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Le BER est bien plus qu’un système de réparation car il intervient dans de nombreuses fonctions cellulaires telles que la régulation de la transcription, diversification des anticorps, le remodelage de la chromatine et des télomères. De ce fait, et lorsqu’il est déficient, il est par conséquent responsable de plusieurs maladies comme le cancer, les maladies neurodégénératives et le vieillissement prématuré (Figure 22).

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Figure 22 : Le BER, un acteur important dans le métabolisme cellulaire

Cette image est inspirée par la présentation de Failla en 1996 à la « Radiation Research Society » discutant des implications du BER dans la réparation des altérations de l’ADN induites par des radicaux libres produits par des radiations ionisantes. Elle représente un terrain de baseball avec la base principale en bas (aussi appelé quatrième base), et de droite à gauche sur la partie jaune, la première, la deuxième et la troisième base (rôles supplémentaires du BER). Pour finir dans les champs extérieurs droit, centre et gauche, se trouvent les pathologies liées à des défauts de fonctionnement du BER. Elle a été utilisée pour décrire les nouvelles activités connues des quatre plus grands acteurs du BER, les ADN glycosylases en première base, les AP endonucléases en deuxième base, les ADN polymérases en troisièmes bases et les ADN ligases en quatrième base. Le BER est donc un élément essentiel jouant sur plusieurs tableaux, « A critical player in many games » [101].

Modulation de l’expression génétique

Le BER est également impliqué dans des mécanismes épigénétiques (modulation de l’expression) en influençant la méthylation de l’ADN. Ce mécanisme est lié au remodelage de la chromatine permettant l’accès ou non de l’ADN à la machinerie cellulaire de transcription et donc à l’activation et l’inactivation de certains gènes. Ce mécanisme opère sur les gènes, les rétrotransposons (séquences d’ADN capables de se déplacer et de se multiplier donnant des séquences répétées et

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dispersées) ou sur des chromosomes entiers (notamment un des doubles du chromosome X chez les mammifères femelles). La méthylation de l’ADN à la position 5 des cytosines (5-mC) est une marque épigénétique physiologique chez les eucaryotes qui joue un rôle fondamental dans le développement embryonnaire, dans la régulation de la transcription des gènes et dans bien d’autres processus cellulaires physiologiques ou pathologiques [102]. La formation des 5-mC dans l’ADN est régulée par plusieurs ADN méthyltransférases (« DNA Methyl Transferases », DNMTs), (i) la DNMT1 rétablit le profil de méthylation du brin néo-synthétisé après réplication et (ii) la DNMT3 méthyle l’ADN au niveau des îlots de dinucléotides CpG (longue succession de C terminée par un G dans le sens 5’ → 3’ de la séquence d’ADN) [103]. Contrairement à de nombreux produits d’alkylation des bases de l’ADN (voir la section I.1.3.1.4 p. 44), la 5-mC n’est pas identifiée par le système BER comme un dommage et forme une paire Watson-Crick stable à 3 liaisons hydrogène avec la guanine (5-mC.G). Bien que la 5-mdC soit essentielle, sa désamination en thymine induit dans l’ADN l’apparition du mésappariement T:G ce qui peut être associé à des sites chauds ou « hotspots » de mutation aux sites CpG (transition C → T), mutations souvent associées à des maladies génétiques et dans le génome de cellules cancéreuses chez l’Homme [104]. Récemment, des études ont montré que le BER participe à la déméthylation active de l’ADN via des produits spécifiques d’oxydation de la 5-mC (5-formyl-dC, 5-fC ; 5-carboxyl-dC, 5-caC) générées à partir de la 5-hydroxyméthyl-dC (5-hmC) (Figure 23) [105]. La formation de ces produits d’oxydation de la 5-mC est catalysée par les ADN dioxygénases de la famille « Ten-Eleven Translocation » (protéines TETs) [106-108]. La 5-fC et la 5-caC seraient reconnues et excisées par la thymine ADN glycosylase (« Thymine DNA glycosylase », TDG) de la superfamille des l’Uracile ADN glycosylases [106]. La 5-hmC pourrait être désaminée catalytiquement en 5-hydroxyméthyl-uracile (5-hmU) par des cytosines désaminases (« Activation-Induced cytidine Deaminase », AID ou

« APOliporotein B mRNA Editing Catalytic polypeptide », APOBECs) et opposée à une guanine et deviendrait ainsi un substrat des ADN glycosylases TDG, MBD4 (« Methyl CpG Binding Domain IV ») et SMUG1 (« Single-stranded specific Mono-fonctional Uracil DNA Glycosylase I »). Ainsi, l’action concertée et finement régulée des protéines TETs et des ADN glycosylases du BER contribue à une déméthylation active de l’ADN par un mécanisme d’oxydation contrôlée de la 5-mC [36]. L’ADN glycosylase hNEIL1 sur laquelle j’ai travaillé au cours de ma thèse pourrait être aussi impliquée dans la déméthylation active de l’ADN [109].

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Figure 23 : Démétylation active de l'ADN via le système BER Variabilité génétique et immunité

Les mécanismes d’hypermutagénèse somatique (« Somatic HyperMutation », SHM) et de commutation de classe (« Class Switching Recombination », CSR) dans les lymphocytes B participent tous les deux à la diversification et à la maturation des immunoglobulines du système immunitaire nécessaire pour détecter le plus grand nombre de corps étrangers pouvant être potentiellement des menaces [110]. Le SHM est le mécanisme cellulaire permettant au système immunitaire de s’adapter et de répondre en présence de corps étrangers, et le CSR consiste au remplacement d’une chaine constante de l’anticorps participant à la détection des corps étrangers. Les systèmes SHM et CSR contribuent de concert à la diversité du répertoire des immunoglobulines et à la variabilité antigénique en général. Outre leur rôle dans la réparation des altérations accidentelles de l’ADN, les ADN glycosylases UNG2 (« Uracile DNA glycosylase 2») et SMUG1 du BER des eucaryotes joueraient aussi un rôle clé dans ces deux mécanismes (Figure 24) [111].

Les premières protéines à intervenir dans le SHM sont des cytosines désaminases appelées AID et APOBEC mentionnées dans la section précédente I.2.2.1 p. 69. Dans les lymphocytes B, les protéines AID interviennent dans la désamination catalytique des cytosines des gènes des immunoglobulines (Ig). Leur action conduit à la formation d’uraciles mésappariées à des guanines (G.U). UNG2 reconnait

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l’uracile dans le mésappariment et procède à son excision, ce qui a pour conséquence la formation de sites AP extrêmement mutagènes (s’ils ne sont pas éliminés par le BER). UNG2 initie également le SHM.

L’initiation du CSR se fait en revanche après la formation SSB induites par APE1 au niveau des sites AP générés par UNG2 (Figure 21). S’en suit des réarrangements chromosomiques dépendants du système de recombinaison NHEJ. Ces remaniements chromosomiques au niveau des gènes codant pour les parties constantes des Ig contribuent, avec le SHM, à la variabilité du répertoire des anticorps dont disposent les mammifères. Dans ce contexte, le BER via AID/UNG2 favorise les mutations génétiques pour créer de la variabilité antigénique au sein des structures des anticorps. C’est exactement le contraire de l’activité antimutagène du BER dans le processus « canonique » de réparation de l’ADN (Figure 21) [112].

Figure 24 : Implication du BER dans les mécanismes de diversification des immunoglobulines L’hypermutagenèse sommatique (SHM) et dans les réarrangements chromosomiques (CSR) des gènes codant pour les immunoglobulines dans les lignées lymphocytaires B.

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En parallèle, UNG2 intervient lors de l’immunité innée après une infection par certains virus herpétiques et les poxvirus. Ces virus expriment leurs propres UNG virales, dont la structure et les propriétés biochimiques sont très proches des UNG de leur hôte. Les UNG virales interviennent dans le cycle de réplication de ces virus en éliminant les uraciles incorporées dans les brins d’ADN néoformés. Les deux types d’UNG étant présentes dans la cellule, elles interviennent toutes les deux sur l’ADN viral en formation, cependant les UNG de l’hôte ont tendance à générer dans l’ADN viral des sites AP qui sont ensuite clivés par APE1. Cela conduit finalement à la dégradation de l’ADN viral par l’activité 3’→5’ exonucléase de l’APE1. Dans ce cadre, les protéines du BER UNG2 et APE1 participent également à la défense antivirale et d’une façon générale, contre tout ADN étranger [113].