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QUATRE TYPES DE JUGEMENTS

2. L'annulation plurale

Quand la violation constatée par le Tribunal fédéral est le fait d'un acte unique, qu'il s'agisse d'une norme ou d'une décision, il est clair que l'annulation ne peut concerner que cet acte. La situation devient plus complexe si la violation apparaît dans plusieurs actes. Il faut alors tenir compte des liens procéduraux entre ceux-ci.

Il convient ici d'introduire une distinction selon qu'un acte est attaqué à titre principal ou à titre accessoire. Pour être attaqué à titre principal, un acte doit remplir toutes les exigences des art. 84, 86, 87 et 89 OJ: sous réserve des exceptions prévues par ces dispositions, il faut qu'il s'agisse d'une décision finale ou d'un arrêté, que cet acte ait été adopté par la dernière instance cantonale et qu'il soit déféré au Tribunal fédéral dans les trente jours qui suivent sa communication. Un acte attaqué à titre principal est contrôlé au regard de tous les griefs soulevés par le recourant conformément à l'art. 90 OJ. Un souci d'économie de procédure a cependant parfois conduit la pratique à annuler, simultanément à l'acte attaqué à titre principal, d'autres actes qui ne 523

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Voir la définition de la fonction juridictionnelle chez FRIESENHAHN 1950, p. 27 avec d'autres références.

Art. 50 CEDH. VILLIGER 1985, p. 476. A noter que l'absence d'effet formateur est en lespèce considérée comme la conséquence de la nature internationale de la Cour.

Voir les art. 113 al. 3 et 1l4bis al. 3 Cst. qui obligent à appliquer les lois fédérales et les arrêtés fédéraux de portée générale ainsi que les traités internationaux; ils interdisent d'annuler une décision qui ne ferait que reproduire l'inconstitutionnalité d'un acte protégé. Voir aussi l'art. 9 al. 3 de la loi fédérale sur le marché intérieur ce propos, cf. infra section 4.B.iii. du présent chapitre, pp. 171 ss). Comparer aussi l'art. 168 al. 2 phr. 2 du projet de réforme de la justice fédérale soumis par le Conseil fédéral à consultation en 1995 dans le cadre de la révision totale de la Constitution fédérale: «le cas échéant, [le Tribunal fédéral] décide si et dans quelle mesure la loi fédérale ou larrêté fédéral doit être appliqué».

Conseil fédéral: cf. supra partie générale, chapitre 1, section 2.A.i., pp. 11 ss.

Tribunal fédéral: ATF 1 p. 127, 132 Kaiser du 28 janvier 1875.

respectent pas toutes les exigences des art. 84, 86, 87 et 89 OJ (décision d'une autorité inférieure, acte normatif contrôlé abstraitement ou appliqué par une instance cantonale, décision antérieure à l'acte attaqué, etc.)527. Dans la mesure où ces autres actes ne peuvent être déférés au Tribunal fédéral que conjointement à une décision ou un arrêté entrepris à titre principal, il faut considérer qu'ils sont attaqués à titre accessoire.

Cette caractéristique a trois conséquences. Premièrement, la validité d'un acte attaqué à titre accessoire est contrôlée uniquement si la décision principale viole déjà les droits constitutionnels invoqués. Deuxièmement, le contrôle est restreint: le Tribunal fédéral vérifie si la violation apparaissant dans l'acte principal se retrouve dans l'acte accessoire, mais il n'examine pas ce dernier à l'aune de griefs différents. Troisièmement, l' annulabilité ne dépend pas de la seule inconstitutionnalité: il ne suffit pas que l'acte attaqué à titre accessoire viole une prohibition; il faut en sus que son invalidation se justifie sous l'angle de l'économie de procédure.

Examinons maintenant les différents cas de figure.

A. En cas de pluralité verticale d'actes

Il arrive souvent qu'une affaire soit déférée devant plusieurs instances successives avant d'arriver au Tribunal fédéral. L'épuisement des voies de droit cantonales était, au début, essentiellement facultatif, avant de devenir, dès 1910, une condition générale de recevabilité du recours de droit public528. Lorsque plusieurs autorités ont, à la suite, statué sur une affaire, il est nécessaire de déterminer l'étendue verticale de l'annulation:

faut-il invalider tous les actes viciés ou seulement celui de la dernière instance? Cette question se pose aussi bien lorsque l'acte initial est une décision (infra i.) que lorsqu'il s'agit d'une norme (infra ii.).

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Selon la jurisprudence, il doit s'agir d'actes qui auraient pu être attaqués à titre principal: un jugement arbitral suisse ne saurait être attaqué conjointement à la décision du tribunal cantonal statuant sur recours dans la mesure où il n'est pas considéré comme un acte étatique (ATF 103 la 356, 357 Franz Haniel AG; KÂLIN 1994, p. 124; voir cependant la solution différente à propos des actes matériels, infra chapitre II, section 3.C.iii.a, pp. 270 s.).

Sur ce changement de jurisprudence: PETER 1930, pp. 40 ss; GIACOMETII 1933, pp. 124 ss. Sur la pratique actuelle: FORSTER 1996, n. 2.11 ss; KÂLIN 1994, pp. 329 SS. Sur la pratique avant 1910: SOLDAN 1886, pp. 243 ss; PETER 1930, pp. 24 SS, 37, 55 SS.

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LA «NATURE CASSATOIRE» DU RECOURS DE DROIT PUBLIC i. La décision initiale et la décision sur recours

L'annulation de la seule décision sur recours s'impose en tout cas lorsque la décision inférieure ne souffre pas du même vice529: l'autorité de dernière instance a, par exemple, commis une erreur de procédure530 ou a tranché un point accessoire non soumis à l'instance initiale53I ou encore a introduit une violation du droit en annulant ou modifiant la décision antérieure532.

Très souvent, pourtant, la violation se situe déjà dans la décision initiale et n'est pas corrigée par les différentes instances de recours. Face au problème de l'étendue verticale de l'annulation, la pratique a connu quatre phases de plus en plus restrictives. Je passerai celles-ci en revue avant d'examiner l'opportunité et les modalités d'un retour à une conception plus pragmatique.

a) L'évolution de la pratique

Pendant une première phase, qui alla de 1875 à 1899, le Tribunal fédéral invalida régulièrement, si les recourants le demandaient, les actes de toutes les instances cantonales qui avaient statué en l' espèce533. Il justifia cette pratique dans un arrêt Yverdon de 1890 en déclarant que l'échéance du délai de recours à l'encontre de la décision de première instance n'empêchait pas l'annulation de cet acte. En adoptant les motifs et le dispositif de ce prononcé, le Conseil d'Etat l'avait repris dans son entier,

529 MARTI 1979, n. 193 b; AUER 1979, p. 133.

530 Violation du droit d'être entendu: ATF 116 la 52 Commune de Fribourg; 115 la 94 G. Violation de la garantie d'impartialité: ATF 115 la 172 P. Déni de justice: 115 la 1 A., 5 P. Droit à !'assistance d'un avocat: ATF 113 la 218 D.

531 Assistance judiciaire pour la procédure de recours: ATF 118 III 33, 36 B. Fixation des frais de justice: ATF 116 la 162 G.; 113 III 109 F. Recevabilité d'un recours:

ATF 115 la 8 S., 12 Roland Matlzys. Condition d'exécutabilité: ATF 113 II 394 X.

532 Annulation de la décision inférieure: ATF 116 la 426 Gemeinde Düdingen; 449 Stadt Zürich, 485 G.Z.; 115 la 114 U., 333 P. AG. Renvoi avec injonction: ATF 116 la 41 Gemeinde Silvaplana. Modification de la décision inférieure: ATF 115 la 107 K; 406 Gemeinde Flims. Refus d'approuver une décision communale: 114 la 371 Eimvolmergemeinde Aesch; 112 la 268 Stadt Zürich.

533 Environ un tiers des jugements annulatoires publiés: ATF III p. 467, 475 Sclzweizerische Centralbahnen; IV p. 222, 225 Frossard; V p. 28, 32 Fries; VI p. 163, 170 Simen, 361, 368 Nef; VII p. 29, 42 Baselstadt, 229, 232 Stüffi, 621, 622 et 624 Suter; VIII p. 687, 693 Gujer, IX p. 144, 148 Friderich Gugger, 162, 166 Meinrada Kuriger, 227, 232 Erben Teuber, 480, 482 Schnellmann; X p. 1, 6 Hegner, 219, 227 Menier, 453, 456 Brunner; 475, 479 Dupont; 489, 493 Menier;

etc.

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de sorte que la «nullité» de la décision du gouvernement entraînait celle de l'acte de l'autorité initiale534.

Entre 1899 et 1955 se déroula une deuxième phase au cours de laquelle le Tribunal fédéral déclara parfois inadmissibles les conclusions en invalidation d'une décision inférieure, en arguant que celle-ci avait été remplacée par la décision de l'instance de recours535. Cela ne l'empêcha toutefois pas de continuer à annuler conjointement les décisions de plusieurs instances, mais il ne fournit plus aucune explication à cette pratique536. Si l'on analyse cette dernière, on se rend compte que l'annulation plurale était utilisée lorsqu'il n'appartenait pas à l'autorité cantonale de recours de corriger la violation. Pendant la première moitié 534

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ATF XVI p. 6, 18 Yverdon. Jurisprudence confirmée dans les quatre arrêts suivants: ATF 25 I 252, 263 Thomvarenfabrik Passavant-Jselin & Cie: «Mit dem RegierungsbeschluB vom 30. April 1898 ergreift der Rekurs selbstverstandlich auch den BeschluB der Marchkommission von Allschwil vom 3. Marz 1898, gegen den Passavant-Iselin & Cie sich bei der Regierung beschwert hatten»; ATF 28 I 329, 331 Dumas: «il s'en suit que l'arrêté du Conseil d'Etat du 13 août 1902 n'est pas fondé au regard du droit public fédéral, et que cet arrêté, de même que les précédents, dont il n'est que la confirmation, doivent être révoqués.» (N.B.:

extension de l'annulation à la décision du département par le Tribunal fédéral lui-même alors que le recours était uniquement dirigé contre la décision gouverne-mentale); ATF 28 I 337, 342 Schmid-Baier: «so müssen der vitiéise Entscheid des Gerichtsprasidenten [ ... ] und der denselben schützende Entscheid der Rekurskommission des Obergerichts [ ... ] aufgehoben werden>>; ATF 30 I 261, 275 Gisler: «Die nach dem gesagten gebotene Aufhebung des obergerichtlichen Haupturteils [ ... ] bewirkt natürlich ipso jure auch die Beseitigung der durch dieselben bestiitigten, entsprechenden Entscheidungen des Kreisgerichtes in allen ihren Bestimmungen, inbegriffen die Kostenverlegung.».

ATF 25 I 25, 33 Oberrheinische Versicherungsgesellschaft. Jurisprudence confirmée dans : ATF 26 I 288, 295 Zai-Kappeler; 39 I 200, 205 Fabrique de chocolat et de produits alimentaires de Villars; 42 I 52, 57 Wiedemeier; 46 I 256, 259 Lang, 481, 485 Sclzomvaldt.

ATF 26 I 19, 29 lndustriegesellschaft für Schappe, 211, 214 Hiirtsch, 415, 424 Erben Honegger-Steiner, 458, 463 Peyer; 28 I 329, 331 Dumas, 337, 342 Schmid-Baier; 29 I 137, 143 Fondation du Sanatorium populaire genevois, 147, 152 Zeier; les motifs sans être reprise dans le dispositif).

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LA «NATURE CASSATO!RE» DU RECOURS DE DROIT PUBLIC

du 20e siècle, la double annulation était utilisée essentiellement dans les deux domaines suivants537.

L'annulation des décisions des deux instances apparaissait d'abord lorsque la violation du droit devait être guérie par un nouvel acte que l'autorité de recours était incapable de prendre. Si le pouvoir de cognition de cette autorité était limité à l'arbitraire ou si son pouvoir de décision était, en vertu de la loi ou de la pratique, restreint à la cassation, l'annulation de la décision initiale s'avérait nécessaire afin de permettre à la première instance d'adopter le nouvel acte538. La double annulation s'imposait donc dès qu'une intervention de l'autorité inférieure était indispensable: nouvelle élection par le corps électoral539, inscription dans un registre540, correction d'un vice de forme que l'autorité de recours ne peut guérir54I, etc.

A l'opposé, l'annulation des décisions des deux instances était aussi prononcée au cas où l'arrêt fédéral mettait un terme définitif à l'affaire, de sorte qu'une nouvelle décision cantonale était superflue. Si, par exemple, le Tribunal fédéral constatait que les conditions posées par la constitution fédérale à une expulsion du territoire cantonal n'étaient pas remplies au vu des faits établis par l'autorité de recours, il admettait la conclusion en double annulation542. De même, en cas de condamnation pénale dépourvue de base légale ou fondée sur une norme contraire au droit fédéral, l'affaire était liquidée au moyen de l'annulation de toutes les instances543. Si les autorités cantonales étaient incompétentes pour statuer

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En l'absence de motivation spécifique du Tribunal fédéral, de nombreux arrêts restent difficiles à cataloguer lorsque l'on ignore le droit procédural cantonal en vigueur à l'époque.

Cf. ATF 38 I 413 Chavan et 64 I 1 B.: le gouvernement avait statué sur le fond tout en s'estimant incompétent pour revoir la décision du département.

ATF 40 I 354 Schlumpf; 42 I 52 Wiedemeier (N.B. la décision de la première autorité de recours ne fut pas annulée); 49 I 416 Bachman; 75 I 234 Bender.

ATF 45 I 311 Knüsel (inscription au registre foncier); 53 I 30 Reger (inscription au registre des électeurs).

ATF 25 I 21 Bernhard; 32 I 33 Schindler; 38 I 7 Müller; 39 I 187 Allgemeine Elektrizitiitsgesellschaft Base!; 48 I 175 Hahn/oser; 64 I 195 Dame Cottier; 73 I 353 Spitz.

ATF 25 I 416 Ackennann; 28 I 329 Dumas; 29 I 147 Zeier; 33 I 286 Aeschbach; 42 I 307 Aubert; 46 I 404 Müller; 47 I 54 Wernli; 72 I 172 Pahud.

ATF 37 I 22 Staub, 28 Honegger; 52 I 301 Démetriadès; 59 I 1 Berger; 64 I 158 Weilenmann. Voir aussi: ATF 34 I 1 Müller (sanction administrative illégale) et 83 I 111, 118/119 Sommer (décision restrictive; N.B. l'annulation est mentionnée dans les motifs, mais pas dans le dispositif). Contra: ATF 26 I 288, 295 Zai-Kappeler.

sur un litige ou pour taxer certains biens, il était permis de requérir l'annulation de la décision initiale544, 545.

On voit que la pratique effective allait au-delà du critère du pouvoir de substitution de la dernière instance cantonale. Derrière l'usage de l'annulation plurale transparaît une volonté d'économie de procédure:

rien ne sert d'annuler uniquement la décision de l'autorité de recours si celle-ci n'a pas d'autre choix, à la suite de l'arrêt fédéral, que de casser à son tour la décision de première instance.

Dans les années cinquante s'ouvrit une troisième phase qui se caractérisa par un changement de discours et de pratique.

Sous l'influence de BIRCHMEIER546, la jurisprudence modifia en 1955 le critère distinctif en mettant l'accent non plus sur la substitution, mais sur le pouvoir de cognition de la dernière instance547. Elle créa ainsi trois catégories. Si l'autorité finale pouvait examiner librement les griefs que le recourant faisait valoir devant le Tribunal fédéral, sa décision était considérée comme remplaçant celle de l'instance inférieure et elle pouvait seule être attaquée. Si l'autorité finale n'avait qu'une cognition limitée à l'égard de ces griefs, le recourant pouvait aussi attaquer la décision inférieure qui restait la décision au fond (Sachentscheid). Lorsque cette autorité n'était pas compétente pour statuer sur une partie des griefs, le recourant devait, jusqu'en 1968, recourir directement contre la décision inférieure avant d'attaquer séparément l'acte de la dernière instance; à partir de l'arrêt Bourgeoisie de Dorénaz548, la jurisprudence admit que le recourant attende le jugement de la dernière instance pour s'en prendre à la fois à celui-ci et à la décision inférieure549.

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ATF 30 I 81 Konkursmasse der Caisse Générale des Familles; 311223 Fe/der; 35 1 372 Seetalbahn; 50 I 100 A.-G. für Unternehmungen der Textilindustrie (annulation partielle); 51 I 395 Robert Schwarzenbach & Cie (annulation partielle).

Autres cas: ATF 25 I 252 Thomvarenfabrik Passavant-Ise/in & Cie (remaniement parcellaire poursuivant un but inconstitutionnel); 26 I 458 Peyer (mise sous tutelle contraire au droit fédéral); 50 I 55 Müller (droit de timbre contraire au droit fédéral);

54 I 124 Kanton Zug et 68 I 160 Stevens (octroi de la mainlevée par le Tribunal fédéral).

BIRCHMEIER 1950, pp. 347 s.

ATF 80 I 305, 308 K.; 811147, 148 Heim; 84 I 232, 235 Dinten; 85 1 1, 2/3 Corbellini; 87 I 61, 65 Schneider A.-G.; 88 I 1 Bau- & VerwaltungsAG; 89 1 27, 30 Bullet; 90 I 18, 20/21 S., 104, 107 Devaud; etc.

ATF 94 I 459, 462. Confirmé par ATF 115 la 414/415 H.

Sur ce revirement jurisprudentiel: AUER 1979. Cela présupposait bien sûr que l'autorité de recours avait un pouvoir de cognition moindre que celui de l'instance instance initiale (ATF 97 I 116, 119/120 Evangelisch-Theologische Hochschule Base/).

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Le passage du critère de la substitution à celui de la cognition relevait cependant du monde des apparences, car le Tribunal fédéral assimila la libre cognition au pouvoir de substitution55o. Il continua ainsi à admettre que les recourants demandent qu'une votation ou élection populaire soit annulée conjointement à la décision cantonale sur recours551. De même, il finit par faire abstraction d'une limitation du pouvoir de cognition si cette restriction ne jouait aucun rôle dans le cas concret: bien que les tribunaux administratifs contrôlent la manière dont une autorité inférieure a usé de sa liberté d'appréciation en principe uniquement sous l'angle de l'excès ou de l'abus de celle-ci552, la jurisprudence leur reconnut une pleine cognition dans les affaires qui ne soulevaient aucun problème d' appréciation553, car ils étaient alors habilités à substituer leur décision à celle de l'administration. Cette solution avait l'avantage de ne pas créer une scission entre le critère du pouvoir de cognition et celui du pouvoir de décision de l'autorité de recours.

Si la pratique continua donc à être fondée implicitement sur le critère du pouvoir de substitution, elle l'appliqua dorénavant avec rigueur. Les cas où le recours aboutissait à l'annulation des actes de plusieurs instances se réduisirent donc comme une peau de chagrin554. Cela entraîna aussi l'abandon de l'un des domaines antérieurs de l'annulation plurale: on ne trouve plus d'exemple d'arrêt qui annulerait les actes de plusieurs instances au motif que l'arrêt fédéral réglait définitivement l'affaire.

En 1985, la pratique entra dans une quatrième phase qui se poursuit encore aujourd'hui. Le Tribunal fédéral décida, lors d'une séance plénière réunissant toutes les sections, qu'il ne suffit plus pour attaquer la décision 550

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AUER 1979, n. 24.

ATF 87 I 182, 183 Han hart; 102 Ia 264, 267 Klee; 104 Ia 236, 240 Bauert.

GR!SEL 1984, p. 330; BERTOSSA 1984, pp. 90 ss; KNAPP 1991, n. 179. KôLZ 1978, § 50 n. 28 ss; MOOR, Droit administratif I, p. 376.

ATF 106 Ia 52, 55/56 Rahmi; 104 Ia 201, 206/207 eredi fu Silvia Cattori. La jurisprudence antérieure fut plus hésitante: tantôt elle affirmait que le libre contrôle du droit et des faits suffisait à une pleine cognition (ATF 98 Ia 151, 156 Bürgel; 99 Ia 143, 148 Schmid, 482, 484 Werder; 100 Ia 189, 192 Feuz; voir aussi 100 Ia 392, 395 Komitee fiir Indochina), tantôt elle considérait que l'impossibilité d'examiner l'opportunité de l'acte attaqué équivalait à une cognition limitée (ATF 100 Ia 263, 267 Bürgin).

ATF 83 I 111, 118/119 Sommer et 87 I 100, 112 Kraftwerke Linth-Limmern A.-G. (N.B. annulation de la première instance mentionnée uniquement dans les motifs); 87 I 182, 183 Hanhart; 92 I 271, 277 Centrozap; 103 Ia 152, 154 Geneux;

104 Ia 201, 204 eredi fu Silvia Cattori, 236, 240 Bauert; 105 II 273, 279 CSS Computer System Supplies AG; 106 lb 260 X. (dispositif non publié); 113 Ia 257 P. (dispositif non publié); 115 Ia 139 E. (dispositif non publié); 119 Ia 71, 72 Stürm.

inférieure que la dernière instance dispose d'une cognition plus limitée que l'autorité précédente; il faut encore que son pouvoir d'examen ait été moins étendu que celui du Tribunal fédéral lui-même555, Ainsi, lorsque le recourant fait valoir le grief de l'arbitraire, il ne peut plus obtenir l'annulation de la décision de première instance si l'autorité de recours a elle-même vérifié la légalité de cet acte sous l'angle de l'arbitraire556,

Ce changement de jurisprudence repose sur deux arguments557. D'une part, le Tribunal fédéral n'a pas besoin de chercher la violation ailleurs que dans la décision de la dernière autorité qui a pu examiner le grief.

D'autre part, l'épuisement des instances cantonales n'aurait aucun sens si le Tribunal fédéral devait se prononcer à nouveau sur des problèmes déjà réglés dans le cadre de la procédure cantonale.

Cette approche aboutit à l'abandon complet de l'ancien critère du pouvoir de substitution. Peu importe que l'autorité de dernière instance ne ne soit pas habilitée à modifier la décision inférieure. L'élément détermi-nant est de savoir si elle aurait été en mesure de constater l'existence d'une violation dans cet acte. Toute autorité apte à statuer sur un grief avec une cognition au moins égale à celle du Tribunal fédéral est donc réputée avoir violé le droit supérieur dès qu'elle nie le caractère vicié de la décision inférieure en confirmant celle-ci ou en rejetant le recours. Si en revanche sa cognition est plus réduite ou si elle était incompétente pour statuer sur le grief, on ne peut plus lui reprocher ce vice et c'est la décision inférieure qui devient le point de mire558.

Le critère du pouvoir de cognition ne s'est toutefois pas implanté partout. Dans le cadre du recours pour violation des droits politiques, la pratique continue à déclarer recevables les conclusions qui réclament l'annulation à la fois de la décision cantonale rendue sur recours et de la votation populaire559.

555 ATF 111 la 353, 354 P. ; 114 la 307, 311 Star Unterhaltungsbetriebe; 115 la 414/415 H.; 117 la 392, 394 J., 412, 414 B.; 118 la 20, 25/26 F. Anstalt, 165,169 R. AG.

556 ATF 118 la 20, 25/26 F. Anstalt.

557 ATF 111la353, 354 P.

558 Cela s'applique aussi au cas où l'incompétence de l'autorité supérieure pour statuer sur un grief est douteuse (ATF 119 la 71 Stiirm, consid. la non publié).

559 ZBl 1995,p.570,571; arrêt du 11décembre1991(ZBI1993,pp. 119ss),consid.

l .e non publié.

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b) L'annulation pour motif d'économie de procédure

La jurisprudence actuelle limite l'annulation plurale en principe aux seuls cas dans lesquels un contrôle autonome de la décision inférieure est indispensable pour vérifier si la norme invoquée par le recourant a été violée. Cette conception ne correspond pas à une nécessité juridique. A l'instar de ce qui s'est fait pendant la première moitié de ce siècle et de ce qui continue à se faire en matière de droits politiques, il faudrait recon-naître au Tribunal fédéral la possibilité d'annuler aussi les décisions inférieures lorsque cela évite une prolongation inutile de la procédure cantonale après le prononcé du jugement fédéral.

L'annulabilité conjointe du jugement sur recours et de la décision initiale pour des motifs d'économie de procédure peut parfois être néces-saire pour respecter le droit international. Dans les domaines régis par l'art. 6 § 1 CEDH, la durée de la procédure devant le Tribunal fédéral, tout comme celle devant les instances cantonales après l'admission du recours de droit public, doit être prise en considération pour contrôler si le délai raisonnable imposé par cette disposition a été respecté56o. En annulant uniquement l'acte d'une autorité incompétente pour corriger une violation, on oblige cette autorité à renvoyer l'affaire à la première

L'annulabilité conjointe du jugement sur recours et de la décision initiale pour des motifs d'économie de procédure peut parfois être néces-saire pour respecter le droit international. Dans les domaines régis par l'art. 6 § 1 CEDH, la durée de la procédure devant le Tribunal fédéral, tout comme celle devant les instances cantonales après l'admission du recours de droit public, doit être prise en considération pour contrôler si le délai raisonnable imposé par cette disposition a été respecté56o. En annulant uniquement l'acte d'une autorité incompétente pour corriger une violation, on oblige cette autorité à renvoyer l'affaire à la première