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3. Spécificités des représentations spatiales et de leurs études

3.2. Les bases neurales

Des chercheurs se sont intéressés à la localisation de la mémoire spatiale dans le cerveau. O’Keefe et Nadel (1979) mentionnent le rôle primordial de l’hippocampe dans la mémoire spatiale et la navigation. L’hippocampe nous permet de construire une représentation de notre environnement et de connaître notre propre position. O’keefe et Dostrovsky (1971) ont en effet observé chez le rat des cellules de l’hippocampe très spécifiques. Ces cellules neuronales s’activent lors de déplacements et plus précisément lorsque l’animal se trouve à certains emplacements particuliers. Chaque neurone représente un emplacement particulier de l’environnement (d’où leur nom de « cellules de lieu »). Quelques années plus tard, Ranck (1985) découvre des cellules actives lorsque la tête de l’animal est orientée dans une direction spécifique ; ce sera donc les « cellules d’orientation de la tête ». Plus récemment, d’autres neurones ont été découverts dans la région dorso-latérale du cortex entorhinal médian. Ces neurones s’activent ensemble, pour plusieurs points de l’environnement, formant ainsi une grille dépendante des repères externes et des informations internes (« cellules de grille ») et formant un maillage de l’espace dans lequel l’animal se déplace (Hafting, Fyhn, Molden, Moser & Moser, 2005). Différentes cellules de l’hippocampe et du cortex entorhinal médian seraient donc impliquées dans la mémoire spatiale chez l’animal, mais qu’en est-il de l’Homme ?

Parmi les nombreuses études menées chez l’Homme, certaines sont basées sur les conséquences de lésions cérébrales (ex. Maguire, Burke, Philips & Saunton, 1996 ; Spiers, Burgess, Hatley, Vargha-Khadem & O’Keefe, 2001 ; pour revue : Kessels et al., 2001 ; Broadbent, Squire & Clark, 2004 ; Kumaran et al., 2007), d’autres font intervenir des techniques non invasives permettant d’observer l’activité cérébrale (ex. Maguire et al., 1998 ; Abrahams et al., 1999 ; Maguire, Burgess & O’Keefe, 1999 ; Maguire et al., 2003). Ces travaux ont conforté l’idée que l’hippocampe joue un rôle primordial dans la mémoire spatiale, et plus précisément

dans la navigation (Abrahams et al., 1999 ; Maguire et al., 1996, 1998, 1999 ; Spiers et al., 2001 ; Broadbent et al., 2004). Ainsi, lors de lésion de l’hippocampe bien souvent accompagnées de lésions du gyrus parahippocampique et du lobe temporal médian, un déficit de mémoire spatiale est observé dans un ensemble de tâches variées d’apprentissage de labyrinthe, de mémoire de travail visuo-spatiale, de localisation d’objets et de positions d’individu (pour une revue, Kessels et al., 2001). Certaines études observent de plus une latéralisation des fonctions de l’hippocampe avec, à droite plutôt la localisation d’objets ainsi que les relations spatiales topographiques (par exemple : localisation ou apprentissage de labyrinthe) et à gauche plutôt le contexte épisodique, autobiographique de la représentation (pour une revue, Kessels et al., 2001 et Burgess, Maguire & O’Keefe, 2002). Par exemple, Maguire, Nannery et Spiers (2006b), se sont intéressés aux connaissances topographiques statiques de Londres (reconnaissance visuelle de repères, jugement de proximité entre repères, jugement de distances entre repères, placement de repères sur une carte et pointage de repères) ainsi qu’aux capacités de navigation en réalité virtuelle dans Londres. Ils ont évalué ces connaissances dans un groupe contrôle de conducteurs de taxi et chez un ancien conducteur de taxi ayant une lésion hippocampique bilatérale. Ce dernier avait des performances comparables aux autres conducteurs de taxi lors des épreuves de connaissances topographiques et pour une partie des performances de navigation. Toutefois, lors de la navigation, il avait des difficultés à trouver la bonne route lorsque celle-ci n’empruntait pas préférentiellement les artères centrales de la ville. L’hippocampe ne serait alors pas nécessaire pour la connaissance topologique mais le serait pour la navigation dans un milieu connu (notamment lorsqu’il est nécessaire d’utiliser une connaissance détaillée de l’environnement).

Eleanor Maguire et son équipe ont également réalisé plusieurs études d’imagerie cérébrale comparant des experts en navigation spatiale (des conducteurs de taxis londoniens) à des sujets contrôles non experts en navigation spatiale (Woollett & Maguire, 2010, 2011). Notons qu’afin d’obtenir leur accréditation, les conducteurs de taxi londoniens doivent entre autres connaître l’ensemble du réseau routier de Londres, soit 25 000 rues et des centaines de repères, ce qui suppose donc qu’ils ont construit une excellente carte cognitive de cette ville. Maguire et ses collaborateurs observent une plus grande activation de certaines aires cérébrales, notamment de l’hippocampe (postérieur), en navigation en réalité virtuelle chez ces experts. Ces auteurs observent également des modifications de densité de matière grise dans l’hippocampe liée au temps passé comme conducteur de taxi (et non pour les conducteurs de bus, par exemple), c’est-à-dire liée à une expérience de navigation variée (ex. Maguire et al., 2000 ; Maguire et al., 2003 ; Maguire et al., 2006a). Plus cette expérience est importante, plus la zone postérieure de

l’hippocampe est dense et plus la zone antérieure petite. Cette différence ne serait pas innée mais bien liée à une plasticité cérébrale de l’hippocampe en fonction de l’expérience (Maguire et al., 2003). Toutefois les chauffeurs de taxi ont plus de difficulté à effectuer de nouveaux apprentissages que les conducteurs de bus (Maguire et al., 2006a). La zone antérieure de l’hippocampe servirait donc aux nouveaux apprentissages spatiaux (Maguire et al., 2006b). Dans des comparaisons d’experts, il est difficile de savoir si les différences observées sont dues à l’expérience des sujets ou si ces personnes sont devenues chauffeurs de taxi du fait d’une prédisposition, c'est-à-dire de leurs différences interindividuelles initiales. Pine et al. (2002) ont comparé l’activité cérébrale d’adolescents et d’adultes lors d’une tâche de navigation spatiale. Ils ont observé des différences d’activation dans le lobe frontal et médio-temporal antérieur droit lors d’un suivi d’itinéraire. Les adultes avaient de meilleures performances allocentriques associées à des activités du cortex temporo-pariétal et du cerebellum (principalement gauche). Les différences seraient donc bien dues à l’expérience.

En conclusion, bien que la mémoire spatiale fasse principalement intervenir l’hippocampe, le rôle d’autres régions cérébrales a également été mis en évidence. Le gyrus para- hippocampique est impliqué dans l’identification d’objets, de bâtiments, de repères et de scènes spatiales en deux dimensions (surtout la géométrie/configuration). Le lobe temporal médian permet la mise à jour automatique de l’orientation de la représentation spatiale. Le lobe pariétal intervient dans les informations égocentrées. Le lobe frontal sert en quelque sorte d’horloge interne permettant de fournir un contexte spatio-temporel. Enfin le cortex préfrontal permet de planifier les détours de navigation ou l’utilisation de stratégies de récupération (Burgess et al., 2002).

3.3. Utilisation de la réalité virtuelle pour l’étude des représentations