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Approche dynamique, cas des fragments de fission

5.2.2 Moment angulaire total des fragments de fission

5.2.2.2 Approche dynamique, cas des fragments de fission

En 1960, V. M. Strutinskii [105] explique qualitativement que le moment angulaire des frag- ments de fission apparaît au point de scission. Après la rupture brutale du col en ce point, la force de répulsion coulombienne génère un couple de force sur chacun des fragments qui les fait tourner dans des directions opposées. Ces derniers gagnent donc du moment angulaire lors de la phase d’accélération. Il montre de plus que la distribution angulaire WL(θ) des gammas de

multipolarité L est corrélée à la valeur du moment angulaire initial des fragments J selon : WL(θ) = 1 + kL ~

2J IT

!2

sin2(θ) (B.5.27)

avec kLune constante dont la valeur dépend de L, I le moment d’inertie du fragment, T la tem-

pérature du noyau et J le moment angulaire initial du fragment après la phase d’accélération. Cette relation permet donc de déterminer la valeur de J, qui n’est pas une observable, à partir des distributions angulaires des gammas émis par les fragments.

Ensuite en 1965, J. R. Nix et J. Swiatecki [106] expliquent que l’origine du moment angu- laire des fragments se trouve au point selle, où les deux fragments sont en équilibre statistique. Là, les modes d’excitation collectifs qui contribuent effectivement au moment angulaire sont le bending mode et le wriggling mode dont une représentation est visible sur la Figure B.5.7. Le mode bending correspond à la rotation des fragments qui se touchent : l’un tournant dans le sens trigonométrique et l’autre dans le sens horaire. Le mode wriggling correspond lui à la rotation de chacun des fragments dans le même sens (trigonométrique ou horaire) et à la rotation de l’ensemble du système dans le sens contraire, ce qui assure la conservation du moment angulaire total.

L’évolution du système du point selle jusqu’à la séparation des fragments permet alors de mon- trer que leur distribution de moment angulaire est une distribution de Rayleigh. Ils montrent que les fragments formés lors de la fission d’un noyau de 213At de température T =1.13 MeV ont un moment angulaire de 8.5 ~ à la scission.

Ensuite il détermine la variation du moment angulaire des fragments lors de la phase d’accélé- ration. En effet lorsque l’axe de symétrie des fragments est non aligné par rapport à l’axe de fission, ces derniers subissent un couple de force qui fait varier leur moment angulaire. Deux cas sont alors considérés suivant si les fragments sont visqueux ou non. Dans le cas où ils sont visqueux, leur déformation quadripolaire est considérée comme fixe et le couple de force qu’ils subissent est alors important. Le fragment gagne donc un moment angulaire important. Dans le cas où ils sont non visqueux, ils oscillent et passent rapidement d’une forme oblate à prolate, conduisant à une variation moyenne du moment angulaire faible.

Nix et al. déterminent que si lors de la phase d’accélération les fragments sont visqueux, leur moment angulaire est de 15 ~ lorsqu’ils seront à l’infini l’un de l’autre. S’ils sont non-visqueux, il est seulement de 10 ~.

5.2. ÉTAT INITIAL (E, J , π) DES FRAGMENTS DE FISSION

Mode bending Mode wriggling

Axe de symétrie Axe de symétrie

Figure B.5.7 – Modes de vibrations collectifs Wriggling (gauche) et Bending (droite) des frag- ments de fission.

En 1969, J. O. Rasmussen [107] propose un modèle, dans lequel l’un des fragments est sphérique, où au point de scission, il existe une barrière d’énergie potentielle suffisamment élevée pour que seuls les états collectifs de basse énergie des modes bending soient excités. Le moment angulaire des fragments à la scission est alors déterminé en décomposant la fonction d’onde du fragment déformé sur la base des harmoniques sphériques. La distribution de moment angulaire obtenue est une distribution de Rayleigh dont le paramètre de spin cut-off est associé à l’angle entre l’axe de symétrie du noyau et l’axe de fission. Cet angle dépend d’un paramètre d’inertie et de l’énergie cinétique des fragments. Dans le cas de la fission du 239Pu, ils déterminent que le 108Ru (dont le noyau complémentaire est sphérique) possède un moment angulaire d’environ 5.5 ~. Ensuite lors de la phase d’accélération des fragments, si le 108Ru est visqueux ou non, le gain de moment angulaire sera respectivement de ∼5.5 ~ ou de ∼2 ~. Le gain de moment angulaire lors de la phase d’accélération peut aller jusqu’à 50 % si le fragment est visqueux et jusqu’à 20 % dans le cas contraire.

En 1974, M. Zielinska-Pfabé et K. Dietrich [108] généralisent le travail de J. O. Rasmussen à deux noyaux déformés et prennent aussi en compte la dynamique du système fissionnant lors de sa descente du point selle au point de scission. Si cette descente est adiabatique il n’y a pas de transfert d’énergie entre les degrés de liberté collectifs et intrinsèques. Les états collectifs de basse énergie sont alors majoritairement occupés et le moment angulaire des fragments est compris entre 4 et 5 ~. Par contre si il y a un couplage entre les états collectifs et intrinsèques, des états collectifs de plus haute énergie sont occupés menant à des moments angulaires plus élevés compris entre 5.5 et 7 ~ [108]. La distribution du moment angulaire en fonction de la masse des fragments alors obtenue est présentée sur la Figure B.5.8. Cette distribution montre que pour les groupes légers et lourds le moment angulaire a une évolution globalement linéaire et que plus l’énergie d’excitation des fragments est élevée, plus la valeur de leur moment angulaire est élevée. La différence de moment angulaire peut atteindre 3 ~ entre une évolution adiabatique du système fissionnant et une dans laquelle le couplage entre les degrés de liberté collectifs et intrinsèques est important. Cette figure montre aussi qu’en moyenne les fragments lourds ont un moment angulaire d’environ 20-40 % plus important que celui des légers.

CHAPITRE 5. INFLUENCE DES MODÈLES SUR LES OBSERVABLES DE FISSION

Figure B.5.8 – Évolution du moment angulaire (l moment angulaire à la scission et ∆l variation du moment angulaire lors de la phase d’accélération) en fonction de la masse des fragments et pour différentes températures T des noyaux [108].

5.2.2.3 Données expérimentales

Le moment angulaire total initial (Ji) des fragments de fission ne peut pas être mesuré.

Ce sont les gammas prompts de fission qui comportent cette information car ce sont eux qui permettent aux fragments initialement dans un état de haut spin de rejoindre leur état fonda- mental de faible spin. Leurs propriétés telles que leur distribution angulaire ou leur multiplicité comportent donc beaucoup d’informations sur la valeur de Ji. L’ajustement de ces données ex-

périmentales par un modèle de désexcitation de fragments dont le paramètre libre est Ji permet

donc de déduire la valeur de Ji.

Les données couramment utilisées pour déterminer Jisont les mesures de distributions angulaires

des gammas, de rapport d’embranchement isomérique et d’intensité des transitions gammas de basse énergie. Les méthodes de détermination de Ji à partir de ces données sont maintenant

exposées.

Mesures des distributions angulaires des gammas prompts

Les mesures de la distribution angulaire W (θ) des gammas prompts par rapport à l’axe de fission permettent de déterminer la multipolarité des gammas émis et donc l’alignement des moments angulaires des fragments par rapport à l’axe de fission. Avec un modèle statistique de désexcitation des fragments dans lequel l’émission neutron puis gamma est réalisée, K. Skars- vag [77] (252Cf) reproduit W (θ) en suivant à chaque étape du calcul l’évolution du moment angulaire du noyau et de son orientation. Avec ce modèle de désexcitation, basé sur les tra- vaux de Strutinskii (Équation B.5.27), il détermine un moment angulaire moyen d’une valeur de JRM S =6.5 ± 1.0 ~.

Mesures des rapports d’embranchements

Le rapport isomérique d’un noyau, noté R = Ym/Ytot, est défini comme le rapport du nombre

de fragments (Ym) dont la désexcitation peuple un état métastable du noyau avant de rejoindre

l’état fondamental sur le nombre total de fragments (Ytot). Expérimentalement, les mesures de

rapport d’embranchement se restreignent aux fragments dont la décroissance mène à un état isomérique de temps de vie d’au moins quelques microsecondes puisque ces mesures sont réalisées par spectroscopie gamma.

5.2. ÉTAT INITIAL (E, J , π) DES FRAGMENTS DE FISSION

Dans les années 1960, le moment angulaire initial des fragments est déduit avec le modèle de désexcitation statistique de Huizenga et Vandenboch [109, 110], dans lequel un algorithme de type Hauser-Feschbach est mis en place. Un des paramètres ajustables du code est la valeur du spin cut-off σ. Avec ce modèle, les différentes études de D. G. Sarantites et al. [111], de H. Naik et al. [79] et de N. Imanishi et al. [78], réalisées sur un nombre important de systèmes fissionnants, ont montré que les valeurs de JRM S varient entre 5 ~ et 11 ~.

Mesures des intensités de transitions gammas de basse énergie

J. B. Wilhelmy et al. [70] (252Cf(sf)) déduisent le moment angulaire total initial J

i à partir

des intensités des transitions gammas de basse énergie pour les derniers niveaux rotationnels de noyaux pair-pairs. Deux méthodes sont alors utilisées pour extraire Ji.

La première consiste à comparer les intensités mesurées à des intensités intra-bandes préalable- ment calculées pour des réactions avec des particules chargées A(particule chargée, xn)B, dont le moment angulaire initial est obtenu par un calcul de modèle optique. La mise en correspon- dance des intensités gammas, permet alors de déduire Ji. Cette méthode suppose que les états

finaux peuplés proviennent d’un même état initial quelle que soit la réaction.

La deuxième méthode d’analyse utilisée consiste à reproduire les intensités mesurées avec un modèle de désexcitation dans lequel les émissions neutron et gamma sont découplées.

Les deux méthodes utilisées conduisent à des résultats différents en absolu. Par exemple les moments angulaires du 144Ba obtenus avec la première et la seconde méthode sont respective- ment 9.2 ~ et 6.7 ~. Cependant ces études montrent que les fragments lourds ont en moyenne un moment angulaire supérieur de 20 % par rapport à celui des légers, et ce quelle que soit la méthode utilisée.

De manière générale, les résultats des différentes méthodes montrent que la valeur du moment angulaire des fragments varie entre 5 ~ et 11 ~ (Tableau B.5.6). Les incertitudes associées au moment angulaire sont de l’ordre de 1-2 ~.

Auteur JRM S,L [~] JRM S,H [~] JRM S [~]

Skarsvarg [77] 6.83 6.09 6.5

Sarantites [111] / / 5

Naik [79] / / 5-11

Wilhelmy [70] / 1.2 JL ≈7

Tableau B.5.6 – Comparaison des moments angulaires initiaux pour les fragments légers (JRM S,L) et lourds (JRM S,H) issus de la fission spontanée du 252Cf. Ces valeurs ont des in-

certitudes de 1-2 ~.

Conclusion

La distribution du moment angulaire J d’un noyau isolé, considéré comme un gaz de Fermi, est une distribution de Rayleigh dont le paramètre de spin cut-off σ dépend de la masse, de la déformation et de la température du noyau. Lors d’une réaction de fission, la distribution au point de scission, du moment angulaire des fragments est aussi une distribution de Rayleigh. Le paramètre de spin cut-off dépend alors de la dynamique du système fissionnant du point selle jusqu’au point de scission et de l’orientation des fragments par rapport à l’axe de fission. Une fois séparés, les fragments gagnent un moment angulaire par l’intermédiaire du couple de force coulombien qu’ils subissent. Ce gain dépend de la viscosité des fragments.

Expérimentalement, le J des noyaux est généralement déterminé à partir d’un code de désex- citation. Le paramètre de spin cut-off σ de la distribution de moment angulaire initial des frag- ments est ajusté de manière à reproduire les données expérimentales.

Les résultats expérimentaux montrent dans l’ensemble que le J des fragments varie entre 5 ~ et 11 ~. Cependant comme le montre le TableauB.5.6, il n’y a pas de consensus quant aux valeurs

CHAPITRE 5. INFLUENCE DES MODÈLES SUR LES OBSERVABLES DE FISSION J. B. Wilhelmy et al. [70] trouvent que le J des fragments lourds est plus important que celui des légers d’environ 20 % contrairement à K. Skarsvarg [77] qui trouvent que le J des fragments légers est plus important que celui des lourds d’environ 15 %.

Avant le début de cette thèse, le code FIFRELIN échantillonnait le moment angulaire initial des fragments dans une distribution de Rayleigh pour laquelle σ est une constante (σL pour le

groupe des légers et σH pour le groupe des lourds). Lors de l’étude de la réaction de fission, ce

code permet de reproduire les multiplicités neutrons ν seulement pour des valeurs de σ de l’ordre de 10-12 ~, menant à des JRM S pour les fragments de 11-13 ~. Ces valeurs élevées de moment

angulaire conduisent à une surestimation des observables gammas expérimentales de l’ordre de 10-20 % comme il a été montré dans la Section 5.1. Ces valeurs élevée de JRM S surestiment de

manière générale les valeurs expérimentales qui ont été présentées.

Dans cette thèse je me suis donc intéressé à des distributions en moment angulaire total initial des fragments dont le paramètre de spin cut-off tient compte de l’identité, de la défor- mation et de la température des fragments. Les différents modèles étudiés sont décrits avant de quantifier leur influence sur les observables de fission.