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Chapitre 2: Revue de la littérature

2.1 Anthropologie et théâtre

Tout d’abord, je t ens à préc ser u’ l ne sera pas uest on ici d’anthropolog e théâtrale. Ce doma ne d’étude développé par Eugen o Barba, théor c en, metteur en scène et fondateur de l’I.S.T.A (International School of Theatre Anthropology), se concentre sur « le comportement de l’être huma n uand l ut l se sa présence phys ue et mentale dans une situation de représentation organisée selon des principes qui ne sont pas ceux de la vie quotidienne. Cette utilisation extra-quotidienne du corps est ce u’on appelle techn ue » (Barba 2008 : 13). En d’autres mots, l’anthropolog e théâtrale se centre sur l’analyse du travail de l’acteur/danseur au niveau de sa personnalité, de ses techniques corporelles et psychiques liées à des traditions théâtrales part cul ères a ns u’à son contexte soc oculturel. Comme on peut le constater, ce type d’analyse or entée sur le coméd en ne conv ent pas pour la problématique ciblée qui se focalise sur le théâtre autochtone francophone et/ou de langues amér nd ennes au Québec et plus préc sément sur le trava l de créat on d’art stes autochtones u œuvrent dans ce doma ne art st ue. Néanmo ns, l est mportant de s’y attarder pour éviter

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toute confus on dans la term nolog e. Il est préférable d’ut l ser comme approche l’anthropolog e de la performance selon V ctor Turner (1988) et l’anthropolog e du théâtre selon William O.Beeman (1993) et Johannes Fabian (1999).

Victor Turner, un anthropologue britannique fré uement assoc é à l’anthropolog e symbolique, s’est beaucoup ntéressé à l’anthropolog e de la performance et, par le fa t même, au théâtre dont il parle dans plusieurs de ses ouvrages. Selon ses théories « of social drama » (Turner 1988 : 7), discutées dans son livre The Anthropology of performance, les performances sont des révélateurs de drames sociaux et les exécutions de leurs représentations, théâtrales dans ces cas-ci, engendrent un processus de réflexivité par lequel les membres d’un groupe soc oculturel réfléch ssent sur eux-mêmes, sur les relations et sur les structures sociales présentes dans leur environnement (Turner 1988 : 24). Comme il le souligne:

« the performative genre merely « reflects » or « expresses » the social system or the cultural configuration, or at any rate their key relationships – but that it is reciprocal and reflexive- in the sense that the performance is often a critique, direct or veiled, of social life it grows out of, an evaluation of way society handles history.» (Turner 1988 : 22)

Il compare les représentations issues des performances à des miroirs magiques qui enlaidissent ou embellissent la réalité du quotidien pour souligner certains comportements ou situations. Cette comparaison avait aussi été faite par Bertolt Brecht, théoricien/metteur scène et dramaturge allemand, en 1926, qui définissait le théâtre comme « le m ro r de la culture d’un peuple » dont l’object f prem er est d’analyser les tens ons soc ales (Hubert 2005 : 245). À l’ nstar de M lton S nger et d’autres anthropologues culturels u perço vent les performances comme des éléments qui révèlent de quelle façon les valeurs culturelles changent, Victor Turner va plus lo n en aff rmant u’ l faut aussi voir les performances comme des agents actifs de changement et non comme de simples réflecteurs (Turner 1988 : 24).

À l’égard de M lton S nger, fré uemment c té par V ctor Turner, l avance que les performances sont les constituants élémentaires de la culture et, par le fait même, des ultimes un tés d’observat ons (Turner 1988 : 23). Il explique que les performances culturelles, dont les représentations théâtrales, sont const tuées par l’orchestrat on de plusieurs médias culturels.

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Ces médias orchestrés par celui qui instigue la performance sont chacun porteur de s gn f cat ons et de codes permettant la product on d’un message (Turner 1988 :23). La représentation est donc « un acte sémantique extrêmement dense » comme le souligne Roland Barthes avec sa notion de polyphonie des signes :

« Toute représentation est un acte sémantique extrêmement dense : rapport du code et du jeu (c’est-à-dire de la langue et de la parole), nature (analogique, symbolique, conventionnelle) du signe théâtral, variations signifiantes de ce signe, contraintes d’enchaînement, dénotat on et connotat on du message, tous ces problèmes fondamentaux de la sémiologie sont présents dans le théâtre; on peut même dire que le théâtre constitue un objet sémiologique privilégié puisque son système est apparemment original (polyphonique) par rapport à celui de la langue (qui est linéaire).» (Barthes 1991)

S je m’attarde sur la polyphon e des s gnes, c’est pour démontrer ue la représentat on dans son ensemble renferme une multitude de référents et de codes culturels spécifiques. Et que ces éléments, tous porteurs d’une s gn f cat on ou d’un message, vont être ent èrement déchiffrables par les individus familiers à cette codification et à ces pratiques théâtrales constituant la performance.

En ce qui concerne Johannes Fabian et sa perception du théâtre, il énonce dans son article Theater and Anthropology, Theatricality and Culture u’ l faut vo r la théâtral té comme une source et un mode de connaissance interculturelle. Selon lui, la plupart du savoir culturel est performatif plutôt u’ nformat f (Fab an 1999 : 25). En effet, comme l l’expl ue, « people will let us know them by performing (part of) their culture. Such knowledge – let us call it performative- demandes participation (at least as an audience) and therefore some degree of mutual recognition » (Fabian 1999 : 27). Par contre, l’auteur nous met en garde face aux poss bles dangers de l’ nstrumental sat on de cette théâtral té en fa sant référence à son utilisation par les fascistes, les nazis10 a ns ue par d’autres rég mes total ta res. Malgré cet

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Cette constatation a également été soulevée par Bertolt Brecht dans les années 1930. Il prend conscience u’H tler utilise le dispositif théâtral pour hypnotiser son auditoire. (Hubert 2005 : 246) En réponse à la théâtralisation de la politique à travers la propagande nazie, il intègre à sa pratique le concept de la distanciation dans un but de ma nten r l’espr t critique chez ses spectateurs : « l’effet de d stanc at on transforme l’att tude approbatr ce du spectateur fondée sur l’ dent f cat on, en une att tude cr t ue. […] Une mage d stanc ante est une mage fa te de telle sorte u’on reconna sse l’objet, ma s u’en même temps celu -ci ait une allure étrange. » (Brecht 1963 : 42)

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avert ssement, Johannes Fab an ns ste plus part cul èrement dans son texte sur l’ dée ue la théâtral té génère ce u’ l nomme « an intercultural bridge » u permet d’échanger, comme l a été mentionné plus haut, des connaissances interculturelles entre les participants et les observateurs (Fabian 1999 : 27).

Quant à William O. Beeman, dans son article The Anthropology of Theater and

Spectacle, il se réfère au théâtre comme une institution culturelle distincte constituée de

plusieurs genres théâtraux et qui est génératrice de significations culturelles (Beeman 1993 : 369). Selon lu , les anthropologues étud ent les performances dans le but d’observer et d’apprendre à propos d’autres institutions telles que la religion, la pol t ue et l’ dent té ethnique (Beeman 1993 : 370). Il finit par souligner que le théâtre fa t plus u’engager les acteurs et le public dans le moment présent de la représentation théâtrale. Il engendre et solidifie « un réseau de relations sociales et cognitives existant dans une relation tripartite entre l’ nterprète, le spectateur et le monde entier » (Beeman 1993 : 386). En effet, il faut voir la représentat on théâtrale comme un espace d’échange et de réflex v té. Un l eu ui devient une source de connaissances interculturelles comme le mentionne Johannes Fabian et qui nstaure un processus de réflect v té permettant aux membres d’un groupe soc oculturel de réfléchir sur eux-mêmes et qui invite les spectateurs extérieurs à ce groupe à méditer sur ce qui leur est présenté. Donc, ces évènements offrent la possibilité de créer et de renforcer un réseau de relat ons soc ales par les mécan smes u’ ls déplo ent lors de leurs exécut ons et par l’engagement du spectateur a ns ue de l’ nterprète.