parfaite symétrie des types considérés les uns par rapport aux autres sur une ligne horizontale. Ces types linguistiques sont, de par leur dénomination historiquement attestée, des points de repère temporels, chronologiques, mais pas entièrement satisfaisants (le basque comme représentant du « japhétique », dont les connotations bibliques semblent peu en accord avec le développement historique de cet isolat au sein du monde indo-européen). Les termes sont orientés idéologiquement, mais ils sont pratiques, à condition d'en préciser l'usage. Le tableau demeure statique, et ne dit par ailleurs rien des langues elles- mêmes, si ce n'est qu'il reprend à grands traits la « linguistique générale » de Humboldt.

Les tableaux 2 et 3 peuvent se superposer au premier en une sorte de

recoupement des différents points de vue et niveaux d'analyse, mais les relations qu'ils mettent à jour ne peuvent se comprendre que dans une combinatoire morpho-syntaxique où il y a correspondance entre la formation des mots et relations logiques dans l'énoncé. L'ancrage concret, dans le vif de la langue, de la logique syntaxique (le type d'énoncé, nominal ou verbal) passe par la

morphologie, qui elle-même tire sa légitimité de la forme syntaxique. Le tableau en est une illustration concrète par la mise en miroir des langues naturelles, mais rien n'en détermine a priori les combinaisons possibles ; si on explique la

morphologie par la syntaxe et inversement, rien ne permet de décider du type de combinaison de ces deux critères, sauf à y voir une série de possibilités logiques qui, pour certaines, se sont concrétisées. Dans les trois premiers tableaux, quel que soit le niveau d'analyse considéré, le primat de l'ontologie est évident en tant qu'elle trace une démarcation et un axe signifiant entre une présence et une absence, cette de la mise en oeuvre concrète de la différence ontologique.

2/ Dimension dynamique.

Les deux derniers tableaux, dont l'un se veut une transition vers l'autre sont, par contraste, essentiellement dynamiques. On constate la variabilité des catégories de mise en relation syntaxiques dès lors que l'on pousse plus avant dans les

énoncés pour en extraire le fonctionnement de sous-groupes tels que le « groupe nominal » et le « groupe verbal », les termes étant choisis davantage par

commodité que pour leur adéquation à l'ensemble des phénomènes linguistiques concernés. L'agencement des éléments des groupes nominaux et verbaux sont, le plus souvent, symétriques et inversés, et certaines combinaisons (elles sont en nombre restreint) permettent d'établir l'identité de structures par delà la barrière de la différence ontologique. Tout fonctionne comme un arbre de choix

mathématique, à ceci près qu'il existe une gradation dans cette combinatoire de traits logico-syntaxiques, et que certains types linguistiques reposent sur une moins grande variété de ces caractéristiques. L'indo-européen se caractérise par la multiplicité des caractères logico-syntaxiques qu'il renferme : l'énoncé

nominal est un « sous-ordonnancement », l'énoncé verbal un « sur- ordonnancement », que l'on retrouve au niveau des groupes nominaux et verbaux. L'indo-européen cumule ces deux traits qui sont juxtaposés en sémitique, en raison de la coexistence des deux types d'énoncé (verbal et nominal), parce qu'en lui s'est opérée la synthèse des deux types dans le verbe d'existence ETRE, dans la mesure où le verbe est d'autre part le pivot de

l'énoncé (ordonnancement central). Il faut voir ce type linguistique comme un point de convergence de structures fusionnées, en raison de la mise en œuvre particulière de la différentiation ontologique.

Le dernier tableau est aussi le plus dynamique, illustrant parfaitement la définition que donne Humboldt de la langue comme energeïa, comme un continuum à la fois logique et historique, dans lequel s'efface le critère

sont à la fois idéaux et excessifs, dans la mesure où les langues se font parfois rencontrées en des points de jonction logique (parallélisme de certaines

structures dans des langues non-apparentées historiquement) et historique (fonction de l'emprunt, notamment)71, une relation qui demande, selon

Lohmann, à être examinée plus amplement afin d'en mettre à jour le mécanisme causal, si cela est possible. L'indo-européen est au centre du dispositif en raison de sa tendance fondamentale à l'abstraction (perte de la flexion, divorce entre fonction syntaxique et congruence phonologique) qui n'en demeure pas moins l'avatar de la supposition, dans la mesure où cette dernière demeure inanalysable dans sa forme d'expression qu'est la désinence. L'abstraction de la forme n'en

met pas moins en lumière la thématisation de la différence ontologique qui s'exprime dans la langue. Elle oscille entre l'abîme ouvert entre être et étant par la désinence inanalysable (la relation qu'exprime « l'étant dans son être ») et synthétisé d'autre part par la copule, verbalisation d'un énoncé qui serait

nominal dans d'autres types linguistiques, comme le sémitique. L'interrogation fondamentale qui émerge dans la langue grecque tient à ce que c'est l'étant que l'on questionne d'abord, et que la relation du Dasein et de l'étant n'est en aucun

cas de l'ordre de l'évidence ; la question de l'être est une poursuite passionnée de l'étant à qui l'on tente d'arracher sa part d'ombre, qui, paradoxalement,

correspond à sa dimension d'être, présent et voilé à la fois dans la structure intime du mot et dans les relations logiques au sein de l'énoncé.

71

C'est ainsi que Lohmann remarque que certaines caractéristiques d'un type linguistique donné s'immiscent dans des schémas linguistiques qui leur sont étrangers : ainsi note-t-on que le chinois moderne s'oriente syntaxiquement vers une forme analytique (au détriment de son synthétisme grammatical) par l'adjonction de mots associés normalement à la supposition : c'est le cas des spécificatifs, qui intercalent un signe indiquant l'appartenance à un type de substantifs devant un nombre cardinal ou ordinal, ou de l'apparition de formes de pluriel ou de pronoms. De même, l'abandon du monosyllabisme absolu au profit du dissyllabisme tend à rapprocher le chinois de son voisin mongol.

V- PERSPECTIVES HEIDEGGERIENNES : LOHMANN ET SA