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24. Ci-après, nous examinons dans quelle mesure les possibilités offertes au ministre par la loi du 22 janvier 1945 en ce qui concerne la réglementation des prix sont conformes au droit de la concurrence européen et belge (respectivement les articles 81 et suivants du Traité CE et la loi sur la protection de la concurrence économique (ci-après : LPCE)).

1.3.1 La loi du 22 janvier 1945 et la LPCE

25. Lors de l’élaboration de la loi sur la concurrence initiale en 1991, le législateur belge a décidé de ne pas toucher au contenu de la loi du 22 janvier 1945. Cette approche n’était pas un choix évident et a été critiquée pendant la préparation parlementaire de la LPCE4. En effet, ces deux lois sont relativement difficiles à concilier. Les mesures que le Ministre peut prendre en vertu de la loi du 22 janvier 1945 peuvent donner lieu à des accords (tarifaires) et des comportements limitant la concurrence, qui sont précisément interdits par la loi sur la concurrence et le Traité CE.

26. La compatibilité des dispositions de la loi du 22 janvier 1945 avec les obligations contenues dans la LPCE et le Traité CE a fait l’objet d’un examen plus détaillé par le Conseil de la concurrence (ci-après : le Conseil) dans un avis du 17 décembre 2001. Plus particulièrement, l’avis, rendu à la demande du Ministre de l’Economie de l’époque, étudiait le contrat de programme relatif aux produits pétroliers au regard du droit de la concurrence belge et communautaire. Comme mentionné ci-avant au paragraphe 4, ce contrat de programme a été conclu sur la base de l’article 1, § 4, de la loi du 22 janvier 1945.

27. Dans son avis, le Conseil s’est montré particulièrement critique à l’égard du contrat de programme. Le Conseil a considéré le contrat de programme comme un contrat civil, qui entrait dans le champ d’application de l’article 2, § 1, LPCE. A cet égard, le Conseil a constaté que « le mécanisme de fixation de prix maxima instauré par le contrat de programme constitue une entente sur les prix des produits pétroliers qui peut favoriser leur hausse avec la fixation de prix-planchers. Il est donc en principe prohibée par l’article 2 § 1 LPCE »5. En l’espèce, le Conseil a également constaté qu’il n’a jamais été saisi d’une demande d’attestation négative ou d’une demande d’exemption individuelle. Seules ces

4 Vandermeersch, Dirk, « De Mededingingswet », Kluwer, Malines, 2007, p.11.

5 Conseil de la concurrence, avis du 17 décembre 2001 sur le contrat de programme relatif à un régime de prix de vente des produits pétroliers, Rapport annuel 2001, annexes, p. 380.

mesures, qui n’ont jamais été demandées en l’occurrence, peuvent annuler un constat de contradiction avec l’article 2, § 1, LPCE.

1.3.2 La loi du 22 janvier 1945 et le droit de la concurrence communautaire

28. En ce qui concerne le droit de la concurrence communautaire, le Conseil a également été particulièrement critique et a constaté que le contrat de programme tombait dans le champ d'application de l’interdiction contenue à l’article 81, § 1, du Traité CE s’il affecte sensiblement le commerce transfrontalier.

29. A cet égard, le Conseil a déclaré que le contrat de programme pourrait en principe bénéficier d’une exemption s’il satisfaisait aux quatre conditions de l’article 81, § 3, du Traité CE. La chance de pouvoir en bénéficier dans le dossier actuel semble toutefois hautement improbable.

En effet, le Conseil a établi que « la fixation des prix constitue un type d'accord interdit per se. Elle peut concerner une fixation de prix de vente ou d’achat uniformes pour tous les concurrents, de prix seulement indicatifs, des augmentations des prix (montant, moment et durée), de la fixation de marges de profit fixes, de la fixation de variations possibles dans une marge donnée, de la fixation des rabais offerts à la clientèle ou de la réduction ou limitation de ces rabais, une exemption ne peut être octroyée »6. La Conseil a également ajouté que les accords horizontaux, même en dessous des seuils « de minimis », étaient injustifiables.

Par conséquent, le Conseil a conclu que « le contrat de programme, pour autant qu’il tombe dans le champ d’application de l’article 81 § 1 ne semble donc pas pouvoir bénéficier d’une exemption sur base de l’article 81 § 3 CE »7.

30. Le fait que les pouvoirs publics soient une partie contractante et que le contrat de programme ait une base juridique (à savoir la loi du 22 janvier 1945) n’enlève rien aux constats précités du Conseil. Dans ces circonstances aussi, la loi de la concurrence et l’article 81 du Traité CE restent d’application8. A cet égard, il peut être fait référence à la

6 Cf. Conseil de la concurrence, o.c., p. 381.

jurisprudence de la Cour de justice concernant le rôle non libératoire des pouvoirs publics dans le cadre de l’élaboration de contrats restrictifs. Vandermeersch9 renvoie à cet égard notamment à l’arrêt BNIC/Clair dans lequel la Cour de justice a constaté qu'« un accord fixant un prix minimal pour un produit et transmis à l’autorité publique en vue de faire entériner ce prix minimal, aux fins de le rendre obligatoire pour l’ensemble des opérateurs économiques intervenant sur le marché en cause, a pour objet de fausser le jeu de la concurrence sur ce marché. Quant à l’intervention d’un acte de l’autorité publique, destiné à conférer un effet obligatoire à cet accord vis-à-vis de l’ensemble des opérateurs économiques concernés, même s’ils n’ont pas été partie à l’accord, elle ne saurait avoir pour effet de soustraire celui-ci à l’application de l’article (81), paragraphe 1 »10.

Les entreprises ne peuvent par conséquent pas justifier un accord tarifaire restrictif par une éventuelle intervention ministérielle ou mesure légale, à moins qu’une telle décision de l'autorité publique n’exclut un acte de volonté indépendant des entreprises sur ce point11. Une telle justification juridique ne peut toutefois pas être invoquée en ce qui concerne le contrat de programme, puisqu’il ne présente pas de caractère contraignant. En effet, le contrat de programme contient notamment une clause de révision des prix ainsi que la possibilité de dénoncer le contrat.

31. De même, la Commission européenne s’est régulièrement montrée critique par rapport à des contrats qui fixent directement ou indirectement des prix.

32. Nous pouvons tout d’abord renvoyer à l’avis susmentionné du Conseil de la concurrence, dans lequel le Conseil a constaté que pendant l’audition sur le contrat de programme, la Commission européenne s’est montrée très réservée quant à l’existence d’un contrat de programme qui prévoit un mécanisme réglementé pour la formation de prix12.

33. Plus récemment, la Commission européenne s’est montrée très critique par rapport à l’imposition de tarifs régulés (un prix maximum, notamment comme dans le cadre de programme, est un tarif de fourniture régulé). Dans son rapport sur l’enquête sectorielle13, la Commission européenne a déclaré que, outre des tarifs libres, des tarifs régulés pouvaient être autorisés, mais uniquement à condition qu'ils se situent au-dessus du niveau du marché.

9 Vandermeersch, D., o.c., p. 124.

10 CJCE, 30 janvier 1985, BNIC/Clair, aff. 123/83, Recueil 1985, p. 391, n°22-23

11 Dans ce dernier cas, l’intervention publique viole même éventuellement le Traité CE. Conformément à l’article 10 du Traité CE, les Etats membres ne peuvent en effet pas porter préjudice à l’application pleine et uniforme du droit communautaire, en ce compris les règles de la concurrence.

12 Conseil de la concurrence, o.c., p. 378.

13 http://ec.europa.eu/comm/competition/sectors/energy/inquiry/index.html

Dans ce cas, des tarifs d'approvisionnement régulés peuvent avoir leur utilité puisque des entreprises peuvent vendre leurs produits à des conditions plus concurrentielles et que les tarifs régulés n’entravent pas l’accès au marché14.15

Toutefois, la Commission européenne souligne à de multiples reprises le risque lorsque les tarifs régulés sont maintenus à un niveau (trop) faible et partant, rendent inattrayants des prix compétitifs basés sur les coûts. Une telle régulation tarifaire exclut les nouveaux venus du marché, la concurrence est étouffée dans l’œuf et les acteurs de marché ne sont plus encouragés à investir dans la capacité, ce qui met en péril la sécurité d’approvisionnement16. La Commission cite à cet égard l’exemple de l’Espagne, où les concurrents ne sont pas en mesure d'offrir des services interruptibles parce qu’ils ne peuvent pas être compétitifs aux conditions proposées dans le cadre du régime tarifaire régulé17.

34. La Commission européenne reconnaît toutefois qu’une régulation de prix ciblée peut être autorisée afin de protéger les consommateurs dans certaines circonstances particulières, notamment pendant la période transitoire vers un marché fonctionnant correctement. Dans ce cas aussi, la régulation des prix doit être équilibrée et ne peut pas compliquer l’accès au marché, créer une discrimination entre fournisseurs, renforcer des inégalités dans la concurrence ou brider la vente18.

35. En outre, la Commission européenne souligne en permanence dans son rapport et ses communiqués de presse que de tels tarifs d’approvisionnement régulés doivent être conformes aux règles en matière de concurrence et d’aide d’Etat.

Ainsi, en avril 2006, la Commission européenne a entamé la deuxième phase de la procédure de mise en demeure19. La Commission a mis en demeure plusieurs pays pour

14 Cf. notamment Energy Sector Enquiry Final Report, paragraphe 610 : « Parallel regimes are no threat to a liberalised supply market and its participants as long as regulated energy prices are comfortably above the level implied by wholesale market price levels. This differential allows for (new) suppliers without any local generation to source on the wholesale market and make attractive supply offers compared to the regulated energy tariff. »

15 De même, l’ERGEG témoigne dans son Position Paper sur la « End-user energy price regulation » d’une très grande inquiétude quant à savoir s'il convient d’instaurer ou de maintenir des prix maxima. L’ERGEG confirme ainsi la position précédemment adoptée par la Commission européenne en ce qui concerne la régulation des prix du marché.

16 Cf. notamment Energy Sector Enquiry Final Report, paragraphe 611 : « Member States could be tempted – especially in periods of rising wholesale prices – to set the supply tariffs below the corresponding wholesale benchmark to ensure lower price levels for customers. Whilst there may be short run benefits to (certain categories of) consumers, such supply tariffs have adverse effects for competition and thus for consumers in the longer run. New suppliers with no access to own generation are effectively squeezed out from the market, as they can no longer market electricity purchased on wholesale markets. Accordingly no competition based on merits can take place for these customers freezing the market position of incumbent operators. Also the tariffs distort the necessary price signals for investment into new generation capacity and are consequently damaging to security of supply. »

17 Cf. Energy Sector Enquiry Final Report, paragraphe 313.

18 Cf. la Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen intitulée « Prospects for the internal gas and

non-respect de la deuxième directive électricité ou gaz, notamment en raison de l’existence de tarifs régulés dans leur pays.

Les tarifs régulés peuvent notamment enfreindre l’article 3 de la directive gaz. L’article 3 de la directive gaz est une exécution de l’article 86 du Traité CE et permet aux Etats membres d’imposer, dans l’intérêt économique général, des obligations de service public aux entreprises actives dans le secteur du gaz. Par ces obligations de service public, l'on peut, conformément à l’article 3, alinéa 2, de la directive gaz, notamment entendre la qualité et le prix des fournitures. L’article 3, alinéa 3, de la directive gaz stipule en outre que les Etats membres peuvent prendre des mesures adéquates pour protéger les clients finals et garantir un niveau élevé de protection des consommateurs, notamment en ce qui concerne les clients vulnérables.

Les obligations de service public ne peuvent toutefois pas entraver le développement des échanges commerciaux dans une mesure contraire à l’intérêt de la Communauté européenne (cf. article 86 du Traité CE). Le risque est toutefois réel qu’une régulation de prix dans le sens du contrat de programme, déclaré applicable sans autre distinction pour tous les clients et en vigueur pour tous les acteurs de marché, aille à l’encontre de l’intérêt de la Communauté européenne, si les prix maximaux imposés vont au-delà de ce que la Commission européenne autorise en vertu du droit de la concurrence (cf. la discussion ci-dessus aux paragraphes 33 et 34).

36. Enfin, nous pouvons noter que la régulation des prix peut impliquer une violation des règles relatives aux aides d’Etat. Dans ses enquêtes officielles contre la France et l’Espagne, la Commission européenne examine actuellement dans quelle mesure leur régime de tarifs régulés comporte une éventuelle aide d’Etat illégale20.

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