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Barthes, Lanson et la Rhétorique

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 166-177)

Deuxième partie : « Tout est histoire »

Chapitre 1. Le savoir littéraire et la science de la littérature

1.1. Barthes, Lanson et la Rhétorique

1.1. Barthes, Lanson et la Rhétorique

Ce n’est pas en dehors du cadre scientifique que Barthes critique Lanson ; tout au contraire, il le fait au nom et à l’intérieur même de ses principes, exactement comme Simiand qui critiquait Seignobos et Langlois au nom de la science positiviste. « Lanson tenait beaucoup à l’esprit scientifique de sa méthode, écrit-il dans “ L’Avenir de la rhétorique”, c’en est pourtant l’élément le plus discutable285 ».

Le nom de Lanson apparaît peu dans les écrits publiés du vivant de Barthes ; le principal texte où il critique la pensée de Lanson est longtemps resté inédit. Un dialogue en filigrane avec ce pionnier de l’histoire littéraire se poursuit en revanche dans l’œuvre barthésienne. Vincent Debaene le démontre à propos de l’article de 1967 « De la science à la littérature ». Charles Coustille286 insiste sur le rapport à la rhétorique, Mathieu Messager287 sur la présence de Lanson

285 « L’avenir de la rhétorique », in Album, inédits, correspondances et varia, éd. Éric Marty, Seuil, 2015, p. 137.

286Charles Coustille, Antithèses. Thèses d’écrivains français aux XXe et XXIe siècles, thèse de doctorat, sous la direction de Philippe Roger, EHESS, soutenue en 2015.

287 Mathieu Messager, Les Hétérologies du savoir (Roland Barthes, Pascal Quignard), thèse de doctorat, sous la

direction de Bruno Blanckeman, Université Sorbonne-Nouvelle Paris 3, soutenue en 2016.

166 derrière la figure de Picard dans Critique et vérité. Dialoguer avec Lanson ne signifie pas nécessairement le contredire, mais souligner ses erreurs selon la même base épistémologique.

Trois problèmes paraissent essentiels à Barthes : la définition de l’objet de la science littéraire, la distinction entre la science de la littérature et l’histoire littéraire et, bien sûr, le rapport à l’histoire.

Barthes reproche principalement à Lanson de « poser le texte comme intérieur à l’Histoire et exiger qu’il soit compris historiquement288 ». Il s’agit d’une grande contradiction qui existe dans la tradition philosophique et littéraire, et que Barthes ne cesse de dénoncer :

« On ne peut à la fois vouloir tout soumettre à l’Histoire, et prétendre, soi, la dominer289 ». Pour Barthes, Lanson appartient à la même tradition que Taine et Seignobos (il ne les distingue pas) ; il lui adresse donc exactement les mêmes critiques que Lucien Febvre formulait à l’encontre de l’histoire « positiviste » (ou comme on l’appelle aujourd’hui « méthodique ») : « Lanson et ceux qui ont puisé dans sa manière n’ont pas du tout été gênés de faire servir les résultats d’une méthode historique à l’élaboration d’une psychologie arbitraire; ils ont cru qu’ils n’avaient pas à trancher sur l’homme, qu’il leur suffisait d’en prendre la vue de leur temps, considérée comme éternelle290 ». Mais Lucien Febvre lui-même, aurait-il tenu ces propos sur Lanson ? L’aurait-il rangé du côté de Seignobos ? Pas vraiment. Aussi étonnant que cela puisse paraître, à cet égard Lucien Febvre est plus réservé que Barthes. Il est même plus nuancé. Lanson est pour lui cet aîné qui a les mêmes ambitions pour l’histoire littéraire que Febvre pour l’histoire, et qui se rapproche des mêmes milieux (Revue de synthèse, les durkheimiens) pour y puiser sa méthode.

Febvre utilise Lanson pour attaquer son élève, Daniel Mornet, qui avait publié en 1940 une Histoire de la littérature classique, 1600-1700 ; ses caractères véritables et ses aspects inconnus. Mais ce livre n’a, selon Febvre, rien d’un livre d’histoire, bien que son auteur soit

« élève de Gustave Lanson, qui tenta si vigoureusement de rapprocher l’histoire littéraire et l’histoire – de la rajeunir et de la renouveler en l’amenant à s’intéresser à cent problèmes proprement historiques291 ». Febvre est précisément celui qui distingue Lanson de « ceux qui ont puisé dans sa méthode », car le premier avait su poser des problèmes, « et parfois excellemment. Nous qui ne lui avons jamais rien dû, qui ne l’avons jamais eu pour maître, n’hésitons pas à redire tout ce qu’avait d’intelligence dans l’esprit un homme qui,

288 « L’avenir de la rhétorique », in Album, op.cit. p. 137.

289 Ibid., p. 138.

290 Ibidem.

291 Lucien Febvre, « De Lanson à Daniel Mornet, un renoncement ? » repris in Vivre l’Histoire, op.cit. p. 228

167 malheureusement, ne portait point aux questions d’hommes l’attention qui convient292 ». Le petit bémol se laisse entendre, délicatement en bas de page d’abord. L’effort de Lanson était

« voué à l’insuccès ». C’est moins faute de compétence, que parce que l’historiographie de l’époque n’était pas en mesure de lui apporter le soutien nécessaire, surtout concernant l’histoire sociale, « la plus délicate peut-être à écrire de toutes les histoires ». C’est l’état des sciences auxquelles il pouvait avoir accès qui fait de son programme une chimère ; car « Lanson conviait des hommes qui n’avaient pas commencé par s’inquiéter de savoir comment on démontait le mécanisme des sociétés293 ». Lanson ne tirait sa connaissance du milieu « que de seconde ou de troisième main, dans des manuels simplistes ». Les arguments de Febvre et de Barthes se ressemblent, toutefois Febvre disculpe Lanson, ce que ne fait pas Barthes.

À lire la « méthode » de Lanson, ou sa présentation devant les sociologues, on voit pourquoi Febvre lui rend hommage. Lanson considère la littérature comme un être historique et social. Les études littéraires sont, comme nous l’avons vu, une branche de l’histoire de la civilisation. En amenant la question du public au cœur des problématiques de l’histoire littéraire, Lanson postule une histoire sociale de la littérature dans laquelle ce n’est pas seulement l’œuvre, figée dans une période, qui doit être étudiée par le savant, mais encore le sens que la lecture de chaque époque en donne : « Au fond des jugements de Boileau sur Homère ou Ronsard, que trouve-t-on, sinon la représentation de Ronsard ou d’Homère dans une conscience collective, dans la conscience d’un groupe français du XVIIe siècle ? Le dogmatique, en effet, n’échappe au reproche d’universaliser ses impressions individuelles qu’à la condition d’avoir socialisé sa pensée294 ». L’idée est effectivement séduisante, surtout pour un Lucien Febvre. Elle peut l’être aussi pour Roland Barthes, car, pour montrer que toute œuvre d’art est habitée par la conscience de sa réception à venir, Lanson passe par « l’aphorisme de Tolstoï » : « l’art est un langage », qu’il lie à une affirmation sociologique : « l’art suppose un public », pour conclure que l’œuvre « contient déjà le public ». Alors l’art est un langage qui a besoin d’un locuteur et d’un auditeur, mais cet auditeur est un « être collectif » déjà présent dans l’imaginaire du texte. Nous avons donc d’un côté une image de l’auteur que la

« conscience collective » de chaque époque projette sur le texte, et de l’autre une image collective du lecteur que l’auteur a postulée en écrivant son texte295. Voilà pourquoi l’étude de

292 Ibidem. Note.

293 Ibidem.

294 Gustave Lanson, « L’Histoire littéraire et la sociologie », op.cit. p. 69.

295 Effectivement la rigidité méthodique de Lanson ne lui permet pas de tirer toutes les conséquences d’une telle idée. Toujours est-il qu’à certains moments, la modernité de sa pensée est vraiment étonnante.

168 l’histoire littéraire est nécessairement une étude sociologique. Le texte littéraire doit être considéré comme un phénomène socio-historique. Barthes par ailleurs rend hommage à Lanson à ce propos : « il reste qu’après Lanson le texte littéraire n’a plus relevé d’un ordre surnaturel et inconnaissable ; il est devenu le fruit d’une détermination précise, de nature historique ; il se présente comme un objet, sinon concret, du moins observable296 ». Il faut alors continuer le travail entrepris par Lanson, et pour ce faire, commencer par comprendre les raisons de son

« insuccès », ou, tout simplement, mettre à jour cette méthode en l’associant « au mouvement général et lié des autres sciences humaines » ; c’est-à-dire reprendre l’ambition première et primordiale de la critique lansonienne délaissée par ses élèves.

Il faut insérer l’homme dans le temps, le comprendre dans le temps, au nom même de la science objective qui, jusqu’à présent, n’en a fait qu’une abstraction absolue. Mais cette manière d’être objectif, laquelle, comme Lucien Febvre l’avait déjà dénoncé, ne fait qu’imprimer sur le passé les idées que l’époque présente de l’homme, est une reproduction de stéréotypes et non une production du savoir, car elle prend « ses mots d’ordres, c’est-à-dire ses clichés, dans la tradition ». Quelle est la cause de ce malheur ? Barthes n’hésite pas à la désigner : « la séparation apparemment objective des compétences ». Nous voici de nouveau devant l’inquiétude qui est celle des sciences humaines depuis la fin du XIXe siècle. Les disciplines qui n’ont pas pour but de construire une certaine image de l’homme la trouvent dans des clichés et des idées reçues, sans jamais s’en préoccuper, ou même s’en rendre compte.

Durkheim avait déjà dénoncé cette pratique chez l’économie et la morale ; Barthes réitère cette attaque à l’encontre de la critique littéraire. Le problème reste véritablement préoccupant : la distinction disciplinaire, par laquelle les sciences humaines étaient obligées de passer, laisse dans chaque discipline des cases vides dont la science en question ne peut s’occuper sans pouvoir pour autant les exclure entièrement de son expression : ces cases vides, selon Barthes, seront remplies par les clichés. Pour une grande partie des sciences « humaines », l’histoire, les études littéraires, l’économie, la linguistique, « l’homme » devient la plus importante de ces cases.

Le second problème concerne la définition de l’objet de la science littéraire. Lanson était parfaitement conscient de la difficulté de cette tâche et a fait entendre qu’il ne s’y était hasardé que par obligation : « Il est délicat de définir l’œuvre littéraire ; je dois pourtant l’essayer ». Lanson propose deux définitions qui, « séparément insuffisantes, sont

296 « L’avenir de la rhétorique », in Album, op.cit. p. 137.

169 complémentaires l’une de l’autre, et embrassent, réunies, toute la matière de nos études297 ».

D’abord un texte littéraire ne s’adresse pas à un public spécialiste, mais plutôt à tout le monde.

Cette définition paraît insuffisante, car il y a des poèmes qui, par leur complexité s’adressent effectivement à un public restreint d’érudits. Lanson ajoute donc une seconde définition : « le signe de l’œuvre littéraire, c’est l’intention ou l’effet d’art, c’est la beauté ou la grâce de la forme298 ». Malgré son langage démodé, cette manière de s’interroger sur le texte, ou l’œuvre d’art, continue à intéresser la génération de Barthes299. Barthes lui-même n’avait-il pas proposé de faire une analyse des différentes sciences humaines en fonction du degré de spécialisation de leur langage? Mais il est clair que pour la génération de Barthes cette définition n’est pas suffisante. Car finalement cette science de la littérature ne parle pas véritablement de la littérature et cela parce que Lanson ne parvient pas à cerner un vrai objet pour cette science.

En effet Lanson avait beaucoup hésité sur la question : faut-il accorder le privilège au singulier ou au général ? À son époque cependant la distinction paraît claire : la norme étant une moyenne, une forme commune, on la confond avec « l’écrivain médiocre » et on lui oppose la singularité du génie. C’est la fameuse différence entre Thomas et Pierre Corneille qui a déjà réapparu lors de l’élection de Valéry au Collège de France. Le dilemme de Lanson est alors le suivant : si l’histoire littéraire veut être une science, elle doit être capable d’expliquer le général ; mais ce faisant elle risque de s’attribuer un objet indigne, l’écrivain médiocre, et délaisser ce qui est essentiel : l’explication des chefs-d’œuvre. En revanche si elle veut s’attacher uniquement au singulier, au chef-d’œuvre, elle ne peut prétendre au statut de science.

Lanson parvient à une solution fine et rationnelle : tout texte littéraire, même le plus grand chef-œuvre, est un produit de son temps et de son milieu, et en garde des traces essentielles. Nous ne pouvons expliquer Racine sans savoir ce qu’il a en commun avec la littérature de son époque.

Ce n’est qu’après une explication précise du général que la connaissance du particulier devient possible. Cette seconde étape ne relève plus de la science : il n’y a de science littéraire qu’historique. La prétention de la « critique » à se définir comme une science paraissait aussi absurde à Lanson que celle de la littérature elle-même. Elles peuvent, en revanche, transmettre la vérité singulière qui est hors de la portée de la science.

297 Gustave Lanson, « La Méthode de l’histoire littéraire », (1910), op.cit. p. 34

298 Ibidem.

299 En ce qui concerne la seconde définition, on peut se référer à titre d’exemple à Gérard Genette, qui définit la

littérature comme un « objet verbal à fonction esthétique » (voir Figures IV, Seuil, 1999, p. 25).

170 Quand Barthes s’attèle au problème, on a déjà contesté cette vision notamment Valéry, avec sa poétique. Barthes hésite longtemps devant ce dilemme : d’abord il essaie de rapprocher la poétique de l’histoire littéraire. En mettant au jour la langue, les automatismes langagiers, les thèmes récurrents dans l’œuvre d’un écrivain, les « réseaux d’obsessions » qui traversent sa vie malgré les bouleversements radicaux et les changements d’opinion, on pourra produire une critique à la fois scientifique et historique. Seulement la méthode de cette recherche n’est pas historique comme l’avait pensé Lanson, mais « rhétorique » : c’est dans la langue et par la langue qu’il faut étudier le rapport à l’histoire : « C’est donc sur le plan du langage que la critique littéraire, si elle se veut entièrement historique, doit se transporter300 ». C’est ainsi que s’explique le titre quelque peu provocateur d’un article sur Lanson, « L’avenir de la rhétorique », et la méthode proposée par Barthes, qu’il veut « scientifique », est une méthode de critique thématique soumise à l’histoire : « il faut commencer de réduire la pensée écrite à un ordre de processus verbaux, c’est-à-dire à une rhétorique. C’est en effet à une résurrection de la rhétorique que l’on sera tôt ou tard amené, non pas bien entendu comme un art de persuasion, au moyen de recettes et de classifications formelles, mais bien comme science du langage écrit301 ».

Cette méthode est mise en œuvre dans Michelet par lui-même. Mais elle ne résout pas tous les problèmes : sa scientificité est précaire, elle n’accède pas véritablement au général. De surcroît elle ne parvient pas à remplacer réellement l’histoire littéraire, mais seulement à proposer une science de la littérature qui s’en distingue. En se rapprochant du mouvement structuraliste, Barthes radicalise cette vision. La critique littéraire et l’histoire de la littérature sont deux sciences séparées. Il faut revenir une fois de plus sur l’une des questions essentielles posées par Lanson : qu’est-ce qui permet de distinguer le texte littéraire du simple document historique ? Pour Lanson la différence se situe au niveau esthétique : le texte littéraire se caractérise par la beauté de sa forme, qui peut émouvoir le lecteur. Mais faire de l’émotion produite par le texte sa qualité distinctive relève du subjectif. Lanson le reconnaît : cette subjectivité est nécessaire pour décider du fait qu’un texte est littéraire, et il faut en faire abstraction ensuite lorsqu’on commence la recherche scientifique.

Les arguments de Lanson sont fragiles : cette séparation entre la subjectivité et l’objectivité est assez artificielle. Qui plus est, définir la subjectivité du lecteur comme critère décidant de la littérarité du texte (si l’on se permet d’user de cet anachronisme) présuppose une

300 « L’avenir de la rhétorique », in Album, op.cit. p. 140.

301 Ibid., p. 140-141

171 subjectivité « universelle ». Sinon comment fonder sa science sur un choix de textes qui est d’emblée arbitraire ? Or, en affirmant la possibilité d’une science de la littérature qui n’est pas l’histoire littéraire, Barthes peut dépasser ce problème. Pour l’histoire littéraire, comme il l’explique dans Sur Racine, il n’y a aucune distinction entre le document littéraire et d’autres documents. C’est pour cette même raison que l’histoire de la littérature ne peut être rien d’autre que l’Histoire tout court. La tâche la plus urgente est de distinguer nettement ces deux disciplines. Barthes le précise dans son avant-propos de Sur Racine : le troisième chapitre

« comporte un interlocuteur implicite : l’historien de la littérature, de formation universitaire, à qui il est ici demandé, soit d’entreprendre une véritable histoire de l’institution littéraire (s’il se veut historien), soit d’assumer ouvertement la psychologie à laquelle il se réfère (s’il se veut critique)302 ».

Si ces deux tâches peuvent être complémentaires, elles ne sont pas pour autant compatibles. D’un côté le sens du texte varie sans cesse dans l’histoire, de l’autre le texte même reste « transhistorique ». Lanson avait bien vu le problème mais n’avait su le résoudre : si la lecture que fait Boileau de Ronsard nous en apprend moins sur Ronsard lui-même que sur la manière dont un auteur de l’époque classique comprend la Renaissance, comme l’avait dit Lanson, rien ne garantit que la lecture que nous faisons aujourd’hui de Racine ne fasse pas de même. Bien sûr Lanson pensait que la scientificité de sa méthode le protégerait de ce danger ; Barthes n’y croit pas. Au contraire, il essaie, au début de Sur Racine, de clairement séparer trois temporalités dans les études littéraires, en fonction de l’approche que l’on a du texte. En tant qu’objet de l’histoire littéraire, la littérature est un phénomène entièrement historique. Elle est considérée comme une institution sociale dont la fonction, la consommation et même la définition changent dans le temps. Toujours est-il qu'une certaine fonction esthétique du langage, objet de la science de la littérature, existe de manière atemporelle et

« résiste à l’Histoire ». Au sein de la démarche critique elle-même, il faut distinguer l’atemporel du présent. Dans sa lecture réelle et concrète par des lecteurs réels, le texte qui parvient jusqu’à nous se prête à une compréhension qui n’est pas anhistorique, elle est celle du temps présent ; de ce présent qui change à chaque époque. Pourquoi écrire sur Racine aujourd’hui ? Parce que l’œuvre de Racine, dans sa « disponibilité » transhistorique est ouverte à tous les « langages de notre époque ». On peut donc projeter explicitement les modèles critiques de notre temps sur l’œuvre du passé, pour l’amener vers notre présent à nous ; donner au texte un sens, non définitif, mais contemporain. L’historien de la littérature fait exactement le contraire : il ramène

302 SR, OCII, p. 54.

172 le texte à l’époque d’où il vient, le met dans le contexte qui l’a produit, établit les mentalités sous-jacentes ; bref il purifie le texte des anachronismes involontaires. Pour Barthes à cette période, il est impossible de mélanger les deux tâches303.

C’est précisément cette séparation qui est la cause des confusions de Raymond Picard : il cherche l’histoire là où elle est intentionnellement absente. Tiphaine Samoyault résume les critiques de Picard : « il accuse Barthes de soumettre le texte à des catégories psychanalytiques anachroniques, aboutissant à des caractérisations symboliques oublieuses du sens littéral et de la pertinence historique des pièces304 ». Mais le nouveau paradigme que cherche Barthes est encore flou et prête à confusion. Il proteste, comme on le sait, fermement et même violemment, se défendant d’avoir commis une faute aussi grossière : il montre à Picard qu’il n’a tout simplement pas compris l’idée de la méthode utilisée dans Sur Racine : « reprocheriez-vous à un Chinois […] de faire des fautes de français, lorsqu’il parle chinois ? ».

Si Picard et ceux qui l’ont suivi sont incapables de comprendre ce « chinois » que parle Barthes, c’est parce que la sclérose de la critique universitaire ne empêchait d’imaginer qu’il puisse y avoir un sens « contemporain de nous » du texte de Racine. Les deux partis s’accusent d’anachronisme : pour Picard comprendre le vocabulaire du XVIIe siècle dans une signification

Si Picard et ceux qui l’ont suivi sont incapables de comprendre ce « chinois » que parle Barthes, c’est parce que la sclérose de la critique universitaire ne empêchait d’imaginer qu’il puisse y avoir un sens « contemporain de nous » du texte de Racine. Les deux partis s’accusent d’anachronisme : pour Picard comprendre le vocabulaire du XVIIe siècle dans une signification

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