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Arbre d’Axel Costa

Dans le document tel-00333296, version 1 - 28 Nov 2008 (Page 82-87)

1949 1950 1955 1960 1964 1960 1944 1949 1959 ? ? ?

1970 1980 1975 1983 ? ? 1980 1987 1989 1995

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F. de

La façon dont s’est déroulé notre premier entretien, et ce qui l’entoure, montre combien Angela est contente de me recevoir et s’investit pour la scolarité d’Axel :

Journal de terrain, 15/03/04 : entretien avec Mme Costa

Je me rends chez Mme Costa, qui habite une petite résidence dans le XVIIe arrondissement (elle est la gardienne de l’un des immeubles). Son appartement se situe derrière la loge. () Mme Costa est visiblement ravie de me recevoir. Elle me répète, après me l’avoir déjà dit au téléphone, que j’ai fait un travail formidable, que ça l’a beaucoup touchée de lire les paroles des autres parents, qu’elle aurait pu avoir prononcé les mêmes. () Au moment où je m’apprête à partir, elle me propose de remonter avec moi jusqu’au métro, puisqu’elle doit aller chercher sa fille Anita à la sortie de la danse.

() Elle me parle de son mari et du fait qu’elle n’aime pas beaucoup parler des problèmes d’Axel avec lui. Il trouve toujours qu’Axel ne fait pas de progrès, qu’il faudrait le changer de structure etc. Mais Mme Costa pense que ses impressions sont faussées par le fait qu’il ne fait presque aucune activité avec lui (il ne l’aide par exemple jamais à faire ses devoirs), même s’il joue de temps en temps avec lui et qu’ils entretiennent de bonnes relations. Il rentre toujours tard et ne veut pas s’occuper des enfants. M. Costa a tendance à penser qu’Axel est feignant et que presque tout est une question de volonté. Mme Costa, au contraire, a fait beaucoup d’efforts en direction d’Axel. Elle a par exemple entrepris une formation dans un cadre professionnel pour s’améliorer en français, notamment à l’écrit. Elle peut ainsi davantage aider son fils à faire ses devoirs. Elle répète qu’elle fait le maximum dans la mesure de ses moyens, que peut-être il serait encore mieux de partir aux États-Unis, mais que c’est pour eux hors de portée.

Les Costa (et surtout la mère d’Axel, qui est celle qui s’occupe de la scolarité des enfants, comme c’est traditionnellement le cas) sont donc eux aussi pleinement « impliqués » dans l’éducation, au sens large, d’Axel et tout à fait prêts à en parler, voire désireux de le faire (surtout sa mère, encore une fois). Il n’est donc pas étonnant que j’aie pu les rencontrer.

Mais ce qu’on appelle couramment les « classes populaires » apparaît comme un ensemble très disparate pour peu qu’on le regarde d’un peu près. C’est ce que fait par exemple Dominique Glasman dans un article qui s’appuie en partie sur une enquête monographique portant sur une trentaine de familles défavorisées de Saint-Étienne, toutes clientes du travail social et dont les enfants sont scolarisés dans une zone d’éducation prioritaire (ZEP) [Glasman, 1992]. Alors même que l’enquête porte sur une fraction des classes populaires dont les Costa ne font pas partie (les familles « défavorisées » clientes du travail social), l’auteur

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montre combien cette fraction est loin d’être un bloc indifférencié. Il propose de distinguer quatre sous-groupes au sein des familles enquêtées : celles qui possèdent une stabilité relative en matière d’emploi et de vie familiale mais qui ont des difficultés financières ; celles qui se caractérisent par une stabilité familiale mais une instabilité professionnelle ; celles que l’auteur décrit comme « ballottées par la vie », c’est-à-dire instables sur les plans familial et professionnel ; enfin celles qui connaissent un chômage chronique et une situation familiale insatisfaisante. Les familles appartenant aux deux premières catégories répondent favorablement aux sollicitations de l’école, contrairement aux deux autres qui mettent peu de confiance et d’espoir dans l’institution scolaire. Celles qui appartiennent à la première catégorie sont les seules à suivre de près le travail scolaire de leurs enfants et à imaginer un horizon d’ascension sociale par l’école. Prenant cette fois le point de vue de l’institution, Dominique Glasman montre aussi que dans les ZEP, les enseignants distinguent dans leurs discours les « parents », qui ont un rôle à remplir vis-à-vis de l’enfant et sur lesquels l’institution scolaire peut s’appuyer en les faisant participer, et les « familles », toutes socialement défavorisées et contre lesquelles l’école mène sans le dire clairement une mission civilisatrice.

En reprenant cette analyse, on peut dire que je n’ai rencontré dans mon enquête que ce que les enseignants rencontrés par Dominique Glasman appellent des « parents » (et leur entourage) et non des « familles ». C’est-à-dire des personnes qui se considèrent et sont considérées comme des acteurs, des partenaires potentiels par l’institution scolaire ou encore par les professionnels de la santé, et qui construisent un discours légitime sur leur enfant et un horizon qu’ils n’ont pas peur de décrire devant un sociologue. Ce sont donc des personnes qui possèdent une légitimité sociale et une confiance dans les institutions sociales suffisantes pour accepter d’énoncer un discours plus ou moins construit sur un problème socialement dévalorisant et problématique : les difficultés intellectuelles, scolaires, comportementales de leur enfant.

L’examen des informations contenues dans les dossiers des élèves ayant fréquenté ABC École donne quelques résultats qui vont dans le sens de ces hypothèses. En particulier, il est possible d’observer les caractéristiques des personnes qui ont accepté de participer à mon enquête par rapport à celles de l’ensemble des parents ayant reçu mon courrier. Malgré le peu de variables disponibles et la faiblesse des effectifs, on s’aperçoit alors que les parents qui ont répondu positivement à ma requête sont de manière significative ceux qui ont un enfant scolarisé à ABC École plus âgé que la moyenne, ceux dont l’enfant fréquente depuis peu cet établissement, ceux qui habitent en banlieue plutôt qu’à Paris même et ceux qui ont découvert ABC École par le biais d’une démarche purement individuelle (et non ceux qui ont été orientés par une institution ou des professionnels). Si l’on veut oser une caractérisation

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générale de ces parents, on peut dire que ce sont des personnes qui sont dans une démarche particulièrement volontariste qui les a amenés à chercher par eux-mêmes, pour un adolescent qui pourrait relever d’un institut spécialisé, une école coûteuse et éloignée de leur domicile mais normalisante, car centrée sur les apprentissages classiques.

Les « familles » marquées par une forme d’illégitimité sociale ne sont pas pour autant impossibles à rencontrer. Mais cela nécessite d’autres modalités d’enquête que celles que j’ai utilisées (un courrier envoyé par le biais d’une institution). La Fondation de France a par exemple commandité une enquête visant à dénombrer les familles vieillissantes assumant seules la charge d’un descendant handicapé devenu adulte, c’est-à-dire sans l’appui de services institutionnels. Nancy Breitenbach en a tiré un article [Breitenbach, 1998] et montre qu’il s’agit surtout de familles ouvrières ou agricoles n’ayant pas trouvé de solution institutionnelle ou ayant estimé que la vie de famille valait mieux pour leur enfant qu’une prise en charge institutionnelle qu’elles s’imaginaient sur le modèle de l’hôpital psychiatrique.

Les déficiences en question sont surtout d’ordre intellectuel et psychique et ce sont essentiellement les femmes, avec l’aide ponctuelle de leur mari et parfois de leurs voisins, qui assurent l’entretien quotidien de la personne dépendante. Les services d’aide à domicile sont peu connus de leur part et considérés, quand ils le sont, avec méfiance et comme trop chers.

Même si le décalage générationnel entre ces enquêtés et les miens est important dans la mesure où les prises en charge institutionnelles se sont progressivement développées et normalisées après la deuxième guerre mondiale, il est certain que je n’ai pas eu accès à ce genre de familles du fait des modalités d’enquête choisies. Il faut donc garder à l’esprit que les analyses qui vont suivre ne concernent que des « parents » et leur entourage au sens de D.

Glasman et que s’il existe une vraie diversité sociale au sein des cas que je présente, celle-ci n’est pas totale et d’autres enquêtes seraient justifiées pour élargir encore la comparaison et atteindre d’autres cas.

L’implication, la légitimité à parler de l’enfant qui caractérisent donc les personnes que j’ai rencontrées (ou du moins qui caractérisent les premières personnes rencontrées pour chaque cas étudié) leur ont permis de produire devant moi un discours construit sur l’enfant, comme ils en construisent devant divers proches et professionnels17. Ce matériau est donc tout à fait adapté à l’analyse des catégories indigènes18, c’est-à-dire des manières de penser et de dire des personnes rencontrées, utilisées pour expliquer, décrire et analyser les conséquences

17 On retrouve là les traces de la « société biographique » dans laquelle nous vivons, qui multiplie les occasions, institutionnelles notamment, de raconter et d’analyser sa propre vie ou celle de ses enfants [Fassin et Memmi, 2004].

18 Le terme « indigène », utilisé classiquement en anthropologie pour désigner ce qui relève de l’observé et non de l’observateur, a des connotations coloniales aujourd’hui déplacées et déplaisantes, mais la force de l’habitude et les besoins de la communication scientifique le rendent difficile à éviter.

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des difficultés des enfants et adolescents dont il est ici question. C’est pourquoi la suite de ce texte peut être consacré à l’examen de ces théories indigènes, à ce qu’elles sont, ce qu’elles révèlent et ce qu’elles impliquent.

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