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II. DÉVELOPPEMENT PARTICIPATIF, GESTION DES AFFAIRES PUBLIQUES ET

7. Appui aux organisations non gouvernementales

L’émergence des organisations populaires de base

Jusqu’à présent, ce sont surtout les ONG qui ont acquis une grande expérience du développement participatif. Parmi toutes celles que l’on dénombre, certaines, dans les pays donneurs, ont choisi tout spécialement d’appuyer les initiatives locales des organisations de

base, tant sur place que dans le cadre des réseaux et des fédérations qui les regroupent au sein d’un seul ou de plusieurs pays en développement. Par suite de ce travail, et grâce à l’esprit d’innovation dont ont fait preuve d’innombrables acteurs à divers niveaux dans les pays en développement, «le phénomène le plus intéressant que l’on a pu observer au cours des 20 dernières années dans le secteur des ONG est la naissance, l’expansion et la maturation des organisations de base», pour reprendre les termes de John Clark dans un récent ouvrage intitulé

Democratising Development - The Role ofVoluntary Organisations (Earthscan, 1991). Pour les

pauvres, appartenir à une organisation de base, c ’est se donner collectivement les moyens d’entreprendre une action propre à modifier radicalement leur situation, même si le point de départ est modeste - club d’épargne, programme d ’alphabétisation ou de crédit, groupe de femmes ou de paysans mis sur pied pour accroître leur revenu.

Tirant les leçons de l’expérience acquise au Bangladesh, où plusieurs ONG nationales et certaines ONG étrangères ont entrepris d’importants programmes en vue de renforcer les mouvements populaires de base, Clark décrit un processus articulé en plusieurs étapes : commencer par une activité que tout le monde peut facilement appréhender ; donner systémati­ quement les moyens d’une prise de conscience (les programmes d ’alphabétisation fonctionnelle sont particulièrement utiles à cet égard) ; consolider la direction du mouvement, notamment en formant les chefs de file choisis par les villageois ; s’attaquer aux injustices d ’origine interne et externe : appuyer les activités génératrices de revenu des femmes, en particulier, risque de déclencher une succession de changements dans la perception, le statut et les options de tous les intéressés ; encourager les groupes à tracer leur propre voie, laissant ainsi la porte ouverte à de nouvelles initiatives imprévues ; encourager la recherche que les groupes mènent eux-mêmes sur des problèmes qui les intéressent ; favoriser les alliances entre groupes locaux ; chercher des alliés influents parmi les hommes politiques, les hauts fonctionnaires, les magistrats, les journalistes ou dans d ’autres professions susceptibles de prendre parti pour la cause des pauvres ; explorer les possibilités offertes par les institutions publiques, en utilisant habilement, par exemple, la justice et la police. Après avoir atteint une masse critique, les organisations de base peuvent aussi mettre au point une stratégie politique, par exemple en présentant leurs propres candidats aux élections locales. Elles doivent bien doser les contributions extérieures et intérieures dont elles bénéficient pour préserver leur autonomie et assurer la viabilité de leur action à venir. Il faut qu’elles soient prêtes à faire face aux violences et à y répondre par des moyens tels que aides juridiques et financières pour les familles concernées. Enfin, elles doivent dans certains cas s’efforcer de trouver un appui international, en particulier lorsque les représailles de l’élite locale deviennent dangereuses et que les autorités nationales sont lentes à se ranger du côté des pauvres. Dans une région du Bangladesh, par exemple, les autorités locales ont été brusquement poussées à intervenir - en l’occurrence pour libérer les chefs de file emprisonnés d’un groupe de paysans sans terre - après avoir vu un documentaire de la télévision britannique sur la lutte de ces paysans pour obtenir les titres de propriété qui leur revenaient normalement de plein droit, et après s’être rendu compte de l’intérêt que leur portaient plusieurs ONG internationales.

Les différents stades de développement des mouvements locaux

Les phases de développement successives du Bangladesh Rural Advancement Commit­ tee (BRAC) qui, avec la Grameen Bank, figure parmi les ONG les plus importantes et les plus connues de ce pays, méritent également d’être étudiées. De l’avis même d’un dirigeant de ce comité, elles montrent bien comment des organisations démarrant au niveau des communautés

de base en viennent peu à peu à jouer un rôle au plan national. Fondé par un Bengali, le BRAC était à l’origine un organisme de secours chargé de venir en aide aux personnes déplacées qui se trouvaient dans un village du Bangladesh d’après la guerre, en 1971/72. Passant de l’aide humanitaire au développement communautaire, le BRAC s’est alors rendu compte qu’il ne pourrait pas faire grand-chose pour les pauvres s’il ne décidait pas de travailler pour eux et avec eux. C ’est ainsi qu’il a choisi de se mettre au service de la moitié la plus pauvre, hommes et femmes confondus, de toutes les populations villageoises du pays. Le programme autour duquel tournent toutes ses activités continue de privilégier le développement rural et tout ce qui peut aider les communautés à s’organiser pour atteindre leurs objectifs. Les principaux moyens mis en œuvre, à l’échelle des 5 000 villages maintenant desservis, sont l’éducation de base des adultes et le crédit rural. Plus récemment, le BRAC a été sélectionné par certains donneurs pour mettre en œuvre de grands programmes financés par l’aide et comportant toute une série d’activités en faveur des soins de santé primaires et de l’éducation de base des enfants. En acceptant de servir d ’agent d ’exécution de ces programmes, le BRAC a pris une importance nationale, tout en élargissant l’éventail des mesures qu’il offre aux paysans. Il a aussi acquis une expérience directe des problèmes qui sont à l’origine de l’inefficacité des services de santé en milieu rural. Pour y remédier, le BRAC a mis sur pied un programme de formation en cours d ’emploi qui lui permet à l’heure actuelle de recycler les personnels des services de santé en procédant avec eux à un échange d’idées et d’informations. Par le biais d’un programme expérimental d ’enseignement destiné aux enfants, il tente aussi d’amener les autorités à recon­ naître la nécessité des matériels didactiques et de nouvelles méthodes pédagogiques. Ce faisant, il joue un rôle original en s’efforçant de réformer les services sociaux essentiels du pays et en plaidant la cause des paysans pauvres à tous les échelons de l’administration.

L ’exemple du Bangladesh n ’est pas unique. On pourrait tirer quantité d’enseignements identiques de l’expérience d ’autres pays d’Asie du Sud et du Sud-Est, d’Amérique latine et d’Afrique, en particulier dans la région du Sahel et au Zimbabwe. Dans un certain nombre de pays, les mouvements populaires de base ont maintenant étendu leur marge de manœuvre bien au-delà d’une action locale à petite échelle, parfois même au point de remodeler les institutions nationales. Leurs organisations ont ouvert la voie à des réformes du système des banques commerciales, qui visent à rendre le crédit accessible aux emprunteurs ne disposant pas de garanties, ou bien elles poursuivent des réformes dites «microéconomiques», qui sont fondées sur des changements institutionnels - réorganiser le fonctionnement des services d’irrigation pour mieux desservir les usagers, par exemple (David Korten). Les faits soulignent l’impor­ tance des alliances passées par les groupes de base avec les services techniques au niveau local, les autorités administratives du pays d’accueil et une ONG, une fondation ou un organisme d ’aide fournissant un appui extérieur. C ’est dans ce type d’approches plus stratégiques, plutôt que dans la mise en œuvre de projets isolés, que l’on tend de plus en plus à voir tout l’intérêt du travail des ONG et des groupes de base.

La contribution de l’aide

L ’aide publique peut contribuer à l’essor du secteur des ONG, tant par des mesures directes telles que les accords de cofinancement, qu’en encourageant indirectement les ONG des pays donneurs à soutenir leurs homologues des pays en développement. L’Agence cana­ dienne de développement international (ACDI), par exemple, parallèlement à ses activités de cofinancement des ONG canadiennes, applique depuis plusieurs années un programme visant à aider les ONG internationales à renforcer leurs filiales dans les pays en développement. De

nombreux organismes d ’aide partagent eux aussi cette tendance récente au renforcement des ONG des pays en développement, et certains d ’entre eux les financent même directement. Comme on le rappelait plus haut, les Membres du CAD ont déclaré qu’ils entendaient œuvrer avec leurs partenaires des pays en développement pour un développement plus participatif, en faisant davantage appel aux organisations locales et aux ONG.

Dans une note de synthèse publiée en 1988 à l’issue d’un cycle de plusieurs réunions sur la coopération des organismes d’aide avec les ONG, le CAD conclut que l’un des premiers objectifs de cette coopération est de donner aux ONG des pays en développement les moyens nécessaires pour définir leurs propres objectifs et se faire reconnaître par leurs gouvernements comme des partenaires dans l’action pour le développement. Les donneurs devraient donc encourager les pouvoirs publics à prendre les mesures voulues pour instaurer un cadre propice à l’évolution d’un secteur non gouvernemental dynamique et indépendant, avec des règles moins restrictives d’homologation et d’accès aux fonds. Pour s’acquitter du rôle spécifique qui leur incombe en matière de développement, les ONG doivent veiller à préserver leur intégrité et leur autonomie, mais les modalités de la coopération entre les donneurs et ces organisations ne concourent pas toujours à assurer cette indépendance. Les ONG risquent en effet d’être détournées de leurs objectifs initiaux par le poids croissant des tâches administratives que leur imposent les donneurs, qui les persuadent, de surcroît, d ’accepter de servir d ’agents d’exécu­ tion des projets officiels pour pouvoir se procurer des fonds.