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Audition de M me Marie-Stella Boussemart, Présidente de l’Union Bouddhiste de France

« Je vous remercie de m’avoir invitée à échanger avec vous. Même si j’avoue ne pas me sentir compétente pour poser le moindre diagnostic suite aux évènements de janvier dernier. Étant la représentante de l’Union Bouddhiste de France, je peux seulement vous exprimer la façon dont les bouddhistes ont perçu ces évènements. Mais pour poser un diagnostic, nous n’avons pas les éléments nécessaires nous permettant d’avoir une vision d’ensemble. En effet, les informations qui nous remontent proviennent des médias et sont donc, à mon sens, biaisées et partielles.

De plus, en tant qu’Union Bouddhiste de France, nous voulons rester strictement dans notre rôle. Si, en tant que citoyenne, je pourrais avoir un avis sur un certain nombre de points, en tant que représentante de l’Union Bouddhiste, il est important de marquer une frontière. Nous pouvons et devons apporter notre contribution, mais il n’est pas dans notre rôle de mettre en œuvre certaines politiques ou propositions.

En tant que Français et bouddhistes, le cadre offert par la laïcité nous semble propice.

Nous avons dans notre communauté beaucoup de bouddhistes d’origine asiatique, venus en France pour des raisons politiques, pour fuir des persécutions religieuses notamment. Il est donc évident que ce cadre républicain est ressenti comme accueillant et bienveillant.

Les Français de naissance devenus bouddhistes par choix, et non simplement par naissance, ont la même opinion vis à vis de la laïcité. La liberté de conscience, de religion, et la liberté de changer de religion, et plus généralement d’opinion, sont des droits intangibles, dont nous usons (ou abusons, selon certains).

Même si nous nous sentons très à l’aise dans le cadre de la laïcité française, nous voyons certaines évolutions avec inquiétude.

Nous constatons un raidissement général de la part de la société et donc un risque très élevé de limitation des libertés individuelles. Les libertés étant entre les mains de personnes imparfaites, il faut bien sûr qu’elles soient encadrées par un cadre neutre, la loi.

Pour reprendre l’exemple de la liberté d’expression dont on a beaucoup parlé, celle-ci inclut la liberté de critique vis à vis des systèmes de pensée, et donc des religions. Mais la difficulté, c’est que les religions n’existent pas en tant que telles, isolément. Il n’y a que des personnes qui ont certaines convictions, lesquelles constituent une religion.

Dès lors que la liberté d’expression ressemble à une liberté d’insulte, s’il n’y a pas de cadre législatif clair, cela risque d’entraîner des comportements dangereux. Autant la liberté de conscience ne pose pas ce problème, autant la liberté de critique est une question délicate du fait des implications et des réactions éventuelles qu’elle peut susciter. La liberté d’expression doit être bilatérale et s’inscrire dans un dialogue, afin que les personnes se sentant offensées puissent au moins avoir un espace pour exprimer leur sentiment. Cependant, une des principales difficultés, c’est que les mots n’ont pas le même sens pour tout le monde.

Pour prendre l’exemple de la récente initiative de Reporters sans frontière, quand je leur ai écrit dans un courriel que j’étais inconditionnellement pour la liberté d’expression, ils ont compris que j’étais inconditionnellement favorable à leur texte et à leur démarche, alors que je ne le suis pas.

Ils ont certes le droit d’interpeler les représentants du culte, mais à mon sens nous n’avons pas attendu que l’Ong Reporters sans frontièrevienne nous enjoindre de respecter et transmettre certaines valeurs pour ce faire. Parce que je suis très attachée à la liberté d’expression, concernant la façon de faire, il y a des points avec lesquels je ne puis être d’accord. Ainsi, j’ai modérément apprécié l’annonce préalable qu’il s’agirait d’un moyen de « faire pression » en établissant et rendant publique une « liste noire » des personnes n’ayant pas signé. Comme il vaut mieux le prendre avec humour, je dirai que cela illustre que la liberté ne peut pas ni ne doit être unilatérale.

Le sens de l’humour est bien sûr difficile à manier, certains trouvant drôles ce que d’autres trouverons de mauvais goût.

Prenons l’exemple du film « Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? »: en France, ce film a été très bien reçu par le public, mais aux États-Unis il a été jugé raciste et n’a pas été distribué.

Il en est de même avec le dessin, qui n’est pas « universel » car il n’est pas aussi explicite qu’on le dit parfois. Un dessin représente des personnes ou des situations en faisant référence à certains codes, étroitement liés à une époque, une culture, une génération, un groupe particulier. Si nous n’avons pas ses codes, nous ne pouvons pas en rire. Lorsque je vois certaines publicités à la télévision, je dois faire appel à mes petits-neveux pour en décrypter le sens.

En tant que Française bouddhiste, j’ai quelques pistes d’évolution. À mon sens, l’apprentissage de la langue française est fondamental. Notre grammaire, qui est assez rigide, comporte cependant des procédés qui permettent d’introduire et marquer des nuances ; il importerait de les transmettre aux nouvelles générations, pour éviter un mode de pensée parfois trop « binaire ». Veillons à l’appauvrissement du vocabulaire, source potentielle d’un appauvrissement de la pensée. Sans bouleverser les programmes scolaires, un apprentissage plus poussé de la langue permettrait d’aiguiser l’esprit critique.

Entre les réseaux sociaux et les médias qui nous inondent d’informations, le seul instrument de tri reste l’esprit critique. Le Bouddha disait qu’il ne fallait pas croire quelque chose pour l’unique raison qu’il l’avait dit, mais qu’il fallait toujours réfléchir, prendre conscience des choses afin de faire ses propres choix, même s’ils étaient différents que ceux qu’il avait énoncés. L’esprit critique est primordial, mais pour cela il faut avoir les outils, comme la langue, le vocabulaire et un certain entraînement.

Je ne sais pas s’il serait opportun d’instaurer des cours sur les religions. Il me semble qu’il faudrait en préalable s’assurer de l’accord des parents et des enseignants. Il faudrait aussi et surtout que les enseignants soient correctement formés à cet exercice délicat, et disposent d’ouvrages et matériaux de qualité comme support. Donc, pourquoi pas dans l’avenir, mais après avoir pris le temps de tout bien préparer. Je serais plus encline à un cours « de pensée ». Cela permettrait d’inclure la pensée religieuse, mais aussi les pensées politiques, philosophiques et autres. Pour maintenir les équilibres.

Dans la même veine, je serais résolument favorable à ne pas attendre la terminale pour initier les élèves à la démarche philosophique !

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-Paris, le 5 mai 2015

Contribution de M. Emmanuel Adamakis, Président de l’Assemblée des évêques orthodoxes de France

Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur,

Un an après mon audition devant l’Observatoire de la laïcité, j’ai l’honneur de vous faire parvenir cette contribution au nom de l’Assemblée des Évêques Orthodoxes de France. Avec l’ensemble de la population française, les orthodoxes de l’Hexagone ont été profondément troublés par les attentats survenus à Paris, les 7, 8 et 9 janvier 2015. Ils continuent, au gré d’une actualité nationale et internationale riche en événements tragiques, à sentir le poids du désenchantement du monde, du délitement du lien social et du renfermement communautaire qui touchent les groupes les plus exposés.

Nonobstant un diagnostic du vivre ensemble très contrasté, je suis convaincu que le principe de Laïcité que le Président de la République, Monsieur François Hollande définit lui-même comme

« principe de liberté et de cohésion », est susceptible de faire émerger la cohésion nécessaire pour que la France puisse faire corps, à la manière de la marche citoyenne qui répondit aux attentats. La Laïcité peut-elle agir sur le sentiment global d’insécurité dans lequel nous vivons ? J’ose croire que oui.

D’ailleurs, l’engagement des différents responsables de culte en France, dans le cadre de la Conférence des responsables de culte en France, ont toujours tenu à faire front ensemble contre le terrorisme qui se pare des attributs de la religion. Ce terrorisme puisant dans les sources d’un fondamentalisme mondialisé est certainement l’ultime étape de la sécularisation de la religion elle-même. Nous rappelions dans une déclaration commune, du 8 janvier 2015 que : « Nous sommes unanimes dans la défense des valeurs de la République, liberté, égalité, fraternité, et en particulier, la défense de la liberté d’expression. Nous nous engageons à poursuivre cet élan de partage, de dialogue et de fraternité. » Le fait religieux est constitutif d’un processus de délimitation, pour ne pas dire de séparation, que la loi de 1905 reprend à sa manière. D’ailleurs tous les débats qui entourent aujourd’hui la place du religieux dans la société française sont liés à l’évolution de ces limites entre la sphère publique et privée.

Aussi, avons-nous été particulièrement attentifs à l’Avis de l’Observatoire de la laïcité sur la promotion de la laïcité et du vivre ensemble, remis au Président de la République, en date du 14 janvier 2015. Nous avons notamment apprécié la place laissée à l’enseignement dans cet avis. En effet, les orthodoxes soutiennent que le vivre ensemble est une question d’apprentissage. La transmission de la connaissance est indispensable à la reconnaissance de l’Autre. La définition claire de la laïcité, dans le contexte éducatif, est centrale pour désamorcer les mécompréhensions dont elle est sujette, tant au niveau national qu’international.

Il me revient alors de rappeler que les Français appartenant à l’Église orthodoxe sont attachés au précieux principe de laïcité. L’histoire de l’orthodoxie au XXesiècle a en effet été marquée, dans ses territoires traditionnels, par de nombreuses vagues de persécution qu’ont promues des régimes totalitaires agissant au nom de l’athéisme militant, mais aussi du fanatisme théocratique. Au gré des

mouvements de population qui en ont résulté, les orthodoxes ont trouvé en France mieux qu’un lieu d’exil. Par l’accès à la liberté de conscience et à la liberté de culte dont elle leur a garanti la jouissance, par l’octroi d’une pleine citoyenneté qu’elle leur a donné ou redonné d’exercer, la patrie des droits de l’homme est devenue leur patrie. Portés par ce mouvement d’émancipation, ils se sont ainsi affranchis des pressions étatiques, des enfermements communautaires, des pesanteurs sociologiques pour revenir à l’essence de leur foi. Assurés du caractère ouvert et égalitaire de ce pluralisme concret, ils sont allés à la rencontre des autres à travers le dialogue savant, oecuménique, interreligieux, mais aussi en entrant dans une relation de plain-pied avec l’humanisme, la modernité et la sécularisation.

Une double cohésion en est ressortie : d’abord, celle des orthodoxes entre eux qui ont dépassé de la sorte leurs clivages linguistiques ou ethniques pour affirmer leur unité dans l’appartenance commune à un même pays, une même langue, un même devenir ; ensuite, celle des orthodoxes avec l’ensemble de leurs compatriotes dans le partage des mêmes valeurs, de la même culture, de la même conception du politique, au sens premier des lois régissant la vie de la Cité. Le meilleur signe de cette intégration est certainement la contribution des écrivains, des artistes, des scientifiques, d’origine, de confession ou de sensibilité orthodoxe au patrimoine et au rayonnement de la France. Dans le même temps, l’expérience, quasiment de laboratoire, qu’a connue l’Église orthodoxe en France n’a pas manqué de revêtir une force d’exemple pour le reste de l’orthodoxie dans le monde. Cet enrichissement réciproque peut, sans exagération, être considéré comme un fruit de la laïcité, ce principe inaliénable qui est inscrit dans le premier article de notre Constitution.

La laïcité n’est pas qu’un principe, mais il s’agit surtout d’une expérience du vivre ensemble que les fondamentalismes de tout ordre entendent remettre en question. Dans son rapport au Président de la République, en date du 15 avril 2015, sur Nation française, un héritage partagé,le Président du Sénat, Monsieur Gérard Larcher déclare : « Je tiens à le souligner, mon propos sera ici de voir dans quelle mesure les cultes – tous les cultes – peuvent participer efficacement, en leur sein, à la lutte contre les fondamentalismes et soutenir explicitement les valeurs de la République française. » Très certainement, le fondamentalisme est-il un phénomène qui traverse tous les courants religieux, voire certaines fermentations idéologiques, posant comme base axiomatique la non-possibilité des religions, et plus largement des personnes, à coexister. Or l’inspiration métaphysique des religions n’est pas qu’une posture sociologique. Le message de l’Évangile, sur lequel se fonde l’Église orthodoxe, dans une logique de transmission, considère le dynamisme de la foi à l’aune de sa capacité à produire du lien, non seulement à l’intérieur de sa propre communauté, mais aussi avec l’ensemble de l’environnement socio-politique dans lequel les orthodoxes se trouvent. Ce lien, nous ne cessons de lui chercher un sens, une densité. Que nous l’appelions « communion » ou « fraternité », il renvoie à l’intuition fondatrice du christianisme que l’on peut vivre pleinement intégrés dans la société et se satisfaisant du fait que leurs institutions, en se structurant selon les modèles requis, ont acquis le statut d’interlocuteurs pour les pouvoirs publics et que les dispositions réglementaires générales encadrant les cultes leur ait été étendues. C’est aussi la raison pour laquelle les orthodoxes en France, qu’ils soient Français ou étrangers, se lèvent contre les formes diverses du communautarisme. Ils entendent se situer moralement dans l’espace public tel que le définisse la Constitution et les lois de la République, tout en participant activement aux différents débats et autres réflexions qui traversent la société française. La présente contribution participe activement à la volonté des orthodoxes d’y participer. C’est d’ailleurs avec toujours beaucoup d’enthousiasme que nous acceptons d’être auditionnés par les différentes commissions publiques.

Au cours de notre précédente audition, je m’interrogeais ainsi : Les fossés qui séparent les hommes n’ont-ils pas tendance à se creuser sous le poids d’une crise qui n’est pas moins morale qu’économique ? Une attitude de pure prudence peut-elle suffire face à l’urgence ? Comment accorder une place aux religions dans le débat public tout en respectant la séparation des pouvoirs ainsi que l’impératif d’écarter les arguments d’autorité qui en est la condition ? Ces questions sont encore d’actualité. Elles le sont d’autant plus que les événements tragiques du début de l’année, échos d’une situation géopolitique qui se détériore au Proche-Orient, ont renforcé l’idée de choc

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-des religions. Le suffixe « phobie » devient alors le fer de lance de revendications antinomiques, bien que juxtaposées, ne permettant plus d’appréhender sereinement la circulation des idées et des expériences par le dialogue.

Les modalités d’un dialogue dans la société française sont constamment à réinventer. Il me semble donc essentiel, à cette étape cruciale de l’histoire de la France, que nous revisitions nos imaginaires collectifs, car ce sont des représentations d’opposition de l’autre que naissent les murs infranchissables au mieux de l’indifférence, au pire de la haine. Le communautarisme qui effraie tant de nos concitoyens, à juste titre d’ailleurs, constitue une fragmentation inacceptable du tissu sociétal.

Il est la marque d’une société malade de sa fermeture, incapable de dialoguer avec soi-même, comme avec l’autre au « maximum de sa diversité » comme a pu l’écrire Claude Lévi-Strauss. Sans doute revient-il à votre Observatoire d’en examiner la possibilité ainsi que la faisabilité. Les religions en général et l’orthodoxie en particulier nourrissent des engagements proprement altruistes et sont autant de vecteurs d’espérance participant d’un réenchantement du monde. Car la laïcité est un des horizons de l’espérance.

Paris, le 24 mars 2015

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