• Aucun résultat trouvé

Chapitre I : Étude Bibliographique

V. La multivalence pour l’inhibition des α-CAs

V.1 Approche bivalente

Les anhydrases carboniques possèdent un site catalytique remarquablement conservé. Cependant, chacune d’entre elles ont une distribution de résidus d’acides aminés autour du site catalytique mais aussi en surface différente. Cette différence peut alors permettre une approche bivalente : l’emploi de ligands puissants capables d’une part d’inhiber efficacement l’activité de l’enzyme en se liant au site actif et, d’autre part, permettre la reconnaissance d’autres sites secondaires.

En 2003, Supuran et coll. se demandent si deux inhibiteurs valent mieux qu’un.109En partant d’un bis-benzosulfonamide connu pour avoir de fortes propriétés d’inhibition vis-à-vis de la hCA II (KI = 5 nM), ils mettent en évidence le mode d’interaction de cet inhibiteur bivalent à l’aide de la structure cristalline du complexe hCA II/bis-benzosulfonamide (Figure 19).

48 | P a g e

L’analyse structurelle montre que l’un des fragments benzosulfonamides se lie directement à l’ion Zn2+ du site actif et crée des interactions avec la poche hydrophobe qui est à proximité. Le second motif va participer à des liaisons hydrogènes fortes avec des résidus situés à l’entrée de la cavité du site actif. Ainsi, l’utilisation de deux inhibiteurs permet d’augmenter l’interaction avec l’enzyme et d’orienter l’inhibiteur bivalent dans le site actif. Ces résultats mettent en évidences l’importance des interactions entre l’inhibiteur avec les différents résidus d’acides aminés à l’extérieur du site actif. Ces interactions permettent, d’une part, d’augmenter le pouvoir d’inhibition et, d’autre part, constituent une stratégie intéressante pour la conception d’inhibiteurs sélectifs des différentes isoformes de la CA.

D. K. Srivastava et coll. ont démontré l’importance que peut avoir ces sites secondaires en synthétisant des ligands bivalents. Dans une première étude effectuée sur l’isoforme hCA II, ils ont pu obtenir, à l’aide d’un composé bivalent, des inhibitions 40 fois supérieur comparé à l’inhibiteur monovalent. Ces composés sont constitués d’un motif benzosulfonamide capable de se lier au site actif et d’un groupement acide imidodiacétique conjugué au Cu2+ qui interagit avec un site secondaire.110 L’hypothèse formulée est que le second groupement va venir se lier à un résidu histidine présent à la surface de l’enzyme et donc permettre d’augmenter l’affinité de l’inhibiteur avec la cible.111 Dans une seconde étude effectuée sur la hCA I, ils démontrent l’importance de la distance entre ces deux fonctions qui sont liées par un bras espaceur dans l’augmentation de la sélectivité pour cette isoforme.112 Après analyse de la structure de hCA I, deux inhibiteurs composés des deux même motifs que l’étude précédente mais avec des bras espaceurs de différentes tailles ont été synthétisés (Figure 20). L’utilisation d’espaceurs spécifiques permet de maitriser l’éloignement des deux ligands avec une distance de 22 Å pour le bras le plus court et de 29Å pour le bras le plus long. Les tests d’inhibition ont permis de déterminer une inhibition 444 fois supérieure de l’inhibiteur présentant un bras court comparé à l’autre. La distance optimale entre les deux ligands de cet inhibiteur permet de les lier idéalement à la fois au site actif mais aussi à un résidu histidine proche de la poche enzymatique.

49 | P a g e

Figure 20 : Inhibiteurs bivalents de l’anhydrase carbonique avec la reconnaissance de site secondaire.

En 2009, les travaux effectués au sein de l’équipe par Winum en collaboration avec Supuran ont permis de mettre en évidence, à l'aide d’études cristallographiques et de modélisations moléculaires, un site regroupant 7 acides aminés (130-136) sur l’isoforme CA IX permettant des interactions supplémentaires avec l’inhibiteur. Pour cela, des inhibiteurs de type bisulfamates aliphatiques et leurs contreparties monovalentes ont été synthétisés et testés sur les différentes isoformes de la hCA (Figure 21).113 Une modulation de l’affinité et de la sélectivité envers les différentes isoformes a été observée avec l’utilisation des inhibiteurs bivalents. En effet, les composés monovalents ont une plus grande affinité pour l’isoforme cytosolique hCA II comparés aux composés bivalents qui ont une plus grande affinité pour l’isoforme transmembranaire hCA IX.

50 | P a g e

Figure 21 : Inhibiteurs sulfamates bivalents et monovalents de l’anhydrase carbonique.

Plus tard, en 2012, Winum et coll. confirment avec une nouvelle série d’inhibiteurs bivalents que le bras espaceur entre les deux ligands joue un rôle prépondérant dans l’augmentation de l’affinité avec la cible.114 Plusieurs inhibiteurs bivalents ont été synthétisés avec des bras espaceurs de différentes tailles et de différentes natures. Il a été mis en évidence que plus la longueur de la chaine est longue et plus l’inhibition augmente. De plus, la présence d’un phényle au sein du bras permet d’une part d’augmenter les interactions avec les résidus situés dans le site actif et d’autre part de donner une conformation structurelle à l’inhibiteur (Figure 22).

Figure 22 : Inhibiteur bivalent développé par Winum et coll. en 2012.

Ainsi, l’optimisation de la nature et de la longueur du bras espaceur a conduit à une amélioration jusqu’ à 10 fois supérieure de la capacité inhibitrice de ces composés bivalents sur les isoformes hCA II, IX et XII.

La même année, Whitesides et coll. ont démontré et rationnalisé les avantages de l’approche bivalente pour l’inhibition des anhydrases carboniques. Pour ces travaux, des ligands bivalents ont été liés à des dimères synthétiques de l'anhydrases carboniques.115 Les effets constatés montrent que les systèmes monovalents inhibent les CAs avec une constante d’inhibition atteignant le nanomolaire et les ligands bivalents inhibent à des concentrations de l’ordre du picomolaire. Ici l’effet chélate a clairement été mis en évidence et permet d’augmenter considérablement l’affinité des liaisons ligand-récepteur. Mais

51 | P a g e

encore une fois ils démontrent que l’effet chélate n’est possible que si la longueur entre les deux ligands est optimale (Figure 23).

Figure 23 : Inhibiteurs bivalents développés par Whitesides et coll. en 2012.

En 2014, Neri et coll. développent des inhibiteurs bivalents puissants de la CA IX. L’inhibition sélective de cette isoforme, qui est surexprimée dans certains cancers, a permis

via des tests in vivo la régression tumorale complète chez la souris. Ces inhibiteurs bivalents

comportent deux motifs sulfonamides liés entre eux par un bras espaceur peptidique et un groupement cytotoxique (DM1) (Figure 24). Les expériences faites sur la liaison ligand-récepteur, réalisées par résonance de plasmon de surface, montrent que l’inhibiteur bivalent ne se dissocie pas de l'enzyme contrairement à la référence monovalente.116,117

52 | P a g e

Enfin en 2016, Ilies et coll. ont synthétisé des inhibiteurs bivalents de l’anhydrase carbonique espacés par une chaine polyéthylène glycol.118 Ces différents inhibiteurs ont été testés sur les isoformes de la CA et une sélectivité a été constatée sur les isoformes transmembranaires CA IX et CA XII. Par la suite, des tests in vitro ont été engagés sur des modèles cellulaires de tumeur exprimant ces isoformes membranaires. Il a été ainsi constaté, avec l’inhibiteur bivalent ayant la chaine polyéthylène glycol la plus longue (45 unités de répétitions), une inhibition de l’ordre du nanomolaire sur les isoformes purifiées et une mort cellulaire significative des cellules tumorales à des concentrations de 10 à 100 µM d’inhibiteurs.