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Article 3: « Asexual Queen Succession and its life history implications in the termite

2. Stratégies d’accouplement et dispersion chez les Termitidae utilisant l’AQS

2.2. Apparentement des reproducteurs et stratégies d’accouplement

La mesure du taux de consanguinité et du coefficient de parenté entre les membres stériles de la colonie a permis de confirmer la structure familiale i.e. le nombre de reproducteurs à la tête des colonies mais aussi de préciser leur apparentement. Chez S.

minutus, les familles simples étaient issues d'un couple de reproducteurs non apparentés (FIT = 0,005) (article 3). Les résultats obtenus chez E. neotenicus ont indiqué que certaines colonies étaient fondées à partir d'un couple de reproducteurs faiblement mais significativement apparentés (FIT = 0,039) (article 2). De la même manière, un faible apparentement a été trouvé entre les reproducteurs à la tête des familles simples chez C. tuberosus (FIT = 0,060) (Fournier

et al., 2016). Une colonie fondée par des reproducteurs apparentés montre un taux de

consanguinité élevé dans la descendance sexuée, pouvant entrainer une baisse de la valeur sélective des individus. Les imagos étant amenés à quitter le nid pour fonder de nouvelles colonies, ce mode de reproduction pourrait être considéré comme désavantageux.

Les analyses moléculaires réalisées sur les espèces xylophages ont montré que l'apparentement entre reproducteurs primaires était peu fréquent, suggérant qu'il existe des mécanismes permettant de réguler la consanguinité chez les termites (Vargo et Husseneder, 2011). Il existe deux types de mécanismes influençant l'apparentement entre les reproducteurs

189 (Vargo et Husseneder, 2011) : les mécanismes indirects, qui se produisent avant la rencontre des futurs reproducteurs, et les mécanismes directs, qui se produisent lorsqu'ils entrent en contact. Parmi les mécanismes indirects, la distance de dispersion des imagos, des différences dans les capacités de dispersion des mâles et des femelles ou encore des différences dans la production des mâles et des femelles au sein d’une colonie, peuvent limiter la rencontre entre individus apparentés. Parmi les mécanismes directs, il est décrit la discrimination active des apparentés durant le choix du partenaire.

Concernant la distance de dispersion des imagos, il existe à ce jour peu d'études décrivant directement les distances de vol chez les termites mais ces rares observations de terrain estiment que les vols dépassent rarement une centaine de mètres (Nutting, 1969). Chez les Macrotermitinae, la distance de vol des ailés a été estimée à environ 30 mètres dans le genre Macrotermes (Neoh et Lee, 2009) et exceptionnellement jusqu'à 700 mètres dans le genre Odontotermes (Hu et al., 2007). Il a été décrit que la dispersion des ailés diminuait le long du gradient d'humification correspondant aux différents régimes alimentaires (Eggleton et Tayasu, 2001). Ainsi, les termites humivores sont connus pour disperser sur de particulièrement courtes distances et présentent les plus faibles capacités de recolonisation en cas de perturbation de l’habitat (Eggleton et Tayasu, 2001, Gathorne-Hardy et al., 2000, Nutting, 1969).

La plupart des données génétiques tendent au contraire à montrer que la distance de vol est suffisante pour limiter la rencontre entre individus apparentés et limiter ainsi la consanguinité dans les colonies. En effet, l’isolement par la distance, conséquence génétique directe d’une dispersion limitée n’a clairement été démontré que chez deux espèces de termites souterrains, R. malletei (Vargo et Carlson, 2006) et S. lamanianus (Husseneder et al., 1998, Vargo et Husseneder, 2011). Chez les Termitidae humivores, C. tuberosus n'a montré aucune viscosité à l'échelle locale de 500 m (Fournier et al., 2016). Les résultats obtenus sur

E. neotenicus et S. minutus confirment cette absence de viscosité, avec un isolement par la

distance non significatif à l'échelle de quelques kilomètres (articles 2 et 3). Les espèces AQS semblent donc capables d’éviter les accouplements consanguins par une dispersion efficace des ailés. La distance de vol dépend de nombreux facteurs environnementaux tels que le vent (vitesse et direction), la luminosité ou la pluie. Le vent semble être celui qui affecte le plus les distances de dispersion des ailés (Hu et al., 2007) et pourrait intervenir de manière récurrente en forêt tropicale dans le cas de ces trois espèces.

190 L’hypothèse d’une différence dans la capacité de dispersion des mâles et des femelles est généralement plus difficile à argumenter. Un seul cas de biais en faveur d'un des deux sexes dans la distance de dispersion a été décrit chez Zootermopsis nevadensis (Shellman-Reeve, 1996). Il a été montré que les imagos femelles de cette espèce possédaient des réserves lipidiques, sources d'énergie utilisées pendant le vol, plus importantes que les mâles. Ceci leur permettrait de voler plus loin que les imagos mâles et donc d'éviter les accouplements entre apparentés. Chez C. tuberosus, les patrons de dispersion n’ont pas montré de différence significative entre imagos mâles et femelles, d’après les indices de différentiation génétique estimés à partir des génotypes microsatellites des reines et des rois (Fournier et al., 2016). Chez E. neotenicus et S. minutus, les reines étaient trop peu nombreuses pour effectuer cette analyse. Cependant, une structuration plus marquée de la population de Petit Saut semble apparaitre pour le génome mitochondrial de ces deux espèces, en particulier S. minutus, en comparaison avec le peu de structuration spatiale des marqueurs microsatellites. Ces résultats, très préliminaires et à interpréter avec prudence, pourraient indiquer une différence de patron de dispersion entre les sexes, avec un sexe femelle qui disperserait moins (articles 2 et 3). Des différences dans la production des imagos mâles et des femelles au sein d’une colonie permettraient également d'éviter la consanguinité. Cela a été observé chez quelques espèces comme Coptotermes formosanus (Rhinotermitidae) (Roisin et Lenz, 2002) et

Pseudacanthotermes militaris (Termitidae, Macrotermitinae), chez qui un biais en faveur des

mâles a été trouvé (Connétable et al., 2012). Chez S. minutus, aucun biais de sexe ratio n'a été relevé dans la production des essaimants, à l'échelle coloniale comme populationnelle (article 3).

Un mécanisme direct basé sur la reconnaissance des individus apparentés a également été mis en évidence chez Z. nevadensis. Chez cette espèce, les imagos évitent de s'apparier avec des individus du même nid pendant la fondation de la colonie (Shellman-Reeve, 2001). Dans un cas opposé et relativement proche de ce que nous avons trouvé chez E. neotenicus, une étude réalisé sur C. lacteus a montré que les couples de reproducteurs à la tête des colonies étaient très faiblement apparentés, malgré une absence de structuration génétique à fine échelle (Thompson et al., 2007). Ces résultats ont été interprétés par les auteurs comme une préférence pour des partenaires très légèrement apparentés par rapport à des partenaires sans aucun lien génétique, une stratégie appelée « optimal outbreeding » selon Bateson (1983). En effet, des accouplements entre partenaires légèrement apparentés pourraient avoir

191 des effets positifs sur la valeur sélective des parents, en augmentant la représentation des gènes identiques par descendance dans les futures générations (Kokko et Ots, 2006).

En conclusion, les essaimages des espèces AQS se traduisent par un vol couvrant des distances suffisantes pour assurer des accouplements entre individus peu ou pas apparentés. D’autres mécanismes, comme le choix du partenaire, sont susceptibles d’intervenir pour expliquer que les reproducteurs ne s’accouplent pas totalement au hasard, comme chez E.

neotenicus. La perception des stratégies reproductives permet de mieux comprendre leurs

conséquences sur le brassage génétique et la structuration des populations à plus large échelle.