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Chapitre 3 Méthodes

3.2 Approche et perspective de l’évaluation économique

Trois types d’analyses ont été effectuées : 1) analyse coût-efficacité; 2) analyse coûts- conséquences; 3) analyse d’impact budgétaire.

1) Analyse coût-efficacité

L’analyse coût-efficacité est un standard pour l’évaluation économique en santé. Ce type d’analyse permet de mettre en relation le coût et l’efficacité de l’intervention. Le résultat obtenu est le coût additionnel d’une unité d’efficacité supplémentaire. Par exemple, une année de vie additionnelle ou une amélioration de la qualité de vie. Tel que suggéré par le nom de l’intervention, la stabilité résidentielle est l’objectif principal de Housing First. Il nous est donc apparu naturel de choisir le nombre de jour en logement stable comme mesure d’efficacité. L’analyse coût-efficacité nous informera sur le coût additionnel d’une journée supplémentaire en logement stable comparativement aux services usuels. Notons que la stabilité résidentielle n’est pas indépendante de l’utilisation des ressources et des coûts : Plus le nombre de journées stables en logement augmente pour le participant ceteris paribus, plus le coût de l’intervention Housing First va augmenter. Mais, sous une perspective telle que celle du système de santé et des services sociaux, ou la perspective sociétale, une plus grande stabilité résidentielle pourrait être associée à une réduction dans l’utilisation de d’autres ressources plus coûteuses, par exemple, les hospitalisations ou les nuits en refuge; ou inversement, à une augmentation dans les coûts d’autres ressources, par exemple, les équipes de suivi HF ou peut-être certains traitements spécialisés. À priori, il n’est pas évident quel sera le sens de la corrélation entre stabilité résidentielle et coûts.

L’analyse coût-utilité, qui correspond à une analyse coût-efficacité avec pour mesure d’efficacité le QALY3, est le type d’analyse le plus utilisé par les agences d’évaluation en santé publique (National Institute for Health and Clinical Excellence, 2012) car elle permet une comparaison directe avec différentes interventions en santé (ex : médicaments, chirurgie, etc.). Le rapport coût-efficacité différentiel d’une journée supplémentaire en logement stable se

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Le QALY est l’acronyme anglais non-traduit de quality adjusted life years. Cela se traduit par années de vie pondérée par sa qualité.

comparant difficilement avec le QALY et d’autres mesures d’efficacité plus traditionnelles, il nous est apparu important de justifier le choix de notre mesure d’efficacité dans cette section.

Des données sur la qualité de vie des participants ont été collectées par le projet Chez Soi (EQ-5D et SF-6D) mais ces données n’ont pas été utilisées pour la réalisation d’une analyse coût-utilité jusqu’à présent. Malgré le fait que la qualité de vie globale semble être plus élevée dans les groupes recevant Housing First, les données n’ont révélé aucune amélioration significativement différente de la qualité de vie liée à la santé et ce, malgré les conséquences positives qui ont été observées à travers des analyses qualitatives (McAll dans (Latimer et al., 2014)). Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette absence de différence entre les groupes : Premièrement, un changement dans la façon de répondre chez les participants après qu’ils aient reçu Housing First (response shift, Mayo, 2008 #252) peut avoir eu lieu. Le fait de vivre en logement a peut être modifié les critères avec lesquels les participants HF ont évalué leur qualité de vie. Deuxièmement, les instruments mesurant la qualité de vie, souvent utilisés dans le cadre de problèmes de santé physique, ne sont peut-être pas assez sensibles pour mesurer les résultats d’interventions en santé mentale (Chisholm, Healey, & Knapp, 1997; Knapp & Mangalore, 2007) et en itinérance4. D’autres facteurs peuvent être mis en cause.

Finalement, il est important de souligner que Housing First n’est pas qu’une intervention en santé. C’est aussi une intervention de nature sociale. Il est sans doute inapproprié de réduire l’évaluation des bénéfices de l’intervention aux QALYs. Une mesure capturant des effets plus étendus serait plus adéquate. En absence de cette mesure, la stabilité résidentielle, objectif principal de Housing First, nous semble approprié.

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Les résultats des mesures de qualité de vie liées à la santé semblent se comporter étrangement : La présence de troubles de santé mentale et de difficultés fonctionnelles plus importantes chez les participants ayant des besoins élevés semble indiquer que ces derniers ont une situation de vie plus difficile que les participants ayant des besoins modérés. Or, les participants ayant des besoins élevés ont rapporté une qualité de vie supérieure aux participants ayant des besoins modérés (Latimer & Rabouin, 2011). La présence de troubles psychotiques peut expliquer ces résultats. Ce constat semble indiquer que les mesures de qualité de vie liée à la santé sont peut-être inadéquates pour mesurer la qualité de vie chez les personnes ayant des troubles de santé mentale.

2) Analyse coûts-conséquences

L’analyse coûts-conséquences présente les coûts et les conséquences de l’intervention. L’analyse coût-efficacité agrège les variables de coûts ensemble et il en résulte une perte de détail importante pour la prise de décision. Cette analyse permettra d’étudier plus en profondeur quels services et quels coûts sont affectés par Housing First, informations très pertinentes pour le décideur dans l’allocation des ressources5. Un bilan des coûts et des conséquences est présenté

dans ce mémoire. Dans le cas des études cliniques, plus souvent effectuées en économie de la santé, des conséquences cliniques sont étudiées. Dans le cas de cette étude psycho-sociale, l’utilisation de services et la stabilité résidentielle des participants sera analysée. Cette approche moins traditionnelle permet néanmoins de mettre en regard diverses conséquences (bénéfices ou inconvénients) de Housing First avec ses coûts. L’augmentation ou la diminution de l’utilisation de certains services peut être considérée comme une conséquence positive ou négative de l’intervention. Par exemple, l’augmentation de la fréquentation d’un organisme communautaire peut être considérée comme un signe de participation à la vie communautaire tandis qu’une augmentation de séjours en prison est considérée négativement. Cette analyse coûts- conséquences se limitera aux résultats obtenus dans ce projet de recherche.

3) Analyse d’impact budgétaire

Une analyse d’impact budgétaire a été réalisée afin d’informer les décideurs des budgets à prévoir pour Housing First à Montréal. Dans un système de santé publique où l’accès est universel et équitable, l’intervention doit en principe pouvoir être offerte à toutes les personnes itinérantes ayant des troubles de santé mentale qui pourraient en bénéficier. L’analyse d’impact budgétaire présente les budgets nécessaires pour l’implantation de Housing First ainsi que l’impact budgétaire total de l’implantation d’un tel programme.

Afin d’effectuer une analyse d’impact budgétaire, il faut connaître le nombre de personnes qui pourraient bénéficier du programme. Malheureusement, le dernier dénombrement

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Notons que les présentations effectuées auprès des gouvernements dans le cadre de l’étude nationale At Home / Chez Soi sont les résultats d’analyse coûts-conséquences. L’analyse présentée dans ce mémoire est une application des mêmes méthodes utilisées pour l’analyse nationale aux données du site de Montréal.

des personnes itinérantes à Montréal et au Québec remonte à 1996-19976 (Fournier, 1998) et la dernière enquête remonte à 1998-199 (Fournier, 2001). Ce rapport a été utilisé pour estimer le nombre actuel de personnes itinérantes présentant des troubles de santé mentale à Montréal : 572 personnes ayant des besoins élevés et 1410 ayant des besoins modérés. La méthode utilisée pour obtenir ces estimés est décrite dans l’annexe 4.

3.2.2 Perspective de l’évaluation économique

La perspective sociétale a été choisie pour réaliser l’évaluation économique des programmes étudiés. Les ressources sont limitées. La décision d’investir dans une intervention implique un coût d’opportunité. Les ressources pourraient financer une autre intervention, auprès de la population évaluée ou une autre. La perspective sociétale permet de prendre en compte tous les groupes de la société. Le coût de la ressource utilisée représente son coût d’opportunité.

Les coûts estimés sous la perspective sociétale sont ceux traditionnellement mesurés sous une perspective gouvernementale (coûts de santé, de services sociaux, de sécurité publique, de justice et de services correctionnels) mais également la part du coût des organismes communautaires qui est financée par des dons privés, ainsi que les revenus d’emplois des participants, qui représentent un gain pour la société. À Montréal, la part des dons privés peut représenter jusqu’à 50% du budget annuel des refuges. Ces coûts sont importants et n’auraient pas été inclus sous une perspective gouvernementale.

D’autres coûts considérables sous une perspective sociétale, qui n’ont pas été inclus dans ce mémoire, sont importants à mentionner : Le fardeau d’héberger un proche en situation d’itinérance, le fardeau social d’avoir des personnes qui dorment dans des endroits publics et les interventions des proches n’ont pas été comptabilisés. La mesure de ces coûts est subjective et nous avons préféré ne pas les inclure, même s’ils représentent des coûts non-négligeables pour la société.

Les paiements de transfert, tels que les paiements provenant de l’aide sociale ou les pensions d’invalidité, bien que traditionnellement non inclus sous la perspective sociétale ont été comptabilisés pour cette évaluation économique. Presque tous les participants du projet Chez Soi

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Le Ministère de la santé et des services sociaux considère présentement réaliser un recensement des personnes itinérantes au Québec.

bénéficient de paiements de transfert; leurs revenus d’emploi sont habituellement minimes ou inexistants. Nous avons cru bon de les ajouter aux coûts sociaux. Ces paiements de transfert peuvent être considérés comme une mesure approximative du coût de maintien des patients dans la communauté (Frisman & Rosenheck, 1996; Weisbrod et al., 1980). Ces paiements de transfert font partie des ressources que la société doit consentir pour améliorer la stabilité résidentielle et la qualité de vie des personnes itinérantes.

Les conséquences mesurées sont la stabilité résidentielle et le temps passé à l’hôpital, dans les refuges, dans la rue, les prisons et autres types de lieux. L’augmentation de la stabilité résidentielle et la diminution de l’utilisation de plusieurs services, par exemple les hospitalisations et les contacts avec la police, sont généralement considérées comme des bénéfices de l’intervention.

Les conséquences intangibles de l’intervention, tel que les impacts sur la santé, le bien- être, le réseau social, etc. n’ont pas été analysés dans cette évaluation économique.