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Audition de Commission nationale d’évaluation des recherches et études

Dans le document ASSEMBLÉE NATIONALE SÉNAT (Page 112-123)

F. La nécessaire intervention du Gouvernement ou du parlement

4. Audition de Commission nationale d’évaluation des recherches et études

le 3 décembre 2013

Personnes entendues : MM. Jean-Claude Duplessy, président, Emmanuel Ledoux, vice-président, Maurice Leroy, vice-président, Maurice Laurent, secrétaire général.

M. Christian Bataille.- La Commission nationale d’évaluation des recherches sur la gestion des déchets radioactifs a été instituée, sous sa forme actuelle, par la loi du 28 juin 2006, relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs. Celle-ci succédait à une première Commission nationale d’évaluation, créée par la loi du 30 décembre 1991. Nous souhaitions pouvoir vous entendre aujourd’hui en petit comité pour évoquer principalement deux sujets. Il s’agit, d’une part, du projet de stockage Cigéo et, d’autre part, de la séparation-transmutation, sujet sur lequel nous entendrons également le CEA aujourd’hui. Nous souhaiterions avoir aussi votre sentiment sur le débat public sur Cigéo et le PNGMDR, même si vous n’y êtes pas directement impliqués. Je vous propose de nous présenter votre point de vue sur ces différents sujets, sur la base des questions que nous vous avons transmises.

M. Jean-Claude Duplessy.- Habituellement, la Commission présente ses exposés de façon très collégiale mais nous avons choisi de réunir aujourd’hui notre bureau pour répondre aux questions qui nous ont été communiquées. En ce qui concerne le projet Cigéo, comme vous le constaterez au cours de notre exposé, se pose tout un ensemble de questions de nature très diversifiée : des questions scientifiques, a priori les plus simples à traiter, technologiques, d’acceptation sociale, de mise en œuvre, d’évaluation des coûts, etc. Sur ce point, je donne la parole à notre vice-président Emmanuel Ledoux.

M. Emmanuel Ledoux.- La première question posée concernait l’avancement du projet Cigéo. Je distinguerai les aspects scientifique et technologique.

Sur le plan scientifique, comme nous l’avions indiqué dans notre sixième rapport, les quinze années d’études du site de Meuse/Haute-Marne ont permis de démontrer les excellentes qualités de confinement de la couche d’argilite, de plus de cent trente mètres d’épaisseur, située à cinq cents mètres de profondeur, sur une extension suffisante pour y implanter le centre de stockage, d’où la préparation d’une demande d’autorisation de création (DAC) correspondante. Nous avions également indiqué que l’on ne progressera plus notablement dans la connaissance des propriétés de cette zone sans un accès direct à l’argilite qui deviendra possible par les puits et les galeries creusés pour réaliser la première tranche de Cigéo.

Pour autant, cela ne signifie pas qu’il n’y aura plus de recherche scientifique à conduire. L’Andra doit à présent se préoccuper de mener à bien son programme de recherche à long terme sur les scellements, indispensable pour garantir, le moment venu, l’existence d’une solution technique fiable pour fermer le stockage. Il convient également de définir un programme d’accompagnement scientifique et technique pendant la réalisation des travaux de la première tranche. Ce programme servira à vérifier que les propriétés connues de l’argilite sont bien confirmées, par exemple sur le plan de l’hydraulique et de la diffusion des radionucléides. D’autre part, l’Andra devra disposer de tous les éléments scientifiques nécessaires pour le suivi du cheminement des travaux dans l’argilite, sur la base de marqueurs sédimentaires et structuraux. Il sera par ailleurs nécessaire de mettre en évidence les éventuelles anomalies par rapport au modèle géologique actuel. Il faudra également identifier,

concevoir et réaliser certaines expérimentations en vraie grandeur dans le stockage qu’il n’est pas possible, pour des raisons de durée mais aussi de configuration des ouvrages, de conduire dans le laboratoire souterrain : surveillance des galeries et alvéoles, alvéoles expérimentales instrumentés, exercices de récupérabilité, etc. Enfin, l’Andra devra apprendre à surveiller les conditions d’évolution du stockage, afin d’apprécier les paramètres influant sur la réversibilité, au sens général du terme.

Sur le plan technologique, nous considérons que l’esquisse qui a été retenue par l’Andra, suite à la phase de comparaison et de critique des différentes options, prend bien en compte la sécurité des travailleurs et les risque industriels, notamment la protection des exploitants du stockage envers les rayonnements et l’incendie, qui était une préoccupation de l’ensemble des parties prenantes. Ceci a été réalisé par le choix d’au moins trois grandes options structurantes, discutées durant la revue de projet, qui font à présent partie des options retenues pour l’avant-projet sommaire : en premier lieu, notamment à fins de protection contre l’incendie, l’existence d’un double accès en tout point des voies de circulation, se traduisant par la nécessité de réaliser des infrastructures bitubes, en second lieu, la définition d’une hotte faisant office de barrière secondaire de protection contre les rayonnements ionisants pendant le parcours des colis vers leur lieu de stockage, et, en troisième lieu, le choix d’un funiculaire et d’un mode de transport par chariot sur rails dans la descenderie et les galeries d’accès, ce qui exclue tout véhicule à moteur autonome a fortiori les engins à pneus, ce derniers étant hautement combustibles. D’autres voies d’optimisation, portant notamment sur les alvéoles, sont encore à l’étude pour la conception technologique du stockage.

La deuxième question posée portait sur l’identification des principaux risques pour le bon déroulement du programme. Ces risques sont avant tout d’ordre technologique, mais aussi socio-économique. Sur le plan technologique, le premier concerne Ia flexibilité de Cigéo, c’est-à-dire sa capacité à prendre en charge la grande variété des déchets de moyenne activité à vie longue (MAVL) et à s’adapter aux évolutions possibles de la politique énergétique, en particulier à accueillir des combustibles usés non retraités autres que ceux issus de la recherche. Le deuxième risque concerne certains déchets MAVL contenant des métaux pyrophoriques, capables de s’enflammer spontanément au contact de l’air, tels que le sodium et le magnésium, ou des produits organiques. D’une manière générale, le risque chimique des colis MAVL doit être pris en compte pour le conditionnement, le contrôle avant stockage, le transport vers le lieu de stockage et le stockage à proprement parler. Cela doit conduire à une analyse détaillée de la question du co-stockage des déchets, c’est-à-dire le stockage de déchets MAVL de natures variées au sein d’un même alvéole, a fortiori après la décision d’allonger à cinq cents mètres les galeries, un compromis destiné à optimiser le coût du stockage tout en préservant la sûreté des accès qui réduit la flexibilité de réalisation des segments MAVL. Enfin, se pose toujours le problème de la durée de vie des galeries et alvéoles durant l’exploitation du stockage et la période de réversibilité prévue par la loi de 2006. La réponse à cette question porte sur la capacité à extrapoler de manière fiable, au-delà de quelques décennies, des modèles géo-mécaniques prédictifs du comportement des ouvrages eux-mêmes et du milieu environnant, alors que le retour d’expérience reste limité pour les profondeurs et les durées concernées. Des solutions techniques existent, mais doivent être soigneusement dimensionnées, afin d’optimiser les coûts de construction et d’entretien sans altérer la sûreté pendant l’exploitation. Les voies d’accès qui resteront accessibles jusqu’en fin de vie du stockage pourront être surveillées et entretenues, contrairement aux alvéoles et autres ouvrages les plus proches des déchets. Cette question influera sur les modalités de franchissement des niveaux de réversibilité : pourquoi laisser ouverts sur des temps longs des alvéoles après remplissage, en l’absence de garantie sur la récupérabilité ? Les contraintes d’exploitation et les conséquences sur le comportement à long terme engendrées par le maintien de l’ouverture (ventilation, surveillance de l’atmosphère,

persistance de conditions oxydantes…) ne seront-elles pas préjudiciables ? La construction d’alvéoles témoins pour les déchets de haute activité à vie longue (HAVL) et MAVL convenablement instrumentés peut être un moyen d’acquérir un retour d’expérience sur le long terme.

Nous avons aussi identifié des risques sur le plan économique et socio-économique qui vous seront présentés par la suite, avec les éléments relatifs au débat public.

M. Jean-Claude Duplessy.- Toujours sur Cigéo, une question porte sur la maîtrise du projet par l’Andra et les relations entre l’Andra et les producteurs de déchets, notamment EDF, ainsi que sur la pertinence de l’organisation actuelle. Juger des relations entre l’Andra et les producteurs n’entre pas dans les missions de la Commission, mais, sur le plan scientifique, nous pouvons en constater les résultats. La Commission a recommandé à plusieurs reprises que le projet puisse bénéficier, dans le respect des prérogatives de l’Andra, de l’expérience des producteurs tout au long de sa réalisation. Toutefois, nous avons noté que la dernière revue de projet de début 2013 s’est achevée trois mois après la remise par l’Andra de son projet à la ministre et quelques jours seulement avant le lancement du débat public, ce qui apparaît difficilement acceptable. La nature et le mode de fonctionnement des groupes de concertation entre l’Andra et les producteurs sont peu apparents et semblent en tout cas insuffisamment efficaces. Nous n’avons jamais pu assister à leurs réunions et ils ne sont pas non plus venus présenter leurs travaux. S’agissant de la revue de projet, il n’est pas normal qu’elle puisse conduire à la remise en cause a posteriori d’options structurantes. Le rôle de cette instance devrait être de se prononcer sur des choix optimaux parmi ceux proposés par l’Andra, assistée de son maître d’œuvre système, après définition des options possibles en concertation avec les producteurs. Cette concertation devrait être menée à un niveau suffisamment élevé et suffisamment à l’avance pour que de telles difficultés n’apparaissent plus.

En pratique, la conséquence de ces dysfonctionnements est qu’on peut craindre que le projet ne prenne du retard. Nous avons noté que la présentation tardive et en contradiction avec la loi, il y a quelques années, par les producteurs, d’un projet indépendant, dit STI, a obligé l’Andra à consacrer une année à l’analyse de ce dernier et à réfuter ce qui devait l’être, ce qui a ralenti d’autant le développement des esquisses de Cigéo et le processus d’élaboration de la demande d’autorisation de création. Un point qui nous a surpris, c’est que la loi de 2006 dispose que le dossier de dépôt de cette dernière doit être instruit en 2015. Nous pensions que l’Andra devrait de ce fait remettre son dossier en 2014. Or, nous venons d’apprendre dans le PNGMDR que l’Andra ne déposera ce dossier qu’en septembre 2015. Je me demande qui sera à même de l’instruire en 2015 avec un dépôt aussi tardif. Pour sa part, la Commission demandera certainement à disposer de plus de deux mois pour émettre un avis.

Une autre difficulté qui nous a été répercutée par la Directrice générale de l’Andra, c’est que le débat public fait apparaître une demande que la loi sur la réversibilité précède le dépôt de la demande d’autorisation de création, ce qui contredit la loi de 2006 et entraînerait un report de deux ans. L’Andra paraissait assez favorable à cette évolution. Ces considérations induisent des interrogations sur la possibilité de maintenir le calendrier initial.

M. Christian Bataille.- Ce que vous dites est tout à fait révélateur. Pour ma part, je considère qu’il faut respecter les échéances prévues par la loi.

M. Jean-Claude Duplessy.- Un détail que j’avais oublié, c’est que l’Andra ne donne pas encore de spécifications sur les colisages au producteurs, ce qui peut constituer un autre facteur de retard.

Une autre question portait sur l’avancement des travaux du CEA et de l’Andra sur les déchets bitumés. Nous avons constaté, depuis notre sixième rapport publié l’an dernier, que l’Andra et tous les producteurs se sont mis d’accord pour lancer un programme de recherche sur les enrobés bitumineux visant à préciser leur comportement intrinsèque en fonction de la température, à caractériser les transferts d’énergie dans cette matrice et à vérifier le comportement du colis de stockage en cas d’incendie au cours de la phase d’exploitation. Ce programme nous a été exposé dans ses grandes lignes, mais nous n’en avons évidemment pas encore vu les détails et, surtout, nous allons suivre avec attention sa réalisation, prévue en 2014. Nous avons précisé, dans notre septième rapport qui vous sera présenté prochainement, que nous étendions cette demande de contrôle à tous les colis contenant des matières pyrophoriques et organiques.

Une autre préoccupation concerne la tentative du CEA de déclasser une partie des colis d’enrobés bitumineux de déchets moyenne activité à vie longue en faible activité à vie longue (FAVL). Or, pour cette dernière catégorie de déchets, ne relevant pas de Cigéo, un consensus semble actuellement se dessiner pour la création d’un stockage sous couverture remaniée, plutôt qu’intacte. Dans l’attente d’un dossier de sûreté, nous nous interrogeons sur la possibilité de stocker ces déchets sous une telle couverture, compte tenu de leur composition, chimique et en éléments radioactifs. Un stockage à quinze ou vingt mètres de profondeur n’assure pas que ces colis seront préservés de la biosphère pendant des durées très longues, alors qu’il s’agit de déchets à vie longue du point de vue de la radioactivité et infinie du point de vu de la chimie.

M. Christian Bataille.- Comment est-il possible de déclasser ainsi des déchets, alors que leur catégorisation répond à des critères précis ?

M. Maurice Leroy.- Lorsque le CEA a refait l’inventaire des déchets bitumés, très nombreux, il a constaté que certains relevaient des FAVL, ce qui n’enlève rien à la pertinence de la remarque du président Duplessy.

M. Jean-Claude Duplessy.- Ce sont effectivement les producteurs qui décident de classifier les déchets en MAVL ou FAVL.

M. Maurice Leroy.- C’est la raison pour laquelle la Commission avait vivement recommandé à l’Andra que chaque colis arrivant sur le site soit vérifié avant d’être mis en stockage, alors que l’idée initiale était de faire une vérification par sondage aléatoire.

M. Christian Bataille.- Existe-t-il une instance impartiale statuant sur le classement proposé par le CEA ?

M. Jean-Claude Duplessy.- Ce sera à l’Andra d’en décider, après vérification du dossier remis par le CEA

M. Christian Bataille.- Il faut pour cela que l’Andra soit suffisamment bien armée sur le plan scientifique.

M. Maurice Leroy.- C’est ce qu’ils ont garanti, à la fois sur le site du producteur et à l’arrivée.

M. Christian Namy.- L’organisation actuelle, où il revient à l’Andra de contrôler les colis dont elle assure le stockage, vous semble-t-elle cohérente, et pensez-vous que l’Andra a les moyens d’assurer ce contrôle ?

M. Maurice Leroy.- Cette organisation est conforme aux pratiques dans ce domaine.

Par exemple, dans une décharge de produits inertés, c’est le système qui reçoit les colis qui a la charge de les contrôler.

M. Christian Namy.- Plus généralement, pensez-vous que l’Andra a réellement les moyens nécessaires pour passer, sur ce plan, au stade industriel ?

M. Jean-Claude Duplessy.- Je vais vous donner une réponse purement scientifique.

En soit, l’Andra doit simplement disposer des personnels compétents pour réaliser ces contrôles qui peuvent être qualifiés de routine. Il suffit donc que l’Andra les recrute en nombre suffisant pour que ce travail soit réalisé. Il faudra que les producteurs acceptent de payer. Nous réclamons également, en plus d’un contrôle strict à la réception par l’Andra, un contrôle au départ, chez les producteurs, de façon à garantir l’absence d’erreur. Il faudra pour cela mettre les moyens nécessaires. StocaMine constitue un excellent contre-exemple. Ce site a été racheté par une entreprise qui avait des déchets à y stocker. Alors que la non-conformité de ces déchets avait bien été identifiée par les personnels à l’arrivée dans le stockage, la direction a imposé leur stockage et ils ont par la suite pris feu.

M. Christian Bataille.- Cet exemple prouve l’intérêt de préserver à l’Andra son statut d’indépendance, malgré l’agacement d’EDF et du CEA à ce sujet.

M. Jean-Claude Duplessy.- Si vous le voulez bien, nous allons passer à présent aux questions relatives à la séparation-transmutation. Nous avons préparé trois transparents très simples, car j’ai constaté en discutant avec de nombreuses personnes qu’un certain nombre de choses n’avaient pas été comprises.

Le premier transparent illustre ce qui arrive aux combustibles UOX (oxyde d’uranium enrichi, obtenu à partir d’uranium naturel) une fois qu’ils sont usés. La première possibilité, qui ne correspond pas au cas français mais à celui d’autres pays comme la Suède ou les États-Unis d’Amérique, c’est de les considérer comme des déchets, et de les stocker en l’état. L’autre possibilité, c’est celle du retraitement, qui consiste à séparer l’uranium, valorisable, le plutonium, valorisable dans le MOX, les actinides mineurs et les produits de fission, considérés comme déchets et mis dans des verres pour leur stockage géologique.

Le deuxième transparent correspond au cas des combustibles MOX sortis d’un réacteur à eau pressurisée de 900 MW. Là aussi existent deux possibilités : soit leur stockage direct, en tant que déchets, en étant conscients qu’il s’agit d’un combustible usé « chaud », contenant du plutonium avec une composition isotopique particulière, soit leur retraitement qui permet d’obtenir de l’uranium, du plutonium, des actinides mineurs et des produits de fission. Toutefois, en l’absence de réacteur à neutrons rapide, cet uranium, pour l’essentiel 238, et ce plutonium, avec une composition isotopique enrichie en éléments pairs, ne peuvent faire l’objet d’un second recyclage dans un réacteur à eau pressurisée dans des conditions de sûreté acceptable. Les actinides et les produits de fission ne sont pas non plus transmutables.

Dans le dernier transparent, correspondant au recyclage des combustibles MOX en présence d’un réacteur à neutrons rapides, l’uranium et le plutonium deviennent valorisables comme combustibles, les actinides mineurs pourraient être transmutables et les produits de fissions resteront des déchets.

M. Christian Bataille.- Dans tous les cas de figure, il resterait donc des déchets et le stockage géologique reste, de ce fait, nécessaire ?

M. Jean-Claude Duplessy.- Exactement, il reste au moins les produits de fission, pour lesquels la communauté scientifique a étudié la possibilité d’une transmutation dans les années 90 mais est arrivée à une impossibilité, certains éléments étant instables et d’autres ayant des isotopes d’une durée trop longue, de l’ordre du million d’années. Ces produits de fission ont donc vocation à être stockés sous forme de verres. Ces déchets radioactifs ne pourront tous être transmutés.

M. Christian Bataille.- C’est ce qui avait été envisagé initialement, dans le cadre de la loi de 1991, puisqu’il s’agissait de « carboniser » l’ensemble des déchets, ce qui aurait permis de se passer d’un stockage géologique profond.

M. Jean-Claude Duplessy.- Je vais donner la parole à Maurice Leroy pour traiter des questions relatives à la séparation-transmutation.

M. Maurice Leroy.- Il convient de rappeler que les produits de fission ont une durée de vie relativement courte. Après quelques centaines d’années, leur radioactivité retombe à un niveau équivalent à celui de l’uranium naturel. Cet aspect est relativement important, puisque cela permettrait de réaliser, après transmutation de l’ensemble des actinides, le rêve initial d’un stockage ne posant plus aucun problème au bout d’un millénaire.

Une première question portait sur le fait de savoir si les acteurs du projet de réacteur à neutrons rapide Astrid sont focalisés sur la séparation-transmutation ou la production d’électricité. Ce que nous avons compris, à travers nos auditions, c’est que la première phase de recherche du CEA porte sur la conception d’un réacteur électrogène de 650 MW, utilisant un combustible constitué d’uranium appauvri et de 25 % de plutonium, les 650 MW se justifiant par la nécessité de pouvoir extrapoler les dispositions de sûreté pour un réacteur de 1 200 MW. Cette phase comporte la validation de technologies innovantes pour la sûreté : un cœur dit à faible effet de vidange, destiné à éviter toute possibilité d’emballement de la réaction en cas de vidange locale du sodium, une géométrie hétérogène du cœur, un système de refroidissement sodium-gaz, évitant tout risque de contact du sodium avec l’eau, une architecture permettant la récupération du corium et une inspection en service contournant la difficulté de l’opacité du sodium. Une fois démontrée la capacité de ce réacteur, dénommé Astrid, à fonctionner avec un haut niveau de sûreté, une deuxième phase d’expérimentation porterait sur sa capacité à recycler le plutonium, ce qui nécessite de récupérer le plutonium dans le combustible usé, puis de l’utiliser dans un nouveau combustible, en ajoutant seulement de l’uranium appauvri, ouvrant la voie à un multi-recyclage du plutonium et à une production d’électricité assurée sur une très longue période. Ce n’est que dans une troisième phase qu’il sera possible de vérifier la capacité de ce réacteur à transmuter, à l’échelle industrielle, l’américium, en satisfaisant les impératifs de sûreté. Enfin, dans une quatrième phase, il conviendra de démontrer sa capacité à consommer le plutonium, en mode sous-générateur, afin de pouvoir résorber, en fin de cycle, le stock existant, avant un arrêt définitif des réacteurs.

La mise en œuvre de la séparation, à l’échelle industrielle, en vue de la transmutation des actinides mineurs n’est donc pas prioritaire tant que le bon fonctionnement du réacteur n’est pas assuré. À cet égard, l’une de nos craintes serait que les recherches de base en séparation-transmutation soient négligées au profit de travaux à vocation plus industrielle. Or, il sera impossible de gérer un parc de réacteurs à neutrons rapides sans disposer d’excellents spécialistes des actinides et de la séparation. Aussi serait-il souhaitable de sensibiliser le CEA

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