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ASCENSION DE LA JUNGFRAU 0 (4i67 m.)

Dans le document 1888 1 (Page 97-102)

l e 9 a o û t 1 8 8 6 .

Jungfrau ! Le voyageur qui pourrait sur ta tèle S'arrêter, et poser le pied sur sa conquête, Sentirait en son cœur un noble battement, Quand son âme, au penchant de la neige éternelle, Pareille au jeune niglon qui passe et lui tend l'aile, Glisserait et fuirait sous le clair firmament!

'est en méditant ces vers de Byron que je m'acheminais le 8 août 1886, par un temps splendide, vers la cabane de la Concordia.

Un bain d'une minute dans le lac de Mer-jelen coupe agréablement le trajet de cinq

heures qui sépare l'hùlel de l'Eggishorn du refuge où je passerai la nuit avec mon guide, Albrecht, de Morol, et mon porteur, Alexandre Perren. Deux autres caravanes, à destination delà Jungfrau, cheminent en même temps que nous sur le glacier d'Aletsch : un Anglais avec deux dames, et et un touriste allemand.

A la cabane nous jouissons d'une soirée splendide. L'air était d'une tranquillité ab-solue, et à sept heures il faisait encore chaud sur le promontoire rocheux où le refuge est cons-truit. Après un souper en plein air, tout le monde se couche.

A minuit et demi les guides se lèvent et préparent le déjeuner. Le premier qui mit le nez au dehors revint avec une mine allongée. Un énorme nuage fermait l'ho-rizon dans la direction dé la Jungfrau, un autre planait au-dessous de rAlétschhorn ; un vent violent d'ouest passait par rafales sur l'immense glacier d'Aletsch.

Néanmoins, à 1 h. 30 j'étais encordé et je partais. Le vent devint bientôt si violent qu'il éteignit la lanterne

1) Voir la planche ci-contre.

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Glâser portée par mon guide. Je la rallumai à plusieurs reprises et avec beaucoup de peine. A la fin l'idée me vint de nouer mon foulard autour de la partie supé-rieure de la lanterne, de manière à obstruer les orifices de ventilation. Cet expédient me réussit parfaitement, et le vent put rager à son aise : la bougie ne s'éteignit plus.

A 3 h. 55 on put éteindre la lanterne et marcher à la clarté de l'aube. Nous étions toujours sur cet inter-minable Jungfraufirn, entre le Kranzberg et le Trugberg.

La pente du glacier, d'abord insensible, s'était accentuée, mais sans jamais devenir ràide. Les grandes crevasses de la partie supérieure du glacier pouvaient être con-tournées sans difficulté. A 5 h. 12, le premier rayon de soleil frappait la cime de la J ungfrau. Nous fîmes halte pour déjeuner au milieu de ce vallon qui s'ouvre au pied de la Jungfrau et dont les côtés sont fermés par les arêtes de la Jungfrau et du Roththalhorn. Quelques nuages voltigeaient autour de la cime de la Jungfrau, puis se dissipaient bientôt. En revanche, le Mônch était complètement enveloppé d'affreux nuages noirs. Le vent continuait à être violent.

A 5 h. 40 je me remis en route. C'est ici que com-mence l'ascension proprement dite, dont la première partie consiste à gagner le Roththal-Sattel, et la seconde à gravir l'arête qui conduit de ce col au sommet de la Jungfrau.

Le glacier monte jusqu'au Roththal-Sattel. A une petite distance au-dessous du col se trouve la Rimaye, qui cette année était très facile à franchir. La pente, mesurée au clinomètre, était de 40 degrés à l'endroit le plus raide au-dessous de la Rimaye, et de 48» au-dessus de la Rimaye. Cette pente est naturellement suffisante pour la formation des séracs. Aussi ne font-ils pas défaut et sont-ils énormes. Cette année ils sont à peu près solides, mais en passant à leur base les guides font hâter le pas. Il est arrivé, il y a quelques années, que les séracs rendirent ce passage complètement impraticable, ce qui obligeait les ascensionnistes à passer par le Kranz-berg pour gagner le Roththal-Sattel.

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Nous atteignîmes le col à 6 h. 48, et continuâmes l'ascension sans nous arrêter. Enfin j'escaladais cette fameuse crête de la Jungfrau, que les uns disent très facile, tandis que les autres y ont vu de très sérieuses difficultés. Nulle part je n'aivais pu trouver de rensei-gnements précis et complets sur la nature de cette arête, qui, à première vue déjà, différait de toutes les descrip-tions que j'avais lues.

D'abord, cette arête est un dos large d'une dizaine de mètres dans la partie inférieure, et dont la largeur va s'augmentant jusque vers le milieu de la pente. Cette pente elle-même représente l'hypoténuse d'un triangle, dont le grand côté, formé par la projection horizontale, mesure 500 mètres environ, et dont le petit côté, indi-quant la hauteur verticale à franchir, est de 319 mètres.

La pente est généralement de 40 degrés, mais elle dépasse ce chiffre assez souvent, et elle atteint son maximum à 50 degrés, dans la partie supérieure. Il y a loin de ces chiffres à ceux indiqués par quelques tou-ristes, en particulier par l'abbé Chifflet, qui fit l'ascen-sion de la Jungfrau en 1884. Ce clubiste français parle d'une pente de 55 à 60 degrés, sans doute parce qu'il ne l'a mesurée qu'à l'œil.

Revenons à la description de l'arête. Elle était cou-verte, le 9 août 1886, d'une neige résistante, adhérant solidement à la glace qui se trouve au-dessous. La glace était apparente dans un seul endroit, sur une longueur de 50 mètres environ. Mon guide m'a dit avoir vu l'arête entière couverte de glace vive. Il est clair qu'en cet état de là montagne l'ascension est bien plus difficile et dan-gereuse. La pente de glace que nous eûmes à traverser me parut déjà suffisamment longue. Les marches étaient taillées à de longs intervalles et il fallait se fendre à fond pour passer de Tune à l'autre. Une glissade en pareil endroit serait très probablement fatale à toute la cordée, car il est difficile, à la traversée et sur une glace vive, de retenir un camarade qui tombe. Quant à la chute qu'on ferait en cet endroit, c'est une des plus belles des Alpes : elle vous amènerait d'un seul bond sur le glacier de Roththal, à un kilomètre de profondeur verticale.

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Etant donnés les degrés de pente qui ont été indiqués, il est clair qu'il faut tailler les marches sur presque toute la longueur de l'arête, à moins qu'on escalade celle-ci, — comme cela était possible en 1885, — par les rochers qui la bordent du côté de la vallée de Lauter-brunnen. Cette année, il ne pouvait en être question, ces rochers étant couverts de glace.

La pente, dont nous connaissons maintenant les dimensions et la raideur, est souvent bombée et forme dos d'âne. Vers le sommet, elle s'incline fortement vers le Jungfraufîrn et devient vertigineuse. Mais à cet endroit on ne marche plus sur le plan incliné, mais sur son bord, c'est-à-dire sur une arête proprement dite. La transition entre l'arête et le plan incliné est marquée par quelques rochers émergeant de la neige et sur lesquels on fait

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uelques pas. C'est le seul rocher que foule le pied epuis qu'on a quitté la cabane de la Concordia.

Le sommet, où nous arrivâmes à 8 h. 8 m , forme une arête de neige très étroite et peu solide, le long de laquelle on marche, en la tenant au besoin sous la main, comme un parapet. Vrai est-il que cette balustrade est mal placée, car elle sépare l'ascensionniste du précipice bernois qui est beaucoup moins vertigineux que le valaisan. L'extrémité septentrionale de 1 arête de neige en question représente le point terminal de l'ascension.

Pour s'y tenir debout ou assis, on aplatit la neige ou on l'enlève avec les piolets. La place est toujours étroite et un peu aérienne, mais parfaitement sûre. J'y restai un quart d'heure. Le vent était tout à fait supportable, et il ne faisait pas froid. Du côté du Nord et de l'Ouest, la vue était limitée par des nuages arrivant rapidement et apportant la pluie dans leurs flancs. Le reste de l'ho-rizon était libre. La vue de la Jnngfrau est trop célèbre pour qu'il soit nécessaire de la décrire et de rien ajouter à ce que chacun sait déjà. Comme j'aime surtout les vues pittoresques et rapprochées, je concentrai mon attention sur les voisins de la Jungfrau, le Gletscherhorn, l'Ebnefluch, le Mittaghorn, le Breithorn, etc. J'aimais à voir d'en haut tous ces sommets que j'avais souvent

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admirés d'en bas. J'aimais aussi à suivre de l'œil le chemin que j'ayais fait il y a deux ans sar le glacier de Tschingel. Le Finsteraarhorn, dont je projetais l'ascen-sion, me parut formidable.

En redescendant du sommet, je croisai la caravane du clubiste allemand qui arrivait juste à temps pour ne rien voir, le brouillard envahissant la montagne.

Quant à l'Anglais, il avait renoncé à la partie.

A 9 h. 53, nous avions regagné l'emplacement de notre première halte et retrouvé notre sac. Pendant que nous faisions honneur à nos provisions, le touriste allemand nous rejoignit. Nous passâmes une demi-heure ensemble, assis sur nos plaids et causant sans prendre garde à la neige mélangée de pluie qui tombait libéralement.

Une poignée de mains, et les caravanes se séparèrent, l'Allemand se dirigeant vers la cabane de Bergli, par le col du Mônch, et moi vers la Concordia.

En redescendant le Jungfraufirn, nous enfoncions dans la neige jusqu'au genou. Cette marche durait depuis deux heures environ et nous cheminions sur la partie horizontale du glacier, lorsque le guide Albrecht disparut tout à coup dans une crevasse dont aucun indice ne révélait l'existence. Entre lui et moi la corde était tendue au moment où je le vis plonger, levant les bras au ciel ; mais j'eus beau me jeter instantanément en arrière en tirant sur la corde par un violent coup de reins, Albrecht n'émergea pas. Nous avions affaire à une crevasse pour-vue d'une forte corniche, que la corde avait coupée et qui surplombait la tête du guide suspendu dans le vide.

Il fallut une manœuvre assez longue et difficile pour tirer de son antre glacé le pauvre Albrecht, que la pres-sion de la corde avait un peu éprouvé. Inutile de dire que ce guide expérimenté n'avait pas lâché son piolet.

A \ heure 45, nous avions regagné la cabane de la Concordia, et nous nous détachions de la corde qui nous liait depuis douze heures.

Il dieuvait abondamment

L R.

de h section du MotÉSON.

Dans le document 1888 1 (Page 97-102)