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Antibioprophylaxie et émergence de résistance bactérienne

La prévention des infections du site opératoires est fondée sur la connaissance de la pathogenèse et de la diminution des facteurs de risques. Comme nous l’avons remarqué, l’antibioprophylaxie joue un rôle primordial dans la prévention des infections. Cependant, après l’administration d’une antibioprophylaxie, un effet sur l’écologie microbienne et une sélection de germes résistants au sein de la flore commensale des patients peut se produire. Elle n’a pas de conséquence clinique dans la majorité des cas. Il existe actuellement dans la littérature quelques exemples où la pression de sélection effectuée par l’antibioprophylaxie a été mise en cause directement dans l’apparition de cas d’infection par des bactéries résistantes au niveau individuel [57, 58, 59]. Les importantes variations de pratique et d’administration de l’antibioprophylaxie auraient également un effet sur la flore microbienne individuelle et hospitalière. Parmi ces points de discussion, c’est surtout la durée optimale de l’antibioprophylaxie qui représente le sujet le plus controversé [56]. Il convient néanmoins de reconnaître que la question de son impact écologique reste un sujet complexe et encore peu étudié.

Malgré son activité à spectre élargi, la commodité d’utilisation et la bonne diffusion des fluoroquinolones dans le parenchyme prostatique en font une molécule d’antibioprophylaxie de choix dans le cadre des biopsies prostatiques. De part l’augmentation croissante des résistances bactériennes à d’autres antibiotiques (10 à 25% des E. coli sont résistants au trimethoprime-sulfamethoxazole), on observe une augmentation croissante des prescriptions de

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quinolones de nouvelle génération en première ligne de traitement dans les infections urologiques non compliquées facilitant ainsi l’émergence de résistance dans cette classe d’antibiotique. Même si actuellement les E. coli responsables d’infections urinaires sont dans la majorité des cas sensibles aux fluoroquinolones [60, 61, 62], cette modification de consommation engendre l’apparition de bactéries multi résistantes pouvant ainsi réduire l’efficacité des fluoroquinolones utilisées en antibioprophylaxie ou dans le traitement d’infections plus sévères.

Dans notre étude, on n’a pas pu isoler des germes pour tester leurs résistances à l’antibiotique utilisé, malgré cela, on va toutefois se baser sur les résultats d’autres études afin d’essayer de déceler les taux de résistances et les facteurs qui les favorisent.

Les taux de résistance ont augmenté avec l’utilisation des fluoroquinolones. Au Maroc, une étude prospective menée, entre1994 et 2004, par l’institut Pasteur de Casablanca à propos de la résistance des souches d’E.coli isolées d’infections urinaires communautaires aux antibiotiques, a montré une élévation de la résistance de ces souches aux antibiotiques étudiés entre 1999 et 2004 : elle est passée de 8,2% à 18,3% pour les fluoroquinolones, de 42,1% à 50,3% pour la sulfamethoxazole-trimethoprime et de 60,3% à 70,1% pour la pénicilline A. En France, les constatations des instituts de veille sanitaire confirment l’évolution croissante des résistances aux fluoroquinolones. Selon l’observatoire national de l’épidémiologie de la résistance bactérienne aux antibiotiques de France (ONERBA), entre 1996 et 2003, la sensibilité des souches d’E.coli isolées dans les hémocultures a diminué vis-à-vis de la ciprofloxacine (de 98 à 92%). Les taux de sensibilité sont à peine plus bas dans les hôpitaux

universitaires que dans les hôpitaux provinciaux (1 à 2%). Ils sont également plus bas pour les souches de bactéries nosocomiales tardives (>28 jours après l’hospitalisation) que pour celle des bactéries communautaires [64]. Ces résistances varient en fonction des pays. En 2000, elles étaient nulles au Danemark, en Irlande ou en Suède, mais atteignaient 14,7% en Espagne et étaient en général plus importante dans les pays méditerranéens. En France, toujours, on a enregistré entre 1997 et 2003 dans les prélèvements urinaires une augmentation significative des E.coli résistantes à l’ofloxacine et à la ciprofloxacine et on a prouvé par des modèles de régression dynamique, une relation causale avec l’augmentation d’utilisation de ces antibiotiques [65]. Les mêmes conclusions ont été tirées au Canada, où la prévalence des souches non sensibles à la ciprofloxacine était de 0% en 1993 mais était passé à 1,7% en 1998. En Chine, ces changements étaient encore plus spectaculaires, la prévalence des pneumocoques résistants à la levofloxacine est passé de 5,5% en 1998 à 13,3% en 2000 [63].

Une explication à cette augmentation des résistances est qu’il existe une relation nette entre la sensibilité des E.coli aux antibiotiques utilisables par voie orale et les antécédents d’antibiothérapie, en particulier quand on prend en compte le type d’antibiotique reçu : relation entre prise de quinolones et sensibilité à la ciprofloxacine, la différence de sensibilité étant d’environ 20% entre antécédents (78%) et pas d’antécédents (97%). Il y a aussi une relation statistique entre la sensibilité aux quinolones et les antécédents d’hospitalisation, les sensibilités étant moins élevées en cas d’antécédents. Ces corrélations n’existent pourtant pas pour d’autres antibiotiques tels que l’amoxicilline-acide

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La stratification des souches bactériennes selon la sensibilité à l’amoxicilline prise comme marqueur montre une diminution plus importante de la sensibilité à la ciprofloxacine chez les souches résistantes à l’amoxicilline (96% à 87%) que chez les souches sensibles à l’amoxicilline (100% à 97%), montrant ainsi une accumulation des résistances pour les mêmes souches [64].

Devant cette augmentation des E.coli résistants à plusieurs antibiotiques,

Goettsch et al. ont collecté sur dix ans les caractéristiques de 91 699 E.coli

isolés dans les cultures urinaires de quatre laboratoires néerlandais. Ils retrouvaient 2232 germes résistants à la norfloxacine, 23 226 au triméthoprime et 31 903 à l’amoxicilline et 4726 à la nitrofuradantine. Alors que la sensibilité aux deux derniers était stable, les auteurs observaient une augmentation des résistances à la norfloxacine et au triméthoprime durant la période s’étalant de 1989 à 1998. Cette augmentation des résistances à la norfloxacine n’était jamais isolée mais toujours associée à une augmentation de la multi résistance bactérienne. Parallèlement, les analyses statistiques démontraient une relation entre le taux de résistance à la norfloxacine et l’élargissement de l’usage des fluoroquinolones [67]. Dans un récent rapport publié par la North American Urinary Tract Infection Collaborative Alliance-Quinolones Resistance Study, 1858 souches d’E.coli résistantes aux fluoroquinolones ont été testées. 79,8% étaient résistantes à l’ampicilline, 66,5% au triméthoprime-sulfamethoxazole, 4% à la nitrofurantoine. 10,8% de ces souches étaient sensibles aux autres antibiotiques testés, 27,3% résistantes à un autre, 54,1% à 2 autres, 7,4% à 3 et 0,4% à 4 autres. Soit, 90% des E.coli fluoroquinolones résistants l’étaient également à au moins un ou deux autres agents, majoritairement à l’ampliciline et au triméthoprime-sulfamethoxazole [67]. D’autres corrélations, comme celle

entre la consommation de quinolones et les résistances à la gentamicine et à la nitrofurantoine ont également été décrites [68]. Ces données sont renforcée par les résultats d’autres études qui aboutissent au mêmes conclusions : l’augmentation de l’utilisation des quinolones de nouvelle génération entraîne des modifications de leur sensibilité mais favorise également le développement de multi résistances [62, 66, 68].

Par ailleurs, des donnés provenant d’études, menées en France par l’ONERBA, sur les infections urinaires chez les malades ambulatoires ont permis de démontrer que les antécédents d’antibiothérapie, d’hospitalisation ou d’infection urinaire récente influent également sur la répartition des bactéries et sur la résistance aux antibiotiques dans les infections urinaires. Ainsi, chez les patients avec antécédents d’antibiothérapie et d’hospitalisation depuis respectivement moins de 1, 3 mois et 6 mois, E.coli était significativement moins sensibles aux aminopinicillines, au cotrimoxazole et aux quinolones. Chez les patients ayant eu une infection urinaire depuis moins de 6 mois, les auteurs trouvaient également une moindre sensibilité de E.coli à ces mêmes antibiotiques [69].

Une étude récente d’expérimentation animale a démontré que même si la prescription de fluoroquinolones opère une pression de sélection bactérienne, les modifications de flore individuelle ne sont que transitoires. Ainsi, le pourcentage d’E.coli quinolones résistants dans la flore fécale de porcs après l’administration de flumequine augmentait (à 21,8% au 7 jour contre 6,4% avant le traitement par acide nalidixique) pour secondairement diminuer (12,6% et 10,4% respectivement à 30 et 60 jours) devenant ainsi à un mois non significatif par

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traitement était responsable d’une modification notable de la flore digestive mais que cette variation était transitoire [70]. Cette pression de sélection semble également transitoire chez l’homme puisque après l’apparition de bactéries résistantes engendrées par un traitement prolongé de fluoroquinolones, les E.coli isolés dans la flore bactérienne fécale redeviennent, à terme, identiques à ceux retrouvés avant et pendant le traitement [71].

Concernant la prolongation de l’antibioprophylaxie, plusieurs études récentes, menées dans d’autres spécialités, ont décrit l’effet délétère de cette prolongation sur la flore microbienne. Par exemple, une étude expérimentale effectuée au Pays Bas a démontré le risque d’utilisation prolongée des fluoroquinolones à titre prophylactique en chirurgie cardiovasculaire. Ainsi, les patients hospitalisés et exposés à une antibioprophylaxie prolongée étaient rapidement colonisés par des staphylocoques à coagulase négative multi résistants [72, 73]. Une récente étude épidémiologique effectuée sur 2641 patients de chirurgie vasculaire démontrait que l’antibioprophylaxie prolongée augmentait de 60% le risque d’isolement de germes résistants à la molécule utilisée (entérobactéries résistantes aux céphalosporines, entérocoques résistants à la vancomycine) mettant ainsi l’accent sur l’importance du phénomène de la sélection des bactéries à résistance acquise après l’antibioprophylaxie prolongée [74].

Donc à partir de ces donnés de littérature, il parait prudent d’éviter une antibioprophylaxie prolongée à base de fluoroquinolones ou d’autres antibiotiques.

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