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IV. Les Apolipoprotéines L

1. APOL1

APOL1 est la protéine la plus étudiée de la famille des APOLs. La raison première est son implication dans le contrôle de l’infection par les parasites de l’espèce Trypanosoma brucei chez l’homme. Son expression chez les mammifères est très restreinte. En effet, elle n’est retrouvée que chez l’homme et le gorille. Le gène apparait chez d’autres primates mais sous forme tronquée ou sous forme de pseudo-gène (Smith and Malik, 2009). APOL1 est le seul membre de la famille à être secrété. Elle possède un peptide signal nécessaire à son adressage et est retrouvée dans la ciculation sanguine (Figure 14).

a. APOL1, un composant du facteur de lyse du trypanosome

APOL1 a été retrouvée comme étant un composant du facteur de lyse du trypanosome (Vanhamme et al., 2003). Les trypanosomes sont des parasites unicellulaires qui peuvent infecter différents hôtes vertébrés, notamment les humains et le bétail, et qui sont transmis majoritairement par des vecteurs hématophages. APOL1 est associée aux protéines HPR et ApoA1 au sein de particules lipoprotéiques de hautes densités pour former ce complexe. La protéine HPR va permettre au complexe, via une interaction avec son récepteur présent sur le parasite, d’être endocyté par celui-ci (Vanhollebeke et al., 2008). Plusieurs mécanismes de lyse ont été proposés, toutefois, APOL1 semble à chaque fois être la « toxine trypanolytique ». L‘hypothèse qui semble la plus retenue est qu’APOL1 permettrait la perméabilisation de certaines membranes indispensables à l’intégrité du parasite. En effet, APOL1 possède des similarités structurales avec un domaine de formation de pore bactérien. Une des hypothèses proposées, serait qu’à pH acide, APOL1 subisse un changement de conformation qui permettra son insertion dans les membranes lipidiques des lysosomes du parasite. APOL1 pourrait ainsi jouer le rôle de canal à chlorure, permettant une entrée massive d’ions dans le lysosome et un gonflement dû au phénomène d’osmose menant finalement à la lyse du parasite (Pérez-Morga et al.,

Figure 14. Organisation des domaines structuraux de la protéine APOL1. Abréviations utilisées : PS, péptide signal ; PFD, domaine de formation de pore ; BH3, domaine BH3 pro-apoptotique ; MAD, domaine d’adressage membranaire ; SRID, domaine d’interaction avec la protéine SRA ; SID-1/2, smallest interacting domains ; HC1/2, cluster hydrophobique 1 et 2 ; LZ1/2, leucine zipper 1 et 2. Les étoiles marquent la position des mutations retrouvées dans les génotypes G1 ou G2.

Introduction ǀ 40 2005). Certains auteurs ont toutefois émis l’hypothèse qu’APOL1 pouvait former un canal à cation non spécifique (del Pilar Molina-Portela et al., 2005). Une étude plus récente propose qu’un pH acide est nécessaire à l’enchâssement d’APOL1 dans la membrane mais qu’une augmentation de pH serait nécessaire pour activer fortement son activité de canal à cations (Thomson and Finkelstein, 2015). Pour finir, il semblerait que APOL1 soit également à l’origine de la perméabilisation de la membrane mitochondriale et induise ainsi le relargage d’une endonucléase responsable de la fragmentation de l’ADN du parasite (Vanwalleghem et al., 2015). De plus, l’activité de lyse du trypanosome est retrouvée chez l’homme mais aussi chez le gorille. Cependant, elle n’est pas retrouvée chez le chimpanzé. Cela est cohérent avec l’absence de la protéine APOL1 chez le chimpanzé et est un élément de plus pour affirmer le rôle d’APOL1 comme facteur de lyse du trypanosome (Poelvoorde et al., 2004).

De façon intéressante, deux sous-espèces de Trypanosoma brucei, T.b.rhodesiense et T.b.gambiense, peuvent résister à la lyse par APOL1 et sont responsables chez l’homme de la maladie du sommeil. En effet, ces deux sous-espèces vont chacune coder pour un variant de glycoprotéine de surface appelé respectivement SRA (serum resistance-associated) et TgsGP (T.b. gambiense-specific glycoprotein). SRA est destinée au système endo-lysosomal où elle pourra se lier à APOL1 et ainsi probablement inhiber son insertion dans les membranes et induire sa dégradation par des protéases du parasite (Vanhamme et al., 2003 ; Oli et al., 2006 ; Stephens and Hajduk, 2011). Pour TgsGP, le mécanisme n’est pas tout à fait le même, il n’y a pas d’interaction direct avec APOL1. TgsGP est localisée au niveau du système endosomal du parasite et va permettre, via une interaction avec les lipides membranaires, une rigidification des membranes. Cette rigidification serait la cause d’une inhibition de l’insertion d’APOL1 dans les membranes résultant en une dégradation par les protéases du parasite (Uzureau et al., 2013).

b. Implication dans les pathologies rénales

Plusieurs variants génétiques d’APOL1 sont retrouvés dans la population mondiale. Le variant le plus répandu est APOL1 G0. Les deux autres variants, G1 et G2, sont rares et présents en plus grandes proportions chez les personnes d’origine africaine (Genovese et al., 2010). Ces deux génotypes consistent en des mutations ou délétion dans le dernier exon d’APOL1 et sont par conséquent à l’origine d’une altération de la séquence protéique. Genovese et al ont mis en évidence que ces variants, sous forme homozygotes, étaient associés à une incidence plus forte de maladies rénales chroniques comme la glomérulosclérose segmentaire et focale ou l’insuffisance rénale liées à l’hypertension (hypertension-attributed end-stage kidney disease, H-ESKD). Il apparait également que les néphropathies associées à l’infection par le virus d’immunodéficience humaine sont plus présentes chez les porteurs de ces génotypes. Avec un risque 29 fois supérieur pour le développement d’une

Introduction ǀ 41 néphropathie lorsqu’un de ces génotypes est présent sous forme homozygote (Kopp et al., 2011). Toutefois, ces variants permettent de résister à l’infection par T.b.rhodesiense. En effet, les mutations ou délétions présentes sur les génotypes G1 et G2 sont présentes au niveau du domaine d’interaction avec SRA (Figure 14) (Genovese et al., 2010). Ces parasites étant présent en Afrique, cela a pu être déterminant quant à la sélection des génotypes G1 et G2 dans cette population.

c. APOL1 et virus

La majorité des études menées sur APOL1 se focalisent sur sa fonction anti-trypanolytique. Très peu d’auteurs se sont intéressés à un potentiel rôle antiviral ou pro-viral. Comme dit précédemment, APOL1 est une protéine induite par les IFN, notamment de type I, ce qui peut laisser supposer un rôle dans la réponse antivirale (Hayashi et al., 2005 ; Schoggins et al., 2011). Du fait de sa caractéristique d’ISG, cette protéine est retrouvée dans différents cribles cherchant à identifier des effecteurs de la réponse innée. Nous détaillerons ci-dessous les résultats obtenus pour APOL1 dans certaines de ces études.

Schoggins et ses collaborateurs ont réalisé un crible en sur-exprimant individuellement environ 380 ISGs dans différents types cellulaires infectés par les virus à ARN suivants: HCV, YFV, WNV, CHIKV, VIH ou VEEV (virus de l’encéphalite équine vénézuélienne)(Schoggins et al., 2011). APOL1, APOL2, APOL3 et APOL6 étaient inclus dans ce crible. Une valeur de z score a été attribuée à chaque candidat en fonction de son impact sur l’infection par le virus testé. Le seuil utilisé pour affirmer que la variation observée est significativement différente de celle observée pour la médiane a été fixé à 2, ce qui est pratique courante. Lors de l’infection de la lignée hépatocytaire Huh7 par YFV, le z score obtenu pour les cellules sur-exprimant APOL1 était de 3,17. A titre de comparaison, dans les mêmes conditions, le z score obtenu en présence de LY6E, qui est un ISG ayant une fonction pro-flavivirus, était de 2,95. De même, le z score d’USP18, régulateur négatif de la voie IFN, était de 2,51. Dans ces conditions, APOL1 apparait donc comme un ISG possédant un rôle pro-viral spécifique à YFV dans certaines conditions (Schoggins et al., 2011). Un second crible mené par la même équipe a été réalisé en 2014 sur un plus grand nombre de virus (virus sinbis AR86 et Girdwood, poliovirus, coxackie virus B, virus de la vaccine, virus de la rougeole, virus de la maladie de Newcastle, virus bunyamwera, virus respiratoire syncytial, virus parainfluenza de type 3, virus de l’artrite équine, virus influenza A, métapneumovirus humain, virus o’nyong-nyong). Aucun des ces virus n’a été identifié comme étant sensible à la surpexression d’APOL1 (Schoggins et al., 2014), ce qui confirme sa spécificité pour YFV dans un contexte de sur-expression.

Introduction ǀ 42 Une étude de 2019 montre qu’APOL1 est induite également via le facteur de transciption IRF1, qui permet de réguler l’expression de plusieurs ISGs dans les cellules Huh7.5 (Yamane et al., 2019). Dans cette étude l’impact sur différents virus d’une sélection d’ISGs induit par IRF1 a été analysé. Parmi ceux-ci, APOL1 semble avoir un effet antiviral sur HCV lors de l’infection des cellules Huh7.5. En effet, son extinction par ARN interférences (ARNi) induit une augmentation de l’infection par un facteur 3 et sa surexpression permet une inhibition de moitié de l’infection. L’impact sur la réplication de DENV et ZIKV a aussi été examiné mais la conclusion semble moins évidente. En effet, l’inhibition de l’expression d’APOL1 par ARNi, toujours dans des cellules Huh7.5, n’induit pas d’augmentation significative de l’infection par DENV, mais induit une augmentation de l’infection par ZIKV. Cependant, une surexpression d’APOL1 permet de doubler l’infection par DENV, ce qui laisserait supposer un rôle positif pour l’infection par ce virus. Toutefois cette hypothèse n’est pas discutée dans l’article (Yamane et al., 2019). D’autres études se penchant sur les rôles des ISGs dans l’infection virale via une approche « perte de fonction » incluent APOL1 dans leurs analyses (Zhao et al., 2012 ; Li et al., 2013). Toutefois, aucun effet significatif d’APOL1 sur l’infection de cellules Huh7.5 par HCV ou de cellules HeLa par WNV a été mis en évidence.

Le rôle d’APOL1 sur la réplication du VIH dans les cellules monocytaire U-937 a également été étudié. Il semblerait que dans ce contexte, APOL1 joue un rôle restrictif de l’infection. En effet, la surexpression de la protéine induit une diminution de l’infection. De plus, la surexpression d’APOL1 dans des HEK-293T conduit à la dégradation de Vif, protéine virale permettant de protéger le virus contre un autre ISG antiviral, APOBEC3G (Taylor et al., 2014).

Il semble donc qu’APOL1 puisse moduler la réplication de virus non apparentés, en jouant un role antiviral contre HCV ou VIH (Yamane et al., 2019 ; Taylor et al., 2014) et pro-viral pour YFV (Schoggins et al., 2011). Néanmoins les mécanimes sous-jacents ne sont pas connus.

Par ailleurs, APOL1 est impliquée dans les mécanismes d’autophagie (Wan et al., 2008). Ce processus est également décrit comme essentiel pour la réplication des Flavivirus. Pour ZIKV, il a été montré que chez les souris n’exprimant pas le gène Atg16l1, gène essentiel à l’autophagie, les dommages causés au placenta et au fœtus étaient réduits (Cao et al., 2017). De plus, dans des cellules HeLa et des cellules souches fœtales neurales humaines, la surexpression des protéines NS4A et NS4B de ZIKV induit l’autophagie par inhibition de la voie Akt-mTOR (Liang et al., 2016). Il semble probable que ZIKV détourne ces mécanismes cellulaires pour favoriser sa réplication ou permettre les réarrangements membranaires nécessaires à celle-ci, comme cela a pu être décrit pour DENV ou HCV (Heaton and Randall, 2010 ; Sir et al., 2012). Nous pouvons donc émettre l’hypothèse qu’APOL1 pourrait avoir un role pro-viral lors de l’infection par ZIKV.

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