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Les progrès accomplis dans le développement des instruments d’analyse spectroscopique et dans la compréhension de la physique des lasers et des plasmas n’expliqueraient pas l’engouement croissant pour les techniques spectrochimiques (dont la LIBS fait partie), si celles-ci ne possédaient pas d’avantages inédits à valoriser au regard des autres techniques présentes sur le marché concurrentiel et encombré des techniques analytiques.

C’est la nature de la source laser et sa configuration d’utilisation qui constituent le premier lot d’atouts que possède la spectroscopie LIBS. Cet élément fondamental d’un montage en LIBS possède en effet d’indéniables atouts de rapidité, ainsi que de versatilité (en longueur d’onde, énergie, etc.) qui permettent d’allier un temps potentiellement court d’analyse et une très grande flexibilité d’adaptation aux besoins de l’expérimentateur. Tout comme la LA-ICP avec laquelle elle partage ces avantages, la LIBS peut permettre d’exploiter la possibilité d’analyser localement et de façon quasi non destructive un matériau, mettant ainsi à profit la forte concentration spatiale en énergie lumineuse engendrée par la focalisation d’un faisceau laser à la surface d’un échantillon. Le spot laser ainsi formé au point focal offre alors l’avantage unique de pouvoir discrétiser l’analyse de l’échantillon à des échelles de l’ordre de quelques dizaines de micromètres. Avec des systèmes de focalisation adaptés et de grande ouverture numérique (par exemple un objectif de microscope, on appelle alors la technique « micro LIBS » [59]), la LIBS constitue une des seules techniques spectroscopiques à ce jour capables de réaliser des cartographies micrométriques élémentaires de façon simple et dans un délai court. Contrairement à sa consœur, l’ICP par ablation laser, celle-ci ne nécessite généralement pas de gaz « tampon » et dans le cas contraire dans des quantités très inférieures à celles réclamées en ICP (où un flux constant d’argon de haute pureté est généralement utilisé pour transporter les particules extraites du panache de plasma), ce qui amoindrit drastiquement le coût potentiel d’analyse [27].

En second lieu, la génération d’un plasma comme source lumineuse suscite également un certain nombre d’avantages non négligeables. Au premier rang de ceux-ci figure la génération indifférenciée du milieu plasmatique suivant la nature de l’échantillon à analyser, qui permet d’adapter des analyses LIBS de façon flexible à une très grande variété de types de substrats (solide, liquide, gaz, aérosol, gel, etc.). En outre, la spectroscopie LIBS permet d’exploiter le caractère très collisionnel des plasmas pour révéler certains éléments émissifs autrement difficiles à observer, ce qui est le cas notamment des éléments légers comme le lithium [60] ou le béryllium).

En dernier lieu, il est important de noter les avantages très importants issus des principes d’utilisation de la LIBS qui constituent encore à ce jour des atouts inégalés par les autres techniques d’analyse et porteurs de nombreuses applications. A ce titre, l’un des aspects les plus valorisés de la LIBS est son potentiel d’analyse délocalisée qui autorise un utilisateur à faire feu sur une cible distante et à analyser à grande distance l’émission du plasma. Cette particularité est spécialement utile dans l’analyse d’échantillons soumis à des conditions extrêmes (industrie du nucléaire, explosifs, échantillons bactériologiques dangereux, etc.), pour lesquels des brevets et des instruments de terrain ont d’ores et déjà été conçus. L’affaire de l’anthrax à l’automne 2001 a par exemple permis à l’Army Research Laboratory associé à l’entreprise Ocean Optics (États-Unis) d’apporter une solution basée sur la LIBS pour l’identification et la différenciation de matériels biologiques (spores, bactéries...) *61+. D’autres groupes de recherche ont exploité cet avantage pour tirer à distance sur

47 des engins ou objets explosifs (*62+, *63+), voire l’ont combiné à la faculté d’analyse très rapide de spectres LIBS pour trier en ligne les déchets issus de l’industrie métallurgique *64+.

Cependant bien souvent, la LIBS possède les défauts associés aux qualités qui lui sont propres. D’un point de vue pratique en effet, si une source laser peut procurer des améliorations significatives, dans le cas de l’analyse de substrats très inhomogènes, l’effet de taille d’analyse induit par la dimension du faisceau devient de plus en plus important et il subsiste alors un obstacle quant à comparer le résultat d’une analyse LIBS d’un tel matériau avec celle d’une technique d’analyse certifiée telle que l’ICP-MS, pour laquelle le volume d’échantillon nécessaire pour conduire un dosage est beaucoup plus important. Outre la représentativité de l’analyse LIBS locale de ce type d’échantillon par rapport au résultat d’une analyse beaucoup plus moyennée en volume, répondre à cette question toujours à l’heure actuelle en suspens permettrait de positionner dans un cadre général l’apport de la technique LIBS par rapport aux autres techniques d’analyses élémentaires certifiées par les organismes de métrologie (NIST aux USA, BAM en Allemagne) et par les sociétés de normalisation (AFNOR en France, ANSI-ASTM aux USA, BSI au Royaume-Uni, etc.).

Outre cet inconvénient, la plupart des limites actuellement identifiées de la LIBS sont des questions ayant trait aux performances et à la justesse analytique de la méthode pour des échantillons complexes. Un exemple concret, tel que l’examen attentif de la littérature dévolue en spectroscopie sur plasma induit par laser à l’étude de sols pollués, montre qu’en dépit des progrès accomplis en matière de compréhension de la physique des plasmas froids, beaucoup d’expériences portent encore essentiellement sur des aspects qualitatifs de détection de raies atomiques ([65],[66]) et que peu ont encore franchi l’étape de la quantification de tous les éléments présents dans le substrat analysé (hormis peut être [67]). Les raisons à cela sont multiples.

De prime abord, nous pouvons souligner que la spectroscopie LIBS est encore loin de pouvoir prétendre détecter avec la même aisance tous les éléments du tableau périodique présents dans des matrices complexes. Parmi les éléments généralement difficiles à observer dans des conditions LIBS standard (dans l’air à pression atmosphérique) se trouvent en particulier certains éléments toxiques comme l’arsenic ou le sélénium, les halogénures (fluor et chlore en premier lieu (cf. chapitre 2)), ainsi que des éléments comme le carbone dont les raies se trouvent dans l’UV lointain (193,1 nm – 247,8 nm) et qui souffrent soit de la faible transparence de l’air à ces longueurs d’onde.

En sus de cela, il nous faut considérer que beaucoup de composés complexes contiennent en outre des éléments très émissifs en proportion usuellement suffisantes pour masquer (ou complexifier) l’émission d’atomes ou d’ions situés dans la même gamme spectrale. Ce phénomène courant en spectrochimie, et connu sous le nom de phénomène d’interférence spectrale, est particulièrement pénalisant pour l’analyse de spectres. Des éléments lourds tels que le fer, le titane, ou le molybdène sont de parfaits archétypes d’éléments susceptibles de provoquer des interférences spectrales (notamment pour la raie du carbone à 247,8 nm qui peut être perturbée par d’autres raies intenses de fer ou de tungstène). A titre d’exemple, il est aisé au vu de la Figure 1.7 de prendre conscience de la difficulté majeure qui s’impose au praticien LIBS dans sa tâche d’identification, sitôt qu’un élément possède une transition dans le même intervalle de longueur d’ondes qu’un élément comme le fer (on citera également le titane, le tungstène, ou le molybdène comme éléments très riches en raies).

Pour finir de façon plus spécifique, mais dans la droite lignée de ce travail de thèse, il est intéressant de noter que certaines méthodes quantitatives utilisées en LIBS n’exigent pas seulement la détection de plusieurs raies dépourvues des problèmes cités ci-dessus, mais dotées également de niveaux atomiques (en particulier supérieurs) suffisamment espacés en énergie pour que la précision de la méthode s’en trouve grandement améliorée. Si dans ce type d’études *42+ le fer est l’élément choisi

48 par excellence (avec parfois d’autres métaux lourds comme le nickel), il n’en va pas de même pour certaines matrices où de tels éléments sont absents, ou en très faible quantité. Finissons par souligner l’importance des phénomènes d’auto-absorption et d’inhomogénéité du plasma, très difficiles à quantifier sauf dans les cas les plus extrêmes, mais dont les effets peuvent influer de manière significative sur l’allure du spectre final (notamment des transitions branchées sur le niveau fondamental) à traiter.

A la lumière de ces particularités, nous pouvons nous interroger sur la compétitivité des performances de la LIBS en regard de la fluorescence X (souvent abrégée en XRF), technique usuellement citée comme située dans la même niche, notamment de par sa faculté à pouvoir réaliser des mesures sans étalonnages, ainsi que résolues spatialement.

Le principe de la XRF consiste à soumettre un échantillon à un rayonnement X intense, ce qui a pour effet d’ioniser les atomes en éjectant les électrons situés sur les couches électroniques internes proches du noyau [68+. L’atome revient ensuite à un état stable par réorganisation de son nuage électronique. Cette vacance est comblée par un électron issu d’une couche plus externe, ce qui génère une transition radiative qui se manifeste par l’émission d’un photon de fluorescence X d’énergie égale à la différence d’énergie entre les niveaux de départ et d’arrivée de l’électron recombiné, laquelle est généralement bien supérieure à celle mise en jeu lors de l’occurrence de transitions radiatives « classiques » en couches externes. Comme ces dernières, elles constituent la signature de l’atome émetteur. En mesurant l’intensité de la fluorescence à chaque énergie, on obtient un spectre de raies d’émission X qui dépend de la composition de l’échantillon. On peut alors déterminer la teneur totale en tous les éléments de l’échantillon ayant un numéro atomique supérieur à une certaine valeur, qui dépend de l’énergie d’excitation (les atomes de faible masse atomique exhibant un faible rendement de fluorescence).

Des systèmes portables de fluorescence X sont par ailleurs déjà disponibles dans le commerce. Ils se présentent sous la forme d’un « pistolet » et ont une autonomie de quelques heures. Le rayonnement excitateur est généré par des mini-tubes à rayons X : des électrons émis par un filament chauffé (cathode) sont accélérés par une différence de potentiel. En arrivant sur l’anticathode (cible) ils excitent les atomes, qui émettent les raies de fluorescence X caractéristiques de la cible. ; un détecteur monocanal permet de compter les photons de fluorescence. La mesure est faite en surface ou après un prélèvement manuel peu profond ; elle est rapide — de l’ordre de la minute — sauf en dessous d’une concentration critique estimée à 20 ppm [69], multi élémentaire, non destructive et ne requiert qu’une préparation minime de l’échantillon (séchage et compactage).

L’identification des métaux lourds est immédiate à partir du spectre de fluorescence puisque les raies d’émission X sont bien référencées pour chaque élément. En revanche, la mesure quantitative peut devenir ardue à mener. Elle repose soit sur le tracé d’une courbe d’étalonnage (inapplicable dans le cas de sols pollués aux matrices très diverses), soit sur des algorithmes qui calculent la composition de l’échantillon à partir du spectre. Ces algorithmes sont calibrés à partir d’un échantillon de composition proche de celle du sol à mesurer — c’est-à-dire composé qualitativement des mêmes éléments majeurs —, et sont ensuite censés tenir compte des effets de matrice en modélisant les interactions entre les différents atomes. La question de définir jusqu’à quel point on peut parler de matrice « proche » étant ici éludée, seule l’expérience du terrain permet a priori de trancher sur la justesse manifeste ou non de cette méthode.

Dans sa thèse soutenue en Septembre 2006 [31], Jean-Baptiste Sirven mentionne le point de vue d’un collaborateur issu de la société Antea, spécialisée dans la dépollution des sols, qui a testé le

49 système sur site en conditions réelles. Celui-ci est décrit comme ayant rapporté une variabilité très importante des mesures, les rendant inexploitables.

A l’heure actuelle, le marché de la spectroscopie XRF semble s’ouvrir en France, avec l’apparition de concurrents à la technologie historiquement développée en XRF. Cependant, au regard de préconisations issues de centres de transfert technologiques [70] ou de normes déjà existantes relatives à l’analyse par fluorescence X, il ne nous apparait pas que celle-ci ait encore permis d’exhiber des résultats significativement meilleurs qu’en LIBS dans le cas très complexe des sols pollués.

Les différents objectifs que nous avons cherché à poursuivre dans ce travail de thèse ont eu bien entendu des conséquences sur l’instrumentation utilisée. Nous détaillerons cette question d’instrumentation dans chaque chapitre, mais il convient dès à présent que retenir que si l’instrumentation disponible à Bordeaux semblait suffisamment robuste et présentait un certain nombre d’avantages non négligeables (grande performance en termes de rapport signal sur bruit grâce à une caméra CCD refroidie, instrumentation simple à manier et donc compatible avec un usage applicatif, etc.), bien vite il nous est apparu que cette instrumentation ne serait pas suffisante pour mettre à jour les différents biais pouvant apparaître lors de traitements en LIBS sans calibration. En particulier pour réaliser expérimentalement certaines vérifications telles que la critique des graphes de Boltzmann et de l’équilibre thermodynamique local (cf. section suivante), il est devenu manifeste qu’il devenait indispensable de pouvoir également disposer de données basées sur des expériences résolues en temps, i.e. de disposer d’un montage présentant a minima une iCCD.

Pour cette raison, et parce qu’il est dans l’intérêt de l’étude de pouvoir comparer les performances de la CF-LIBS lors de l’utilisation de la méthode sur des échantillons similaires, mais sur des bancs expérimentaux différents, nous avons choisi de collaborer avec les laboratoires GREMI de Bourges et de l’Université Jagiellon de Cracovie sur l’aspect fondamental de la spectroscopie LIBS et d’engager des expériences communes avec les laboratoires LASIM de Lyon et du LP3 à Marseille du point de vue de la technique de LIBS sans étalonnage à proprement parler. Il sera fait mention de ces partenariats le cas échéant dans ce travail de thèse.

III) L’analyse LIBS sans calibration

De façon préliminaire à tout développement, nous attirons l’attention du lecteur sur l’aspect parcellaire de ce travail, eu égard au vaste nombre de techniques d’analyses qui peuvent désormais prétendre s’inscrire dans la thématique des méthodes d’analyses LIBS sans calibration.

Comme nous le verrons plus loin au chapitre 2, outre la CF-LIBS développée principalement à partir de 1999 par des équipes italiennes *71+, plusieurs autres approches se distinguant de l’approche de Ciucci et al. et encore testées à des degrés divers ont depuis été proposées ([72], [73], [74]). La comparaison de nos résultats avec d’autres techniques d’analyse sans calibration ne sera donc effectuée que dans les rares cas de spectres ayant pu profiter d’un travail de mise en commun des savoir faire accumulés en la matière.

On retiendra donc que la méthode d’analyse employée dans toute la suite de ce travail et désignée par l’expression « analyse LIBS sans calibration » se réfère, sauf mention contraire, à la technique CF-LIBS de Ciucci et al. Toutes les notions évoquées dans les paragraphes suivants étant revues en détail tout au long de ce travail de thèse, nous ne présenterons ici que les grandes lignes de la méthode proposée par Ciucci et al.

50 La CF-LIBS repose sur plusieurs fondements : en premier lieu des hypothèses d’idéalité en ce qui concerne l’état du plasma, et en second lieu l’utilisation de méthodes génériques de diagnostic de plasmas et appliquées au cas de plasmas denses et froids induits par laser. Dans cette partie, ces deux aspects seront abordés brièvement pour connaître ensuite un traitement détaillé dans des chapitres ultérieurs de ce manuscrit.