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Aspects de l’identité agudà

La « question de base de l’identité Agudà »

Suite au récit historique ci-dessus, une question prend forme : pour quelle raison les Agudàs ont-ils la nostalgie d’une terre, le Brésil, où ils ont été esclaves ? Il s’agit évidemment d’une question fondamentale ici : pourquoi attribuent-ils une référence « positive » et bienveillante au Brésil, terre où leurs aïeux ont été esclaves, et de quelle façon cette référence s’exprime-t-elle ?

Je cherche ici à amorcer quelques éléments pour entamer un processus de compréhension des enjeux et des réponses possibles à cette question. Plusieurs retournés étaient des individus qui avaient réussi à grimper l’échelle sociale au Brésil, en devenant libres par leurs propres efforts ou mérites ; cela toujours à l’intérieur du cadre des règles du système esclavagiste. Encore résidents au Brésil, plusieurs ont prospéré et réussi à acheter des esclaves à leur tour, une pratique très courante au Brésil de l’époque292. Dans quelques cas, ces esclaves auraient été revendus par leurs maîtres africains affranchis dans le cadre d’un projet de retour en Afrique293. Pour être en mesure de payer le prix élevé du voyage de retour vers l’Afrique – souvent pour toute une famille – l’individu devait être en mesure de réaliser des économies et acquérir une certaine prospérité. Pour ces individus, le Brésil n’était pas seulement une terre de souffrance ; il était aussi une terre de réussite sociale et économique.

Si d’une part on peut dire que ces premiers retournés Agudàs étaient nostalgiques d’un certain « éthos brésilien294 », d'autre part ils étaient peut-être nostalgiques de leur jeunesse, même si celle-ci avait été vécue en partie dans la captivité. En tout cas, c’est bien une nostalgie du Brésil qui a été transmise au travers des générations. Le Brésil des Agudàs a toujours été un Brésil fantasmé, nourri par un vocabulaire spécifique, par des

292 C.f. Klein et Luna (2010).

293 Castillo (2016).

294 Ethos ici comme une façon de faire dans un « esprit brésilien » ; notion évidemment discutable ainsi que malléable.

chansons et des danses, par des références à des modèles d’une certaine occidentalité qui devaient marquer leur différence d’origine envers ceux qu’ils appellent curieusement « les Africains ». Si d’un côté, certains de ces marqueurs identitaires ont décliné en consistance depuis les dernières décennies (car, comme certains Agudàs le disent, « aujourd’hui tout le monde vit à l’occidentale »), en revanche les fantasmes sur le Brésil sont nourris par le carnaval, le football et les télénovelas brésiliennes vues à la télé. De nos jours, les Agudàs présentent encore une remarquable cohésion identitaire qui demeure néanmoins une référence « supra-ethnique », « supra-religieuse » et même « supra-nationale », comme c’est le cas de diverses familles à cheval entre le Bénin et le Togo295. On trouve des Agudàs catholiques et musulmans, souvent au sein de la même famille, et plusieurs individus pratiquent d’une façon concomitante des rites traditionnels et/ou vodoun.

Ni la désignation d’« Agudà » ni celle de « Brésilien » ne sont officiellement considérées au Bénin comme correspondant à des « ethnies296 ». Toujours est-il que, dans l’usage quotidien, on les utilise comme des dénominations d’origine et d’appartenance, et aussi pour certaines expressions culturelles. Dans la pratique, « Agudà » et « Brésilien » sont utilisés de la même façon qu’on se sert des ethnonymes dans les régions concernées : en faisant référence à une ancestralité. Ces deux termes évoquent, de façon spontanée dans le discours de mes interlocuteurs, des notions telles que « famille », « héritage », « tradition » et « culture » (exprimées exactement avec ces mots). Cependant, dans un processus assez particulier, les premiers Africains retournés n’avaient pas oublié leurs origines : ils avaient superposé – quand et si cela leur convenait – cette identité brésilienne à celle de leur naissance, et cette combinaison pouvait varier encore selon les alliances familiales. Nous avons ainsi aujourd’hui des « Agudàs-goun », des « Agudàs-yoruba », des « Agudàs-mina297 », etc., ainsi que des nuances et intersections linguistiques et identitaires de toutes sortes ; l’identité agudà est quelque chose qu’on peut superposer à d’autres appartenances, et

295 Comme par exemple chez les familles Amorin et De Souza.

296 Cf. le website officiel de la République du Bénin : http://www.gouv.bj/communes/porto-novo

297 Ce sont des termes que je propose dans le but de faire un raccourci explicatif ; il ne s’agit pas de termes emic. Localement on entend des phrases du genre : « Je suis Agudà, mais je suis fon aussi » ou « Je suis Brésilien, mais je suis goun ».

ainsi « jouer socialement298 ».

De nos jours, les Agudàs continuent à être fiers de porter un patronyme luso-brésilien et de revendiquer une identité brésilienne. Ils le signalent publiquement avec des groupes de musique, de danse et des sorties de masques : ce sont les bourians. Soient-ils catholiques, musulmans, pratiquant des cultes traditionnels ou de l’Église du Christianisme Céleste299, les Agudàs du Bénin continuent à fêter la bourian ensemble en chantant des chansons dans une langue portugaise qu’ils n’arrivent plus à comprendre. Tous ces enjeux liés à l’histoire et l’identité agudà sont particulièrement visibles à l’occasion de la fête du Bonfim à Porto-Novo, où la bourian prend une place centrale.

À quoi peut renvoyer la bourian dans l’imaginaire agudà

La fête de la bourian est perçue comme l’emblème public des Agudàs et comme un moment d’affirmation identitaire. « C’est notre culture », « c’est notre sang », « ce sont nos ancêtres » disent les Agudàs à son sujet. La bourian, avec ses masques et ses rythmes de « marcha » ou « samba », traverse la ville en cortège et occupe la place principale de Porto-Novo une fois par an, pendant la fête du « saint300 » le plus populaire de Salvador de Bahia, au Brésil, d’où la plupart de leurs ancêtres sont supposés être « originaires ». Il s’agit de la fête de Notre Seigneur du Bonfim, « le jour de l’orgueil d’être Brésilien » pour les Agudàs de la ville de Porto-Novo, une occasion où la bourian joue un rôle essentiel.

Outre d’animer la fête du Bonfim, le groupe de bourian de Porto-Novo peut aussi éventuellement participer au défilé officiel de la fête de l’Indépendance du Bénin, diffusé par la télé à l’ensemble du pays. Il est également possible d’acheter la prestation d’une sortie bourian du groupe de Porto-Novo ou de n’importe quel groupe de bourian d’aujourd’hui pour animer les funérailles dans une famille brésilienne ou alliée, et cela

298 « Jouer socialement », expression que je propose ; il est question de jouer sur les liens, les appartenances et les pratiques, les évoquer ou les nuancer selon la situation. Ces manœuvres au niveau identitaire peuvent être bien saisies à la lumière des idées de Fredrik Barth (1969), d’Erving Goffman (1956) et de la notion de Cultural Intimacy de Michael Herzfeld (2005).

299 Lors de la Fête du Bonfim à Porto-Novo (2015), j’ai pu rencontrer une branche d’une famille Agudà (De Campos) qui faisait partie de l’Église du christianisme céleste, un des membres avait même une haute position dans l’hiérarchie de l’église.

300 « Saint » est ici mis entre guillemets car il ne s’agit pas d’un saint à proprement parler, mais d’une forme d’adoration de Jésus-Christ.

dans pratiquement toute la partie la plus au sud du Bénin, ainsi que dans une frange du Togo. La bourian béninoise, pour essayer de la décrire en quelques mots, se présente comme un petit groupe de carnaval masqué constitué généralement de quinze, vingt, voire une trentaine de personnes, incluant des musiciens, chanteurs, choristes, porteurs de masques, danseurs et organisateurs. Néanmoins, « un petit groupe de carnaval masqué » est juste une impression générale qu’un observateur pourrait saisir dans un premier regard. En fait, je pourrais dire que le but principal de ce travail de thèse est justement de montrer que la bourian n'est pas cela, ou mieux dit, n’est pas que cela, et montrer les déploiements possibles de l’« objet au premier coup d’œil ».

Les sorties de bourian se passent à l’intérieur d’un cadre social où existent diverses autres sorties de masques ou manifestations similaires qui se côtoient au quotidien, partageant les espaces urbains du Bénin méridional. La bourian est donc quelque chose qui s’expose et que l’on expose, et qui fait partie du « paysage » des masques et des musiques de la région.

« Bourian » est un mot issu de la langue portugaise à savoir, « burrinha », qui veut dire « petite ânesse ». Inutile de proposer une transcription phonétique unique, puisque les intonations du mot « bourian » varient au Bénin. Sur le terrain, on s’aperçoit que ces intonations ne varient pas substantiellement selon les régions, mais présentent une tendance qui semble varier plutôt selon les classes d’âge, les générations. Les plus jeunes, c'est-à-dire la génération autour de la quarantaine, ont tendance à prononcer « bourian », accentué sur la dernière syllabe, ce qui, à mes oreilles de Brésilien, donc lusophone de langue maternelle, sonne comme étant une prononciation plutôt « à la française ». Les Agudàs les plus âgés, notamment ceux qui étaient les plus investis dans le milieu des familles d'origine brésilienne dans leur jeunesse, ont une tendance à prononcer « bourian », le « rian » dit d’une manière rapide301. Ce dernier accent est ce qu'on trouve de nos jours dans les milieux les plus populaires de la région de Salvador de Bahia, au Brésil, ainsi qu’à ses alentours (région du Recôncavo bahianais302). D’autre

301 D’ailleurs, si comme on l’a dit, au Bénin et au Togo, la syllabe « rian » de « bourian » est toujours courte, au Brésil actuel elle est longue, telle que « bouriyan ».

302 Plusieurs parmi les Agudàs plus âgés roulent le « r » de bourian, comme c’est le cas de Maître Amorin, né en 1918 au Togo (entretien fait à Cotonou en octobre 2013). Par conséquent, même en prenant garde aux fréquents maniérismes vocaux de ce type, je ne peux pas m’empêcher de renvoyer à la

part, le parler est très influencé au Brésil par les langues africaines, soient-elles du tronc linguistique bantu ou celles du golfe du Bénin303 et les mots issus de la langue portugaise conservés par les Agudàs sont des objets très éloquents. À ce propos, la question du « retour linguistique » d’un « portugais brésilien africanisé » au Bénin et au Togo est beaucoup plus visible (ou mieux dit : audible) que celle du retour des religions afro-brésiliennes dans ces mêmes pays par le biais des Agudàs304. Ce retour religieux, un retour du sacré, est une idée qui peut parfois être fantasmée au Brésil305. Ce phénomène religieux ne semble pas avoir été spécialement marquant en ce qui concerne le Bénin et le Togo, et cela peut être décevant pour certains Brésiliens qui avaient des expectatives – peut être un peu teintées de romantisme – sur le sujet306.

façon de prononcer les « r » dans les vieux enregistrements des chansons populaires au Brésil au tout début du XXe siècle. Le meilleur exemple est celui de la première chanson enregistrée au Brésil, en 1902, « Isto é bom » (ça c'est bon), interprété par le chanteur Bahiano (Bahianais). Il est, comme son nom de scène l’indique, effectivement né à Bahia en 1870, dans la ville de Santo Amaro, dans la région du Reconcavo Bahianais, selon Cravo Albin (2016).

D’autre part, on sait que plusieurs retournés, disons, des « futurs Agudàs », sont issus de cette même région ; Verger (1968 : 632) donne l’exemple de Maria dos Anjos, arrivée à Lagos en 1899. Bahiano est donc contemporain, en temps et lieu, des potentiels retournés.

J’ai eu l’opportunité de faire des recherches dans la ville natale de Bahiano, Santo Amaro, où j’ai réussi à retrouver une chanson chantée de nos jours par la bourian au Bénin (entretien avec Mestre Primeiro, 6/2/2014). La même chanson a été aussi enregistrée en 1950 à Paris, par un Béninois identifié seulement comme étant « petit-fils d’un esclave retourné du Brésil » ; mes recherches indiquent qu’il s’agit très probablement de Casimir d’Almeida (basé sur divers entretiens avec Mme Patterson et Auguste Amaral à Porto-Novo). Disponible sur le website du CREM :

(http://archives.crem-cnrs.fr/archives/items/CNRSMH_I_2008_008_001_17/).

Je dois mentionner que quelque chose de curieux s’est passé avec cette archive audio : je la connais depuis 2012. Cependant le chanteur n’était pas identifié par son nom. Pour cette raison je me suis efforcé de découvrir à qui appartenait cette voix. Quelle fut ma surprise quand j’ai accédé au même fichier du site du CREM le 20/8/2016 et vu qu’y apparaît alors une désignation d’interprète, « Casimiro d’Almeida ». Au moins, cela avait rejoint ce que j’avais conclu sur le terrain.

303 Scarrone (2015), entretien avec Yêda Pessoa de Castro (linguiste et africaniste brésilienne), « La langue qu’on parle est culturellement noire ».

304 Castillo et Parès (2015) ont trouvé une exception (ou peut-être un premier cas parmi d’autres qui pourront être découverts) : vers 1841, s’installe à Ouidah, venu de Bahia, l’Africain Ijeshà José Pedro Autran. Sa femme Iyá Nasso et lui étaient les hauts dignitaires d’une importante maison candomblé lié au culte de l’Orisha Shango à Bahia. José crée une maison à Ouidah (appelée Villaça ou Kilofè) où il pratique le même culte. La maison est en activité encore de nos jours. Le couple José-Iyá était aisé, et les auteurs ont trouvé des registres de 22 esclaves de leur propriété à Bahia entre 1822-37.

305 Comme c’était le cas de l’hommage aux Agudàs fait en 2003 par l’école de samba Unidos da Tijuca de Rio de Janeiro, où cette thématique apparaît. Il ne s’agit pas d’ailleurs du seul hommage fait aux Agudàs par une école de Samba à Rio : selon Guran (2010 :48) en 1984 l’école Quilombo l’avait déjà fait.

306 Je dis bien au niveau local au Bénin et au Togo, car l’aller-retour en Afrique de certains individus adeptes des religions afro-brésiliennes est un fait remarquable au Brésil, contribuant aussi au phénomène de « réafricanisation » au Brésil, phénomène de longue haleine cf. Parés (2006). Castillo (2012) aborde la famille Bangboshè/Martins dont une partie est retournée à Lagos et une autre restée à Bahia, les contacts et les allers-retours perdurent jusqu’à nos jours. La famille est très impliquée dans les cultes religieux yorouba ou afro-brésilien des deux côtés de l’océan. Moi-même j’ai pu rencontrer personnellement

La « Bourian » au Bénin, est la fête emblématique des Brésiliens du Bénin. Une fête que présente un groupe de musiciens-chanteurs et une sortie des personnages masqués qui dansent et, selon le moment et le personnage, peuvent se lancer sur les spectateurs, qui alors crient, se bousculent et courent, toujours au son de la musique jouée par des musiciens dans une cour de maison, une place, une rue secondaire. La bourian peut, en des situations déterminées, sortir en forme de cortège, réalisant un défilé à travers les rues du quartier ou de la ville, ce qui est habituellement appelé « carnaval ». Parmi les principaux masques présentés il y a le masque-costume fait à la façon d’un cheval-jupon avec l’apparence d’une ânesse, d’un âne ou d’un cheval. J’écris ici masque et costume avec un trait d’union car au Bénin ces deux pièces forment un « ensemble opérant » dans la bourian.

Au Brésil, on trouve de nos jours quelques ensembles festifs réunis autour d’un costume d’âne en forme de cheval-jupon, soit les groupes de « Burrinha », spécialement à Bahia. Cependant, on retrouve le cheval-jupon comme un personnage parmi d’autres dans diverses fêtes populaires bien plus répandues307. Comme j’essaie de le démontrer, la bourian béninoise est, à un certain niveau, plus complexe que son homophone (ou quasi-homophone) bahianais contemporain, puisqu’elle englobe d’autres manifestations qui se produisent au Brésil et en Afrique, en plus d’avoir acquis une dimension identitaire clairement différente. Dans ce sens, j’irais dans la direction opposée aux premiers propos de Bastide (2002 [1958]), qui suggérait alors que la bourian africaine serait une simplification d’une danse dramatique brésilienne, le Cavalo-Marinho (le cheval-marin), existante dans l’État brésilien du Pernambouc. Le point de départ de ce propos de Bastide est le constat de que la bourian, contrairement au Cavalo-Marinho, n’a pas de texte destiné à être récité ou joué ; elle n’est pas un récit (ne raconte pas une histoire linéaire), et présente moins de personnages que la danse dramatique de Pernambouc en question. En résumé, je vois la bourian plutôt comme une manifestation

plusieurs chefs de culte brésiliens qui sont allés au Bénin, comme Paulo de Ogum (Piabetá - Rio de Janeiro) ; Mãe Sonia (Itaperuna - Rio de Janeiro) ; Pai Euclides Talabyian (São Luís - Maranhão) et Balbino (Lauro de Freitas - Bahia). D’autre part, dans l’ouvrage de Reis, Gomes et Carvalho (2010), on trouve aussi une dynamique bien différente de « réafricanisation », cette fois au sein de la religion musulmane dans le Brésil du XIXe siècle.

dont le sens a été « amplifié » en Afrique, et non comme dans les propos initiaux de Bastide, qui la voyait comme une manifestation qui avait « perdu » des éléments, ce qui amènerait à voir la bourian béninoise comme une forme de danse dramatique brésilienne « boiteuse ». Ces énoncés seront traités plus loin dans ce travail.

La compréhension de l’amplitude du phénomène de la bourian et de l’identité agudà passe par une étude de certains termes. Je les aborderai ainsi que quelques aspects du contexte dans lequel s’insèrent les objets de cette recherche.

Parenté et nuances dans les acceptions du terme « Agudà »

Au Bénin, la dénomination « Agudà » peut être utilisée dans plusieurs acceptions différentes : on se dit « Agudà » ; on se dit « fils d’Agudà » ; et surtout, on parle des « anciens », « vieux » ou « grands » Agudàs, selon le contexte308.

En ce qui concerne les deux premières acceptions, se dire « Agudà » ou « fils d’Agudà » revient presque au même. Si l’individu est directement issu d’un Agudà par lignée paternelle, il est automatiquement « Agudà » ; il s’agit ici d’une nette patrilinéarité, aspect de la parenté qui prédomine dans la région. À Porto-Novo et ses environs, on se sert souvent de l’expression en Yorouba « ómò agudà », qui veut dire, littéralement « fils d’Agudà ». Il s’agit d’une formule très courante, « ómò » (fils ou enfant) + l’objet, qui veut dire également « naturel de » ou « originaire de », comme dans « ómò Adjachè » (littéralement « fils de Porto-Novo ») pour celui qui est naturel de la ville de Porto-Novo (Adjachè en Yorouba). Être « fils d’Agudà », dans cette première acception, est donc une situation très bien définie qui impliquera le fait de porter, dès la naissance, un patronyme à consonance luso-brésilienne hérité du père309 ; l’individu sera donc ce que j’appellerais « explicitement Agudà ».

D’autre part, une personne peut se revendiquer Agudà – quand cela lui semble convenir

308 On ne rentrera pas ici dans la discussion sur l’origine du terme « Agudà ». Tout amène à croire qu’il s’agit d’une corruption de « ajudà », issu du nom du fort portugais São João Baptista de Ajudá (Saint Jean Baptiste de l’aide), dans la ville appelée localement de Glexwé (Ouidah). Pour cette discussion Cf. Silva (2004 ch.10).

309 « Luso » est le préfixe qui fait référence à la fois au pays du Portugal, mais aussi à la langue portugaise. Nous avons ainsi les pays lusophones (qui parlent portugais), de la même façon que les pays francophones, anglophones, etc.

– par lignée maternelle. Sur le terrain, l’individu l’annonce généralement d’une façon claire lors des tous premiers contacts avec moi. Dans ce genre d’occasions, déclarer « je ne porte pas un nom [patronyme] agudà, mais ma mère est Agudà » revient à dire « mon grand-père maternel est (ou était) un Agudà ». Par conséquent, le nom de jeune fille de la mère serait dans ce cas un nom à « consonance luso-brésilienne », et normalement ce nom sera spontanément mentionné lors d’une référence à cet individu, soit-elle orale ou écrite, avec la formule donnée dans l'exemple suivant : « Mme Amégan [nom local],