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Stratégie de bio-analyse pour évaluer les xeno-estrogènes

2.2 Applications environnementales

De nombreux outils biologiques sont utilisés pour évaluer l’état de contamination des masses d’eau. Cette partie se focalise sur l’utilisation des tests de transactivation pour évaluer l’activité estrogénique des échantillons d’effluents de stations d’épuration et d’eau de surface, et de leur intégration dans une démarche de bio-monitoring incluant des approches spécifiques au poisson.

2.2.1 Estrogenicité des effluents de stations d’épuration

Des exemples d’études évaluant l’activité estrogénique d’effluents de stations d’épuration urbarines sont présentées dans le tableau VI. Dans la très grande majorité des échantillons d’effluents de STEP testés, une activité estrogénique a été mesurée avec des niveaux variant de 0,03 à 98 ng/L E2-Eq, et en moyenne quelques ng/L E2-Eq (tableau VI).

La variabilité entre les niveaux mesurés peut s’expliquer par différents facteurs liés à la période d’échantillonnage (ex : Aerni et al., 2004) et à l’effluent, comme le type de STEP, le nombre d’habitants desservis par la STEP, l’existence ou non d’un traitement secondaire/tertiaire, etc. Le type de bio-essai peut, dans une moindre mesure, influencer la mesure finale. Par exemple, les E2-Eq quantifiés avec le test YES étaient en moyenne plus élevés que dans le test HEK-hERα (Pawlowski et al., 2003). De récentes études inter-laboratoires comparant l’activité de plusieurs bio-essais in vitro montrent que la variabilité inter-tests est faible et que les niveaux d’activité

49 estrogénique quantifiés pour différents types d’échantillons se corrèlent bien (Kunz et al., 2017, Käse et al., 2017).

Tableau VI: Exemple d'études évaluant l'activité oestrogénique d'effluents de stations d'épuration urbaine. Les

concentrations sont reportées en ng/L E2-Eq. (¤): STEP urbaines et industrielles. LD : limite de détection. N : nombre d’échantillon.

Pays N Test LD Concentration

(n actif/total) Moyenne Référence

Europe 75¤ MVLN 0,5 0,53 -17,9 (27/75) 0,9 (Jarošová et al., 2014b) France 4 MELN - 2 – 24 (4/4) 12 (Cargouët et al., 2004) France 1 MELN 0,03 2,8 (1/1) 2,8 (Miège et al., 2009) France 6 MELN 0,09 1,9 – 8,2 (6/6) 3,9 (Creusot et al., 2010a) Etats-Unis 4 T47D-KBluc - 1,3-2,0 (4/4) 1,5 Wehmas et al., 2011 Pays Bas 13¤ ER-CALUX 0,136 < LD – 2,59 (12/13) - (Vethaak et al., 2005) Pays Bas 10 ER-CALUX - 0,03 – 16,1 (9/10) 2,6 (Murk et al., 2002)

YES - 0,095 – 15,8 (9/10) 3,1

Canada 18¤ YES - 9-98 (16/18) 48,9 (Fernandez et al., 2007) Suède 19 YES 0,1 0,1 - 14,9 (16/19) 4,9 (Svenson et al., 2003) Japon 3 YES - 0,6-5,2 (3/3) 3,47 (Nakada et al., 2004)

Allemagne 9

YES - 1,1 – 20,2 (9/9) 10,0

(Pawlowski et al., 2003) HEK-hERα - 0,1- 2,1 (9/9) 0,56

HEK-hERβ - 0,028 – 2,7 (9/9) 0,77

Les estrogènes stéroïdiens, en particulier l’E1, l’E2 et l’EE2, sont les principaux contributeurs de la réponse biologique mesurée (Desbrow et al., 1998; Miège et al., 2009; Nakada et al., 2004; Snyder et al., 2001). Lorsque d’autres xeno-estrogènes sont présents, ils contribuent en général moins à l’activité estrogénique quantifiée du fait de leur faible potentiel estrogénique (REP) par rapport aux estrogènes stéroïdiens (Aerni et al., 2004; Jarošová et al., 2014b; Nakada et al., 2004).

2.2.2 Estrogénicité des eaux de surface

A la différence des effluents urbains, où la contamination par les xeno-estrogènes est relativement bien caractérisée, les eaux de surface reçoivent des contaminants de plusieurs sources, diffuses et ponctuelles, drainés tout au long du bassin versant et constituant des mélanges variables. Le tableau VII présente des exemples d’études évaluant l’activité estrogénique des eaux de surface à travers le monde. Les niveaux d’activité reportés sont généralement plus faibles que dans les effluents (< 1ng/L E2-Eq).

Introduction bibliographique : bio-surveillance des xeno-estrogènes

50 Tableau VII: Exemples d'études évaluant l'activité estrogénique d'échantillons ponctuels d'eau de surface à travers le monde. Les activités estrogéniques sont exprimées en ng/L E2-Eq. LOQ : limite de quantification, n : nombre d’échantillons.

Pays n Test utilisé LOQ Activité estrogénique

(Échantillons actifs) Moyenne Référence

USA 6 T47D-KBluc 0,1 0,13 – 4,72 (6/6) 1,17 (Cavallin et al., 2014)

USA 32 T47D-KBluc 0,032 0,095 – 116 (32/32) 5,9 (Conley et al., 2017) BL-YES 0,2 0,24 – 4,1 (24/32) 1,2

USA 38 T47D-KBluc - 0,02 – 295 (35/38) - (Alvarez et al., 2013)

YES - 0,05-4610 (9/38) -

Chine 12 YES - 0,67-136 (10/12) 34,7 (Chen et al., 2016) Europe 18 MELN 0,024 0,04 – 1,85 (14/18) 0,43 (Tousova et al., 2017) France 7 MELN - 0,30-4,52 (7/7) 1,07 (Cargouët et al., 2004) France 8 MELN 0,03 ~ 1 (3/8) ~1 (Miège et al., 2009) USA 6 MCF-7 +ERE-LUC 1,4 6,8 (1/6) 6,8 (Kassotis et al., 2015) Australie 8 ERα-CALUX 0,016 0,03-0,15 (8/8) ~0,1 (Roberts et al., 2015) Pays-Bas 90 ER-CALUX 0,136 LD – 0,166 (85/90) - (Vethaak et al., 2005) République

tchèque 10 hERα-Hela-9903 - 0,02-2,07 (9/10) -

(Prochazkova et al., 2017)

Aux Etats-Unis, Conley et al. (2017) constatent que les échantillons les plus actifs (3/23) provenaient de sites où les rejets de STEP constituaient 50 à 100% de la rivière. De nombreuses études ont de fait étudié l’impact des rejets de STEP sur les niveaux d’estrogénicité des eaux de surface. Par exemple, dans de petits cours d’eau suisses, Neale et al. (2017) montrent qu’il y a une activité estrogénique 2 à 5 fois plus forte en aval qu’en amont du rejet de l’effluent de STEP urbaine qui constitue 20% du débit de la rivière. Une observation similaire est faite pour la Seine en aval de la STEP d’Achères qui draine 8 millions d’équivalent habitants, avec une activité mesurée 6 fois plus élevée en aval qu’en amont (Cargouet et al., 2004). Ces études confirment que les effluents de STEP peuvent contribuer de manière significative à l’estrogénicité des cours d’eau. En plus de la quantité de molécules déversées par les rejets de STEP, ou provenant d’autres sources, le débit de la rivière est un facteur qui peut fortement influencer la concentration en polluants dans les eaux, et donc l’activité estrogénique mesurée (Johnson, 2010). Les niveaux d’activité estrogénique détectés varient d’un facteur 4 à 100 entre été/hiver (Afrique du Sud, Truter et al., 2016) et entre période sèche/humide (Chine, Chen et al., 2016). De la même manière,

51 Alvarez et al. (2013) observent une activité estrogénique plus forte dans les rivières proches de zones d’épandage d’engrais animal après des épisodes de pluies.

Dans les échantillons d’eau de surface, l’estrone est le composé le plus souvent retrouvé comme contributeur principal de l’activité estrogénique des eaux de rivières. L’E2 et l’EE2 sont en revanche beaucoup moins fréquemment détectés dans les rivières, à la différence des échantillons provenant d’effluents de STEP urbaines (ex : Conley et al., 2017, Kassotis et al., 2015, Chen et al., 2016). Cependant, malgré une bonne sensibilité analytique, les composés identifiés ne suffisent pas toujours à expliquer la réponse biologique observée. Dans l’étude d’Alvarez et al. (2013), 69% des 38 échantillons étaient inférieurs à la limite de détection en analyse chimique ciblée pour les estrogènes stéroïdiens (LD=0,8 ng/L), alors que seulement 5% était négatif en in vitro avec le test T47D-KBLuc. D’autres xeno-estrogènes, tels que le bisphénol A (ex : Chen et al., 2016) ou des phyto-estrogènes (ex : Prochazkova et al., 2017), sont aussi retrouvés mais ils contribuent généralement très peu à l’activité mesurée. Dans l’étude de Chen et al. (2016), 10% à 65% de l’estrogénicité des 10 échantillons reste inexpliquée, alors que le BPA, E2, EE2, E1, DES, OP, et NP ont été recherchés et parfois quantifiés. De la même manière, les 10 molécules actives recherchées et parfois quantifiées dans l’étude de Tousova et al. (2017) n’ont permis d’expliquer de 1% à 77% de l’activité mesurée.

L’inadéquation entre molécules quantifiées et réponse mesurée in vitro peut être due à plusieurs facteurs comme la présence de molécules actives non identifiées par les analyses chimiques ciblées (Chen et al., 2016), non recherchées (Prochazkova et al., 2017) ou présentes à des concentrations inférieures à la LOQ (Alvarez et al., 2013). De plus, l’approche par mass balance est basée sur l’hypothèse que les molécules ont des effets additifs, or la co-occurrence d’activités estrogénique et anti-oestrogénique dans certaines études (ex : Kassotis et al., 2015; Tousova et al., 2017) soulèvent la question d’interactions entre polluants environnementaux au sein de l’échantillon pour un bio-essai donné.

2.2.3 Utilisation de bio-essais poisson pour évaluer l’estrogénicité

La majorité des études réalisées jusqu’à présent ont été faites avec des bio-essais basés sur le récepteur ERα humain. Malgré des différences de sensibilité aux xéno-estrogènes entre ER humain et ichthyens (Aerni et al., 2004; Cosnefroy et al., 2009; Pinto et al., 2014), peu d’études

Introduction bibliographique : bio-surveillance des xeno-estrogènes

52 ont utilisés des bio-essais basés sur ER de poisson dans des démarches de bio-monitoring. Cependant, lorsque les réponses des bio-essais basé sur ER humain et sur ER poisson ont été comparées, des différences sont parfois constatées (Ihara et al., 2014; Rutishauser et al., 2004; Sonavane et al., 2016). Dans le cas de Ihara et al. (2014), les échantillons de STEP étaient actifs sur les bio-essais basés sur ERα humain et ERα du medaka, mais les niveaux d’activité étaient parfois très différents. Les estrogènes stéroïdiens quantifiés ne permettaient pas d’expliquer ces différences, mais la présence d’une activté anti-estrogénique bien distincte entre les deux modèles semble contribuer aux differences observées. De plus, l’activité estrogénique mesurée in vitro sur le récepteur ERα du médaka corrélait mieux avec l’induction de la vtg1 et de la ChgH in vivo chez le médaka mâle, que l’activité mesurée sur le modèle in vitro exprimant le récepteur hERα.

D’autre part, des bio-essais in vitro et in vivo basés sur le modèle du poisson zèbre ont été comparés avec un test MELN pour évaluer l’activité estrogénique d’échantillons d’eau de surface (Sonavane et al., 2016). Alors que 12 des 20 échantillons étaient détectés par les tests in vitro humain (MELN) et poisson zèbre (zfERß2), 8 étaient sélectivement actifs sur le modèle ZELH-zfERß2, qui expriment le sous-type ZELH-zfERß2, spécifique au poisson. De plus, l’activité de 3 échantillons parmi les plus estrogéniques a été confirmée in vivo sur des embryons de poisson zèbre transgénique cyp19a1b-GFP (Brion et al., 2012), parmi lesquels un site était sélectivement actif sur les modèles poisson zèbre in vitro et in vivo (Sonavane et al. 2016). Jusqu’à présent, les tests embryo-larvaires avec des poissons transgéniques n’avaient été utilisés que sporadiquement et de manière qualitative pour évaluer l’activité estrogénique d’échantillons d’effluents de STEP (Kurauchi et al., 2005) ou d’eau de surface (Gorelick et al., 2014). Pour la première fois, l’activité estrogénique d’un échantillon environnemental a pu être quantifiée in vivo chez le poisson (Neale et al., 2017b; Sonavane et al., 2016).

2.2.4 Intégration des bio-essais dans un cadre législatif

La mesure de l’activité estrogénique n’est pas une finalité en soi, mais une étape pour évaluer la qualité chimique de l’eau. Pour intégrer les essais dans une démarche de bio-surveillance, un cadre d’utilisation doit être établi. Différentes approches ont été récemment proposées pour combiner analyses chimiques ciblées et bio-analyse dans l’évaluation de la qualité

53 des milieux, à l’instar de Vethaak et al. (2017) pour l’évaluation du milieu marin et Van der Oost et al. (2017) pour l’évaluation des eaux de surface. Dans le cas de l’activité estrogénique, l’intégration des bio-essais passe par la définition d’une valeur seuil d’activité estrogénique. Les valeurs récemment proposées ont été établies pour des TA basés sur hERα à partir des données de toxicité chronique chez organismes aquatiques (Van der Oost et al., 2017), et en particulier chez le poisson (Jarošová et al., 2014a; Kunz et al., 2015). Cependant, leur intégration dans un cadre legislatif nécessite qu’un cadre applicatif soit clairement définit (ex : action déclenchée en cas de dépassement).