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Audition de M. Yves Marignac, directeur de Wise-Paris, le 6 novembre 2013

Dans le document ASSEMBLÉE NATIONALE SÉNAT (Page 99-106)

F. La nécessaire intervention du Gouvernement ou du parlement

2. Audition de M. Yves Marignac, directeur de Wise-Paris, le 6 novembre 2013

M. Christian Bataille, député, rapporteur.- M. Yves Marignac, vous êtes consultant, auteur de nombreuses publications sur l’énergie et directeur de l’agence d’information sur l’énergie Wise-Paris. Votre agence a conseillé tout à la fois des associations de défense de l’environnement, des organismes publics et des organisations internationales, telles que l’UNESCO ou la Commission européenne.

Vous nous avez indiqué que la mission qui vous avait été confiée pour l’organisation du débat sur la transition énergétique vous avait contraint à interrompre pour un temps votre participation au groupe de travail qui élabore le PNGMDR. Votre regard n’en reste pas moins pertinent, le fonctionnement de ce groupe de travail n’ayant pas connu d’évolution majeure depuis un an.

Par ailleurs, à l’occasion de la remise du prix « Pour un avenir sans nucléaire » (Nuclear-Free Future) de la fondation allemande Franz Moll, vous avez déclaré avoir très tôt

« appris à renverser la vision dominante de scientifiques révélant la vérité à un public ignorant » et n’avoir « jamais cessé depuis de réfléchir à tout ce que cela implique en termes d’accès à l’information, de participation du public et de place de l’expertise dans le processus démocratique ». Compte tenu de votre investissement sur ces questions, nous souhaiterions aussi savoir quelles réflexions vous inspire le déroulement du débat public sur le projet Cigéo.

M. Yves Marignac.- Je suis effectivement, depuis 1996, consultant au sein de l’agence Wise-Paris que je dirige depuis 2003. Auparavant j’ai eu un parcours universitaire, en tant qu’étudiant en mathématiques, puis en information scientifique et technique. Dans le cadre d’une école doctorale de didactique, j’ai travaillé sur le sujet de la nécessité d’une relation bidirectionnelle entre le savoir scientifique et les préoccupations de la société. C’est le sens de la citation que vous avez reprise. Dans le cadre de ces études doctorales, j’ai également fait un passage par l’industrie, au sein de STMI (1), à l’époque filiale du CEA et d’EDF, pour travailler sur l’information dans le démantèlement. Dès le début de ma carrière, c’est par ces questions touchant pour l’essentiel aux déchets radioactifs que j’ai abordé les problématiques de la filière nucléaire. Cela fait donc à présent quinze ans que j’exerce cette activité de consultant, en France comme à l’étranger, en couvrant tout à la fois les problèmes de politique énergétique, du nucléaire – sur ses risques et ses déchets, en particulier pendant une assez longue période pour l’industrie du plutonium –, de l’information et de la participation. À ce titre, j’ai participé activement au débat public de 2005 sur l’EPR de Flamanville, en tant que conseil auprès de la Commission particulière du débat public (CPDP), ainsi qu’au débat mené par le président Mercadal sur la gestion des déchets radioactifs, au sein duquel j’étais l’un des experts chargés d’apporter une contradiction au dossier du maître d’ouvrage, exploitant et pouvoirs publics.

Depuis 2006, je suis coordonnateur du groupe de travail pluraliste sur les sites miniers d’uranium du Limousin (GEP), étendu par la suite à l’ensemble des sites français. Le GEP avait produit en 2010 un rapport comportant des recommandations sur la gestion de ces sites, dont un certain nombre ont été prises en compte dans le PNGMDR. Ce groupe de travail vient de rendre son rapport final de suivi de mission à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et à la direction générale de la prévention des risques (DGPR).

(1) La Société des Techniques en Milieu Ionisant (STMI), filiale d’Areva, est spécialisée dans l'assainissement nucléaire.

J’ai rejoint le groupe de travail du PNGMDR au cours du premier exercice. J’ai suivi tout le deuxième exercice et une partie du troisième. Comme vous l’avez rappelé, j’ai suspendu ma participation en fin d’année 2012, en raison d’une mission rattachée au cabinet du ministre de l’Écologie, au sein du Secrétariat général du débat national sur la transition énergétique.

À mon sens, le fonctionnement du groupe de travail du PNGMDR ne correspond pas à son appellation de groupe de travail pluraliste. En particulier, on peut s’interroger sur la qualité de son pluralisme en termes de représentation de ses différentes composantes : les exploitants, de loin les plus nombreux, les services et les représentants de la société civile (associations, syndicats…), moins nombreux et moins assidus, compte tenu de leurs ressources limitées. Mais au-delà de cette question de représentativité, c’est aussi un problème de fonctionnement. C’est un groupe auquel sont présentées les études des exploitants. Il les commente à raison d’un quart d’heure de discussion pour chacune, dans le cadre de séances plénières comportant de soixante à soixante-dix participants, sans les discuter au fond. Le groupe est co-présidé par la direction de l’énergie et du climat (DGEC) et l’ASN, avec une prééminence de cette dernière, les réunions se tenant dans ses locaux. Je m’interroge d’ailleurs sur l’absence d’un suivi conjoint par la DGEC et la DGPR, d’autant qu’un certain nombre de sujets d’importance croissante, tels que les sites miniers ou des déchets orphelins, sont plutôt dans le périmètre de cette dernière.

M. Christian Bataille.- Si je résume, vous estimez qu’il y a une surreprésentation des industriels et de l’Etat ainsi qu’une sous-représentation des associations et des syndicats ?

M. Yves Marignac.- C’est effectivement une sous-représentation en nombre, mais surtout en termes de fonctionnement. L’ordre du jour des séances plénières comporte généralement quatre ou cinq points, avec des présentations des exploitants, parfois des services, un temps de tour de table, mais pas véritablement de discussion.

M. Christian Bataille.- Dire que le débat est verrouillé vous semblerait-il excessif ? M. Yves Marignac.- Ce serait exagéré, le débat n’étant pas verrouillé mais totalement prémâché. On s’est ainsi rendu compte que se tenaient, en amont de celles du groupe de travail du PNGMDR, des réunions préparatoires entre administrations et exploitants. Les acteurs ne participant pas à ces réunions n’en étaient pas informés. Afin d’assurer plus de transparence, il a été demandé que ces sous-groupes puissent s’ouvrir. Le principe en a été accepté, mais ce n’est pas encore effectif. Il est aujourd’hui question de le faire pour deux groupes portant sur deux enjeux importants à long terme pour les sites miniers : la tenue des digues de stockage et le traitement des eaux.

M. Christian Bataille.- Par comparaison avec les débats parlementaires, lorsqu’un rapport du PNGMDR est présenté, si certains participants ont des réserves à formuler, peuvent-ils produire une annexe ?

M. Yves Marignac.- Cette possibilité existe peut-être en théorie, mais à ma connaissance elle n’a jamais été mise en œuvre. Compte tenu des délais et du contexte, l’échange sur la version initiale du rapport, rédigée par les services de l’ASN, reste relativement limité. Le rapport est réputé tenir compte de l’ensemble des discussions. Il intègre certaines remarques. Mais sa ligne générale reste celle de l’industrie et des autorités.

M. Christian Bataille.- C’est un point important. Mon premier rapport sur les déchets nucléaires date d’il y a plus de vingt ans. Une des premières préconisations formulées avec mon co-rapporteur concernait la démocratisation du fonctionnement. Je constate que la démocratie avance à petits pas.

M. Yves Marignac.- En tout cas, le pluralisme de la réflexion sur ces sujets avance à petits pas. Je pense que nous en payons aujourd’hui le prix pour le débat sur Cigéo.

M. Christian Bataille.- Avez-vous des suggestions pour élargir la représentation du monde associatif ? D’autres acteurs notoires pourraient-ils être cooptés ?

M. Yves Marignac.- Il serait sans doute possible d’élargir la représentation. J’ai demandé, sans insistance, à être inscrit au sein du collège des personnalités qualifiées, plutôt que dans celui des associations environnementales. Bien que le statut de Wise-Paris soit celui d’une association à but non lucratif, c’est une agence, non une association de protection de l’environnement. La représentation associative a évolué favorablement ces dernières années, avec notamment une implication significative de France Nature Environnement (FNE) et de Greenpeace, qui sont présentes et portent la contradiction. Je ne suis pas sûr qu’une augmentation du nombre de représentants favorise la représentativité, ce qui fait défaut étant plutôt le temps d’intervention des associations et l’écoute apportée à leur parole.

Sur le fond, dans le dernier PNGMDR comme le précédent, l’absence de prise en compte d’un certain nombre de points discutés de façon récurrente au sein du groupe s’avère problématique. Je pense, en particulier, au débat sur la réalité actuelle et future du recyclage des matières radioactives, – donc sur l’accumulation de celles-ci sans mode de gestion défini – et sur l’ensemble des implications que cette situation pourrait avoir dans l’avenir. La nécessité de prendre en compte la gestion à long terme des matières nucléaires est aujourd’hui bien identifiée. Le plan continue néanmoins à faire comme si la réutilisation future de ces matières était acquise, indépendamment des choix à venir. Il existe pourtant une demande claire d’une meilleure prise en compte des scénarios alternatifs en termes de choix énergétiques ou même d’évolutions technologiques. Par exemple, si le programme de réacteurs de génération IV est poursuivi, son aboutissement n’en reste pas moins incertain, compte tenu des exigences actuelles en matière de sûreté. Ces incertitudes sont insuffisamment prises en compte. Ce problème de fond résulte également du fonctionnement insatisfaisant du groupe de travail.

M. Christian Namy, sénateur, rapporteur.- Pourriez-vous évoquer le problème du débat en cours sur le projet Cigéo ?

M. Yves Marignac.- Nous nous trouvons évidemment dans une situation très difficile. Malheureusement, la Commission nationale du débat public (CNDP) et la Commission particulière du débat public échouent à trouver des solutions à cette situation de blocage. Je ne me prononcerai pas ici sur la légitimité d’acteurs qui non seulement boycottent le débat – comme cela s’était produit par le passé – mais ont une stratégie délibérée d’empêchement de celui-ci. Un certain nombre de raisons expliquent néanmoins leur attitude, notamment le fait qu’il se soit avéré impossible de trouver un site pour étudier le milieu granitique, alors que la loi de 1991 prévoyait plusieurs laboratoires souterrains.

M. Christian Bataille- Dans mon rapport de médiation, j’avais effectivement demandé la création de plusieurs laboratoires, au moins deux, éventuellement trois. À l’époque, le Gouvernement avait arbitré de façon restrictive mais rassurante, puisque d’après les rapports scientifiques, le laboratoire retenu correspondait au site le plus prometteur. Mais il aurait été préférable d’avoir un deuxième laboratoire, par exemple dans la région de Marcoule, qui aurait permis de disposer d’éléments de comparaison et de faire face à d’éventuelles difficultés d’ordre géologique.

M. Yves Marignac.- Le raisonnement suivant lequel l’absence d’un deuxième laboratoire n’est pas si grave, compte tenu du consensus international sur les atouts du milieu argileux par rapport au milieu granitique, peut être défendu au niveau de la communauté

nationale. Mais pour une part des acteurs locaux, qui ont des inquiétudes fortes concernant la sûreté du laboratoire souterrain, il y a là une première faille dans le processus qui les écorche, tout comme la prise en compte, à mon sens trop restrictive, des résultats du débat 2005.

M. Christian Bataille.- Le débat de 2005 est à présent très largement dépassé.

M. Yves Marignac.- Je ne veux pas prendre position, mais je comprends qu’un certain nombre de restrictions dans le processus aient conduit certains acteurs à se sentir écorchés ou piégés.

M. Christian Bataille.- Le parlement n’a malheureusement pas été écouté.

M. Yves Marignac.- Les parlementaires avaient tous voté la loi de 1991, mais certains d’entre eux ont, malgré cela, participé avec leur écharpe aux manifestations contre la mission granit.

M. Christian Namy.- Effectivement, s’il y avait eu un deuxième laboratoire dans le granit, le débat serait probablement différent aujourd’hui. Il faut néanmoins reconnaître que les opposants les plus virulents ne sont pas de la région.

M. Christian Bataille.- Sont-ils au moins Français ?

M. Christian Namy.- La manifestation la plus importante dans mon département, avec plusieurs milliers de participants, était essentiellement composée d’Allemands.

M. Christian Bataille.- Nous devrions envoyer outre-Rhin des manifestants avec des banderoles contre les émissions de particules et de CO2, pour protester contre l’ouverture de nouvelles centrales au charbon.

M. Christian Namy.- Pensez-vous que la montée en puissance de l’opposition à l’occasion de ce débat résulte du fait que l’Andra n’apporte pas toujours une lisibilité suffisante sur les recherches menées ? Estimez-vous que l’Andra fait bien son travail sur ce plan ? Cela fait-il, en définitive, partie de ses missions, compte tenu de l’existence du Comité local d’information et de suivi de Bure (CLIS) ?

M. Yves Marignac.- C’est une vraie question. Je n’ai pas de commentaire à faire sur la nature de l’opposition, locale ou pas. Je pense que la première existe, même si l’inquiétude locale ne s’exprime pas dans les manifestations. Il y a une véritable incapacité aujourd’hui à l’entendre, y compris de la part de la CNDP, faute d’identifier les moyens nécessaires.

M. Christian Namy.- Vous savez que l’inquiétude existe aussi chez les élus.

M. Yves Marignac.- Je ne parle pas uniquement des opposants radicaux. Il y a une véritable interrogation sur le positionnement du territoire par rapport à ce projet. Ce positionnement ne doit pas se limiter à faire la balance des risques et des bénéfices économiques évidents.

Concernant l’Andra, le communiqué de l’ASN relatif à la publication du PNGMDR indique que le groupe de travail du PNGMDR est l’un des trois piliers de la gestion durable des déchets radioactifs, avec un cadre législatif propre et l’existence d’une agence indépendante dédiée à la gestion des déchets.

Concernant le cadre législatif, j’ai déjà souligné le problème de périmètre résultant de dispositions spécifiques qui laissent aux exploitants le soin de définir a priori ce qui deviendra un déchet ou une matière radioactive. Ce problème affecte aussi l’Andra qui ne récupère in fine ces matières que lorsque les exploitants décident qu’elles ne sont plus de leur ressort. Cela pose la question de la capacité de l’Andra à intégrer dans sa réflexion stratégique

sur le projet de stockage géologique l’éventuelle présence d’autres déchets que ceux issus du retraitement. Vous aviez soulevé, M. Bataille, cette question dans un rapport de l’Office parlementaire traitant de la double stratégie de gestion des combustibles usés, une partie étant retraitée et l’autre entreposée à La Hague. L’Andra semble prisonnière des limites de ses missions. En 2005, le dossier de conception du stockage géologique envisageait des concepts pour les déchets vitrifiés et les déchets de moyenne activité, mais aussi pour des combustibles usés qui ne seraient, au final, pas retraités. Je ne parle pas de combustibles exotiques, de recherche ou militaires, devant de toute façon aller dans le stockage. Le fait que l’Andra n’étudie plus la possibilité de stocker des combustibles usés qui ne seraient pas retraités constitue une difficulté supplémentaire pour le débat.

M. Christian Bataille.- Il faut également mentionner les combustibles usés issus des réacteurs de première génération, graphite-gaz ou à eau lourde, dont on ne sait que faire.

M. Yves Marignac.- Tout en ayant un champ de compétence limité, l’Andra, en tant qu’agence nationale porteuse du projet Cigéo, se trouve en situation d’assumer l’ensemble de la stratégie de gestion qui a conduit à ce projet. Or le débat public porte aussi sur l’opportunité. Il y a une véritable difficulté pour l’Andra à se trouver porteuse à la fois du projet industriel et de l’opportunité du projet, non seulement dans sa dimension industrielle, mais aussi stratégique. La même difficulté existait dans le débat sur l’EPR de Flamanville qui était, pour EDF, un objet industriel inscrit dans la stratégie de développement de son parc de production, mais répondait évidemment aussi à des enjeux beaucoup plus larges de politique énergétique, sur lesquels EDF n’avait pas de légitimité à se positionner dans le cadre du débat. Dans le débat actuel, cette situation constitue l’un des éléments qui conduisent la CNDP et la CPDP à restreindre le périmètre du débat, au point que c’est inacceptable pour certaines associations. Une autre difficulté résulte du recouvrement des calendriers du débat sur la transition énergétique et du débat sur le projet Cigéo, l’Andra estimant que ce dernier doit s’achever avant fin 2013 pour tenir les délais d’instruction du dossier technique.

M. Christian Namy.- J’ai défendu, devant la ministre, l’idée que ce débat devait se tenir après celui sur la transition énergétique, mais l’Andra s’y est opposée.

M. Yves Marignac.- J’ai été très surpris par la rigidité de l’Andra sur ce point. Je me souviens que pour les déchets de faible activité à vie longue, suite aux difficultés rencontrées, l’Andra avait écrit au ministre, afin d’indiquer qu’il ne lui serait pas possible de respecter le délai prévu par la loi pour la mise en œuvre du site de stockage correspondant. Il aurait été possible, sans aucune conséquence réelle, d’agir de même pour Cigéo, en demandant un décalage de six mois.

M. Christian Bataille.- Considérez-vous qu’existe dans ce débat une confusion entre les rôles de l’Andra, du CEA et d’EDF ?

M. Yves Marignac.- Je ne parlerai pas de confusion des rôles, mais des limites auxquelles l’Andra se trouve soumise. Je renverserai la question, en demandant qui de l’Andra ou d’EDF définit la politique en matière de gestion des déchets radioactifs. Mon sentiment serait que c’est plutôt ce dernier.

M. Christian Bataille.- C’est l’Andra qui définit cette politique, néanmoins elle doit se montrer aussi ouverte que possible aux positions d’EDF, en tant que principal contributeur financier. Ce dialogue s’avère assez difficile à organiser. Nous avons déjà été au bord de l’explosion. EDF a évidemment pour lui l’antériorité historique et la maîtrise complète du dossier. Toutefois, la loi de 1991 a créé l’Andra en tant qu’agence indépendante, alors qu’elle n’était jusque-là qu’une simple direction du CEA. C’était l’une des premières

recommandations de mon rapport de 1990. La loi devrait s’imposer à tous, mais parfois de fortes personnalités essayent de la contrecarrer.

M. Yves Marignac.- Je voulais conclure sur Cigéo, en évoquant la forme retenue pour ce débat public. L’organisation de débats sur Internet par la CPDP et d’une conférence de citoyens par la CNDP sont des initiatives louables, mais qui ne sauraient remplacer le contact direct dans le cadre des réunions publiques. Quelle position adopter lorsque les conditions de tenue de ces dernières ne sont pas réunies ? Une tendance semblant se faire jour consiste à en appeler à un droit imprescriptible au débat public, lequel justifierait des mesures de maintien de l’ordre public. Il semblerait que la CNDP envisage de déployer un dispositif policier pour l’assurer. Je pense qu’il s’agit là d’un non-sens complet.

M. Christian Namy.- Quand le CLIS de Bure, qui comprend en son sein des opposants, se réunit, les choses se passent correctement. Pourquoi n’est-ce pas le cas dans le débat public ?

M. Yves Marignac.- Parce qu’il y a plusieurs catégories d’opposants au projet : ceux qui participent au débat, les plus nombreux; ceux qui boycottent le débat dans sa forme actuelle sans l’empêcher, et enfin les acteurs écorchés, qui sont dans une stratégie d’empêchement. La réponse qui consisterait à imposer l’ordre public dans ces débats ne me semble pas satisfaisante, de même que les succédanés que sont le débat sur Internet ou la conférence de citoyen.

M. Christian Namy.- Pourriez-vous rappeler le principe de la conférence de citoyens ?

M. Yves Marignac.- La conférence de citoyen, d’origine danoise, consiste à rassembler un panel de citoyens, choisis pour être représentatifs de la diversité de la population. Ce panel est chargé, en général en trois week-ends, de prendre connaissance du sujet, d’organiser un programme d’audition des différents acteurs et d’émettre un avis. C’est un mode de consultation très éloigné d’un contact direct avec la population.

La CNDP n’a donc pas trouvé de solution appropriée au problème auquel elle était confrontée. Je pense que la seule voie possible consiste à rouvrir un espace de discussion sur l’ensemble du processus de gouvernance de ce dossier. L’ambiguïté de la position de l’Andra, porteuse d’une stratégie de gestion des déchets pour laquelle elle n’est pas décisionnaire, conduit à ce que la CNDP soit ressentie comme le « VRP » des exploitants, plutôt que comme une instance chargée de mettre en œuvre de façon neutre le débat.

M. Christian Namy.- Estimez-vous néanmoins que le débat public demeure une formule adaptée ? Est-il réaliste de vouloir s’immiscer, sans disposer des connaissances requises, dans un débat d’ordre technique entre spécialistes ? Pour ma part, j’estime être juste à même d’émettre des doutes ou de poser des questions.

M. Yves Marignac.- Il y a évidemment une composante technique dans ce débat.

Pour autant, ce serait totalement absurde de le laisser aux seuls spécialistes, car ce projet pose des questions qui vont bien au-delà des seuls aspects techniques. Je peux témoigner, pour avoir participé aux débats publics de 2005 sur la gestion des déchets et la construction de l’EPR de Flamanville, de la force du processus mis en œuvre par la CNDP, lorsqu’elle se trouve en position d’organiser un débat équilibré, incluant l’accès à l’information nécessaire, l’apport d’expertise mais aussi l’écoute de l’ensemble des acteurs et du public. Ce processus permet de faire émerger, pour le politique, une vision claire des lignes de consensus et de divergence traversant la société. Ce n’est pas un processus permettant de décider, mais il est extrêmement utile pour éclairer la décision. Pour Cigéo, un processus de ce type reste indispensable. À ce sujet, je vous recommande d’aller le voir le film suédois « Into eternity »,

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