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Apprendre en faisant

Dans le document Ce que entreprendre permet d’apprendre (Page 58-60)

Les jeunes interrogés dans notre panel, s’ils ont pour une grande part cherché à être accom- pagnés, reconnaissent surtout avoir appris sur le terrain, parce que l’accompagnement en tant que tel, comme on l’a vu précédemment, ne visait pas à former mais à guider.

Antoine a été accompagné six mois par une boutique de gestion, ce qui lui a permis d’ac- quérir les bases pour établir son plan d’affaires (business plan). Il reconnaît l’importance d’être bien entouré mais surtout d’apprendre de ses propres expériences :

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« On doit forcément passer par ses propres erreurs. Les gens donnent des conseils et ils ont souvent raison mais on n’est pas prêt à les entendre. Il faut qu’on le vive pour corriger le tir. »

Il témoigne ainsi de la difficulté pour l’accompagnant de trouver la bonne posture. En effet, l’expérience ne se transmet pas et, même si tous les écueils peuvent être évoqués, il ne suffit pas de les connaître pour en prendre pleinement conscience.

Quant à Julie, qui propose une offre originale, la démarche du marketing classique consis- tant à définir un prix après avoir testé le produit, ne convient pas. Elle est donc tout de suite amenée à définir ses tarifs en même temps qu’elle délivre son service :

« Ils m’ont basculé vers une boutique de gestion pour m’aider à monter le plan d’affaires. Mais on s’est vite retrouvées dans l’impasse parce qu’il n’y avait aucun point de comparaison. […] J’aurais pu me vendre 10 euros ou 80 euros de l’heure. D’où l’idée de partir directement avec le statut d’autoentrepreneur pour faire l’étude de marché en temps réel, c’est-à-dire tester sur le terrain direc- tement les tarifs et les services qui marchaient ou ne marchaient pas. »

De son côté, Samuel arrive lui aussi très rapidement à la même démarche. Après s’être do- cumenté et avoir frappé à la porte de quelques structures et réseaux d’entrepreneurs, il n’est pas convaincu de la nécessité de rédiger un plan d’affaires, même synthétique. Il trouve même que ses interlocuteurs sont décourageants dans leur excès de prudence et il préfère donc s’y mettre immédiatement :

« Non, je n’ai pas fait de business plan, d’étude de marché. Je me suis lancé du jour au lendemain, je suis allé voir sur le terrain comment ça se passait et en fait ce qui me motivait c’était de voir qu’ils gagnaient de l’argent. »

Bien qu’il ait suivi un BEP de vente, sans l’obtenir puisqu’il n’a pas validé les deux derniers modules, il reste dubitatif, même après sa confrontation avec le terrain, sur l’intérêt d’une telle formation, à laquelle il avait été obligé d’assister pour continuer de toucher ses aides sociales…

« Une formation dans la vente, comme si tu avais besoin de ça pour faire de la vente ! Il suffit d’avoir de la tchatche et même pas. Tu as les bons produits, tu n’as pas besoin de parlotte. Les clients font l’achat tout seul. C’est ça la vente en fait. Après ça peut aller plus loin, il y a certains clients qui ne sont pas disposés à acheter, il faut que tu les amènes vraiment vers l’achat. »

C’est donc en observant de façon très empirique les pratiques sur le marché que Samuel développe son offre. Son premier stand ne lui fait pas gagner d’argent mais lui permet de comprendre les codes du marché. Il se rend rapidement compte que les stands sont spécia- lisés par types de produit, ce qui n’est pas son cas.

« J’ai galéré pendant deux ou trois mois. Je voulais écouler ce que j’avais en surplus. J’avais tout et n’importe quoi : des robes, des t-shirts, des pantalons, je faisais de l’homme, de la femme. J’étais tellement dispersé que j’étais pas visible sur le marché. »

Il investit donc 1 500 euros dans un stock de sacs achetés chez un grossiste à Aubervilliers pour vérifier qu’il peut gagner de l’argent sur un marché en faisant les choses correctement. Et très rapidement, il gagne 1 500 à 2 000 euros par semaine. Aujourd’hui, il s’autorise à ne travailler que trois jours par semaine, ce qui lui permet de toucher au moins 2 500 euros par mois.

Nicolas est lui aussi d’accord pour dire que la gestion de projet quelle qu’elle soit « c’est vraiment un truc qui s’apprend sur le tas. Y’a pas besoin d’avoir de cours là-dessus, ça c’est sûr. Il faut quand même être persévérant et rigoureux, savoir se faire sa propre discipline, mais ça s’apprend sur le tas ». Par contre, il est d’avis que l’esprit d’entreprendre, qui consiste à se saisir de sa liberté pour construire, pourrait se cultiver dès le plus jeune âge, à l’école,

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grâce à des pédagogies alternatives telles que celles des écoles Freinet ou de l’enseigne- ment mutuel. Il n’a fait lui-même l’expérience de ce type de pédagogie que très tard, seulement en entrant dans une école d’art. Et il estime, comme plusieurs autres jeunes du panel, élèves plutôt médiocres dans le secondaire (Ilona, Amélie, Christine, Pierre-Alain, Karine, Joseph, Samuel), qui ne se révéleront que plus tard dans le supérieur pour ceux d’entre eux qui poursuivront, que tout son parcours scolaire a plutôt joué de façon néga- tive sur son autonomie, son esprit critique, sa confiance en lui. Seul Mathieu a souvenir d’avoir croisé pendant sa scolarité un enseignant « fou » qui, en provoquant les étudiants, en déstructurant leurs schémas de pensée, en travaillant sur leurs faiblesses par l’humour et la cohésion de groupe, a fait émerger un nombre significatif d’entrepreneurs au sein de la promotion.

Pour Pierre-Alain et son frère, le contexte est un peu particulier puisqu’ils sont tous deux encore étudiants quand ils se lancent dans la création. Donc ils apprennent autant pour entreprendre qu’ils entreprennent pour apprendre. En effet, leur démarche de création a été validée par leurs directions d’enseignement respectives et ils s’emploient ainsi en tant que stagiaire et apprenti au sein de leur propre entreprise. La création d’entreprise comme mo- dalité pédagogique, si elle se pratique dans quelques écoles de commerce, a été également mise en œuvre dans le secondaire. C’est le crédo du réseau Entreprendre pour apprendre qui, à terme, vise à toucher tous les collèges de France.

Créer son entreprise pendant ses études est aujourd’hui une modalité pédagogique avérée. Notons malgré tout qu’elle peut mettre en péril la poursuite d’études si celles-ci se font en parallèle et sont trop éloignées de la réalité de l’étudiant entrepreneur, comme ça a été le cas pour Julie, qui a préféré renoncer à son diplôme de master au profit d’une activité qui concrétisait ses aspirations.

Il est donc nécessaire que la création d’entreprise se fasse en lien avec l’institution scolaire ou universitaire ou, au moins, qu’elle soit reconnue par elle pour pouvoir jouer à plein comme dispositif d’apprentissage. Même si une telle initiative, prise si tôt, sans bénéfice d’expérience professionnelle préalable, sans capital disponible ou maturité acquise, peut apparaître comme vouée à l’échec, dans les faits le constat est très positif. Les jeunes témoignent du fait que la période est particulièrement propice. Ils bénéficient de l’expertise gratuite de leurs enseignants, heureux de valoriser leurs enseignements théoriques en

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