• Aucun résultat trouvé

aux poètes des époques archaïques et classiques

Flore Kimmel-Clauzet

Flore Kimmel-Clauzet est maître de conférences en langue et littérature grecques à l’université Paul Valéry-Montpellier 3. Ancienne élève de l’École normale supérieure de Lyon, elle est agrégée de lettres classiques et docteur en littérature et civilisation grecques. Son doctorat, effectué sous la direction de Christine Mauduit, alors profes- seur de grec à Lyon 3 et de Jean-Charles Moretti, directeur de recherches au CNRS, a pour thème « Morts, tombeaux et cultes des poètes grecs ». Elle s’intéresse à la relation qui lie les Anciens à leurs poètes et cherche à montrer que les cultes voués aux grandes igures de la poésie grecque sont partie prenante de la construction identitaire de la Grèce. Elle a publié notamment : Morts, tombeaux et cultes des poètes

grecs. Étude de la survie des grands poètes des époques archaïque et classique en Grèce ancienne, Bordeaux, 2013 ; Hérodote et l’Égypte. Regards croisés sur le Livre II de l’Enquête d’Hérodote. Actes de la journée d’étude du 10 mai 2010 à Lyon,

codirigés avec L. Coulon et P. Giovannelli-Jouanna, série littéraire et philosophique no 18, CMO 51, Lyon, 2013 ; « Cultes d’Homère, aspects idéologiques », Gaia, no 10,

2006, p. 171-186 ; « Les récits de mort, support de l’héroïsation littéraire des poètes en Grèce ancienne », Usages savants et partisans des biographies, de l’Antiquité au

XXIe siècle. Actes du 134e Congrès national des sociétés historiques et scientiiques,

Bordeaux 2009, Bordeaux, 2011, p. 111-120 (publication électronique : <http://cths.fr/ed/

edition.php?id=5657>).

Résumé

 Les épigrammes funéraires dédiées aux poètes des époques archaïques et classiques, composées en Grèce tout au long de l’Antiquité, semblent à première vue constituer l’hommage de nouveaux poètes aux poètes anciens. Mais la relation impliquée est plus complexe. D’une part, le poème ne représente pas seulement la voix du poète qui l’a écrit, mais également celle de la communauté dans laquelle le poème a cours. D’autre part, l’hommage prétendu peut servir de support à d’autres visées (présentation d’une lecture particulière de l’œuvre du poète défunt, affirmation de ses propres capacités poétiques), voire laisser la place à d’autres types de discours, allant jusqu’à la critique ou à la dérision. Ce constat incite donc à examiner sous un autre jour les enjeux de ces textes et leurs fonctions.

Mots clés

 situation d’énonciation, adresse, persona poétique, voix poétique, poésie hellénistique

Abstract

 Funerary epigrams of archaic and classical poets, composed in Greece all through Antiquity, seem at first sight to be homages from new poets to ancient poets. But the implied relationship is more complex. On the one hand, the poem represents not only the voice of the single poet who wrote it, but also that of the community in which the poem was composed. On the other hand, the alleged homage can act

as a support for other goals (the production of a particular reading of the work of a deceased poet, the affirmation of his own poetic capabilities), or even to give way to other types of discourse, ranging from critique to derision. This observation therefore leads us to examine the issues of these texts and their uses in another light.

Keywords

 enunciative situation, address, poetic persona, poetic voice, Hellenistic poetry

1 L’éloge du défunt, élément récurrent des épitaphes en Grèce ancienne, prend naturellement une dimension plus importante dans les épigrammes littéraires, surtout quand ces dernières sont consacrées à des personnages célèbres. L’éloge, en ce cas, justifie la place accordée au grand homme dans la mémoire collective. Il est donc naturel de trouver dans les épigrammes grecques consacrées aux grands poètes des époques archaïque et classique, comme dans les épigrammes consacrées à d’autres grandes figures, une dimension foncièrement laudative. Ce qui peut surprendre est au contraire le fait que certaines épigrammes funéraires conservées n’adoptent pas ce ton élogieux. Certaines d’entre elles, comme les épigrammes consacrées aux poètes iambiques Archiloque et Hipponax, semblent même présenter le poète sous un mauvais jour, ce qui a incité la critique à s’interroger sur les fonctions des épigrammes funéraires de poètes, lorsque celles-ci s’insèrent dans un contexte purement littéraire1.

2 Il faut préciser que, parmi les épigrammes funéraires conservées dans un contexte littéraire (recueils d’épigrammes ou citations dans d’autres œuvres), les épigrammes consacrées à des poètes constituent une catégorie à part entière. En témoigne l’existence de séries, comme celle qui ouvre le livre VII de l’Anthologie Palatine (poèmes 1 à 55), la plus longue d’entre elles, ou encore celle, plus courte, des poèmes 405 à 411 du même livre. Celles-ci sont très majoritairement consacrées à de grandes figures de la poésie archaïque et classique. Elles émanent essentiellement de poètes – quand on peut les identifier – ayant vécu du IIIe siècle au Ier siècle avant J.-C., même si certaines

sont plus tardives. La particularité de cette catégorie d’épigrammes qui pourrait être à l’origine de son essor est de mettre en relation deux poètes, appartenant qui plus est à deux époques différentes : celui qui est évoqué dans le poème, que l’on peut définir comme un « poète ancien »2, et celui qui compose

l’épigramme en vers, qui se perçoit lui-même, on le verra, comme un « nouveau poète ». Il semble donc qu’on ait affaire à un genre particulièrement propice à une réflexion d’ordre métapoétique, ce qui expliquerait l’expansion des formes poétiques par rapport à des épitaphes réelles – ou supposées telles – ainsi que la différence de ton ressentie à la lecture. Mais comment cette dimension réflexive s’accommode-t-elle de l’utilisation d’une forme d’épitaphe, qui est avant tout une évocation de la personne du mort ? Voilà ce que nous nous proposons d’examiner dans le présent article, en nous attachant à voir dans quelle mesure ces épigrammes funéraires font intervenir des figures de poètes (celle du poète sur lequel porte l’épigramme mais aussi celle du poète auteur de l’épigramme), et quelles conséquences cette mise en scène peut avoir sur

1 Voir par exemple Rosen, « The Hellenistic epigrams », et pour une étude plus large, Bing, The Well-Read Muse, chap. « Rupture and revival. The poet’s link to the literary past » (p. 50-90, surtout p. 59-64), qui considère les épigrammes descriptives et funéraires de poètes comme des moyens d’inscrire ces derniers dans un passé révolu et de les réduire à l’état de monument, tout en les pleurant et en leur rendant hommage. Il souligne ainsi l’ambiguïté inhérente au genre.

2 Nous reprenons ici une expression employée par les auteurs d’époque impériale, qui faisaient, semble-t-il, la différence entre poètes antérieurs et poètes postérieurs à l’époque hellénistique. Ils désignent les poètes antérieurs à l’époque hellénistique par des expressions comme les « poètes anciens », παλαιοὺς ποιητάς (Libanius, Décl. I, 72).

la représentation d’une relation entre poètes, plus précisément entre « anciens poètes » et « nouveaux poètes »3.