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Si la séquence tragique : loi /transgression /punition, nřest, comme nous lřavons constaté, pas toujours respectée, le fait divers, et de surcroît le canard sanglant, semble être régi par un schéma structurel invariant, un « patron narratif » en quelque sorte, que les auteurs (anonymes) se sont passé entre eux durant des générations.

159 Lever, Maurice. Canards sanglants, Naissance du fait divers. Op.cit., p.17. 160 Idem, p.15.

Roland Barthes expose dans son article « Structure du fait divers »161 un ensemble de principes invariants caractérisant le genre. Le titre général de cette étude nřest pas sans faire écho à des méthodes et à des principes de réflexion qui lui sont dus. Ainsi, ce sont trois grands principes structurels qui sont mis en avant par le critique : tout dřabord le caractère clos et auto-suffisant du fait divers, puis la fonction des personnages et des objets qui le composent, enfin, la relation causale et systémique qui existe entre les événements narrés.

Remettant en question lřingrate réputation qui précède le fait divers, il serait, selon les propos synthétiques du critique, un rebut inorganisé de nouvelles informes ce qui en ferait une information monstrueuse.162 Notons que lřhistoire tragique se situe à lřopposé de toute essence privative : elle apparaît, au contraire, « excessive » par tant de mimétisme avec les autres genres comme le roman ou la tragédie mais nřen reste pas moins « monstrueuse » par sa composition. Dans son article, Barthes sřattache ainsi, à spécifier le fait divers par sa structure propre voyant en celui-ci une forme homogène et un « système clos » 163 véhiculant une information totale à un seul « variable » sřapparentant, ainsi au conte ou à la nouvelle. Il sřoppose en cela à ce quřil nomme « lřassassinat » qui appartient à un système « extensif » où la connaissance dřun contexte est essentielle pour la compréhension de celui-ci. Il est également nécessaire que celui-ci ne possède pas de structure propre et se rapproche dřun fragment de roman.

En outre, le fait divers véhicule et entretient des stéréotypes puissants engendrés par les dramatis personnae, correspondants idéologiques de « la veuve » et de « lřorphelin » chargés dřessences émotionnelles fortes et suscitant de vives émotions chez le lecteur de toute époque. Jouets de la Fortune en quelque sorte, comme au sein de lřhistoire tragique, (toute causalité pure étant aberrante), les personnages du fait divers illustrent les paradoxes de la vie : cřest Agamemnon qui condamne sa fille quand celle- ci loue ses bontés, pour reprendre lřexemple de Barthes, mais cřest aussi Timon dřAthènes qui organise un immense festin quand il apprend quřil est ruiné et cřest Œdipe qui tue son père et couche avec sa mère, sans le savoir ; tous ces mythes, hors de leur contexte pourraient constituer dřincroyables faits-divers par les invraisemblables

161 Barthes, Roland. Structure du fait divers, dans « Essais critiques ». Paris : Seuil, 1964, p.194-204.

162 Idem, p. 194.

contradictions internes quřils comportent. Barthes recense deux catégories de faits inexplicables : les prodiges et les crimes ; lřénigme étant le plus souvent noyée dans le pathétique des acteurs, ces fameux dramatis personnae. Le rôle des objets nřest, somme toute, pas à négliger dans la mesure où lui aussi est « signe » et moteur de « causalité ». Cřest parce quřun dieu rôde derrière le fait divers ; que le Destin est malicieux et que toute coïncidence est déchiffrable, 164 que le fait divers serait avant tout une « articulation » rhétorico-sémantique.

Le « canard sanglant », expression macabre et historique du fait divers en porte « lřesprit » général du propos tout en conservant la forme de lřhistoire tragique avec la part consacrée à la description du massacre sur prononcée dřoù lřépithète « sanglant » qui caractérise le genre. On a une écriture très proche de la littérature populaire 165 déclarait en 2000 lřancien rédacteur en chef du Nouveau détective, Cyril Guinet. Un système qui donne à beaucoup lřimpression que les journalistes ne se fixent aucune limite dans lřhorreur.

Cependant, le fait divers, dřun point de vue générique, (le « canard sanglant » nřétant quřune de ses manifestations historiques) nřa pas réussi à sřélever au rang de la nouvelle alors que le XIXe siècle semblait aussi favorable à lřun quřà lřautre. Il est évident que lřabsence de paternité, dřun nom derrière le récit nřa pas joué en faveur de la reconnaissance du fait divers ; celui-ci pêche inévitablement par son anonymat ; la nouvelle, par exemple, étant devenue ce quřelle est aujourdřhui grâce à des noms comme Nerval, Poe ou Maupassant alors que le fait divers reste un « terrain dřentraînement ».

Le fait divers est un signifiant excessif qui ouvre sur des signifiés pluriels et ambigus analyse Franck Evrard166. Ainsi, sřil existe un bon usage du fait divers et du « canard sanglant », ils portent formellement les stigmates dřune transgression issue de la littérature brève romanesque pour exprimer la part absurde ou maudite de la vie. Loin dřinviter à une évasion grotesque et hyperbolique de la réalité, tant le « canard

164 Barthes, Roland. Structure du fait divers. Op.cit., p. 202-203. 165 http://presse-paris.univ-paris1.fr/spip.php?article63

sanglant » que lřhistoire tragique y ramène par un effet de proximité fonctionnant comme un certificat dřauthenticité dřoù le texte littéraire puise sa force.