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PREMIÈRE PARTIE LES MUANCES DE LA LETTRE

Chapitre 3 Arthur sur les planches Arthur sur les planches

Sir Arthur : « J’ai profité de cette occasion. Je suis reparti aussi vite que j’étais venu, enchanté d’avoir un prétexte de retour »

(Ré)écrire pour le théâtre

En proposant d’adapter la légende arthurienne au théâtre1, Jacques Roubaud et Florence Delay marchent dans les pas de deux pionniers en la matière, à tout le moins en ce qui concerne la France littéraire du XXe siècle : Jean Cocteau et Julien Gracq. Du premier, on connaît Les Chevaliers de la Table Ronde, publié en 1937, et l’on doit au second, près de dix ans plus tard2, le fameux Roi Pêcheur. L’œuvre de Cocteau tient, à en croire la préface qu’il écrit à sa pièce, de la pure affabulation : il y reprend certes les grands acteurs de l’aventure bretonne mais l’histoire qui les anime est une invention. Le texte une fois rédigé, l’écrivain s’empressera d’ailleurs de le confronter aux versions du mythe faisant autorité et aura ainsi l’occasion de mesurer la nouveauté de son écrit :

Une fois la pièce écrite, je me documentai, je me trouvai en face de mes erreurs de fabuliste et je décidai de m’y tenir. Sauf « la fleur qui parle » qui me vint d’un fait divers (une plante émet des ondes en Floride comme un poste de TSF), toute l’œuvre me fut donnée, je le répète, par moi-même. Il ne faut voir dans ce don aucun privilège3.

S’il refuse pour autant de réinvestir la figure quelque peu désuète du poète inspiré, Cocteau ne fait pas moins l’aveu d’une liberté totalement assumée à l’égard de la vulgate arthurienne. Une première différence se dessine donc ici entre son travail et celui de Jacques Roubaud et Florence Delay qui, eux, ont placé ce travail de documentation en amont de l’écriture. Pour les deux scribes, le corpus des

arthuriana n’est pas un point de comparaison a posteriori mais bien un point de

départ : les sources médiévales ne sont pas inspirantes à distance, embrumées dans une sorte d’imaginaire collectif mais constituent véritablement la matière première de l’écriture.

Le cas de Julien Gracq est un peu différent en ce que l’écrivain choisit, contrairement à Cocteau, des modèles : on lit nettement dans sa pièce l’empreinte du Parsifal de Wagner et, par incidence, celle du texte médiéval de Wolfram von Eschenbach auquel il puise. Si l’on connaît la position de Gracq vis-à-vis des

1

On consultera l’article synthétique de Jehanne Joly : « Les adaptations théâtrales du corpus arthurien au XXe siècle en France », CAIEF, 47, mai 1995, p. 135-168.

2

Pour être plus précis, Gracq l’aurait écrit durant les années 1942-1943 mais son texte ne sera publié qu’en 1949, un an avant d’être joué lors d’une mise en scène dont la réception sera plus que mitigée.

3

mythes arthuriens, qu’il considère comme infiniment plus « ouverts »4 que ceux de l’Antiquité, on notera pourtant que l’intérêt de l’écrivain relève d’une affinité particulière avec la production allemande5 et plus particulièrement avec un

medium musical, chose qui peut surprendre quand on sait – sans chauvinisme

aucun – que c’est le Moyen Âge français du roman, avec Chrétien de Troyes, qui lance le graal sur la scène littéraire de l’Europe. Bien sûr, le philtre wagnérien explique en grande partie cette préférence gracquienne, mais on serait aussi en droit de se demander jusqu’à quel point elle ne tiendrait pas, aussi, à la méconnaissance relative d’une tradition française qui, en plus d’être possiblement difficile d’accès, reste proprement monumentale et en ce sens décourageante à aborder.

Au-delà des affinités esthétiques qui peuvent mener tel auteur à se pencher sur telle production6, la bibliothèque arthurienne ne constitue pas moins un défi qu’ont voulu relever Jacques Roubaud et Florence Delay en revenant à des textes français peut-être moins connus, mais qui n’ont pas moins participé à l’élaboration du mythe. Comme nous avons déjà eu l’occasion de le voir, l’oulipien s’exprime clairement sur ce silence regrettable des écrivains français à l’égard de leur legs médiéval, alors que d’autres cultures, parfois bien éloignées, n’ont pas hésité à s’en saisir ou à en perpétuer avec beaucoup plus de constance le souvenir :

[N]i le théâtre ni la poésie n'ont vraiment pris le relais en France. Pourtant, le Graal et la légende d'Arthur ont toujours été très présents dans la poésie et la musique anglo-saxonnes, qu'il s'agisse de l'opéra de Purcell Le roi Arthur, des poèmes de Tennyson ou, en Allemagne, du Parsifal de Wagner… Sans oublier les Italiens ou même les Japonais, qui s'en montrent friands !7

4

Voir l’avant-propos au Roi Pêcheur, Paris, Corti, 1989 : « Les mythes du Moyen Âge ne sont pas des mythes tragiques, mais des histoires “ouvertes” – ils parlent non pas de punitions gratuites, mais de tentations permanentes et récompensées (Tristan : la tentation de l’amour absolu – Perceval : la tentation de la possession divine ici-bas) vus sous un certain angle, ils sont un outil forgé pour briser idéalement certaines limites ».

5

Production arthurienne allemande qui rayonne encore aujourd’hui, notamment avec le théâtre de Tankred Orst qui publie à la fin des années soixante-dix Merlin ou la terre

dévastée, une œuvre bientôt traduite et diffusée à travers le monde.

6

Rappelons ici d’ailleurs la position plus que mitigée de Jacques Roubaud face aux réinvestissements wagnériens de la légende arthurienne (GF, p. 13) : « On voit parfois les héros bretons, travestis en ténor, basses ou contraltes, hurler, vêtus à la tyrolienne, sur des scènes dites musicales. Hélas ! Parzifal ! Parzifal ! ».

7

Voir l’entretien que Jacques Roubaud et Florence Delay accordent à Gallimard en 2005 à l’occasion de la sortie du Graal Théâtre complet (ressource accessible en ligne à l’adresse www.gallimard.fr/catalog/Entretiens/01057096.HTM).

Jacques Roubaud et Florence Delay choisissent donc d’honorer et de réhabiliter dans une certaine mesure une partie de notre patrimoine littéraire en le rendant de nouveau accessible au grand public. Les deux auteurs sont en effet soucieux de rétablir, selon eux, le caractère populaire de cette « matière de Bretagne » peut-être encore trop réservée aux sphères privilégiées de l’érudition. Florence Delay s’en explique ainsi :

Nous n’avons pas inventé cette matière. Elle existait avant nous, elle était très puissante et mal connue du public auquel elle s’adressait. Elle n’était pas destinée aux clercs, aux savants, mais à tous, aux enfants, aux adultes, aux hommes et aux femmes8.

Le choix du medium théâtral semble particulièrement bien se plier à ce mandat de partage et de transmission dans la mesure où le texte dramatique, on le sait, est toujours invité à être autre chose que de l’écrit. Adapter Arthur pour le théâtre, c’est donc le convier à sortir très concrètement de l’objet-livre et à faire de la littérature qui l’entoure une culture à voir et à entendre, et non plus simplement à lire9.

Florence Delay s’exprime d’ailleurs sur le plaisir de l’incarnation infinie que rend possible le théâtre :

[L]e merveilleux, au théâtre, c’est qu’il recommence. Jamais une pièce n’est pareille, jamais une représentation, une mise en scène ne sont les mêmes. Un théâtre peut se taire pendant des décennies, puis réapparaître en d’autres bouches, en d’autres lumières, d’autres couleurs. Cela grâce à la chair : c’est la résurrection de la chair le théâtre10.

Aux yeux des deux écrivains, la forme théâtrale représenterait donc le medium privilégié du renouvellement en ce que le texte serait amené à être actualisé de façon beaucoup plus vivante et complète que dans le cas d’une simple lecture solitaire et silencieuse. L’œuvre dramatique, celle qui réalise un texte sur la scène, donne en effet à voir, comme le disait Barthes, une épaisseur supplémentaire de « signe et de sensations qui s’édifie sur la scène à partir de l’argument écrit »11. Cette théâtralité, que le critique définissait plus haut comme « le théâtre moins le

8

Voir l’entretien, déjà cité, accordé à L’Humanité.

9

En ce sens, bien sûr, le public moderne peut retrouver les habitudes du public médiéval, pour qui l’accès à la culture n’est pas nécessairement une question d’accès au livre ou à l’écriture. À propos du débat oral/écrit, culture savante/culture populaire, on se reportera, par exemple, à Michel Zink, Littérature française…, op. cit., p. 15 et suivantes.

10

Voir l’entretien accordé à Nathalie Koble et Mireille Séguy dans Passé Présent…,

op. cit., p. 162.

11

Roland Barthes, Le Bruissement de la langue, Essais critiques IV, Paris, seuil, 1984, p. 78.

texte »12, est donc à comprendre comme un surplus, peut-être d’autant plus intéressant qu’il n’est pas le résultat d’une seule mais de plusieurs lectures. En effet, et bien avant que le spectateur n’active les possibilités du spectacle, le texte est déjà passé entre les mains d’un metteur en scène et des nombreux praticiens sous sa direction. Parce que la réception théâtrale repose toujours sur ce jeu complexe de collaboration et fait appel à une véritable combinatoire d’éléments toujours susceptibles de varier (le jeu, la diction, la scénographie, les décors, les éclairages, etc.), la forme dramatique constitue certainement le mode le plus ouvert à la potentialité du texte et constitue, en ce sens, un gage tout oulipien de nouveauté.

On supposerait donc volontiers que le grand travail de sélection des textes que proposent les deux écrivains a été, au moins en partie, régi par ce nouveau cadre dramatique choisi pour la réécriture de la bibliothèque arthurienne. C’est dire, d’emblée, combien le choix de passages à reconduire s’est peut-être fixé en fonction de leur capacité à se plier à la mise en dialogue et à la représentation. Le transfert du narratif au dramatique – opération que Genette baptise la

transmodalisation – était rendue aisé, il faut bien le reconnaître, par le mode

d’existence même de la littérature médiévale, le plus souvent marquée au sceau de la vocalité et destinée à la performance publique, comme le notait Paul Zumthor :

[L]’ensemble des textes à nous légués par les Xe, XIe, XIIe, et dans une mesure peut-être moindre XIIIe et XIVe, a transité par la voix non pas de façon aléatoire, mais en vertu d’une situation historique faisant de ce transit vocal le seul mode possible de réalisation – de socialisation – de ces textes13.

Pour les lecteurs que nous sommes aujourd’hui, il y a en effet quelques difficultés à bien circonscrire, dans ce Moyen Âge littéraire, les limites d’une théâtralité qui semble déborder sans cesse les espaces relativement clos que notre modernité lui réserve plus volontiers. Armand Strubel a d’ailleurs bien noté cet inconfort dans lequel nous pouvons nous trouver :

Le simple fait qu’il n’existe pas de mot au Moyen Âge pour désigner ce que nous appelons « théâtre », mais une série de termes qui renvoient soit à des modes d’actualisations (ludus, ordo, officium, « jeu », « mystère »), soit à des notions génériques […], signale l’altérité foncière de l’objet par rapport aux pratiques modernes aussi bien qu’antiques14.

12

Ibidem.

13

Voir La Lettre et la voix…, op. cit., p. 22.

14

Armand Strubel, Le Théâtre au Moyen Âge : naissance d’une littérature dramatique, Paris, Bréal, coll. « Amphi Lettres », 2003, p. 8.

Paul Zumthor, toujours, avait lui aussi remarqué combien cette oralité qui marque et accomplit l’œuvre médiévale donne à voir, au moderne, une sorte de contamination du théâtre sur l’ensemble de la production littéraire :

Pour nous modernes, le théâtre est un art que seul un abus de langage permet de classer parmi les genres littéraires. La situation médiévale originelle était inverse : toute poésie participait plus ou moins à ce que nous nommons théâtre15.

Mettre en scène des œuvres qui portent de façon plus ou moins évidente cette forme de théâtralité16, ce serait donc moins se livrer à une totale gageure que suivre, en un sens, l’inclination naturelle du texte médiéval. « Toute escriture est faite pour parole moustrer »17 disait déjà Richard de Fournival dans son Bestiaire

d’Amour : opter pour l’écriture dramatique, qui suppose bien le texte écrit comme

un état intermédiaire ou non achevé de l’œuvre, c’est, en définitive, avoir été à l’écoute de cette littérature appelée à se réaliser pleinement dans et par la voix. C’est d’ailleurs dans cette même perspective de la vocalité que les deux auteurs du

Graal Théâtre ont d’abord travaillé : « Nous avons écrit en parlant. L’oralité du

conte, on l’a retrouvée en composant oralement »18. C’est reconduire, en somme, le primat tout médiéval de la voix sur la lettre au cœur même du processus créateur mais aussi dans la perspective du devenir de l’œuvre : Jacques Roubaud et Florence Delay semblent en effet souhaiter que leur texte soit avant toute chose, et selon une belle expression aux résonances culinaires, « mis en bouche »19.

15

Essai…, op. cit., p. 430-431.

16

Armand Strubel remarque d’ailleurs avec justesse que cette « théâtralité » de la littérature se compliquera aussi d’une « théâtralité » culturelle durant la fin du Moyen Âge (Le Théâtre au Moyen Âge, op. cit., p. 9) : « Or, on constate qu’au moment où le genre dramatique semble émerger enfin en tant qu’entité identifiable, le théâtre le déborde de toutes parts. L’extraordinaire développement des rituels sociaux au sein de la Cour comme de la ville l’intègre – on pourrait dire le noie – dans une théâtralité diffuse. L’homme – surtout le Prince, dans ses déplacements, les cérémonies du pouvoir ou les étiquettes de la Cour, mais aussi la société urbaine – semble être constamment en représentation. La vie collective, l’espace public, deviennent spectacle. L’existence quotidienne se remplit de signes, d’images et de gestes. Le visuel devient le mode par excellence de la communication ». À ce propos, on se reportera, bien sûr, à l’ouvrage de Joan Huizinga, L’Automne du Moyen Âge, Julia Bastin (trad.), Paris, Payot, 1932.

17

Richard de Fournival, Le Bestiaire d’Amour (publié avec La Response du Bestiaire), Gabriel Bianciotto (éd. et trad.), Paris, Champion, 2009, p. 158.

18

Voir l’entretien mené par Nathalie Koble et Mireille Séguy dans Passé Présent…,

op. cit., p. 163.

19

Voir l’entretien, déjà cité, accordé à Gallimard à l’occasion de la sortie du Graal

Cette façon d’envisager la réalisation de l’œuvre – puisqu’il s’agit bien de

voix avant d’aborder une éventuelle mise en scène à proprement parler – nous

paraît d’autant plus intéressante qu’elle suppose, et dans une perspective tout aussi médiévale, un rapport singulier de l’auteur à son texte. On sait combien, en effet, la notion d’oralité est presque toujours le signe d’une littérature qui, en quelque sorte, appartient à tous, et dans laquelle celui qui écrit est conscient que son texte est, par la force des choses, amené à être repris et transformé par d’autres. Il ne s’agit pas tant ici de revenir sur la liberté des copistes, qui interviennent à souhait dans la retranscription, et dont le travail reste avant tout celui de l’écrit, mais d’insister peut-être davantage sur celle des récitants, figures qui sont, elles, bel et bien inscrites dans un acte de parole et de performance qui participe tout autant à la réalisation de l’œuvre. Cette lucidité des auteurs devant le devenir de la production littéraire, Chrétien de Troyes l’exprime par exemple, et non sans quelque regret, dans le prologue d’Érec et Énide :

D’Erec, le fils Lac, est li contes, Que devant rois et devant contes Depecier et corrompre suelent Cil qui de conter vivre vuelent20.

La prise en considération des modalités de réception du texte est l’occasion, pour le maître champenois, de dénoncer ces conteurs corrompus mais aussi d’y opposer l’excellence du clerc. Il y a pourtant quelque paradoxe à vouloir construire ainsi l’autorité de sa propre version alors que s’énonce précisément un contrôle bientôt rendu impossible sur le texte. Si ce prologue, qui consacre l’écrit comme garant d’authenticité, est certainement à comprendre comme une mise en garde destiné aux futurs récitants, il ne met pas moins en jeu les contradictions d’une voix qui cherche à trouver sa place dans un monde où la paternité littéraire, telle qu’on peut l’entendre aujourd’hui, ne peut bien évidemment pas se réclamer explicitement. Pour des raisons idéologiques d’abord : assumer son rôle de démiurge à l’ombre monumentale du Créateur, c’est s’exposer au péché d’orgueil. Ensuite à cause du mode même de diffusion de l’œuvre médiévale puisque à peine un « je » peut-il s’énoncer qu’il se voit aussitôt investi par l’autre, comme dessaisi de lui-même. En ce sens, le prologue d’Érec et Énide serait bien le lieu d’un singulier investissement auctorial, où le devoir d’humilité en littérature ne cesse de flirter

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avec le désir de possession, grand écart entre Dieu et soi-même qui trouve son expression la plus aboutie dans le fameux jeu de mot qui clôt le prologue du même roman :

Des or comencerai l’estoire Que toz jors mais iert en memoire Tant con durra crestïentez. De ce s’est Crestïens ventez21.

Mettre en parallèle le devenir de son œuvre avec le destin de la chrétienté, c’est donc lui assurer une gloire proprement éternelle et, en ce sens, une stabilité tout aussi durable. L’écriture, sous la tutelle de celle qui prend une majuscule, s’essaie donc à authentifier son propre texte, opération destinée, en amont, à faire office de négoce avec les auctoritas mais qui fait aussi signe, en aval, à celui dont le rôle ne cesse de parasiter, ne serait-ce qu’étymologiquement, celui de l’auteur : l’acteur22. Entre celui qui est supposé avoir engendré le texte et celui qui s’en fait très concrètement, selon les mots de Dragonetti, « le porte-parole »23, la limite que le Moyen Âge pose est en effet bien floue, confusion que Chrétien cherche subtilement à résoudre ou à dépasser par l’entremise de l’écrit mais que Jacques Roubaud et Florence Delay s’amuseront, au contraire, à reconduire.

À les écouter imaginer ce que peut devenir le Graal Théâtre, les deux écrivains semblent en effet plus qu’enthousiastes à ce que d’autres s’approprient leur texte, d’une façon parfois si radicale qu’elle paraît bien contrevenir au respect souvent figé que notre modernité témoigne à l’égard de ce que peut représenter une œuvre littéraire. D’une part, et comme nous le verrons bientôt, Jacques Roubaud et Florence Delay se refusent absolument à être prescriptifs, ne serait-ce que dans les didascalies où l’on attendrait pourtant plus volontiers des indications de régie. En investissant de manière autrement plus suggestive ces espaces particuliers où l’auteur a plus traditionnellement le droit de prévoir minimalement la scène, ils s’en remettent de façon aveugle et non moins assumée aux praticiens du théâtre, qui se voient ainsi offrir une étonnante liberté. Mais, d’autre part, les deux écrivains veulent aller plus loin encore puisque, au-delà de la latitude qu’ils

21

Ibid., v. 23-26.

22

On se reportera par exemple à l’article de Marie-Dominique Chenu, « Auctor, actor, author », Bulletin du Cange, 3, 1927, p. 81-86 ; voir encore Michel Zink, « Auteur et autorité au Moyen Âge », dans De l’autorité, actes du colloque du Collège de France, octobre 2007, Antoine Compagnon (dir.), Paris, Odile Jacob, 2008, p. 143-158.

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accordent à la mise en scène, ils sont tout aussi ouverts à ce que ces praticiens manipulent leur texte au gré de leurs envies. « L’important est de se sentir libre » déclare par exemple Florence Delay, libre, continue-t-elle, « de réduire les personnages, de couper des scènes ou d’en faire revenir »24 ! Si Chrétien de Troyes dénonçait sans ambages la mise à mal, voire le dépeçage des contes auquel s’adonnent les colporteurs, les deux auteurs du Graal Théâtre, contre toute attente, y invitent. Alors qu’ils se montrent silencieux sur bien des points, la seule

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