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L'usage du modèle macroscopique du milieu poreux peut être étendu, avec cependant quelques difficultés, au transfert des matières solubles accompagnant l'écoulement.

Cette extension est connue sous le nom de théorie de la dispersion.

Nous nous intéressons ici aux éléments transportés dits en solution, c'est-à-dire ne constituant pas une phase mobile différente de la phase fluide, mais s'intégrant à l'eau du milieu naturel en y modifiant éventuellement les propriétés physiques et

chimiques (notamment la masse volumique et la viscosité). Ces éléments pourront revêtir différentes formes chimiques: ions, agrégats de molécules ou d'ions, micelles et

colloïdes, dont l'interaction avec le milieu devrait pouvoir être envisagée de manière spécifique. Par opposition au transport en solution, on distingue les écoulements de fluides immiscibles tels que les écoulements d'huile et d'eau dont les lois de

migration sont très différentes. Ce point ne sera pas abordé dans ce mémoire, comme sortant du domaine habituel de l'hydrogéologie. L'exemple d'application concernant les relations eau douce-eau salée dans un aquifère côtier pourra s'y rattacher cependant d'une certaine façon.

5. 1. Relations phénoménologiques régissant le transfert de matière

La conceptualisation des transferts de solutés s'organise autour de trois niveaux de mécanismes: la convection, la dispersion et l'interaction entre la fraction mobile et la fraction immobile du milieu.

a) Mécanismes de convection

Il s'agit de l’entraînement avec le mouvement macroscopique moyen du fluide. Le flux convectif Qc de soluté i qui traverse l'unité de surface de milieu poreux s'exprime par la relation:

i

c

V n C

Q r r

= *

où : Vr est la vitesse de Darcy de l'écoulement,

nr est le vecteur normal à la surface unité,

Ci est la concentration en soluté i présente dans le fluide qui circule. Cette concentration s'exprime le plus souvent en gramme/litre [M] [L-3].

De par la définition même du mécanisme de convection, il apparaît ainsi une distinction entre la fraction du milieu qui peut circuler et qui autorise donc le transfert avec l'écoulement moyen et la fraction composée de solide, mais également de fluide, qui reste immobile tout en pouvant contenir de la matière et donc jouer un rôle dans la migration.

On est amené à définir une porosité cinématique E c correspondant au domaine du milieu poreux occupé par l'eau en mouvement. Cette porosité cinématique est toujours inférieure à la porosité totale déjà introduite en hydrodynamique et dépend des

caractéristiques du milieu poreux, mais aussi vraisemblablement du gradient hydraulique de l'écoulement, bien que cette notion n'ait pas encore été nettement précisée

expérimentalement. Remarquons que cette distinction faite au sein d'un volume

élémentaire représentatif entre fraction mobile et fraction immobile est incompatible avec le modèle macroscopique dont le principe est justement d'homogénéiser les

propriétés à l'intérieur d'un VER dans le but de définir un milieu continu équivalent.

Il y a là une difficulté que nous ne saurons pas résoudre dans le cadre de la théorie de la dispersion.

b) Mécanismes de dispersion

On regroupe sous le terme général de dispersion l'ensemble des mécanismes qui tendent à réduire les contrastes de concentration en se superposant au mouvement convectif moyen.

Au moins deux causes peuvent être attribuées à la dispersion. En premier lieu,

l'agitation thermique des particules dans la solution tend à une homogénéisation de la concentration même en l'absence de mouvement convectif, c'est la diffusion moléculaire.

En second lieu, les hétérogénéités microscopiques de la vitesse des parcelles fluides circulant au sein du VER, qui sont négligées par la représentation macroscopique de l'écoulement selon la loi de Darcy, contribuent également au mélange, et ceci d'autant plus que le mouvement convectif est important. Ce phénomène porte le nom de dispersion cinématique. Remarquons que la dispersion cinématique est une conséquence du modèle

macroscopique du milieu poreux. Sa quantification dépendra donc de la finesse avec laquelle on sera capable de décrire les hétérogénéités de la vitesse macroscopique, c'est à dire finalement de la taille adoptée pour le VER.

La dispersion en milieu poreux est habituellement formulée d'après des travaux théoriques et expérimentaux, par une loi analogue à la loi de Fick.

n

où : Qd représente le flux dispersif à travers la surface unité de milieu poreux, Ci est la concentration en élément i [M] [L-3],

nr est le vecteur normal à la surface unité, D est le coefficient de dispersion [L2] [T-1]

Le coefficient de dispersion D est un tenseur symétrique, du 2ème ordre (matrice à 9 coefficients de l'espace à 3 dimensions). Il a comme directions principales la direction du vecteur vitesse de Darcy et deux autres directions généralement

quelconques quoique orthogonales à la première. Enfin, les coefficients du tenseur sont fonction du module de la vitesse convective. Dans le repère principal d'anisotropie, D se réduit à trois composantes:



DL étant le coefficient de dispersion longitudinal (dans le sens de l'écoulement), DT

le coefficient de dispersion transversal (orthogonalement à l'écoulement).

D'après les expériences menées en laboratoire par Pfankuch (1963), on admet pour le domaine des vitesses usuelles les relations:

V

D

L

= α

L

V D

L

= α

T

αL et αT, qui ont la dimension d'une longueur, étant les coefficients de dispersion intrinsèque ou dispersivités.

c) Interaction entre fraction mobile et fraction immobile

Les mécanismes élémentaires concernés par cette rubrique restent encore très mal connus et sont habituellement représentés de manière globale sans distinguer leurs différentes origines physiques. Quelques exemples de phénomènes se manifestant à différentes échelles convaincront de la difficulté de conceptualisation dans le cadre du modèle macroscopique

A l'échelle microscopique des grains du milieu poreux, un soluté peut se fixer sur la matrice rocheuse. Il peut s'agir d'un mécanisme d'échange d'ions ou encore d'un mécanisme d'ordre physico-chimique dû aux propriétés électriques des particules en solution. On désigne le phénomène global sous le nom de sorption. Le plus souvent, un équilibre s'établit dans la solution entre la fixation (adsorption) et la libération (désorption) des particules. Les constantes d'équilibre dépendent des propriétés chimi-ques de la solution et de la roche, de la température, et notamment des différents éléments dissous. Un même soluté pourra donc présenter des comportements très

différents suivant son environnement. Les mécanismes de sorption sont particulièrement importants dans les argiles dont la capacité d'adsorption peut atteindre le dixième de leur volume. Toujours à l'échelle microscopique, certaines particules de grandes

tailles (ions complexes, colloïdes, etc.) ne pourront pas pénétrer dans les pores les plus petits du milieu et se verront ainsi filtrées au cours de leur mouvement. Enfin, certaines espèces chimiques pourront s'engager de manière éventuellement irréversible avec les constituants de la matrice (réactions acide-base, oxydoréduction,

précipitation).

Dépassant l'échelle des grains et des pores, représentons -nous l'agencement des vides du milieu poreux comme des canaux plus ou moins tortueux parcourus par

l'écoulement et présentant des culs-de-sac. Globalement, les canaux ouverts assurent l'écoulement macroscopique et le mouvement convectif des solutés. Les particules en

solution, tant que leur taille le permet, pénètrent cependant dans les culs-de-sac soit sous l'effet de la diffusion moléculaire, soit encore sous l'effet des hétérogénéités microscopiques de la vitesse d'écoulement. Tout se passe comme si l'espace offert au soluté était plus grand que celui offert au fluide circulant.

Enfin, à l'échelle macroscopique, la répartition du soluté sera influencée par celle de la porosité et de la perméabilité. Par exemple, un massif de craie fissurée constitue habituellement un excellent aquifère possédant une porosité d'interstices dans la matrice crayeuse et une porosité de fissures qui constituent l'essentiel de la perméabilité du massif. Le mouvement convectif global du soluté parcourra donc

principalement les fissures, mais une pénétration des blocs se manifestera également avec un certain retard sous l'effet de circulations plus lentes et de la diffusion moléculaire. La persistance de la pollution dans un tel aquifère longtemps après que la cause en ait cessé atteste ce phénomène.

Reprenant la distinction déjà évoquée à propos des mécanismes de convection en deux fractions, l'une mobile, l'autre immobile, on représente classiquement

l'interaction par une relation globale paramétrique du type F=f(C) reliant la

concentration volumique C dans la fraction mobile à la concentration massique F dans la fraction immobile.

Différents types de lois ont été proposés, basés sur l'interprétation

d'expériences de traçage par diverses substances menées soit en laboratoire, soit in situ (Goblet, 1981). Remarquons que ces expériences sont encore peu nombreuses, et que l'approche globale qu'elles représentent rend hasardeuse, sinon sans fondement, toute tentative d'extrapolation des paramètres dans l'espace et dans le temps.

Dans le cadre de ce mémoire, nous retiendrons trois modes de description de l'interaction.

α) Interaction linéaire et instantanée: Il est postulé, pour ce cas, la relation F = KdC, où Kd est une constante dépendant éventuellement de la température appelée

coefficient de distribution [L3] [M-1] . On suppose ainsi un partage immédiat à chaque instant dans une proportion fixe de la matière en mouvement entre la fraction mobile et

la fraction immobile. La valeur du coefficient Kd caractérise à la fois la roche constituant le milieu poreux et les substances en solution. Ce modèle est

habituellement retenu pour l'étude des transferts lents avec de faibles concentrations tels ceux qui sont susceptibles d'intervenir à la suite de l'enfouissement de déchets radioactifs dans le sous-sol.

β) Interaction linéaire non instantanée à cinétique linéaire: On admet, dans ce cas, la relation dF/dt = w*(C-F/Kd), où w, coefficient constant, caractérise la cinétique de l'interaction. Lors w tend vers +∞, l'état d'équilibre représenté par dF/dt = 0 est atteint instantanément et le modèle cinétique se confond avec le précédent. Des tentatives ont été faites à l'occasion d'expériences en laboratoire et in situ pour distinguer deux valeurs de w selon que le transfert s'effectue de la fraction mobile vers la fraction immobile (adsorption) ou l'inverse (désorption) (Goblet, 1981). Le modèle linéaire à cinétique linéaire semble particulièrement convenir pour traiter le cas des transferts rapides sur de courtes distances, ce qui correspond le plus souvent aux conditions des essais in situ.

γ) Diffusion entre fraction mobile et fraction immobile: Ce modèle admet le couplage de deux milieux communiquant l'un vers l'autre par un mécanisme de diffusion pure

obéissant à la loi de Fick. Il est alors nécessaire de définir la surface de contact entre les deux milieux rapportée à chaque VER et le coefficient de diffusion de chaque substance. Cette approche semble particulièrement convenir au cas du milieu fissuré où la fraction mobile est constituée par l'eau parcourant les fissures tandis que la matrice rocheuse et l'eau qui en sature les pores figurent la fraction immobile.

5.2. Synthèse des relations phénoménologiques définissant le transfert de matière:

équation de dispersion

La combinaison des trois groupes de relations décrivant les mécanismes de convection, de dispersion et d'interaction conduit à l'équation aux dérivées partielles, dite équation généralisée de la dispersion. Cette équation exprime la conservation pour tout VER de la masse d'un soluté au cours de son transfert:

t

Cette équation fait ainsi intervenir:

- la vitesse de Darcy de l'écoulement Vr ,

- la porosité cinématique du milieu poreux εc, définie comme le rapport entre le volume de la fraction mobile et le volume total du VER,

- la masse volumique ρs de la fraction immobile, - le tenseur de dispersion D.

Il est, par ailleurs, nécessaire de la compléter par la relation liant F et C, suivant le modèle d'interaction retenu.

Dans un certain nombre de cas fréquents, la présence de soluté n'a pas d'influence sur l'écoulement et la vitesse V peut être obtenue indépendamment par résolution préalable de l'équation de diffusivité. On dit alors être dans l'hypothèse du "traceur". Dans le cas contraire, lorsque masse volumique et viscosité varient notablement avec la concentration, le transfert de l'eau et celui des solutés ne peuvent être découplés et le problème se complique beaucoup.

Cas particulier: Modèle d'interaction linéaire et instantanée.

La relation F = KdC adjointe à l’équation de diffusivité conduit à :

t

et de :

Ce résultat signifie que le soluté caractérisé par Kd se déplace dans le milieu poreux avec une vitesse apparente V* = V/(εcR) qui permet de classer ainsi

théoriquement différentes substances les unes par rapport aux autres. Les corps dont la migration peut être correctement approchée au moyen d'un tel modèle sont dits "bons traceurs". Un bon traceur sera d'autant meilleur que sa vitesse de transfert apparente sera plus grande.

5.3. Cas du transfert de chaleur

Un cas particulier intéressant de transfert en milieu poreux concerne la

migration de la chaleur. Les développements récents de la géothermie et les besoins en modélisation qui en découlent justifient clairement qu'il en soit fait mention dans le cadre de cet ouvrage traitant de la modélisation en hydrologie.

L'eau chaude peut être assimilée à une substance dissoute dans l'eau froide migrant sous l'effet de la convection, de la dispersion et donnant lieu à des échanges de chaleur avec la matrice rocheuse et l'eau ne participant pas à l'écoulement.

Dans ces conditions, le coefficient de dispersion devient un coefficient de

conductibilité thermique équivalente incluant le transfert de chaleur par conduction dans un milieu continu composé d'eau et de roche ainsi que l'effet du mélange dû aux hétérogénéités de vitesse des filets liquides non décrites par la vitesse de Darcy.

Considérant la finesse de division du milieu poreux et la lenteur relative du déplacement de l'eau, on admet généralement l'existence d'une température unique affectée à chaque Volume Elémentaire Représentatif (VER) résultant de l'échange irré-versible et instantané de chaleur entre fraction mobile et fraction immobile.

L'équation de dispersion généralisée appliquée au transfert de chaleur devient:

V t

où : λ représente le tenseur de conductibilité thermique apparente, γf est la capacité calorifique de l'eau,

γs est la capacité calorifique de la fraction immobile (roche + eau immobile), γ = εcγf = (1- εcs est la capacité calorifique équivalente du milieu poreux, θ est la température du volume élémentaire représentatif,

Vr

est la vitesse de Darcy.

Le formalisme mathématique qui rend ainsi compte du transfert de chaleur est donc identique à celui du transfert d'un soluté dans le cas d'une interaction linéaire et instantanée entre fraction mobile et fraction immobile. En particulier, la température migre avec une vitesse apparente égale à:

f

V r γ γ

Lorsque la vitesse de l'écoulement est suffisamment grande, l'effet de dispersion devient prédominant devant la conduction thermique, et l'on pose λ

= α ′ V

. Des

considérations théoriques basées sur une approche probabiliste du milieu poreux,

corroborées par l'expérience, permettent de penser que la dispersivité thermique α' est supérieure à la dispersivité α; en première approximation, on retiendra α' = 3α

(Marsily, 1978).

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