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En raison de leur prédominance temporelle et spectrale, la spectroscopie des plasmas LIBS consiste à analyser les empreintes caractéristiques d’essentiellement trois types d’émission : le Bremsstrahlung, les raies d’émission atomiques et ioniques, et enfin les bandes moléculaires. Leurs caractéristiques et principales méthodes d’exploitation peuvent être résumées de la façon suivante :

- Le Bremsstrahlung possède diverses propriétés intéressantes qui peuvent être exploitées afin d’élargir la gamme de diagnostics accessibles à l’expérimentateur. Comme nous l’avons exposé au chapitre 2 de ce manuscrit, lors que le Bremsstrahlung est présent, il est possible de se servir du fait que le plasma est quasi transparent aux longueurs d’ondes où ne se situe que ce dernier pour évaluer localement la transparence du plasma (ainsi que sa profondeur optique) aux longueurs d’ondes adjacentes, où des raies sont présentes.

La relation entre rayonnement continu et raies atomiques ou ioniques peut également être exploitée dans des diagnostics d’une grande richesse. Il est en effet également possible de déterminer la température d’un plasma de plusieurs façons au moyen du Bremsstrahlung. La première méthode utilisée consiste à ajuster localement l’émissivité théorique du Bremsstrahlung par rapport au spectre réellement obtenu et à déterminer la température électronique théorique pour laquelle les deux spectres coïncident.

Cette méthode simple sur le papier suppose néanmoins de connaître parfaitement ou bien de déterminer expérimentalement toutes les spécificités de son banc, depuis l’efficacité quantique des détecteurs utilisés jusqu’aux fonctions réponses de tous les instruments optiques composant la chaîne expérimentale, ce qui représente un investissement massif, en

133 pratique peu réalisé. La seconde méthode, plus répandue, consiste à effectuer le rapport localement entre l’aire d’une raie et celle du fond continu situé sous celle-ci. Cette méthode qui, de surcroît, a le mérite de pouvoir servir de diagnostic de l’ETL et de ne pas forcément nécessiter la prise en compte de la fonction réponse de l’appareillage, mérite d’être détaillée dans cette partie.

Connaissant l’intensité théorique d’une raie et celle du coefficient d’émission du fond continu et à la condition de postuler que Te = Tion, on peut alors écrire le rapport entre les deux contributions Imn l’intensité d’une raie donnée et brems celle du Bremsstrahlung.

Celui-ci s’écrit comme *23+ :

4)

On voit bien à partir de cette équation, qu’il suffit de disposer de la mesure simultanée de Texc et du rapport I/, pour pouvoir en déduire la température électronique du plasma. La précision de cette méthodologie est tributaire de la présence effective d’un continuum à la longueur d’onde considérée, et doit être donc être considérée avec circonspection pour les instants d’évolution du plasma éloignés dans le temps de sa génération initiale. Dans cette méthode, l’exploitation des raies atomiques et ioniques est usuellement considérée pour la détermination de la température d’excitation du milieu.

- Les raies d’émission atomique et ionique constituent la principale source d’information disponible en LIBS. On les détecte principalement sous la forme de transitions appartenant aux éléments neutres, une fois et deux fois ionisés, bien qu’il ait déjà été mis en évidence par d’autres méthodes et à des délais très brefs dans le cas de plasmas de tungstène induits par laser à des fluences proches de celles ici considérées, l’existence d’ions allant jusqu'à W6+ *24+. Ces structures que l’on ajuste généralement à des fins d’analyse à des profils de Voigt10 peuvent être associées à plusieurs paramètres physiques que nous mentionneront brièvement ici, mais dont l’importance sera rappelée dans les paragraphes consacrés à leur exploitation. Outre leur attribution élémentaire, les grandeurs les plus communément associées aux raies spectrales sont :

a) Leur longueur d’onde théorique de détection (en nm ou en Å).

b) Leur élargissement à mi-hauteur (désignée souvent par l’acronyme anglais FWHM, pour Full Width at Half Maximum, et exprimée en LIBS en picomètres (pm)).

c) Leur décalage par rapport à la longueur d’onde théorique (en pm).

d) Les niveaux atomiques entre lesquels s’effectue la transition, avec leurs énergies respectives par rapport au niveau fondamental (en eV ou en cm-1).

e) Le coefficient d’Einstein pour l’émission de la raie. Il est fréquemment associé sous la forme d’un produit (en s-1) avec la dégénérescence du niveau haut (sans dimension).

On peut extraire des caractéristiques spectrales des raies un grand nombre d’informations utiles au diagnostic du plasma :

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134 i) L’analyse directe des élargissements et décalages Stark des raies est très utilisée en LIBS pour déduire la densité électronique du plasma, en vertu de leur dépendance linéaire par rapport à cette dernière. Il suffit dès lors de disposer de l’élargissement (décalage) Stark observé pour une raie dans un plasma de densité connue, pour déduire la densité électronique recherchée [22]. Il faut néanmoins veiller du fait de la faible dépendance en température électronique à choisir une référence fondée sur un plasma exhibant une température électronique proche de celle du plasma LIBS considéré ([25]-[26]-[27]-[28]).

ii) Il est également possible d’obtenir une estimation de la température d’excitation du plasma par le biais de la méthode du plan de Boltzmann ou de Saha-Boltzmann, en se basant sur les intensités intégrées (aires) des raies, associées aux grandeurs atomiques propres à chaque transition (niveaux d’énergie, coefficient d’Einstein). Cette méthode se base sur l’hypothèse simplificatrice d’équilibre thermodynamique local (ETL), détaillée plus loin dans ce chapitre.

iii) La température d’ionisation du plasma est accessible à l’expérimentateur si celui-ci effectue le rapport d’intensités de raies appartenant au même élément, mais à des degrés d’ionisation différents. On utilise pour cela le formalisme introduit par l’équation de Saha et par l’équation de Boltzmann. Cette méthode repose donc également sur une hypothèse d’ETL.

iv) D’autres paramètres tels que l’épaisseur optique du plasma (longueur caractéristique au bout de laquelle le photon est généralement réabsorbé) peuvent rentrer en ligne de compte. L’expérimentateur peut également se servir de l’information donnée par les raies pour évaluer la transparence du plasma, paramètre influençant souvent de façon majeure la qualité de la mesure effectuée.

Si ces raies se distinguent principalement par leur délai d’apparition caractéristique dans le spectre, leur morphologie permet également de séparer une raie neutre de celle appartenant à un degré d’ionisation plus élevé. Il est en effet important de souligner [20] que les raies neutres sont de forme asymétrique, là où leurs parentes issues d’éléments une ou deux fois ionisés peuvent être approximées avec une très bonne précision par des profils symétriques. Cette distinction est due à la sensibilité des atomes neutres à l’effet Stark dit « quadratique » dû à la présence d’ions à proximité immédiate de l’émetteur, et qui induisent un champ électrique stationnaire (à l’échelle des processus quantiques mis en jeu dans une transition radiative) dans lequel est plongé l’atome. Les ions n’étant pas sensible à ce champ permanent, la contribution de l’effet Stark quadratique disparaît, et seul reste la contribution de l’effet Stark instantané et dû aux seuls électrons (également présent pour les atomes neutres), qui élargit la raie de façon symétrique. Comme souligné par Konjevic [20], cet élément peut s’avérer d’une grande importance pour la précision de la détermination des paramètres plasmas, car celle-ci peut parfois se baser sur des données obtenues dans des publications où un profil symétrique est appliqué à des raies appartenant à des éléments neutres pour en extraire leurs caractéristiques principales. Il en résulte alors des erreurs systématiques dans l’appréciation de ces paramètres, qui peut alors compromettre la précision d’un diagnostic basé sur ces transitions [29].

La spectroscopie d’émission optique via l’analyse de raies peut fournir nombre d’informations sur la nature du plasma. Cependant un nombre minimum de précautions doit être respecté avant d’exploiter le signal acquis. Un cahier des charges strict se doit donc d’être respecté, sous peine de voir la pertinence de l’exploitation remise en question (*30+, *31+). Dans le but d’illustrer les leviers sur lesquels peut agir l’expérimentateur en LIBS de façon à potentiellement améliorer la qualité de

135 son diagnostic, il apparait donc utile de détailler les phénomènes physiques limitatifs touchant l’émission atomique émanant d’un plasma.

Premier en ordre d’importance, le phénomène d’auto-absorption constitue, avec sa variante extrême le phénomène d’auto réversion de raie, l’un des handicaps majeurs de la spectroscopie optique sur plasmas induits par laser. Une interprétation corpusculaire de la lumière émise par le plasma permet de comprendre aisément de quoi il retourne. Lorsqu’une source quelconque émet un photon, celui-ci est émis dans le milieu environnant et émerge très vite hors du plasma si l’on considère ce milieu comme transparent. Nous avons déjà souligné qu’aux longueurs d’ondes concernées par des transitions radiatives intenses, ce constat n’était généralement pas vérifié. Un photon émis par un atome (ou ion) excité va donc avoir une probabilité non nulle d’être réabsorbé sur son trajet d’échappement du plasma.

Cette probabilité est particulièrement élevée (liée à la section efficace d’absorption) si la lumière arrive aux abords immédiats d’un atome susceptible d’émettre la même transition que celle véhiculée par le photon, si bien qu’on considère généralement ce processus comme dominant dans l’atténuation de la radiation du plasma. Dans cette configuration, le photon ne pourra être absorbé que si l’atome ciblé n’est pas lui-même excité, i.e. s’il se trouve déjà sur le niveau bas de la transition. On voit bien dès lors que si dans le plasma un grand nombre d’atomes se trouvent au niveau bas concerné par une raie particulière, l’émission totale des photons concernés se trouvera amoindrie par rapport au cas théorique (et systématiquement recherché) où tous ceux-ci s’échapperaient du milieu plasmatique. Comme la source de la radiation est de la même nature que l’absorbeur, on comprend dès lors bien pourquoi on parle d’auto-absorption.

Ce phénomène s’illustre généralement par une saturation du signal au fur et à mesure que la concentration d’un élément donné augmente, et touche prioritairement les raies de résonnance (raies dont le niveau bas de la transition correspond au fondamental ou à un niveau métastable fortement peuplé). Dans un premier temps, la raie incriminée conserve un profil similaire à celle d’une raie non perturbée, mais s’élargit à mesure que l’absorption du centre de la raie devient importante comparativement par rapport à celle de la radiation émise sur les côtés de celle-ci, jusqu’à pouvoir observer lorsque l’effet devient très important, un profil « top-hat » (en chapeau melon) de la raie.

Enfin, dans le cas de plasmas très inhomogènes (comme en LIBS), la réabsorption peut se faire de façon non locale et c’est alors une zone éloignée du plasma (généralement plus froide) qui est la cause de la diminution de l’intensité émise. Dans ce cas, l’émission au centre de la raie correspond à l’émission du corps noir associée à la température de la partie « froide » du plasma. Cette émission étant plus faible que celle de la partie chaude du plasma, on observe un creusement dans la raie, distinctif du phénomène d’inversion de raie.

La Figure 3.4 présentée ci-dessous est un récapitulatif illustrant les degrés d’importance de cette manifestation [17]. Un exemple d’inversion de raie, pour le cas « pathologique » du doublet du sodium est également présenté en Figure 3.5, ainsi qu’une situation plus subtile dans le cas d’un alliage métallique, dans lequel la vigilance est de rigueur, en Figure 3.6.

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Figure 3.4 : Figure adaptée de la page 253 de [17] décrivant les effets croissants du phénomène d’auto-absorption sur le profil d’une raie. Partant d’un plasma optiquement fin permettant d’observer un profil de raie « normal » (a), on observe un élargissement progressif de ce dernier (b), avant d’aboutir à une saturation de la raie au niveau d’émissivité d’un corps noir situé à une température caractéristique, qu’il est possible de déterminer dans le cas d’expériences spectralement calibrées.

Figure 3.5 : Dans le cas d’un plasma laser inhomogène en comme en LIBS, les raies très auto-absorbées peuvent en outre

subir un phénomène d’auto-réversion11. C’est par exemple le cas du doublet de Na I à 589 et 589,6 nm dans un spectre

de NaCl pris à un délai de 1 s et un temps de porte de 230 s.

On mentionnera également que l’impact de l’auto-absorption sur la croissance du signal en fonction de la concentration se manifeste par la transition entre une croissance linéaire de l’absorbance du plasma en fonction de la concentration en analyte dans un plasma non encore optiquement épais et une relation dépendant de la racine carrée de la concentration en espèces dans la zone où le milieu devient très auto-absorbant [32]. Cette propriété peut être exploitée pour des échantillons de même matrice comportant des impuretés en concentrations croissantes, de manière à déterminer à partir de quelle valeur il n’est plus recommandable d’utiliser une raie donnée.

11 L’auto-réversion est un phénomène propre aux plasmas inhomogènes en température pour lequel les photons émis par une transition résonnante dans une portion centrale du plasma vont ensuite être réabsorbés dans la périphérie plus froide du panache. Il s’ensuit une saturation au niveau du corps noir correspondant à la température des couches externes du plasma, et donc un creusement de la raie.

In te n sité d ’em issio n (c o u p s)

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Figure 3.6 :

ns de temps d’accumulation. On détecte un possible phénomène d’auto-absorption par le relevé des largeurs à mi-hauteur de raies contenues dans un intervalle spectral limité. Ici la raie de fer II à 262,56 nm semble suspecte avec un élargissement spectral de l’ordre de 40 pm, contre 27 pm pour toutes les autres transitions.

Si dans les cas extrêmes il est aisé de détecter l’auto-absorption, ce travail devient singulièrement plus compliqué dans les circonstances où cet effet est moindre. Cette tâche est néanmoins fondamentale que ce soit pour recommander l’utilisation de raies peu touchées par le phénomène, soit pour exclure du traitement des spectres les raies trop sévèrement atteintes par l’auto-absorption (ce qui est particulièrement le cas pour les analyses menées en spectroscopie LIBS sans calibration [30], cf. chapitre 2). Plusieurs méthodes s’offrent à l’expérimentateur pour identifier la signature de l’auto-absorption ainsi que pour corriger ses effets par l’exemple le cas de la méthode de Gouy.

De moindre pouvoir perturbateur, l’effet issu de l’inhomogénéité de l’émission constitue néanmoins la deuxième problématique majeure pour la justesse de la mesure LIBS. Les plasmas LIBS possèdent en effet (comme la quasi-totalité des plasmas induits par laser) la caractéristique de receler en leur sein, du fait de leur très grande hétérogénéité en température et densité électronique, des conditions d’excitation extrêmement variées. Pour s’en rendre compte, on peut s’inspirer des études déjà publiées au sujet des plasmas LIBS induits sur des cibles de métaux et dont un exemple est reproduit ci-dessous en Figure 3.7 [33].

Figure 3.7 : Figure tirée de [33], présentant la distribution de densité électronique (a), de température électronique (b) et

de fraction d’ionisation (c) dans un plasma induit par laser tel que vu dans une acquisition avec comme paramètres Tporte

= 3s et Tdélai = 500 ns. In te n sité d ’em issio n (c o u p s)

138 Les forts gradients présents à l’intérieur du milieu font qu’en cas de collecte de spectres intégrés, une même ligne de visée du plasma peut contenir des portions de plasma aux caractéristiques émissives très différentes. On a vu en effet que la largeur des raies ainsi que leur décalage par rapport à leur longueur d’onde théorique dépendent de ne et Te. C’est aussi le cas de l’intensité absolue (intégrée) de celles-ci. Une raie peut donc très vite voir son profil être la résultante d’une superposition de raies plus ou moins décalées et plus ou moins intenses, avec pour résultat une forme asymétrique caractéristique présentée ci-dessous en Figure 3.8 pour exemple, dans le cas de raies du fer obtenues par le biais d’un spectre d’échantillon de pyrite de fer (FeS2).

Figure 3.8 : Illustration de la déformation de raies de fer I dues à l’inhomogénéité du plasma.

Il est extrêmement difficile de quantifier le degré d’importance de cet effet surtout pour les transitions issues d’éléments neutres, par essence asymétriques et notamment tant que le degré d’inhomogénéité d’un plasma ne pourra pas être maitrisé de façon prédictible (considération encore largement non assurée en ablation laser). Nous discuterons dans la conclusion de ce travail si un choix de raies correctement effectué permet généralement de réduire l’effet à sa portion congrue.

- Les raies moléculaires sont plus rarement rencontrées dans les spectres LIBS. Leur signature n’apparaissent que tardivement lorsque la température du plasma autorise l’occurrence de phénomènes associatifs d’espèces. Ces signaux permettent de remonter à la température rotationnelle du plasma, fréquentée nommée « température du gaz » ([15], [21]) par le biais d’une méthode équivalente à celle des graphiques de Boltzmann, présentée dans la section suivante.