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1.3 Techniques de mesures en continu et sans marquage des évolutions morphologiques de

1.3.2 Présentation des techniques

1.3.2.3 Approche électrique : Spectroscopie d’Impédance Electrique (EIS)

Description et application aux cultures cellulaires

La Spectroscopie d’Impédance Electrique (EIS) ou impédancemétrie est une technique sans marqueur permettant de sonder les propriétés diélectriques d’un matériau en le soumettant à un champ électrique. Il s’agit également d’une technique non-invasive car le champ est créé en appliquant une tension alternative de faible amplitude, autorisant ainsi les suivis sur une longue durée.

Le terme « impédance » a pour origine le verbe anglais « to impede » qui signifie « gêner » ou « ralentir », verbe qui dérive lui-même du latin « impedire » qui a pour sens « entraver ». Ainsi, l’impédance

d’un matériau se définit par sa capacité à perturber voire bloquer un champ électrique. Un matériau est constitué d’atomes, eux-mêmes constitués d’un noyau de neutrons (charges neutres) et de protons (charges positives) autour duquel gravitent des électrons (charges négatives). Le champ électrique étant un déplacement de charges, un matériau est désigné comme « conducteur » électrique s’ils possèdent des charges suffisamment libres pour se déplacer dans celui-ci. A l’inverse, il est qualifié d’ « isolant » électrique ou de « diélectrique » si ses charges ne peuvent pas se déplacer, le rendant incapable de laisser passer un

courant électrique. Par application d’une tension continue, seuls les matériaux conducteurs peuvent être sondés par le champ unidirectionnel induit car celui-ci ne peut se propager dans les matériaux isolants. La valeur mesurée se nomme alors « résistance ». En revanche, utiliser une tension alternative, induisant un champ bidirectionnel, permet de sonder les matériaux isolants en plus des conducteurs du fait d’une propriété appelée « relaxation diélectrique ». Nous mesurons dans ce cas « l’impédance » du matériau. Plus d’explications sur ce principe peuvent être trouvées dans le chapitre 2 (cf. 2.2).

Une attention particulière s’est portée depuis quelques dizaines d’années sur l’application de cette technique aux analyses de cultures cellulaires in vitro. En effet, les membranes des cellules influencent un

champ électrique de la même manière que le fait un matériau diélectrique tandis que d’autres éléments comme le cytoplasme et les jonctions intercellulaires s’apparentent à un matériau conducteur doté d’une certaine résistance (voir chapitre 2 à la partie 2.4.4.4 pour plus de détails). Ivar Giaever et son collègue Charles R. Keese ont été les pionniers de ces mesures en cultivant des cellules sur des microélectrodes planaires au fond de boite de Pétri et en les mesurant par l’application d’une tension alternative de faible amplitude mais à plusieurs fréquences (Giaever et Keese, 1984). Les microélectrodes planaires sont des électrodes (généralement d’or) dont les dimensions d’intérêt sont de taille micrométrique, donc du même ordre de grandeur que les cellules, généralement fabriquées sur un substrat de verre. Le système de Giaever et Keese consiste à cultiver des cellules dans une boite de Pétri, dont la surface comprend une électrode de travail couvrant 0,0005cm² entourée d’une contre-électrode de 0,15cm². La surface de l’électrode de travail étant 300 fois inférieure à celle de la contre-électrode, l’impédance totale du système sera déterminée par celle de l’électrode de travail (figure 1.9a). Ainsi, il fut montré que l’impédance augmente au fur et à mesure que la surface couverte par les cellules sur cette électrode augmente, ceci pouvant être prédit par un modèle mathématique développé par la suite (Giaever et Keese, 1991). Des fluctuations du signal furent également observées et corrélées à des mouvements au niveau d’une cellule unique (De Blasio et al., 2004). Ce système fut par la suite nommé Electrical Cell-Substrate Impedance

(ECIS) et commercialisée par la société Applied Biophysics Inc.

De nombreux systèmes s’inspirant de cette innovation furent par la suite élaborés (Spegel et al., 2008).

Parmi ceux-ci, Ehret fut le premier à développer en 1997 un système basé sur un Réseau d’Electrodes Interdigitées Planaires (REIP), couvrant toute la surface de culture (figure 1.9b) (Ehret et al., 1997). Par

rapport à des électrodes classiques, celles-ci présentent l’avantage d’augmenter la surface de contact entre la couche sensible, ici les cellules, et le signal électrique mesuré. Il est ainsi possible de suivre de manière homogène l’évolution d’une culture cellulaire, contrairement au système initial de Giaever qui ne mesurait qu’une partie de cette surface. Ces systèmes, et d’autres similaires, ont prouvé leur robustesse dans le suivi de nombreux phénomènes cellulaires : comme l’adhésion et la prolifération (Atienza et al., 2005; Wang et al., 2008; Wegener et al., 2000a), la confluence (De Blasio et al., 2004), l’apoptose suite à des traitements

chimiques (Arndt et al., 2004; Meissner et al., 2011; Solly et al., 2004), l’infection par un virus (Cho et al.,

2007; Kiilerich-Pedersen et al., 2011; McCoy et Wang, 2005) ou la différentiation de cellules souches

Figure 1.9 : Schémas représentant des cellules dans un milieu de culture, dont les propriétés électriques sont mesurées par les systèmes développés par Giaever (a) et Ehret (b). Les flèches en pointillé correspondent au trajet du champ électrique. WE et CE désignent respectivement les électrodes de travail

et les contre-électrodes.

Avantages

Contrairement à la mesure de la TEER, que nous avons décrit dans le préambule de cette partie (voir 1.3.1) et qui n’offre que des informations sur la résistance (les propriétés conductrices) du tapis cellulaire, l’impédancemétrie permet de sonder l’ensemble de ses propriétés diélectriques en faisant varier la fréquence de la tension alternative. En outre, cette tension alternative permet de contourner le problème d’électrolyse des électrodes lié à l’utilisation prolongée d’un courant continu, que nous avons également évoqué, et de suivre en temps réel l’évolution des cellules. L’EIS peut ainsi fournir des informations sur le tapis cellulaire suivant deux dimensions : fréquentielle et temporelle.

Les avantages de cette technique pour suivre en continu et sans marquage les évolutions morphologiques de cultures cellulaires sont nombreux. Tout d’abord, l’EIS possède les avantages des fabrications de la microélectronique : intégration et parallélisation aisée, automatisation des mesures et faibles coûts dans le cas de production en série. Ceux-ci se constatent par le nombre important de systèmes commerciaux offrant des possibilités d’analyse en parallèle sur 96 puits et plus. Ainsi, Solly proposait en 2004 le premier système d’analyse par impédancemétrie avec un format adapté au criblage haut-débit, dans des appareils comprenant 96 puits de culture, chacun tapissé de microélectrodes, avec le potentiel d’être miniaturisées en 384 et 1536 zones (Solly et al., 2004). Ce système fut commercialisé sous

le nom de RT-CESTM par la société ACEA Biosciences avant d’être renommé xCelligence et d’être également proposé par la société Roche Applied Sciences suite à un partenariat entre les deux entreprises. Les autres systèmes se sont depuis adaptés à ce standard, comme le système CellKey® commercialisé par la société MDS Sciex (Ciambrone et al., 2004). De même, les systèmes développés par Giaever et Ehret

sont maintenant proposés sous la forme de plaques de 96 puits, celui d’Ehret étant commercialisé par la société Bionas GmbH qu’il a lui-même fondée sous la marque Bionas DiscoveryTM adcon reader (Ceriotti

et al., 2007).

Un autre avantage réside dans la versatilité des mesures suivant la forme des électrodes. Par exemple, appliqué à la mesure d’objets biologiques, les REIP offrent de multiples avantages par rapport aux classiques électrodes de Giaever: augmenter le rapport signal/bruit (Varshney et Li, 2009) ; diminuer la contribution résistive du milieu de culture en diminuant la distance entre les électrodes par rapport à leur surface ; diminuer la taille de la contre-électrode et donc du système ce qui permet une intégration plus aisée dans un système de criblage haut-débit (Spegel et al., 2008) ; augmentation de la reproductibilité des

mesures en assurant un suivi spatial homogène. De même, Solly et al. proposent un autre motif

d’électrodes interdigitées utilisant des doigts d’électrodes non plus rectangulaires mais composés de disques disposés les uns à côté des autres (Solly et al., 2004). D’après leur étude, cette modification dans la

géométrie des électrodes leur permet d’augmenter la surface d’analyse et de couvrir jusqu’à 75% du tapis cellulaire. La forme des REIP influencent également la profondeur de pénétration du champ électrique, Gerwen et al. ayant montré qu’elle était directement dépendante du dimensionnement des doigts et de leur

espacement (Van Gerwen et al., 1998).

Pour finir, la modélisation par circuit électrique équivalent offre la possibilité d’isoler la contribution de chaque élément mesuré, facilitant ainsi l’interprétation des résultats (plus de détails peuvent être trouvés dans le chapitre 2 dans la partie 2.4).

Inconvénients

Concernant les inconvénients de l’EIS par rapport au suivi continu de la morphologie de cultures cellulaires, le principal concerne l’interprétation physique des résultats, qui peut s’avérer problématique. Par exemple un tapis cellulaire étant fortement hétérogène, il ne correspond pas à un élément électrique idéal. Sa modélisation nécessite l’emploi d’un élément imaginaire appelé Elément à Phase Constante (CPE) dont l’interprétation est source de confusion et d’erreurs. Un autre exemple de cette difficulté d’interprétation réside dans le fait que différentes modélisations peuvent fournir un résultat similaire. Plus d’informations sur ces difficultés peuvent être trouvées dans le chapitre 2 (cf. 2.4.1).

En outre, si la forme des REIP est complexe, il est difficile d’estimer exactement ce qui est sondé et la profondeur de pénétration. Gerwen a en effet élaboré un modèle basé sur une forme relativement simple de REIP, avec un réseau carré et des électrodes droites (Van Gerwen et al., 1998). En dehors de ce

modèle, le champ électrique peut devenir hétérogène et les effets de bord non négligeables. Ces difficultés relatives à l’interprétation des résultats révèlent la nécessité de confirmer les résultats obtenus avec l’EIS avec d’autres mesures.

Pour finir, un autre inconvénient de l’EIS est relatif à la contribution d’éléments indésirables au signal qui viennent s’ajouter à celle des cellules que nous cherchons à analyser. Ainsi, leur impédance peut être trop faible par rapport à celles que représentent des éléments du montage comme les câbles, le circuit imprimé et les électrodes ou des phénomènes électrochimiques comme celui de la double couche électrique. Le système de mesure serait donc aveugle à l’évolution de la contribution des cellules.