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2 4 5 Avantage de la théorie cluster par rapport aux définitions institutionnelles et historiques.

D’après Gaut, la théorie cluster est préférable aux définitions historiques de l’art qui, fondées sur les relations historiques et artistiques d’une œuvre donnée avec d’autres œuvres privilégiées, ne garantissent pas la justesse de ces relations et sont contraintes, comme le doit la conception de la ressemblance à un paradigme, de résoudre le problème de savoir comment justifier la sélection de ces œuvres d’art privilégiées. Ne faisant pas cas de ces considérations historiques, une conception cluster de l’art chorégraphique est ouverte à des entités dont aucune relation artistique et historique significative avec cette forme d’art ne semble pouvoir être clairement mise en évidence. Et s’il le fallait, le cluster pourrait inclure la relation historique comme condition critérielle.

2. 5. Bilan.

À la variété des types d’œuvres chorégraphiques, à la richesse de la danse et de son histoire, à l’inventivité de ses procédés de création correspondent diverses réponses ou alternatives philosophiques quant à la question « qu’est-ce que la danse ? ».

À toutes les étapes de l’histoire de la danse, les œuvres n’ont cessé de transformer les critères et les outils de lisibilité nécessaires pour les aborder. Tout en héritant du ballet classique, la danse moderne puis la danse postmoderne en ont brisé les codes. Dès les années soixante, les pièces chorégraphiques illustrent une forte volonté de contrevenir aux caractéristiques habituelles des œuvres : les danseurs refusent

parfois avec des visiteurs d’expositions. Les délocalisations des œuvres, le développement du solo comme forme expérimentale proche de l’art de la performance, l’utilisation de contraintes sans cesse réinventées et visant à trouver des solutions de création inédites semblent défier la quête philosophique d’une définition essentialiste de la danse.

Certes, ces aspects rendent impossible de cerner tout à fait aujourd’hui ce que serait l’essence de « la danse » ou de « l’œuvre-type » de danse. L’essentialiste échoue à énumérer des conditions nécessaires et suffisantes faisant de la danse ce qu’elle est universellement. Il faut notamment se garder d’exagérer l’importance des propriétés formelles des œuvres, de croire à leur autonomie à l’égard de tout paramètre contextuel et de défendre la thèse du caractère purement perceptif, affectif et subjectif de l’expérience esthétique que nous en avons (empirisme, formalisme, structuralisme).

Les limites et la fausseté de ce type de conception ne mènent pas nécessairement le philosophe au fond d’une impasse anti-essentialiste où il devrait abandonner définitivement les œuvres pour se consacrer à l’étude langagière des conditions d’application du concept « danse » quant à des objets dont la méthode de classement repose sur de vagues airs de famille. Le constat de la diversité et du caractère changeant des propriétés esthétiques de la danse peut plutôt conduire à espérer que si celles-ci ne peuvent pas servir de point de départ au projet définitionnel, il demeure toutefois possible de les apprécier et de les identifier correctement grâce à des connaissances artistiques, culturelles et historiques sur les œuvres, leurs auteurs, les théories et les intentions de ces derniers. Aussi sage que soit cette décision, elle ne met cependant pas le théoricien à l’abri d’objections formalistes lui rappelant l’aspect fondamentalement physique, corporel de la danse et la nécessité de ne pas négliger la dimension sensorielle et émotionnelle de son appréhension au profit des informations cognitives diverses qu’il se soucie de collecter. Nous verrons que les propriétés de la danse sont à la fois formelles et contextuelles.

La conception cluster représente une manière satisfaisante de caractériser l’art chorégraphique sous ses formes variées. À la différence des autres définitions

adressées à la conception de Weitz et à celle de la ressemblance à un paradigme. Cette conception semble être un bon compromis grâce à sa capacité à combiner, sans les opposer, les différentes composantes des conceptions précédentes, sans exiger que ces conditions soient présentes individuellement, ni qu’elles le soient toutes :

– Elle inclut aussi bien les propriétés formelles, l’expression ou l’expressivité et les propriétés esthétiques positives que les critères contextualistes de l’intention artistique, de la grammaire et du style, de la signification, de la stimulation intellectuelle et du point de vue individuel de l’artiste.

– Ainsi, elle ne néglige pas les aspects formels ou directement perceptibles (mouvements physiques, relations spatio-temporelles, rythme) : elle admet que des chorégraphies soient formalistes – qu’elles remplissent surtout le critère de la forme, des mouvements humains.

– Elle ne néglige pas les aspects cognitifs de la danse : elle n’empêche pas que des œuvres soient « conceptuelles » ; et ne remplissent que le critère de l’intention de faire de l’art, d’être intellectuellement stimulante, de manifester un point de vue individuel.

– Elle ne se contente pas de vagues ressemblances ou de l’observation du fonctionnement du concept de danse.

– Elle ne privilégie aucune œuvre ou aucune propriété puisqu’elle ne choisit pas de paradigme ou de prototype.

En définitive, loin de se cantonner aux questions de définition en termes de conditions individuellement nécessaires et conjointement suffisantes, la philosophie analytique est très fertile lorsque les esthéticiens cherchent à comprendre les divers fonctionnements de l’art, comme le soutient Berys Gaut. L’auteur souligne que par ses analyses de la représentation, de l’expression ou des systèmes symboliques, et par son intérêt pour les relations de l’art avec le langage, les gestes corporels et les états mentaux, l’esthétique analytique est étroitement liée à d’autres branches de la philosophie : la philosophie de l’esprit, la philosophie de l’action et la philosophie du langage notamment.

Une conception cluster est compatible avec ces recherches diverses en esthétique. Nous affinerons plus loin l’éventail de propriétés proposé plus haut. L’expression et l’expressivité (vii), auxquelles sont consacrés les chapitres 5, 6 et 7 de notre étude, est grandement explicitée par Nelson Goodman en tant qu’exemplification métaphorique. Cette explicitation permet d’affiner du même coup le critère peu clair de l’abstraction, de

fois des analyses de philosophie de l’esprit (sur les émotions et la relation corps/esprit) et de philosophie de l’action (sur la nature physique et intentionnelle, spatiale et temporelle, des mouvements du corps humain ((i) et (ii)). Ces réflexions, développées dans les chapitres subséquents de ce travail, mènent à des considérations sur le style (v) et la technique (vi), mais aussi bien sûr sur les propriétés esthétiques (ix), lesquelles font l’objet d’un premier examen au sein du chapitre 3, dans le cadre d’un exposé consacré au réalisme esthétique, à savoir la thèse que ces propriétés sont réelles, que nous les découvrons bien dans les choses qui les possèdent et qui existent indépendamment de nous. Enfin, les questions liées à la signification de la danse (x) et à la manière dont celle-ci véhicule des intentions (xiv) sont examinées dans les chapitres 6 et 7.

Quittant désormais la quête philosophique de la définition de la danse en termes de critères satisfaisant à la fois les sens et la raison, nous nous intéressons justement à une approche esthétique différente, davantage soucieuse de connaître la façon dont l’art fonctionne que de répondre à la question de ce qui fait son essence ou sa nature.

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Les propriétés esthétiques chorégraphiques : leur