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Audition de M. François Clavairoly, Président de la Fédération protestante de France

« Lors de la cérémonie des vœux présidentiels à l’Élysée, le 5 janvier dernier, j’ai pu exprimer au nom de tous les cultes réunis à cette occasion, par un texte que j’avais rédigé, l’attachement indéfectible de chacune des confessions aux valeurs de la République. Il ne me revient pas d’insister davantage sur ce fait décisif qu’il existe à cet égard une unanimité. Toutefois, nous avons également pu constater combien cette parole était attendue par nos concitoyens, et combien cette cérémonie, d’habitude plus légère, se trouvait lestée du poids de l’actualité et du drame qui venaient de survenir.

Par conséquent, cette introduction m’autorise à redire devant vous que l’expression publique d’une parole prononcée par des responsables religieux, une parole reprise dans les médias et clairement articulée à ce qui constitue notre socle commun, de même que le rappel de notre engagement commun au service du vivre ensemble dans notre société, peuvent faire sens pour bon nombre de nos concitoyens.

Mais il y a plus que cela encore. Il y a désormais une prise de conscience profonde et largement partagée dans l’opinion publique que la promesse républicaine doit être réaffirmée, reformulée et sans doute renforcée par des gestes significatifs et un engagement de longue durée. Non seulement en effet, il y a urgence, au vu de la situation, mais l’enjeu à relever est considérable si l’on veut que cette promesse ne reste pas inaccomplie, ouvrant alors le chemin à d’autres ressentiments et à d’autres violences.

Ce que je veux dire ici, c’est que l’après 11 janvier nous place devant notre responsabilité vis-à-vis de la génération qui vient et que l’enjeu concerne toutes les ressources de la société. Toutes les ressources, y compris les ressources vives que constituent les cultes (et le protestantisme en particulier).

Ici, je veux exprimer le souhait que la notion de culte, notamment dans cette instance de la République qu’est l’Observatoire de la Laïcité, ne se laisse pas réduire à une compréhension, selon le seul langage juridique qu’utilise par exemple le texte de la loi de 1905, mais qu’elle soit véritablement pensée dans toutes ses dimensions, dans toute sa richesse et tous ses déploiements symboliques, comme l’ont si bien décrit l’anthropologie religieuse, la sociologie, la philosophie, et aussi comme le discours de la théologie elle-même en parle actuellement − ce discours théologique qui est précisément le premier discours critique de la religion −, ou encore comme en ont parlé depuis tant d’années sans qu’on les écoute vraiment, des intellectuels de renom dont je ne citerai que Régis Debray. Le culte et la religion ne peuvent être ramenés par un raccourci paresseux et bien commode de l’intelligence, au rite et à la pratique, à une sorte de code pratique qu’il s’agirait de faire entrer « par la loi et la règlementation » dans le grand code de régulation républicaine. Le culte, au cœur de la culture, est en réalité un fait civilisationnel, une dynamique profondément humaine qui construit et enrichit les personnes, donne du sens et de la densité à l’existence, et autorise chacun s’il le désire, à prendre sa part de responsabilité dans la société. La République, dont nous tenons tous pour imprenables les valeurs et les fondements, est d’ailleurs à sa façon l’un des fruits lentement mûris de cette immense conversation religieuse, philosophique et politique européenne qui s’est engagée dès le XVIesiècle, avec le temps des Réformes et de la Renaissance puis des Lumières. Une conversation critique, parfois consensuelle, parfois violente, mais dont l’élément religieux n’a jamais

été « relégué » dans un impensé démocratique (sauf peut-être, il faut bien le reconnaitre et le déplorer, en France), une conversation qui doit se poursuivre, où les deux sœurs jumelles que sont la foi et la raison et qui se chamaillent, sont pourtant convoquées à une habitation commune, celle de la démocratie républicaine.

Relire ensemble notre histoire commune, donc, oser faire acte de relecture critique, permettre la rencontre et l’étude des ressources juives, chrétiennes, musulmanes, agnostiques et athées qui habitent nos consciences, les passer au crible de la critique de l’histoire et de la raison, pour faire en sorte que les identités confessionnelles ou laïques, de concurrentes et agressives qu’elles peuvent être, se vivent comme identités fraternelles. Tel est l’enjeu : l’enjeu de ce que chacun appelle de ses vœux sans jamais s’en donner les moyens jusqu’ici et que l’on nomme l’enseignement du fait religieux.

Il apparait aux yeux de nombreuses personnes et aux protestants en particulier, que le pays a trop tergiversé, et du coup à cet égard, il a perdu beaucoup de temps. Mais il est possible d’avancer si une volonté politique s’exprime et si les signaux que nous émettons ici, en particulier, sont déchiffrés : les compétences existent, les enseignants sont prêts, les structures sont en place (faut-il rappeler les grandes qualités de notre enseignement supérieur – université, écoles, instituts de théologie, etc. ? Faut-il citer les initiatives déjà réalisées – EHESS, IHEMR, AGAPAN,… ?

L’une des conversions à opérer, sur ce point de l’enseignement du fait religieux est sans doute, pour ceux qui vont entrer dans cette démarche, de concevoir les acteurs concernés comme des partenaires et non comme des concurrents,des relais et non des obstacles, et de possibles collaborateurs comme c’est le cas dans d’autres situations et d’autres pays.

Peut-on imaginer de mettre en œuvre un effort conséquent, sous l’égide de l’éducation nationale, qui travaillerait pour une « concorde discordante » selon le mot de Ricœur, c’est à dire un projet véritablement porté par tous, faisant droit au réel débat qu’il nécessite et aux dissensusqu’il fera immanquablement advenir, mais dans un consensus plus large et qui le tient.

Remarques sur le document « Grande mobilisation de l’École pour les valeurs de la République » Les religions, et plus largement les divers aspects du « fait religieux », quelle que soit la terminologie utilisée, sont quasiment absents du document (une seule mention des mots

« fait religieux » se trouve en p. 4). Cela interroge dans un contexte où ledit « fait religieux » occupe de manière permanente l’espace médiatique et celui de nos réflexions ici-même, dans un contexte où l’analphabétisme religieux et « l’oubli » de la dimension spirituelle constituent le terreau sur lequel prospèrent bien des dérives extrémistes.

Le concept de « laïcité » mériterait d’être mieux abordé et présenté :

s’agit-il simplement de la neutralité de l’État, qui permet à toutes les religions et opinions d’exister, de s’organiser et de s’exprimer dans le cadre de la loi ?

s’agit-il d’une laïcité qui serait la « religion de la non religion » comme certains accents du texte peuvent le laisser entendre ?

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-Par rapport aux propositions du texte :

Mettre la laïcité et la transmission des valeurs républicaines au cœur de la mobilisation de l’École.

1. Renforcer la transmission des valeurs de la République - Formation de 1 000 formateurs à la laïcité

Il faut saluer cet effort concret de « formation des formateurs ». Mais il en est peu dit sur les contenus : que va-t-on enseigner dans des délais aussi courts (300 000 enseignants formés d’ici la fin de l’année) ? Le « réseau protestant du Conseil scolaire » pourrait-il bénéficier de tels formateurs ?

- Enseignement laïque du fait religieux

La volonté de former à la laïcité les futurs enseignants est bienvenue. Mais qui va définir les contenus ? Dans quelle mesure les représentants des religions ou les professeurs de théologie seront-ils

« partenaires », ignorés, consultés sur ce qui sera enseigné à leur sujet ? (Pour illustrer ce questionnement, je peux évoquer ce fait que lors de la dernière « Journée académique de l’enseignement religieux en Alsace Moselle », le Professeur de la Faculté de théologie, MmeÉlisabeth Parmentier a présenté aux autorités académiques une analyse d’un manuel de français de 6equi affichait la louable intention de présenter le « fait religieux » à travers des textes des grandes religions.

Son analyse faisait apparaître que seuls des textes de l’Ancien Testament, présentant un Dieu vengeur, étaient cités. Aucun texte du Nouveau Testament ou d’une autre tradition religieuse n’était présenté une seule sourate du Coran relative au sacrifice d’Isaac était citée, en regard du texte parallèle de la Genèse. Aucun théologien ou exégète n’avait été consulté pour le choix des textes et les questions du manuel à leur sujet).

- De nouvelles ressources pédagogiques

Il faut saluer la volonté de constituer de telles ressources qui sont restées bien maigres depuis le rapport Debray.

2. Rétablir l’autorité des maîtres et les rites républicains

La formulation du titre semble largement incantatoire : il n’est en effet rien dit sur la manière dont on va rétablir cette autorité.

- Journée de la laïcité le 9 décembre

Ne s’agit-il pas là d’une proposition dont on peut prédire sans grand risque de se tromper qu’elle va tomber très vite dans l’oubli ? À nouveau se pose la question : quel contenu ? Va-t-on passer toute une journée à commenter la loi de 1905 ? N’oublie-t-on pas les 3 Départements d’Alsace-Moselle et les Territoires d’Outre-Mer où la loi de 1905 ne s’applique pas, et la signification de cette diversité du régime cultuel en France ?

- Participation active aux commémorations patriotiques

C’est une très bonne proposition : la connaissance de l’histoire à travers des commémorations peut constituer un excellent support pédagogique.

3. Créer un nouveau parcours éducatif de l’école élémentaire à la terminale : le parcours citoyen La question des contenus, en particulier de l’enseignement moral et civique, est à nouveau posée dans cette partie. Les religions, et la confession protestante, pourront-elles y apporter leur

contribution ? (cf. par exemple le projet éducatif – toujours perfectible – conjuguant les savoirs et savoir-faire transmis par le corps enseignant du Gymnase à Strasbourg dans les salles de classe, avec les savoir-être et d’autres savoir-faire transmis par les animateurs de la Croisée des Chemins dans les lieux de vie au fil du jour, peuvent faire société, dans une dimension protestante et « humaniste » – Et même envisager de sortir des murs pour être une proposition à la Cité).

- Développer la citoyenneté et la culture de l’engagement avec tous les partenaires de l’École Les Églises et les associations qui leur sont liées seront-elles considérées comme des « partenaires associatifs » potentiels, en particulier dans le cadre de la mobilisation de la « réserve citoyenne » évoquée au point 5 ? On pourrait imaginer que des associations comme la Cimade ou l’ACAT, ou même des institutions actives auprès des personnes handicapées ou âgées, puissent intervenir dans les établissements scolaires pour témoigner de leur engagement en faveur des personnes « différentes ».

-Combattre les inégalités et favoriser la mixité sociale pour renforcer le sentiment d’appartenance dans la République.

C’est certainement la meilleure partie du texte, avec les enjeux les plus décisifs.

L’insistance sur la maîtrise du français, la lutte contre le décrochage scolaire et la scolarisation des moins de 3 ans sont des mesures à encourager.

Au-delà de ces quelques remarques, voici cinq propositions ou pistes de réflexions:

1°)Il faut encourager et développer les occasions de rencontres et les opportunités pour établir un dialogue de toutes les familles de pensées(les autorités et les instances concernées sont ici notamment la mairie, la préfecture, l’éducation, le sénat, l’assemblée nationale, etc. Il s’agira de veiller à ne pas cloisonner ce dialogue en figeant à chaque fois une sorte de « front des religions » mais à le rendre pluriel, en partage avec d’autres acteurs de la société sur des sujets divers qui concernent l’ensemble de la société (élus, scientifiques, entrepreneurs, médecins, magistrats, etc.). De même, les auditions à l’assemblée ou au sénat, devraient permettre cette pratique de la diversité, évitant le « tunnel » religieux des auditions sans qu’aucun débat ne s’instaure.

2°)L’une des institutions dont la vocation pourrait élargir ce projet d’ensemble au plan national pourrait être le Conseil économique, social et environnemental. Sous ce terme de

« social » peut en effet se décliner sans difficulté toute la réalité cultuelle, religieuse et citoyenne portée par les différents cultes et les familles de pensée.

3°)Dans la perspective de cette prise en compte de la dimension large et transversale du fait religieux, et pour ne pas réduire sa gestion sous la seule rubrique de l’ordre public et de l’application de la loi 1905 (que les protestants sont quasiment les seuls à mettre en application), ne pourrait-on pas opérer un transfert au ministère de la justice ou plus simplement à une responsabilité interministérielle?

4°)Le sujet des jours fériés, pour symbolique qu’il soit, ne doit pas être tabou. Faire droit à un peu de nouveauté, organiser une concertation, tenir compte des évolutions (présence plus nombreuse de l’islam, moindre pratique religieuse, opportunité à saisir dans un calendrier qui, lui non plus, ne doit pas être sacralisé mais au service des citoyens, etc.).

5°)Le rendez-vous annuel instituéen 2002 entre l’Église catholique et le gouvernement a été l’occasion d’une surprise pour les protestants d’autant plus qu’il leur a été refusé lorsqu’ils en ont demandé un semblable. En quoi un rendez-vous avec les principaux cultes

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-(catholiques, protestants et orthodoxe, musulman, juif et bouddhiste) serait-il une entorse à la laïcité ? N’aurions-nous pas pu évoquer sans peine et dans les délais requis des questions vives dont la résolution ne nous a pas satisfait (toilettage de la loi 1905, projet de loi ESS, bons CAF, immobilier, etc.) ?

Par ailleurs, et pour finir, deux questions : la mise en place sans doute bienvenue d’un DU pour la formation à la laïcité des cadres religieux n’aurait-elle pas pu faire l’objet d’une information mieux partagée en amont, d’une concertation voire d’une sollicitation parmi d’autres, des ressources protestantes via la Fédération protestante de France ? Enfin, les propos du ministre de l’Intérieur évoquant son souhait, bien compréhensible, de créer une Fondation de l’Islam « à la frontière du cultuel et du culturel » (article dans Le Monde du 26 février), ne correspondent-ils pas exactement à ce que la Fondation protestante de France réalise déjà depuis plus d’une dizaine d’années, et dont il lui est parfois contesté la pratique ?

Je vous remercie de votre attention. »

Paris, le 17 mars 2015

Audition de M. Étienne Lhermenault,

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