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L’AMONT DES SOUS-FILIÈRES D’EXPÉDITION : LE RÈGNE DES FAZENDAS

N. Les bases du système fazenda

Bien que les hommes, leurs projets et les systèmes techniques varient beaucoup, il existe des bases communes qui constitue ce que j’appelle le système fazenda. La solidité de ces bases garantit une grande robustesse au système, c’est ce qui fait son succès dans tout le pays et sur les fronts pionniers en particulier. Je traiterai ces bases en trois points successifs : les aspects commerciaux, les aspects techniques, et les aspects multifonctionnels.

La sécurité de vente des produits de l’élevage

Cet aspect est mis en avant par la totalité des producteurs rencontrés (IAI, 2000). Il est exprimé par l’expression « segurança e liquidez », sécurité et liquidité, qui cache une notion complexe. Le terme « sécurité » se réfère au prix de vente, perçu comme étant toujours stable ce qui détermine une grande confiance du producteur envers le marché. La « liquidité » traduit quant à elle la facilité de vente en tous points

Graphique 12. Les prix du bœuf au producteur

PRIX DU BŒUF AU PRODUCTEUR SUR 3 PLACES PARAENSES Source SIM A, semaine du 20 au 24 avril 1998

0 5 10 15 20 25 30

Castanhal Redençao Soure

R$ / @

Bœuf Vache

VARIATIONS DU COURS DU BŒUF SUR PIED A CASTANHAL 1997 - 2000 (Source : SIMA). 0 5 10 15 20 25 30 35 40 45

JAN FEV MAR AVR MAI JUIN JUIL AOUT SEPT OCT NOV DEC R$ / @

1997 1998 1999 2000 COTATIONS DU BŒUF SUR DIFFERENTES PLACES BRESILIENNES

Source : Anualpec, 2002 0 10 20 30 40 50 60 janv-9 6 mai-9 6 sept-9 6 janv -97 mai-9 7 se pt-97 janv-9 8 mai-9 8 se pt-98 janv-9 9 mai-9 9 sept -99 janv-0 0 mai-0 0 sept -00 janv -01 mai-0 1 sept -01 janv-0 2 R$ / @ Goiania Campo Grande Sinop São Paulo Marabá Redenção

du territoire et à tous moments de l’année, donc la facile convertibilité du bovin en argent liquide (liquidez). L’une dans l’autre garantissent une sécurité commerciale qui contraste avec toutes autres productions agricoles sur les fronts pionniers, et stimulent l’attrait pour les activités d’élevage. Les revenus de l’élevage sont sûrs, donc attractifs pour toutes stratégies de sécurisation ; le troupeau est un capital facilement mobilisable, convenant aussi bien à des situations financières et sociales précaires ou à des stratégies d’opportunismes. Ces caractéristiques sont fondamentales en des lieux où les réseaux bancaires et financiers ne sont pas organisés, les infrastructures de communication et de distribution d’énergie sont inéfficients, les marchés locaux d’autres produits agricoles sont précaires.

Je distingue trois bases à cette sécurité commerciale. L’une est liée à la stabilité des prix au producteur, l’autre à un jeu de caractéristiques propres aux produits de l’élevage, et la troisième à des réseaux de commercialisation efficaces.

La stabilité des prix au producteur

On ne doit pas imaginer des prix qui soient strictement invariables. Cette stabilité cache des variations, mais qui ne sortent pas d’un cadre de prévisions et de régularités. On peut les qualifier d’habituelles, si bien que le producteur les intègre sans difficultés dans ses stratégies de commercialisation. Elles ne n’introduisent pas de risques pour lui.

‰ Variations spatiales à l’échelle nationale

Il existe tout d’abord des variations spatiales. Comme l’illustre le graphique 12, les prix au producteur sur les places amazoniennes sont corrélés aux prix du Sudeste : le cours de São Paulo est une référence sur laquelle se basent l’ensemble des abattoirs frigorifiques du pays, pour définir ensuite leurs propres prix en fonction de la conjoncture locale qu’ils affrontent. Pour expliquer la différence sensible des prix entre São Paulo et le reste du pays, ces acteurs avancent l’argument de la distance et du coût de transport, mais aussi de la qualité des animaux qui y serait sensiblement supérieure. Ainsi les prix dans le Mato Grosso do Sul et le Goiás sont les mêmes, ce qui reflète bien une similarité en termes de distance aux marchés et de qualité de la production. Un cran plus bas dans l’échelle des prix se trouvent les frontières amazoniennes. J’ai inclus ici seulement Marabá et Redenção, pour des raisons de lisibilité, mais Araguaína dans le Nord du Tocantins ou Cacoal dans le Rondônia suivent exactement les mêmes valeurs. On peut remarquer qu’à Sinop dans le Centre-Nord du Mato Grosso les prix au producteur se détachent depuis peu de la catégorie de « frontières amazoniennes » et se rapprochent des valeurs de « grandes régions d’élevage », représentées par Goiânia et Campo Grande : il est vrai que dans cette partie septentrionale du Centroeste l’élevage a énormément évolué vers une production de meilleure qualité dans des systèmes de fazendas, et vers une meilleure intégration au marché national et international (implantation de nouveaux frigorifiques, entrée dans la zone propre de fièvre aphteuse). Une telle évolution constitue un modèle, poursuivi par la plupart des bassins de production bovine d’Amazonie orientale, et idéalisé par les leaders locaux.

‰ Variations spatiales locales

Le même raisonnement de variations spatiales s’applique à l’échelle du Pará, où des contrastes de qualité et des contraintes d’isolement font là aussi varier le prix au producteur. Ainsi Castanhal se trouve en 1998 à proximité immédiate des principaux abattoirs d’alors, mais éloigné des bassins d’élevage, d’où un prix au producteur plus

Graphique 13. Variations annuelles de la pluviométrie, du cours du veau et du cours du boeuf

Le cours du bœuf présente des variations saisonnières, liées à la pluviométrie : l’offre en bœufs dépend de l’état des pâturages.

Le prix des maigres au contraire n’évolue guère au cours de l’année. La répartition saisonnière naturelle des mises bas conduit à un sevrage en saison sèche, l’offre est donc synchronisée avec la demande.

Pour la commercialisation des bœufs de fazendas, l’époque théoriquement la plus avantageuse en termes de prix serait donc le début de saison des pluies, où le cours du bœuf est élevé par rapport à celui du veau. Mais cela supposerait :

(i) de maintenir l’effectif sur la fazenda pendant toute la saison sèche, donc d’avoir de moindres gains de poids.

(ii) de vendre les animaux au moment où les routes sont les plus mauvaises, ce qui est souvent … impossible.

Les fazendeiros d’Amazonie Orientale n’ont donc guère de marge de manœuvre pour choisir l’époque de commercialisation. Cela diminue leur pouvoir de négociation envers les industries, et leur rôle dans la construction des prix.

NB : Les variations régionales sont importantes : je n’ai cherché ici qu’à ne donner que des proportions relatives, sur la base de valeurs intermédiaires en 2001 / 2002. Pour des informations plus détaillées, consulter les sites http://www.cptec.inpe.br/ (pluviométrie) et http://www.fnp.com.br (cours du bœuf).

45 Prix au producteur R$ / @ 30 Précipitations mm / mois 50 350 Septembre Mars Cours du broutard Cours du bœuf

élevé (graphique 12). A l’opposé Soure, sur l’île de Marajó, conjugue une contrainte d’éloignement des marchés et de qualité du produit : un transport fluvial est nécessaire, et les animaux produits sur les várzeas de l’île présentent des conformations nettement inférieures. Redenção est dans une position intermédiaire. Sa production est de bonne qualité, et l’on voit d’ailleurs que la différence de prix entre mâles et femelles y est exacerbée. Mais cette place est au centre du principal bassin de production, ce qui contribue à minorer le prix par rapport à Castanhal. De plus la production de Redenção est écoulée vers des marchés hors-amazonie : la logique de construction des prix se fait donc par rapport à des schémas nationaux, et non plus des schémas locaux comme pour Castanhal et Soure qui produisent pour la ville de Belém.

Ces variations soulèvent bien sur des questions d’économie spatiale, concernant la localisation relative des producteurs, des industries et des marchés : les différences de prix au producteur couvrent-elles tous les coûts du transport, où une partie est-elle supportée par le frigorifique ? Comment le transport est-il financé dans la filière ? Quel est le coût d’une localisation excentrée pour chaque fonction technique ? Ces questions sont fondamentales dans l’analyse des structures spatiales de la filière, et méritent donc un développement détaillé. Elles sont abordées dans le paragraphe 2.2.2. : je me limite ici à étudier les fondements de la stabilité des prix au producteur.

Les variations spatiales des prix ne représentent théoriquement pas de surprises ni de risques pour les producteurs. L’éradication de la fièvre aphteuse est une exception à cette règle. La limite de la zone indemne trace une nette discontinuité spatiale en termes d’accès au marché, contrainte qui a un impact direct et puissant sur la formation des prix. Le déplacement de cette limite peut fermer l’accès à certains marchés, dès lors les prix au producteur chutent par saturation de la demande et la vente des animaux se fait sur des listes d’attente qui peuvent être bloquées … Une telle contrainte ne peut être supportée par la filière que si elle ne dure pas longtemps, ce qui signifie passer le plus vite possible … en zone indemne.

‰ Variations temporelles saisonnières

En revanche, les variations temporelles pourraient être beaucoup plus dangereuses pour la trésorerie des producteurs comme c’est la cas dans les productions végétales, dont les cours sont fluctuant : cacao, poivre et café en sont des symboles. Sur ce point, l’élevage bovin se démarque fortement des autres productions agricoles.

Le 13 montre des variations saisonnières du prix, très régulières. Elles correspondent aux époques de « safra » et « entresafra ». Ce rythme existe en tout point du globe, il correspond à l’alternance entre saisons favorables et défavorables pour la production fourragère. En zone tempérée ou d’altitude c’est la saison froide qui est limitante ; entre les tropiques c’est la saison sèche. Pendant ces périodes où l’herbe pousse moins vite, chaque bovin a besoin de plus d’espace pour maintenir la même quantité d’aliments. Une fazenda doit donc réduire son cheptel pour éviter un ralentissement des gains de poids (à moins qu’elle ne dispose d’une réserve de pâturages). En effet l’alimentation est extensive, rares sont les fazendas pratiquant la complémentation alimentaire en saison sèche, ou alors dans des proportions qui ne compensent que très partiellement le déficit de production fourragère1. Par ailleurs, le rythme de croissance des plantes étant plus lent, la partie la plus nutritive des graminées (la pointe des feuilles) met plus de temps à se recomposer. La qualité de l’alimentation diminue d’autant. Quels que soient les indices considérés, tous montrent une moindre productivité zootechnique notamment chez les bœufs en âge d’être abattus, plus

1 C’est aussi une tentation pour utiliser des hormones ou des modificateurs organiques qui vont stimuler l’appétit de l’animal, et l’aider à digérer plus facilement les pailles et tiges desséchées des prairies estivales.

Graphique 14. Valeur des monnaies brésiliennes par rapport au dollars américain depuis 1950

Remarquer l’amplitude des variations dans l’axe des ordonnées (valeur de la monnaie brésilienne, pour un dollars américain). Chaque chute de la courbe correspond à une dévaluation et l’instauration d’une nouvelle monnaie.

Taux du dollars deJanvier 1953 à Février 67

M oy ennes mens uel l es à l a v ent e, s our c e B anc o Cent r al do B r as i l 2002

0 500 1000 1500 2000 2500

Taux du dollar s de mars 1967 à mars 1978

M oy ennes mens uel l es à l a v ent e, s our c e B anc o Cent r al do B r as i l 2002

0 5 10 15 20 25

Taux du dollars de avrils 1978 à mars 1983

M oy ennes mens uel l es à l a v ent e, s our c e B anc o Cent r al do B r as i l 2002

0 50 100 150 200 250 300 350 400 450 avr-78 oct-78 avr-79 oct-79 avr-80 oct-80 avr-81 oct-81 avr-82 oct-82

Taux du dollars de avril 1983 à mars 1986

M oy ennes mens uel l es à l a v ent e, s our c e B anc o Cent r al do B r as i l 2002

0 2000 4000 6000 8000 10000 12000 14000

Taux du dollars de avr il 1986 à f évr ier 1989

M oy ennes mens uel l es à l a v ent e, s our c e B anc o Cent r al do B r as i l 2002

0 100 200 300 400 500 600 700 800

Taux du dollars de mars 1989 à août 1993

M oy ennes mens uel l es à l a v ent e, s our c e B anc o Cent r al do B r as i l 2002

0 10000 20000 30000 40000 50000 60000 70000

Taux du dollars de sept embre 1993 à juillet 94

M oy ennes mens uel l es à l a v ent e, s our c e B anc o Cent r al do B r as i l 2002

0 500 1000 1500 2000 2500

Taux du dollars de août 1994 à janvier 2002

M oy ennes mens uel l es à l a v ent e, s our c e B anc o Cent r al do B r as i l 2002

0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

sensibles que les jeunes broutards. A cette époque les premiers doivent donc avoir quitté autant que possible la propriété, remplacés par les deuxièmes : c’est la reposição, ou substitution des gras par les maigres. Bien sur le producteur évite de vendre tout son cheptel en une fois, les transactions sont échelonnées dans le temps. Mais l’impact sur le prix du bœuf est important : celui-ci subit des variations conformes à cette offre saisonnière.

Le commentaire associé au grapgique 13 illustre cette relation. Dans la plupart des régions du pays, le cours du maigre varie dans de plus amples proportions, et les conditions de transport sont constantes dans l’année, indépendamment des pluies. Dès lors, le fazendeiro est tenté de ne vendre que quand l’indice de reposição (valeur d’un bœuf/ valeur d’un veau) est le plus favorable, quitte à maintenir ses bœufs sur le pâturage en saison sèche (segurar o boi no pasto). Mais pour l’éleveur amazonien, la difficile circulation des bétaillères en saison des pluies, et l’absence d’alternatives pour l’alimentation en saison sèche rendent difficiles ce genre de pratiques commerciales. Elles sont réservées aux établissements les moins isolés, et dont les gérants calculent leurs allotements de manière à disposer d’une importante réserve fourragère pour la saison sèche1. Pour les autres, la commercialisation ne peut se faire qu’au cours de la saison sèche, quand les routes sont praticables. Même si cela correspond à l’époque des prix les plus bas, on est loin d’une incertitude des prix telles que celles qui animent les cours des productions végétales.

‰ Résistance aux variations accidentelles : le bœuf comme valeur refuge Une autre caractéristique est que le cours du bœuf ne présente pas ou peu de variations accidentelles. Sur le graphique 13, la régularité des courbes annuelles en est une bonne illustration. Ni des facteurs locaux ni des facteurs nationaux n’introduisent de variations autres que celles citées précédemment (tout au moins jusqu’à l’année 2000 et l’éradication de la fièvre aphteuse dans le Sudeste). Il est frappant de constater à quel point les acteurs sont convaincus de cette robustesse du cours du bœuf : très rares sont ceux qui acceptent d’imaginer une chute du prix de l’arroba. Une telle conviction tient de l’aveuglement, c’est pourquoi la fermeture des marchés situés en zone indemne de fièvre aphteuse a été si douloureuse : elle a pris de court la plupart des acteurs, alors qu ‘elle était prévisible (et même annoncée).

Hormis cette exception de l’aphteuse qui est conjoncturelle, le cours du bœuf a toujours joué un rôle de valeur refuge dans un contexte d’incertitudes, de variations des prix et d’inflations. C’est bien là le cœur de cette fameuse « segurança ».

Le graphique 14 donne une idée des variations de taux de change brésiliens, pour la période contemporaine. A partir des années 80, on parle d’hyper-inflation, qui ne s’est terminée qu’en juillet 94 avec le Plan Real. Ensuite en février 1999, le gouvernement a libéré les taux de change, autorisant une brutale dépréciation de la monnaie. Celle-ci s’est vite stabilisée, grâce à la confiance des investisseurs dans une économie brésilienne désormais fortifiée par quatre ans sans inflation.

Les conséquences de l’hyper-inflation puis de la stabilisation ont été énormes pour l’ensemble des acteurs économiques, et notamment les éleveurs. Au cours des années 80 la dévaluation de la monnaie dépassait fréquemment les 30% par mois, donc de l’ordre de un point par jour. Les revenus monétaires devaient être convertis au plus vite en dollars, ou en une marchandise dont le prix augmentait lui aussi tous les jours. L’argent liquide ne pouvait faire l’objet d’une épargne, puisque perdant quotidiennement de sa valeur. On pratiquait une nécessaire conversion des revenus pour éviter des pertes par

1 Ces réserves fourragères de saison sèche servent aussi à diminuer le risque de crise fourragère encas d’incendie accidentel dans les pâturages.

dépréciation. Par ce mécanisme, des échanges et activités commerciales se développaient au-delà de ce qu’aurait exigé le fonctionnement normal des marchés : c’est ce qui faisait « tourner l’économie » et vivre les foyers. Tous les Brésiliens sont devenus un peu commerçants. Certains plus que d’autres, vivant uniquement d’achat-ventes divers, profitant d’une meilleure connaissance des réseaux pour jouer sur des variations de prix ou de la demande. Les profits des entreprises ne dépendaient plus tant de leur compétitivité que de la bonne maîtrise de ces flux, bien proche de la notion de spéculation. Les éleveurs n’échappaient pas à cette règle, ils en étaient au contraire bénéficiaires.

Car tout ce commerce se fondait autour de produits phares, qui répondaient à trois caractéristiques : (i) des produits répandus, courants, facilement accessibles, (ii) des produits dont on sait que la demande ne faiblira pas, (iii) des produits qui se conservent bien. Les bovins répondaient bien à ces trois caractéristiques. . Toute une gamme de produits est apparue, échelonnés en fonction de leur prix qui correspondait à un niveau d’investissement. En milieu urbain trouvait-on en haut de l’échelle l’immobilier et l’automobile, puis le dollars, les caisses de bière ou autres biens de consommation courante pour la classe moyenne. Pour les individus les moins capitalisées le commerce a porté sur une multitude de produits allant des enveloppes postales aux piles A4 en passant par les bougies et bien sur les cigarettes. A la campagne, les revenus monétaires des petites gens étaient convertis en produits manufacturés alimentaires ou de première importance : le sel, le gas-oil, les outils, la farine de manioc, les haricots, le riz … Toutefois la plupart des petits revenus ruraux n’étant pas monétaires, c’est le troc qui s’installait le plus souvent : le pêcheur payait son épicier en poisson, l’agriculteur en farine de manioc … Pour les plus grosses sommes d’argent, le bœuf était la référence. La circulation du capital en milieu rural s’est ainsi traduite par la croissance des troupeaux. Sur les fronts pionniers, ces flux de capitaux prenaient une importance considérable et croissante dans l’économie locale : les bovins ont eu le premier rôle. En d’autres termes, l’instabilité monétaire a garanti la rentabilité de l’élevage, et l’a placé au centre de l’économie rurale, pour des raisons de sécurisation des revenus. Les détenteurs de gros capitaux y ont vu un moyen de mettre leur fortune à l’abri des aléas, et les petits producteurs ont été attirés par la perspective de sécurisation des revenus. Le bœuf a pu jouer ce rôle de monnaie d’autant plus facilement qu’il possède des qualités spécifiques, décrites dans le paragraphe suivant.

Cette organisation de l’élevage a radicalement été remise en cause par la stabilisation de la monnaie. Les systèmes de production étaient construits sur cette rentabilité artificielle, négligeant d’autres aspects comme les performances zootechniques. De nombreuses fermes sont entrées en crise à partir de juillet 19941, voire des régions entières (Paragominas est l’exemple le plus net). Pourtant le cours du bœuf continue à être stable et sa réputation de valeur référence n’est qu’à peine émoussée : c’est que d’une part les caractéristiques du produit n’ont pas changées, et que d’autre part les réseaux très performant de commercialisation se sont maintenus.

Des produits dont les spécificités correspondent à celles des fronts pionniers.

Ces caractéristiques des bovins sont bien connues, et valables dans le monde entier : pour la plupart des sociétés rurales traditionnelles ou peu motorisées, l’élevage joue ce rôle d’épargne, grâce à ces qualités.

Les contraintes principales que le producteur rencontre sur les fronts pionniers découlent de l’isolement voire de l’enclavement, qui complique la commercialisation

des produits et l’accès aux intrants, aux services notamment. Distance, précarité des routes et saison des pluies rendent difficiles et coûteux les transports. De plus ils facilitent l’émergence de monopoles commerciaux locaux, avec donc une minoration des prix payés au producteur. Dans ce cadre, le bœuf est providentiel : il peut se déplacer seul et à moindre coûts, sur de grandes distances en empruntant n’importe