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Si-ARN et micro ARN

Dans le document UNE BIOLOGIE POUR LE DÉVELOPPEMENT (Page 81-86)

I. LE FABULEUX DESTIN DE LA BIOLOGIE

I.6. UN SOUFFLE NOUVEAU EN BIOLOGIE MOLÉCULAIRE – LE

I.6.2. Si-ARN et micro ARN

On a pu décrire aujourd’hui deux catégories d’ARN capables de provo-quer une interférence avec le fonctionnement ou la survie métabolique des ARN messagers :

– Les si-ARN (en anglais : Si-RNA, ou small interfering RNA's) capa-bles de « mettre en silence » l’activité traductionnelle de certains ARN messa-gers, dont ils provoquent le plus souvent la destruction,

– Les micro ARN (mi-ARN) dont l’importance physiologique apparaît de plus en plus manifeste et qui, comme les précédents, peuvent entraîner la destruction sélective d'ARN messagers ou bloquer leur traduction.

Les si-ARN proviennent de longs « duplexes » d’ARN ou de ds-ARN (double standed ARN) résultant de l’activité d’enzymes cellulaires appelées, ARN polymérases ARN dépendantes. Ces longs ds-ARN peuvent se former dans la cellule à partir de « transposons », de virus, d’ADN présent dans l’hé-térochromatine, voire même d’ARN messagers. Les ds-RNA ainsi formés sont convertis en si-ARN (courtes séquences de 21 – 23 nt). Ceux-ci sont ensuite véhiculés à l’état d’ARN « simple brin », qui s’associent aux ARN messagers au niveau d’une séquence qui leur est complémentaire, grâce à des systèmes complexes de transport et de reconnaissance qui seront décrits ci-après. Ils provoquent alors le clivage des ARN messagers sur lesquels ils se fi xent. Ces si-ARN, contrairement aux mi-ARN, ne sont pas conservés au plan évolutif.

Ils sont formés occasionnellement à partir de ds-ARN dans des circonstances particulières. Le phénomène d’interférence déclenché par les si-ARN a été mis en évidence pour la première fois expérimentalement en injectant de l’ARN double brin (ds-ARN) chez le ver nématode (cf. infra) par A. Fire et C. Mello.

Les micro-ARN, contrairement aux si-ARN, ont été conservés au cours de l’évolution. Ce sont les produits de gènes régulateurs défi nis, particulière-ment abondants dans le règne des eucaryotes. Ces gènes sont souvent disposés en tandems dans l’ADN. L’existence de ces micro-ARN a été rapportée pour la première fois, en 1993, par Lee et collaborateurs (1993). Ces auteurs ont en effet observé que l’un des gènes régulateurs, Lin-4, intervenant dans le contrôle des stades précoces du développement, chez le ver nématode C. ele-gans, ne produisait pas, comme on eût pu s’y attendre, une protéine, mais une

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courte séquence d’ARN ! Cet ARN anti-sens agissait en inhibant de manière post-trancriptionnelle, le gène de développement, lin-14. Cette observation, assez surprenante à l’époque, fut confortée et explicitée quelques années plus tard dans l’équipe dirigée par A. Fire et par C. Mello (prix Nobel, 2007), grâce à des expériences mettant en œuvre l’injection chez le nématode d’ARN double brin et en démontrant que l’un des deux brins agit en bloquant l’ARN messager transcrit à partir du gène régulateur unc-2. De manière rétrospec-tive, ce mécanisme d’interférence fournissait également l’explication des résul-tats obtenus à la fi n des années 80 par R.A. Jorgensen qui, paradoxalement, observait le blanchiment des plans de pétunias qui avaient été traités par des

« copies ARN » de gènes impliqués dans la synthèse du pigment pourpre ! Par la suite, Reinhart et coll. (2000) mettaient en évidence un autre gène régulateur, lin-7, agissant à un autre stade de développement chez le nématode, en produisant, comme lin-4, un ARN antisens de 21 nucléotides.

Des observations similaires indiquant que de courts ARN anti-sens sont impli-qués dans le contrôle du développement larvaire de C. elegans devaient être rapportées par divers auteurs entre 2000 et 2004 (pour une vue d’ensemble cf. D.P. Bartel et C. Zheng Chen (2004)).

Peu à peu, il devait s’avérer que la régulation faisant intervenir de petits ARN anti-sens, capables d’interférer avec des ARN messagers issus de gènes clés du développement, est un phénomène extrêmement répandu. Ce mode de régulation a été observé dans des situations aussi diverses que : le contrôle de la prolifération cellulaire, la mort cellulaire et le métabolisme des graisses chez la Drosophile, la morphogenèse du système nerveux chez le nématode, ou le contrôle de la formation des feuilles et des fl eurs chez la plante Arabidopsis.

D’ailleurs, alors que, comme nous l’avons souligné, le système de régulation reposant sur l’action des mi-ARN est très conservé chez les mammifères, on en observe également l’intervention chez les invertébrés. De très nombreuses cibles moléculaires de micro-ARN, ont été identifi ées dans ces dernières années, tant chez les plantes que chez les animaux. En 2003, B.P. Lewis, D. Bartell et coll. en avaient déjà identifi é plus de 400 chez les vertébrés.

l Formation – Transport et appariements des micro-ARN (Drosha, Exportine, Dicer et Risc)

Le mode de transport des précurseurs moléculaires des micro-ARN, du noyau vers le cytoplasme, leur conversion en micro-ARN actifs et leur mode de fi xation et d’assemblage au niveau de l’ARN messager-cible, dépendent d’une machinerie cellulaire très complexe qui commence à être bien élucidée (cf. E.P. Murchison et G.J. Hannon, 2004). Les principaux « acteurs » de ces réactions s’intitulent : Drosha, Exportine-5, Dicer et Risc.

Drosha est une ribonucléase de type III (c’est-à-dire une des multiples ribonucléases qui catalysent le clivage des ARN à double brin). L’enzyme est présente dans le noyau des cellules de mammifères (homme, souris…). Le rôle de cette enzyme est de cliver le produit de transcription primaire des gènes codant pour les micro-ARN ou « pri-mi-ARN ». Ces pri-mi-ARN présen-tent eux-mêmes une structure repliée en « épingles à cheveux ». Le clivage engendre, dans le noyau, un précurseur secondaire du micro-ARN, ou « pré-mi-ARN », autre structure en épingle à cheveux, d’environ 70 nucléotides.

Exportin-5 intervient à l’intérieur du compartiment nucléaire pour transférer le pré-mi-ARN dans le cytoplasme.

Dicer, une autre RNAse III, convertit alors le pré-mi-ARN en un micro-ARN de 22 nucléotides à l’intérieur du cytoplasme. Dicer est une enzyme modulaire complexe, formée elle-même de deux domaines « ARN hélicases », d’un module dénommé PAZ et d’un motif de reconnaissance de l’ARN double brin. Le module PAZ est essentiel à la reconnaissance des pré-mi-ARN (au niveau de l’extrémité 3’OH).

« RISC » (acronyme pour « RNA induced silencing complex ») prend en charge le micro-ARN mature résultant de la conversion enzymatique par DICER et le met en place au niveau de l’ARN messager-cible, en facilitant la reconnaissance des séquences complémentaires présentes dans l’un des deux brins du micro-ARN et dans ce messager. Ce processus « d’apposition » du mi-ARN au messager cible implique donc un clivage de la boucle simple brin du mi-ARN et la séparation des deux brins qui constituent la tige. Il existe plusieurs types de complexes RISC variant selon les espèces. D’une manière générale, il s’agit de ribonucléoprotéines renfermant des protéines de constitu-tion, appelées « Argonautes » (AGO) et de nombreux facteurs adjuvants dont la nature varie selon les espèces. Les protéines « Argonautes » sont supposées permettre l’incorporation des mi-ARN matures dans le système RISC1.

Selon les cas, le messager « cible » est, soit clivé, soit entravé dans sa traduction en protéines, au niveau du poly-ribosome. Le destin intracellulaire des si-ARN et de mi-ARN est donc pratiquement identique. Il implique les mêmes étapes intermédiaires.

1. Chez les plantes, à côté des si-ARN de 21 nt (résistance aux pathogènes, extinction des transgènes…) lesquels constituent une sorte de système immunitaire, on observe une autre catégorie de si-ARN de 24 nt. Ces derniers sont impliqués dans un complexe appelé RITS (RNA induced transcriptional silencing). Ce complexe RITS, comme RISC, comporte une protéine argo-naute. Toutefois celle-ci s’associe à plusieurs protéines nucléaires. Les si-ARN (24 nt) agissent en

« CIS ». Ils sont essentiellement impliqués dans le contrôle du mouvement des éléments transpo-sables et dans le maintien des structures de l’hétérochromatine (H. Vaucheret, séance commune Académie des sciences/Académie d’agriculture sur « Riborégulateurs, nouveaux acteurs dynami-ques du développement, 5 décembre 2007).

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Fig. 5. Le « nouveau monde de l’ARN » – rôle des petits ARN « non messagers » Schéma montrant la grande diversité des rôles joués par les ARN de petites dimensions moléculaires, non codants, (small non coding-RNA’s) dans la physiologie cellulaire : Ribosomal RNA : ARN ribosomique ; t-RNA : ARN de transfert (adapteur d’acides aminés.

Xist : ARN d’environ 50 nt (nucléotides) intervenant dans l’inactivation du chromosome X (voir texte : épigénèse).

H-19 : intervient dans le processus dit « d’imprégnation génétique parentale ».

mi-RNA : micro-RNA, (21 à 23 nt) : exerce une régulation négative (comme le si-RNA : silencing si-RNA) sur la traduction de l’ARN messager par formation d’un hybride moléculaire ARN : ARN.

Sn-RNAs : Small nuclear RNA’s : petits ARN nucléaires (de types U, 2, 4, 5, 6) intervenant dans « l’épissage » (« splicing » en anglais). Ce sont des composants des

« spliceosomes ».

Sno-RNAs : Small nucleolar RNAs.

ARN de tailles comprises entre 60 et 300 nt intervenant dans la méthylation du ribose des r-RNAs, ou dans la pseudo-uridylation des t-RNAs.

l Conclusions : l'étonnante pluralité de fonction des ARN

La découverte des ARN d’interférence (si-ARN, mi-ARN) a eu d’im-portantes conséquences tant fondamentales qu’en termes d’applications : elle a révélé l’existence, chez les eucaryotes, d’un nouveau et très remarquable, système de régulation post-transcriptionnelle qui serait apparu tardivement au cours de l’évolution ; il n’intervient apparemment pas en effet chez les organismes procaryotiques.

Les phénomènes d’interférence-ARN dépendants sont très répandus chez les végétaux notamment dans les processus de blocage (sorte d’immu-nité) des virus ou des viroïdes, R. Plasterk a montré par ailleurs qu’ils jouent un rôle majeur chez les eucaryotes animaux en inhibant le rôle invasif des transposons. D’une manière générale, l’attention des biologistes s’est portée sur le rôle que les ARN ont dû jouer, depuis une époque reculée et jouent encore aujourd’hui, dans l’économie cellulaire et dans les processus de déve-loppement. Par exemple, nous avons déjà signalé les propriétés que possèdent certaines molécules d’ARN d’agir comme des enzymes (ribozymes). Récem-ment il a été montré que, dans le processus de traduction génétique, les prin-cipales étapes d’allongement de la chaîne polypeptidique qui interviennent au niveau des ribosomes ne sont pas catalysées par les nombreuses protéines de structure de cet organite complexe, comme on l’avait pensé, mais par l’ARN ribosomique lequel fonctionne comme un ribozyme (A. Yonath). On connaît, depuis les années 50, le rôle essentiel des ARN de transfert dans la reconnais-sance des codons de l’ARN messager et le positionnement des amino-acides.

Les ARN sont également impliqués dans un grand nombre d’autres réactions.

Ainsi les spliceosomes, ces organites qui assurent l’excision des introns au cours du processus d’épissage nécessitent pour agir des petits ARN de constitu-tion les sn-ARN qui sont au nombre de 59. Des ARN ont également été décrits comme jouant un rôle essentiel dans l’inactivation du chromosome X ou au niveau de l’hétérochromatine. D’où l’idée, trouvant de plus en plus d’écho, selon laquelle le monde des ARN (dont le rôle avait été en partie sous-estimé, sans doute parce qu’il était éclipsé par celui des ADN) devrait être appelé à réserver encore bien des surprises ! Enfi n, et ce n’est pas là une moindre conséquence, les ARN interférents de synthèse font l’objet d’une utilisation croissante. D’une part, en recherche fondamentale, l’étude du rôle physiolo-gique de nombreux gènes d’intérêt (génomique fonctionnelle) est très souvent réalisée en bloquant artifi ciellement, par des ARN double brins de synthèse, les produits de transcription correspondants. D’autre part, la pharmacopée moderne s’enrichit de nombreux oligo-ribonucléotides de synthèse suscepti-bles d’intervenir en tant qu’agents thérapeutiques. Le traitement d’infections virales telles que le SIDA, l’hépatite B, etc. pourrait par exemple bénéfi cier de ces nouvelles technologies.

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