Chapitre 1 : Introduction aux nanoparticules luminescentes
2.3 Applications des nanoparticules luminescentes
particulièrement adaptés pour des applications de codage. Les propriétés remarquables de
cette famille d’atomes ont donc été très utilisées [49, 67]. Cependant leur coefficient
d’extinction molaire très faible et leur bande d’absorption très étroite rendent leur
sensibilisation par excitation directe difficile [68]. Des méthodes alternatives de
sensibilisation ont donc été développées. Ce type de molécule étant celui choisi dans le cadre
de cette thèse, la section 3 de ce chapitre leur est consacrée. La partie suivante présente les
domaines d’application visés mettant en œuvre des nanoparticules luminescentes.
2.3 Applications des nanoparticules luminescentes
Les différents types de nanoparticules communément utilisés ont été présentés précédemment. Ces
trois catégories de nanomatériaux luminescents ont été développées pour diverses applications et
notamment celles visées dans cette thèse. Les concepts de traçage/marquage pour l’imagerie en
milieu biologique et pour la lutte anti-contrefaçon sont présentés ci-dessous. A travers ces deux
exemples d’application, les propriétés requises pour la synthèse de particules luminescentes
performantes seront définies.
2.3.1 Marquage de matériaux : lutte anti-contrefaçon
L’Institut National de la Propriété Industrielle définit la contrefaçon comme « la reproduction,
l’imitation ou l’utilisation totale ou partielle d’un droit de propriété intellectuelle sans l’autorisation
de son propriétaire. Il peut s’agir d’une marque, d’un modèle, d’un brevet, d’un droit d’auteur, d’un
logiciel, d’un circuit intégré ou d’une obtention végétale ». En 2011, la douane française a saisi près
de 9 millions d'articles contrefaits (+ 42% par rapport à 2010). L'augmentation des produits ne
répondant pas aux normes en vigueur et potentiellement dangereux pour la santé et la sécurité est
inquiétante. Les principaux secteurs concernés sont le textile (1,9 millions), les produits de papeterie,
les articles de bricolage (1,3 millions), les parfums et cosmétiques, les produits alimentaires et la
téléphonie mobile. Autre tendance, la croissance des commandes particulières sur Internet va de pair
avec le renforcement des contrôles du fret express et postal : 16% des saisies réalisées. Pour lutter
contre ce phénomène, les industriels et les gouvernements s’organisent. En effet le nombre d’articles
contrefaits ne cessant d’augmenter, ils représentent une part de marché devenue non-négligeable,
et donc un manque à gagner important pour les entreprises. La problématique pour ces dernières est
donc de pouvoir faire la différence entre leur produit original et le même produit contrefait. De plus,
le risque encouru par l’entreprise est grand puisque un tiers utilise son image/réputation pour
vendre un produit de plus mauvaise qualité, qui peut être dangereux pour l’utilisateur dans certains
cas (médicaments, nourriture…). Il s’agit donc de pouvoir prouver la contrefaçon pour les autorités
en cas d’enquête/saisie, ou pour l’entreprise en cas de poursuite juridique par un consommateur.
L’enjeu majeur est donc de pouvoir fournir des systèmes d’authentification fiables et difficilement
reproductibles/détectables pour les contrefacteurs, tout en conservant une compétitivité
économique. Il existe différentes techniques de marquage pour la lutte anti-contrefaçon. Certaines
sont visibles à l’œil nu ce qui permet une authentification immédiate avec un équipement de lecture
adapté. Dans ce cas le type de marquage, visible de tous, doit être particulièrement difficile à
reproduire. C’est notamment le cas des codes-barres (linéaires ou à deux dimensions), des
hologrammes ou des étiquettes RFID (Radio Frequency IDentification). D’autres en revanche sont
invisibles, et seules les personnes initiées peuvent alors vérifier sa présence. Les marqueurs à ADN
29
par exemple, et bien sûr les nanoparticules luminescentes appartiennent à cette catégorie. Un
aperçu plus complet des techniques de lutte anti contrefaçon est dressé dans la thèse de J. Samuel
[69].
Les nanoparticules luminescentes peuvent ainsi être dispersées dans différents matériaux en ajustant
leur réactivité par fonctionnalisation de leur surface. Du fait de leur petite taille ils sont invisibles, ce
qui permet un meilleur niveau de sécurité, tout en conservant l’apparence du produit marqué. De
plus la luminescence des trois types de nanoparticules présentées précédemment peut être ajustée.
Cette propriété remarquable est particulièrement adaptée quand il s’agit de créer des codes
optiques. En effet le fait d’avoir accès à des signaux d’émission différents permet de créer des codes
complexes et originaux difficilement reproductibles. Il permet également d’introduire de
l’information en associant un code spécifique à une donnée. Le principe de base est de combiner
plusieurs signaux d’émission en utilisant des composés différents à différentes concentrations. Le
code est alors basé sur la superposition de spectres d’émission d’intensités et de longueurs d’ondes
variables. Le principe de code optique est schématisé à la Figure 11.
Figure 11 Schéma de principe pour la création de codes optiques à base de nanoparticules luminescentes. Les trois
couleurs représentent des spectres d’émission différentiables. [47]
Ainsi il est théoriquement possible de générer un très grand nombre de codes à condition d’être
30
spectres), et de contrôler l’intensité de luminescence sur une large gamme (i.e. quantité incorporée)
[70]. Plusieurs études ont démontré ce concept en utilisant par exemple des quantum dots [47], ou
des terres rares [71].
2.3.2 Imagerie en milieu biologique
L’un des domaines d’application des nanoparticules luminescentes suscitant le plus d’intérêt est
certainement celui de l’imagerie biomédicale. Le concept de base est d’utiliser la taille nanométrique
de ces objets pour interagir avec des molécules d’intérêt biologique et de révéler leur localisation par
luminescence, soit pour étudier des mécanismes de métabolisation, soit en vue de faire de la
thérapie ciblée. La première utilisation d’un agent exogène (i.e. extérieur) pour l’étude biologique a
été effectuée par Yalow et Berson [72] avec un marqueur radioactif. Les nanoparticules
luminescentes, d’utilisations moins contraignantes, l’ont depuis largement supplanté et le nombre de
travaux traitant de ce sujet ne cesse d’augmenter [33, 49, 60, 73-77]. La luminescence peut être par
exemple utilisée pour suivre le devenir des nanoparticules dans un organisme biologique afin
d’étudier une éventuelle toxicité [29, 78] (Figure 12, exemple de gauche). Les nanoparticules
luminescentes peuvent également être fonctionnalisées pour se greffer spécifiquement (i.e.
vectorisation) sur des biomolécules comme des anticorps, des peptides, des cellules tumorales ou
des oligonucléotides par exemple [30, 75] (Figure 12, exemple de droite). Les fonctions de surface les
plus couramment utilisées sont les thiols, les amines et les acides carboxyliques [62]. En ajustant la
taille des objets il est aussi possible de contrôler leur diffusion à travers des tissus/membranes
biologiques.
Figure 12 Exemples d’images in vivo. A gauche étude de la diffusion de nanoparticules de silice rendues luminescentes
par dopage (rouge) injectées dans une souris. Evolution de la concentration en nanoparticules dans les différents organes
au cours du temps : A) 1 minutes B) 1,5 heures C) 3 heures D) 24 heures après l’injection (F=foie ; V=vessie) [78]. A droite
des quantum dots fonctionnalisés (rouges) permettent de réagir spécifiquement avec une tumeur cancéreuse et de la
mettre en évidence [75].
Les nanoparticules peuvent également être perçues comme des nano-réservoirs. Ainsi de
nombreuses molécules peuvent être incorporées, comme par exemple des médicaments (relargage
contrôlé) [79], des agents de contraste (analyses IRM) [20, 80-82] ou encore des luminophores [57,
60, 74, 77, 83]. Pour ce dernier exemple, le fait d’incorporer une grande quantité de matériaux
31
luminescents dans une particule permet d’obtenir un signal d’émission très intense, et ainsi
d’augmenter la sensibilité de l’analyse (Figure 13) [61]. Le principe de codes optiques, présenté dans
la partie anti-contrefaçon (2.3.1), a aussi été utilisé pour l’analyse biomédicale. Le terme
« multiplexing » est alors employé [47, 64, 84-86]. Le principe de base est de pouvoir détecter
simultanément plusieurs sites/molécules biologiques spécifiques : le code optique porté par la
nanoparticule est caractéristique de sa fonction de surface, et donc de sa réactivité vis-à-vis de la
molécule ciblée. Ce type d’analyse permet d’avoir accès à plusieurs informations simultanément et
donc de réduire le nombre d’injections nécessaires.
Figure 13 Différence d’intensité entre l’utilisation d’une entité luminescente seule et d’une nanoparticule pouvant en
contenir plusieurs milliers [61]
La fluorescence intrinsèque du milieu biologique engendre un bruit de fond qui parasite la qualité de
l’analyse en se superposant au signal de la sonde luminescente nanométrique. Pour pallier à ce
problème, la fluorescence en temps résolu a été utilisée. Il s’agit d’utiliser un chromophore avec un
temps de vie largement supérieur à celui du milieu biologique (typiquement les terres rares) et
d’acquérir le signal émis après un délai qui permet de s’en affranchir (Figure 14). Les nanoparticules
luminescentes émettant dans l’infrarouge sont également privilégiées car les tissus biologiques
absorbent très peu entre 700 et 1100 nm. Enfin pour être applicables, les particules doivent
évidemment être non toxiques et de taille contrôlée pour éviter les risques d’embolie. Une attention
particulière doit également être portée sur l’évacuation de ces nanoparticules une fois l’analyse
effectuée. Les particules qui se métabolisent avec le temps ou qui s’évacuent par les voies naturelles
sont donc privilégiées.
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Figure 14 Principe de la luminescence en temps résolu
2.3.3 Caractéristiques d’un traceur luminescent performant
Les qualités requises d’un traceur luminescent performant pouvant être appliqué dans les domaines
de l’imagerie biomédicale et de la lutte anti contrefaçon sont résumées ci-dessous :
Non-toxique : pour les applications en milieu biologique, cette caractéristique est
évidente. Pour la lutte anti contrefaçon elle est également souhaitable sachant que le
marquage peut intervenir sur des matériaux en contact avec des produits consommables.
Dispersion contrôlée dans différents milieux : les nanoparticules doivent être stables
dans le sérum physiologique pour les tests biologiques. Pour le marquage
anti-contrefaçon il est important d’être capable d’insérer le code d’authentification dans
différents matériaux pour répondre aux attentes diverses des industriels.
Fonctionnalisation de surface : elle est surtout importante pour les applications de
vectorisation en biologie. Ce point est directement lié au précédent. En effet, la stabilité
des nanoparticules peut être obtenue en choisissant judicieusement la nature chimique
des particules ou leurs fonctions de surface. Il en est de même pour le marquage de
matériaux.
Rendement quantique élevé : peu importe le type d’application, les systèmes
luminescents les plus efficaces (i.e. avec le rendement quantique le plus élevé et une
absorption importante) seront privilégiés.
Long temps de vie : cette caractéristique est surtout importante pour s’affranchir de la
fluorescence du milieu biologique. Pour la lutte anti-contrefaçon, les temps de vie
(différents pour chaque composé) pourraient être envisagés pour ajouter un niveau de
codage. En effet en plus de générer des codes en ajustant le nombre et la quantité de
composés, l’évolution de l’émission au cours du temps pourrait être utilisée. Le ratio des
pics d’émission entre les différents composés va évoluer en fonction des temps de vie
caractéristiques de chacun d’entre eux. Un temps de vie important favoriserait aussi ce
type de codage. De plus, comme pour le milieu biologique, le produit marqué peut
également être fluorescent.
Résistance au photo-blanchiment: le système luminescent doit résister à des
irradiations continues (celle du soleil et de sa longueur d’onde d’excitation) sans perdre
ses propriétés de luminescence initiales. Ceci est particulièrement important pour l’anti
contrefaçon où l’intégrité du code (basé en parti sur l’intensité de luminescence) doit
être garantie pendant la durée de vie du produit.
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Stabilité chimique : le système ne doit pas être altéré par le milieu environnant. Une
réaction chimique (dissolution, production de sous-produits, relargage d’espèces
nocives…) peut en effet modifier les propriétés ou la structure de la sonde luminescente.
Dans ce cas, les propriétés de luminescence peuvent être perdues/modifiées. Certaines
réactions chimiques peuvent également entraîner la formation/libération d’espèces
toxiques.
Capacité à générer des codes : pour générer un nombre important de spectres
d’émission originaux et variés, l’entité luminescente de base doit présenter un spectre
d’émission fin et un déplacement de Stokes important. En effet la superposition des
spectres est le principal obstacle pour générer un nombre important de codes. Le cas
idéal est de pouvoir détecter simultanément différents spectres d’émission sous une
même longueur d’onde d’excitation.
Coût : il peut en effet être rédhibitoire pour certaines applications industrielles. Il est
directement lié au choix des matériaux, mais également à celui du rendement de
production, de la difficulté/temps de synthèse et de sa mise en œuvre.
Par rapport à ces prérequis, le système le plus adapté entre les trois catégories de nanoparticules
luminescentes présentées au paragraphe 2.2 a été choisi. Il n’y a bien sûr pas de système idéal et les
trois types auraient pu être utilisés. Cependant la difficulté liée à l’obtention de nano-cristaux de
forme parfaitement contrôlée entraîne des étapes de préparation supplémentaires. Même si
aujourd’hui des solutions existent pour contourner ces problèmes, elles imposent aussi des
modifications chimiques supplémentaires (ré-enrobage, fonctionnalisation de surface). D’un point de
vue général, la synthèse de quantum dots ou des nano cristaux dopés par des métaux semble plus
complexe et nécessite systématiquement une modification de leur surface. En conséquence, même
si leurs propriétés de luminescence sont adaptées pour les deux applications envisagées dans cette
thèse, l’incorporation de molécules luminescentes dans des matrices de taille nanométrique semble
plus adaptée. Il s’agit à présent de définir le type de molécule à incorporer. Les chromophores
organiques ne répondent pas aux prérequis (photo stabilité et temps de vie faibles, spectres
d’émission larges et déplacement de Stokes faible) contrairement aux organolanthanides. De façon
générale, les terres rares sont très utilisées pour leurs remarquables propriétés [49, 67]. Leur
principale limitation est liée à leur sensibilisation directe difficile. Une des méthodes décrites pour
exciter efficacement les lanthanides consiste à utiliser une molécule organique qui sert
d’ « antenne » [68]. La partie suivante est consacrée aux lanthanides et à ce mode de sensibilisation.
Dans le document
Développement de nano-traceurs à base d’organolanthanides pour applications biologiques et marquage de matériaux
(Page 37-43)