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L’Amazonie, encore en marge de la production … mais nouveau lieu d’expansion du troupeau national

LES LOCALISATIONS DE LA PRODUCTION BOVINE BRÉSILIENNE

F. L’Amazonie, encore en marge de la production … mais nouveau lieu d’expansion du troupeau national

Vers le nord devenu la fronteira amazonienne, c’est dans les années 60 que le massif forestier humide a cessé d’être un obstacle à l’avancée des troupeaux, et est au contraire devenu très attrayant pour les éleveurs. Un nouveau pas a alors été franchi dans la migration de d’élevage. Incitations fiscales et plans de colonisation dans un premier temps, avantages comparatifs pour la production fourragère et les performances zootechniques à partir de la fin des années 80, sont venues appuyer les attraits de l’élevage sur les fronts pionniers amazoniens : occupation de la terre, capacité à sécuriser les revenus et constituer une épargne adaptée, en l’absence de tous réseaux financiers (Poccard-Chapuis, 2003 a, Deffontaines, 1971). Ainsi beaucoup d’éleveurs ont migré vers l’Amazonie, et beaucoup de migrants en Amazonie sont devenus éleveurs.

Cette tendance s’observe nettement dans les statistique nationales, pourvu que l’on adopte une vision dynamique, sur un pas de temps d’une dizaine d’années, en l’occurrence 1990 – 2000. On remarque alors qu’une dynamique spatiale forte affecte l’élevage brésilien, remettant radicalement en cause la structure observée en 1990 (voir les cartes précédentes, 16, 17 et 18). Les troupeaux diminuent dans la plupart des bassins traditionnels d’élevage, tels que le Rio Grande do Sul, une partie du Mato Grosso do Sul, São Paulo et le Minas Gerais. L’activité se déplace nettement vers le Nord et l’Ouest, c’est à dire l’Amazonie. La limite de l’Amazonie Légale est franchie, mais aussi celle des cerrados et des formations végétales de transition vers la forêt : l’élevage pénètre dans le massif ombrophile.

J’ai pu mesurer cette tendance grâce à l’outil SIG, qui permet de combiner ces données statistiques de l’IBGE en 1990 et 2000 avec la répartition des formations végétales. A partir de la carte de végétation élaborée par l’ISA1 sur toute l’Amazonie Légale, on peut séparer trois catégories de formations végétales, organisée grosso modo en couronnes concentriques : les forêts ombrophiles, bordées au Sud par des formations de transition, et en périphérie les formations de savanes (cerrados). Cela permet d’intégrer une définition plus fine de l’Amazonie que simplement « l’Amazonie Légale », notion purement administrative et ne correspondant guère à une homogénéité régionale, ni sur le plan de l’occupation humaine ni sur celui du milieu physique. En effet, dans toute la zone de cerrados, formations du Brésil central, les dynamiques d’occupation de la terre correspondent à des facteurs bien spécifiques, souvent différents de ceux qui affectent l’Amazonie forestière. La caractérisation des dynamiques amazoniennes demande donc à ce que l’on affine autant que possible la définition de l’espace concerné. Se baser sur une Amazonie forestière est une alternative accessible, même si elle n’est pas idéale ni parfaitement rigoureuse (des zones de savanes édaphiques et climatiques sont dispersées à l’intérieur du massif forestier, et pas seulement à sa limite sud).

A partir de cette notion, j’ai donc pu séparer les micro-régions2 situées à l’intérieur du massif forestier, et celles des cerrados. On observe qu’en 1990 11,1% du troupeau national se trouvait au Nord des cerrados, donc en zone de forêt ombrophile ou de transition. C’est un chiffre modeste, qui confirme bien le faible poids de l’Amazonie d’alors dans l’élevage national. Mais sur la période 1990 - 2000 la croissance du troupeau dans cette région, comptée en nombre de têtes, équivaut à 72 % de la croissance sur l’ensemble du pays, soit 16,5 millions de têtes ! En d’autres termes, près des trois quarts de l’augmentation du troupeau national sur les dix a eu lieu dans le massif forestier amazonien. Une analyse spatiale plus fine révèle que 80% de cette croissance a eu lieu dans les communes constituant l’Arc de déforestation. Ces chiffres sont suffisamment parlant pour que l’on cesse de considérer l’Amazonie comme une marge dans la production bovine nationale, mais bien comme le nouveau lieu de l’expansion des troupeaux, ce qui renvoie bien à d’autre enjeux en termes de politiques publiques et de développement régional.

Ce re-centrage vers le Nord du cheptel national reste peu étudié à ma connaissance, ou seulement à des échelles locales. Il est sans doute lié à l’émergence de la région Centroeste comme bassin de production agricole et nœud de communications, ce qui a pour effet de remodeler toute la géographie agricole du pays. Ainsi au Mato Grosso la nouvelle géographie des grains jouerait dans l’avancée de l’élevage vers les zones de forêt, laissant les cerrados à des formes plus intensives de mise en valeur agricole (notamment avec les systèmes de semi-direct pour la production de soja). La carte 20 des grands projets d’aménagements planifiés par le gouvernement fédéral3 illustre une certaine focalisation sur ce Centre-oeste : les infrastructures de transport y sont prépondérantes, et la plupart visent à drainer cette région pour qu’elle puisse jouer pleinement son rôle central dans l’agrobusiness exportateur, nouvel itinéraire national pour dégager des devises. Dans ce cadre l’Amazonie constitue un obstacle physique à

court terme, que «Brasil em Ação » puis

1 Instituto Socio-Ambiental, ONG active dans e domaine de la préservation de l’Amazonie. La carte dont il est question est disponible sur le site www.institutosocioambiental.org.br

« Avança Brasil 1 » prétendent aplanir. A plus long terme, elle représente un gros potentiel pour l’agriculture et l’élevage, tout au moins du point de vue des conditions agro-climatiques exceptionnelles dont elle bénéficie (chaleur et humidité). Les infrastructures mises en place actuellement par le programme fédéral seront alors des bases solides, sur lesquelles les investisseurs pourront s’appuyer pour développer en Amazonie une agriculture plus productiviste, et mettre un terme à la phase pionnière qu’elle connaît actuellement. Cela nous amène à constater que l’avancée vers le Nord ne concerne pas que les troupeaux bovins, mais l’ensemble de la filière (on pourrait dire du secteur agro-alimentaire).

UNE FILIÈRE NATIONALE QUI CHANGE DE STRUCTURE