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Actualité internationale de la laïcité (2014-2015)

Par M. Jean-Christophe Peaucelle, Conseiller aux affaires religieuses du ministère des Affaires étrangères

Le constat établi dans le premier rapport annuel de l’Observatoire de la laïcité (2013-2014) demeure parfaitement d’actualité. Il met, notamment en valeur :

L’importance du fait religieux dans les questions internationales.Cette réalité avait conduit le ministre des affaires étrangères à organiser en novembre 2013, en collaboration avec le CERI, un important colloque sur « Religions et politique étrangère ». Les actes de ce colloque ont été publiés à la fin de l’année 2014 aux éditions Odile Jacob, sous le titre « La diplomatie au défi des religions ». Depuis, l’actualité internationale n’a fait que confirmer ce constat, qu’il s’agisse de la victoire d’un parti nationaliste hindou aux élections législatives en Inde (avril-mai 2014) ou de l’évolution des crises au Moyen-Orient (émergence du prétendu

« État islamique », que nous appellerons Daech, en Syrie et Irak, affrontements entre chiites et sunnites au Yémen, impasse politique au Liban, due notamment à la division du camp chrétien…).

La très grande diversité des régimes constitutionnels et juridiques régissant les relations entre l’État et la religion,qui font de la laïcité une modalité parmi d’autres du mode de régulation de cette question sensible, y compris au sein de l’Union européenne et des pays démocratiques.

La difficulté récurrente de faire comprendre à l’étranger ce qu’est la laïcité française, trop souvent perçue comme une posture idéologique et politique hostile aux religions, bien plus que comme un dispositif juridique garantissant la liberté religieuse (liberté de croire ou de na pas croire, de pratiquer la religion de son choix, de ne pas avoir de religion ou de changer de religion) dans le respect de la loi et des libertés d’autrui. Ce malentendu est particulièrement évident lorsqu’il s’agit de certaines dispositions législatives françaises (loi de 2004 sur le port des signes religieux à l’école, loi de 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public) ou dans les débats internationaux relatifs à des thèmes tels que liberté religieuse vs liberté d’expression ou au respect des religions ou du sacré.

Sans prétendre à l’exhaustivité, il paraît utile de développer trois thèmes pour illustrer l’actualité de la laïcité dans l’espace international au cours des douze derniers mois.

I) La protection internationale des minorités

La conquête de la plaine de Ninive en Irak à l’été 2014 par le groupe terroriste Daech, a soumis les populations de la région à une violence extrême (assassinats, viols, enlèvements, pillages, conversions forcées). Si tous les civils sont victimes de ces exactions, certaines communautés sont plus précisément ciblées en raison de leur appartenance religieuse.C’est notamment le cas des

chrétiens, réduits à choisir entre la conversion, la mort ou l’exil, et des yézidis, menacés d’extermination.

La violence de ces persécutions est telle que c’est la survie même de certaines communautés, appartenant pourtant depuis des millénaires au patrimoine culturel et humain de ces régions, qui est menacée.

Devant cette situation, que le ministre des affaires étrangères et du développement international a qualifiée « d’entreprise barbare et systématique d’éradication religieuse et ethnique », la diplomatie française s’est mobilisée.Elle l’a fait au nom de ses relations anciennes avec certaines de ces communautés, en particulier les chrétiens d’Orient, mais aussi et surtout au nom de sa conception universaliste des droits de l’homme et de la dignité de la personne humaine ainsi que de sa conviction qu’il sera impossible de faire évoluer le Moyen-Orient vers plus de stabilité, de paix, de démocratie, de tolérance et de prospérité en laissant faire un tel projet d’épuration. Si les chrétiens d’Orient constituent la communauté (ou les communautés) les plus visiblement exposées, la France a pris soin de faire porter ses initiatives diplomatiques vers la protection de toutes les minorités persécutées au Proche-Orient.

C’est dans cet esprit que la France, qui présidait le Conseil de sécurité des Nations Unies en mars 2014, a pris l’initiative d’une réunion extraordinaire de cette enceinte, au niveau ministériel, pour mobiliser la communauté internationale en défense des minorités persécutées du Proche et Moyen-Orient. Le ministre des affaires étrangères et du développement international y a demandé qu’un plan d’action soit préparé par le Secrétaire général des Nations Unies, comprenant quatre volets :

Le renforcement de l’action humanitairepour venir en aide aux personnes victimes des exactions, aux réfugiés et aux personnes déplacées.

L’action militairepour vaincre les groupes terroristes et permettre le retour des réfugiés et des personnes déplacées.

L’action politique pour permettre la solution des crises régionales par la mise en œuvre de politiques inclusives ne marginalisant aucun secteur des populations concernées.

L’action judiciaire pour que les auteurs des exactions, dont certaines pourraient être constitutives de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité, aient à répondre de leurs actes.

Le souhait de la France est que ce plan d’action puisse être rapidement adopté par la communauté internationale.

II) La lutte contre la radicalisation religieuse

L’attrait exercé par Daesh sur de nombreux jeunes de confession musulmane, y compris de nationalité française, et les attentats des 7, 8 et 9 janvier commis sur le territoire français ont renforcé le caractère prioritaire de la lutte contre la radicalisation religieuse et l’extrémisme violent.

Cette politique doit être globale, allant de la prévention à la dé-radicalisation et couvrant de multiples domaines (police, renseignement, justice, éducation, information, etc…).

Cette politique nationale implique une coopération renforcée avec nos partenaires étrangers, en priorité européens ou occidentaux, mais aussi avec des pays musulmans soumis aux mêmes menaces extrémistes et dont les jeunes sont exposés aux mêmes séductions de la part des

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-mouvements terroristes. Elle comporte également un renforcement du dialogue avec les autorités religieuses françaises, notamment musulmanes. C’est l’objet du plan pour l’islam de France présenté le 26 février 2015 par le ministère de l’Intérieur.

Dans le même esprit, le gouvernement a souhaité développer le dialogue des pouvoirs publics avec les grandes autorités religieuses, notamment islamiques, dans le monde, afin d’échanger avec elles analyses et réflexions et de jeter les bases, quand cela apparaît possible et souhaitable, d’une coopération respectueuse de la séparation du politique et du religieux, dans divers domaines allant de la lutte contre la radicalisation à la formation civile et civique des imams. C’est ainsi que le conseiller pour les affaires religieuses du ministère des affaires étrangères et du développement international s’est rendu au cours des premiers mois de 2015 en Égypte, au Maroc et en Turquie, en compagnie du chef du bureau central des cultes du ministère de l’intérieur (pour ce qui est des deux premiers pays).

III) Défense et illustration de la laïcité à l’étranger

Les très nombreuses réactions aux attentats des 7, 8 et 9 janvier 2014, qu’elles émanent des autorités politiques ou des autorités religieuses, ont été unanimes à condamner ces attaques terroristes et l’emploi de la violence au nom de la religion. Cette unanimité n’aura duré qu’une semaine. En effet, la parution d’un numéro extraordinaire de Charlie Hebdo le 15 janvier, comportant des caricatures jugées offensantes pour l’islam, a suscité une vague de critiques à travers le monde et provoqué dans de nombreux pays des manifestations dont certaines ont dégénéré de manière très violente. Ces événements ont montré une nouvelle fois que la conception française de la laïcité et notre attachement à la liberté d’expression étaient souvent mal compris dans le monde et parfois instrumentalisés de manière hostile à notre pays. Il en résulte clairement qu’il est plus que jamais nécessaire d’expliquer ce qu’est la laïcitéet ce qu’elle n’est pas, ainsi que d’exposer les raisons qui nous poussent à attacher la plus grande importance à la liberté d’expression et à refuser, par exemple, la pénalisation du blasphème ou de l’atteinte au sacré en droit international.

Dans cet esprit, la diplomatie française reste mobilisée dans les enceintes multilatérales ou dans ses échanges bilatéraux avec ses partenaires,afin d’éviter la mise en place de dispositions normatives contraires à la liberté d’expression et à la séparation du religieux et du politique, tout en maintenant son combat en faveur de la liberté religieuse, consacrée par le droit international comme une des libertés fondamentales. Les ambassades, qui sont également invitées à expliquer nos positions sur ces sujets dans leurs contacts réguliers avec leurs interlocuteurs, ont reçu des argumentaires en la matière. Le réseau de l’Institut français est également invité, là où cela est souhaitable, à inscrire la laïcité au nombre des thèmes prioritaires traités au titre du débat d’idées.

Enfin, il convient de signaler que le premier rapport de l’Observatoire de la laïcité (2013-2014) a été communiqué à l’ensemble des postes diplomatiques et consulaires, qui ont été invités à le diffuser largement et à établir sur leurs sites internet un lien y menant.

Paris, le 10 mars 2015

Audition de M. Georges Pontier, Président

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