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2.1.1 La naissance et l’ˆage d’or de la LSF

Il est extrˆemement difficile pour un enfant n´e sourd d’apprendre `a manier convenablement la langue vocale qui l’environne car il n’y a pas acc`es par le biais de l’audition. Les Langues des Signes peuvent donc ˆetre consid´er´ees comme un mode de communication naturel utilis´e par les sourds pour exploiter le canal visuo-gestuel dont ils disposent. Le fait que les modalit´es de cette langue soient diff´erentes de celles des langues vocales ne remet pas en cause son statut de langue dans la mesure o`u elle en remplit toutes les fonctions et o`u elle est capable de v´ehiculer un message de complexit´e identique.

Si cette id´ee semble de plus en plus accept´ee `a notre ´epoque, il aura fallu plusieurs si`ecles pour que la LSF gagne peu `a peu ce statut de langue. Dans la Gr`ece antique o`u le mot “logos” d´esignait `a la fois la notion de pens´ee et de parole, le sourd qui ne pouvait pas manier une langue vocale ´etait consid´er´e comme incapable d’exprimer sa pens´ee de mani`ere intelligible. Cet h´eritage permet certainement d’expliquer pour- quoi les gesticulations des sourds ont ´et´e consid´er´ees au moyen-ˆage plus comme une preuve de folie ou de manque d’intelligence que comme un moyen de communication gestuel d’une rare sophistication.

Il faudra attendre la renaissance et le si`ecle des lumi`eres pour que l’id´ee que les Langues des Signes constituent bien des langues `a part enti`ere voit le jour. On pourra d’ailleurs lire dans les ´ecrits de Montaigne datant du XV Ie si`ecle : “Nos muets discutent et content des histoires par signes. J’en ai vu de si souples

et form´ees `a cela qu’`a la v´erit´e, il ne leur manque rien `a la perfection de se faire entendre”. D`es lors, il parait possible d’utiliser cette langue pour ´eduquer les enfants sourds. Les premi`eres tentatives ont pour but d’utiliser les signes pour apprendre aux enfants `a oraliser.

La premi`ere utilisation attest´ee d’une langue des signes comme langue d’enseignement est l’oeuvre d’Etienne de Fay (1610-1750), un sourd d’Amiens. Il s’agit l`a d’un cas isol´e et il faudra attendre l’inter- vention de l’Abb´e de l’Ep´ee (1712-1789) pour que l’´education en langue des signes ait lieu `a plus grande

´echelle. Sa m´ethode est bas´ee sur l’observation des signes utilis´es par les enfants sourds, et la consignation de ces signes par ´ecrits. Il ajoute ´egalement d’autres signes correspondant `a des mots du franc¸ais comme les articles, pr´epositions, verbes d’´etats . . . Ces “signes m´ethodiques” ajout´es artificiellement aux langues gestuelles ´etaient sens´es permettre un apprentissage plus ais´e du franc¸ais ´ecrit. Leur utilisation fut un ´echec, car ils sont en opposition avec la grammaire naturelle spatiale de la LSF. La m´ethode de l’Abb´e de l’Ep´ee fait ´ecole en Europe et se propage rapidement `a la fin du 18`eme si`ecle.

Les successeurs de l’Abb´e de l’Ep´ee abandonnent progressivement les signes m´ethodiques pour une sorte de franc¸ais sign´e, pour revenir enfin `a une Langue des Signes plus naturelle. Certains sourds de- viennent enseignants. On pourra citer par exemple Jean Massieu (1772-1846), Laurent Clerc (1785-1869) et Ferdinand Berthier (1803-1886).

En 1817, apparaˆıt grˆace `a Roche Ambroise Auguste B´ebian (1786-1834), enseignant `a l’Institut Na- tional des Jeunes Sourds de Paris, le concept r´evolutionnaire d’´education bilingue. La LSF est la premi`ere langue des sourds et sa maˆıtrise permet l’apprentissage ult´erieur du franc¸ais ´ecrit. Petit `a petit, en raison du manque de professeurs maˆıtrisant la LSF et de l’id´ee qui se r´epandait que la langue des signes favorisait le repli de la communaut´e sourde sur elle-mˆeme et empˆechait l’apprentissage du franc¸ais, les p´edagogies oralistes (bas´ees sur le franc¸ais oral) se substituent aux p´edagogies bilingues.

2.1.2 Le congr`es de Milan et ses cons´equences

En 1880, le congr`es de Milan r´eunit 164 participants (dont deux sourds) impliqu´es dans l’´education des sourds. Suite `a des d´emonstrations savamment organis´ees pour d´emontrer l’efficacit´e de la m´ethode oraliste, la Langue des Signes Franc¸aise est officiellement interdite en France.

En 1909, le psychologue Binet, ´ecrit un article, apr`es enquˆete, sur les r´esultats de la m´ethode orale pure sur le terrain franc¸ais. Il conclut en soulignant l’´echec total de cette p´edagogie. En effet, aucune socialisa- tion ne s’effectuait tant dans un milieu entendant que dans un milieu sourd. De plus la lecture labiale ´etait restreinte au cercle familial [Bin09].

L’interdiction de la langue des signes a eu plusieurs cons´equences dramatiques. La premi`ere d’entre elle se trouve certainement au niveau de l’´education des sourds. Comme le faisait d´ej`a remarquer Ferdinand Berthier (professeur sourd) en 1853 : “Si l’´education des sourds-muets devait se r´esumer dans l’articulation, la lecture sur les l`evres ou mˆeme la dactylologie, on ne pourrait commencer `a leur enseigner une science [...] que lorsqu’ils seraient assez avanc´es dans l’´etude de la langue pour comprendre les explications qu’on aurait `a leur donner par cette voie”. L’´education des sourds ´etant focalis´ee sur l’oralisation, le niveau de culture des enfants sourds scolaris´es durant la premi`ere moiti´e du XXi`eme si`ecle reste donc assez faible. La deuxi`eme cons´equence concerne la perte d’identit´e culturelle de la communaut´e sourde dont la langue est l’un des piliers, mˆeme si la Langue des Signes Franc¸aise a toujours continu´e `a ˆetre pratiqu´ee hors des

institutions (et en cachette dans les institutions) jusqu’`a sa r´eintroduction officielle dans l’´education. Une autre cons´equence qui nous touche de plus pr`es est le caract`ere r´ecent de la recherche sur la LSF. Ceci explique le peu d’ouvrages sur la grammaire de cette langue et le peu d’outils linguistiques adapt´es `a son ´etude.

2.1.3 La LSF aujourd’hui

Si c’est par l’´education que la Langue des Signes Franc¸aise est n´ee puis s’est d´evelopp´ee, c’est aussi par elle que le probl`eme de Langue des Signes est repos´e `a la fin du XXi`eme si`ecle.

En 1991, la loi Fabius reconnaˆıt aux familles “la libert´e de choix entre une communication bilingue - langue des signes et franc¸ais - et une communication orale” dans l’´education des jeunes sourds. Plus r´ecemment, les d´ecrets du 21 d´ecembre 2005 (n˚2005-1617) sur l’am´enagement des concours, la circulaire du 27 mars 2006 (n˚2006-051) sur l’enseignement de la LSF `a titre optionnel et le d´ecret du 3 mai 2006 (n˚2006- 509) sur le parcours scolaire des jeunes sourds r´eaffirme l’importance de la place de la Langue des Signes Franc¸aise dans l’enseignement.

Parall`element, la loi sur l’´egalit´e des droits et des chances, la participation et la citoyennet´e des personnes handicap´ees du 11 f´evrier 2005 reconnaˆıt enfin la Langue des Signes Franc¸aise comme une langue `a part enti`ere et stipule que “toute personne sourde b´en´eficie du dispositif de communication adapt´e de son choix”, devant les juridictions administratives, civiles et p´enales. Elle r´eaffirme le droit des familles de choisir une ´education bilingue et pr´ecise que ce droit concerne aussi le parcours scolaire. Il revient donc `a l’´education nationale de mettre en place des dispositifs bilingues ainsi qu’une p´edagogie adapt´ee.

Actuellement, la libert´e de choix de langue d’enseignement reste difficilement applicable car le nombre d’´etablissement bilingues (Franc¸ais - LSF) reste de loin insuffisant par rapport au nombre de demandes de scolarisation des familles. L’accessibilit´e devient encore plus probl´ematique dans les ´etablissements sup´erieurs o`u les interpr`etes ne sont pas assez propos´es aux ´etudiants sourds.

De mˆeme, l’accessibilit´e des diff´erentes administrations aux personnes sourdes signantes peut encore ˆetre beaucoup am´elior´ee, mˆeme si des progr`es sont d´ej`a effectu´es en la mati`ere avec la formation du personnel charg´e de l’accueil ou avec les dispositifs de t´el´e-interpr´etation.

Il n’en demeure pas moins que le r´ecent changement de statut de la LSF fait ´emerger de nombreux besoins dans plusieurs domaines :

Au niveau de l’enseignement en LSF , les enseignants manquent d’outils p´edagogiques adapt´es `a la trans- mission d’un savoir en langue des signes. Il est n´ecessaire de chercher avec eux des solutions pour fabriquer des supports p´edagogiques bilingues, commenter un document en LSF, ou corriger une production sign´ee.

Au niveau de l’enseignement de la LSF , les besoins sont aussi colossaux. En effet, les outils consacr´es aux langues vocales et ´ecrites ne sont pas forc´ement transposables `a cause de la nature spatiale des

Langues des Signes. Il faut donc inventer des outils plus visuels pour rendre compte de la grammaire des Langue des Signes et inventer de nouveaux outils p´edagogiques (notamment pour repr´esenter le lexique).

Au niveau de la diffusion de la LSF . Vu le nombre d’interpr`etes et le faible nombre de sourds signants, il n’est pas r´ealiste d’affecter un interpr`ete dans chaque lieu recevant du public. Des solutions sont alors `a trouver pour avoir acc`es `a une interpr´etation du message `a la demande. Actuellement, diff´erentes soci´et´es (Websourd, Tadeo et Viable) d´eveloppent dans cette optique des outils pour la t´el´e-interpr´etation. Lorsque le type de message devient r´ecurent comme dans les gares SNCF, il est possible de g´en´erer automatiquement des messages par le biais d’avatars signants.

Notre th`ese s’inscrit dans cette logique de d´eveloppement d’outils autour de l’enseignement de/et en Langue des Signes Franc¸aise ainsi que le traitement automatique de la Langue des Signe en vue d’en effectuer une synth`ese par avatar signant.