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1.3 Théories synchrones et asynchrones du fonctionnement cérébral

1.3.1 Les assemblées de neurones

Dans The organization of behavior [Hebb, 1949], Hebb a fourni un cadre général pour relier le comportement à l'organisation des réseaux neuronaux. L'édition originale qui date de 1949, indisponible depuis 1966, est reprise dans une nouvelle version [Hebb, 2002]. Dans cet ouvrage, Hebb a proposé l'idée de codage par assemblées de neurones. Il a postulé que l'activité d'une assemblée, en réponse à un stimulus, représenterait la perception de celui-ci. Cette théorie concerne principalement les réseaux de neurones massivement interconnectés, tels que ceux qui constituent le néocortex.

Une assemblée est un ensemble de neurones au sein duquel les connexions ont été renfor- cées par la plasticité synaptique. C'est dans ce contexte que Hebb a introduit la plasticité synaptique.

Lorsqu'un stimulus est appliqué sur un réseau de neurones, certains neurones sont préfé- rentiellement activés. La stimulation répétée de ces neurones entraîne le renforcement des synapses qui les relient. Ce processus a pour conséquence d'optimiser la communication entre les neurones de l'assemblée ainsi formée. Le renforcement serait tel, que toute l'assem- blée pourrait être activée même lors de la présentation partielle d'un stimulus. La mise en place des assemblées suppose donc que la répétition d'une stimulation induirait une  trace mnésique  dans le cerveau.

Les assemblées sont des structures dynamiques. Un neurone peut appartenir à plusieurs assemblées et peut participer à tout moment à une nouvelle assemblée traitant d'un ob- jet ou d'une propriété similaire. Suivant le moment considéré, un neurone peut donc être impliqué dans la représentation de diérents stimuli ayant des caractéristiques communes. Cette combinatoire, associée au très grand nombre de neurones qui constituent le cerveau, démultiplie les capacités de représentation des neurones, par rapport à des neurones qui seraient seulement conçus comme des unités de traitement indépendantes.

La théorie des assemblées permet de répondre au problème de liage (ou binding problem en anglais) [Von der Malsburg, 1987] [Von der Malsburg, 1995] [Von der Malsburg, 1999] (Fi- gure 1.15). De manière schématique, supposons des assemblées qui s'activent respecti- vement en réponse à la couleur  bleu , la couleur  jaune , la forme  rond  et la forme  carré . Lorsqu'un rond bleu est perçu, alors les assemblées  bleu  et  rond  sont toutes deux activées. Maintenant, si un rond bleu et un carré jaune sont perçus si- multanément, les quatre assemblées s'activent. On parle alors de superposition catastro- phique [Von der Malsburg, 1999] : l'activité simultanée de ces assemblées peut tout autant représenter un rond bleu et un carré jaune qu'un rond jaune et un carré bleu. Les diérentes caractéristiques doivent donc être correctement combinées pour représenter le stimulus de manière cohérente. Un moyen de résoudre ce problème est l'hypothèse de liage par syn-

chronisation temporelle [Singer and Gray, 1995]. Selon l'hypothèse de liage temporel, les assemblées activées par les caractéristiques d'un même percept seraient liées par les temps d'émission des spikes. En reprenant l'exemple précédent, si un rond bleu et un carré jaune sont perçus simultanément, les temps des spikes émis par les neurones de l'assemblée  rond  seraient corrélés au temps de ceux émis par l'assemblée  bleu . Par ailleurs, il y aurait également une corrélation temporelle entre les neurones de l'assemblée  carré  et ceux de l'assemblée  jaune . Ainsi, les caractéristiques des percepts  rond bleu  et  carré jaune  ne seraient pas confondues (Figure 1.15).

Figure 1.15  Représentation schématique du problème de liage (binding problem). L'hypothèse de liage par synchronisation temporelle permet de regrouper les assemblées activées par des carac- téristiques liées à un même percept : les temps d'émission des spikes (représentés par des barres verticales) sont alors synchronisés à l'échelle de quelques millisecondes (1 à 30). Ici, quatre assem- blées sont respectivement activées par les formes  carré  ou  rond  et par les couleurs  jaune  ou  bleu . Lors de la présentation simultanée d'un carré jaune et d'un rond bleu, les quatre assem- blées sont donc activées. La cohérence de l'interprétation repose sur la synchronisation de neurones des assemblées  carré  et  jaune  en parallèle de la synchronisation de neurones des assemblées  rond  et  bleu , constituant, par dénition, de nouvelles assemblées.

Finalement, c'est la corrélation des temps précis d'émission des spikes qui per- mettrait de dénir les neurones temporairement engagés dans l'activation d'une as- semblée. Cette hypothèse est appuyée par de nombreuses observations expérimen- tales [Gray et al., 1989] [Gray and Singer, 1989] [Engel et al., 1992] [Singer et al., 1997] [Gray, 1999] [Grammont and Riehle, 1999] [Grammont and Riehle, 2003]. En 1989, les ex- périences de Charles Gray et Wolf Singer ont permis de mettre en évidence la synchro- nisation des neurones ayant le même champ récepteur dans le cortex visuel primaire du chat, lors de la présentation d'une barre lumineuse se déplaçant dans leur direction préfé- rentielle [Gray and Singer, 1989]. Le champ récepteur d'un neurone correspond simplement au stimulus qui déclenche son activation. Chez le singe, il a été montré que lorsque deux barres ayant des orientations diérentes sont présentées, les neurones sont activés indépen- damment en fonction de leurs champs récepteurs, mais aucune synchronisation n'est ob- servée entre eux. Au contraire, lorsqu'une unique barre ayant une orientation à mi-chemin entre les deux champs récepteurs est présentée, les neurones sont activés et se synchro-

nisent [Singer et al., 1997]. Cette observation corrobore également l'idée d'appartenance dy- namique des neurones aux assemblées.

Le liage temporel est donc un moyen d'étiqueter les neurones comme appartenant à une même assemblée à un temps donné. Cette signature permettrait un traitement non ambigu des signaux et la représentation cohérente des percepts. Ceci suppose notamment que la synchronisation des neurones soit détectée et interprétée [Singer et al., 1997]. Cette suppo- sition est longtemps restée controversée, mais elle est cependant soutenue par de multiples observations qui suggèrent que les neurones sont eectivement capables d'évaluer, avec une grande précision, les relations temporelles parmi les signaux qu'ils reçoivent en agissant comme des détecteurs de coïncidence [König et al., 1996] [Singer et al., 1997] [Sakurai, 1999] [Gerstner and Kistler, 2002]. Par exemple, pour localiser les sons, les neurones du noyau auditif du tronc cérébral sont capables d'évaluer le délai entre les signaux provenant des deux oreilles avec une précision de l'ordre de la microseconde [Grothe, 2003] [Köppl, 2012] [Klug and Albrecht, 2015].

La synchronisation pourrait avant tout jouer un rôle dans la création de nouvelles as- semblées et dans les processus associatifs. Dans ce contexte, une assemblée de neurone est souvent caractérisée par la fameuse expression  neurons that re together, wire to- gether  [Lowel and Singer, 1992] qui signie que des neurones qui s'activent ensemble se connectent entre eux.

Dans ses travaux, Hebb a également proposé l'existence de phase-sequences en postulant que l'activation d'une assemblée pourrait déclencher l'activation séquentielle d'autres as- semblées. C'est ce mécanisme qui serait à l'origine des fonctions cérébrales complexes. L'ac- tivité d'une assemblée pourrait ainsi être la réponse à des stimuli externes (sensoriels) ou internes (autres assemblées) [Almeida-Filho et al., 2014]. Cette idée a ensuite été formalisée par Moshe Abeles sous le nom de synre chains [Abeles, 2012].

Finalement, la théorie des assemblées de neurones est une vision synchrone du fonction- nement cérébral. Les neurones associés à la représentation d'un percept ou à une tâche donnée seraient dénis par la corrélation temporelle de leurs activations. Cependant, à une échelle plus ne, la théorie des assemblées suppose également un mécanisme asynchrone de l'activation des neurones.