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Partie II. Les stratégies des migrants pour faire face à l’identité collective

Chapitre 3. Du « sujet migrant » au sujet autonome : la reconstruction biographique à

III. Andrea et Viviana : du centre de rétention au refuge migrant

Andrea et Viviana expliquent que la situation politique au Honduras est difficile à cause de l’actuel président. Elles affirment qu’il y a beaucoup de violence faite aux femmes et que par conséquent, beaucoup de femmes sont en train d’émigrer. Les femmes sont dans une situation de précarité, mais elles ne bénéficient pas des aides du gouvernement. Elles dénoncent que les programmes de soutien économique du gouvernement « Bourse solidaire » sont réservés aux femmes militantes du parti de l’actuel président, Juan Orlando Hernández.

Un salaire faible et de longs horaires de travail ont poussé Andrea à quitter son travail comme secrétaire pour un homme politique. Elle a laissé ses trois enfants avec sa mère. Andrea est originaire de La Ceiba Atlántida, une région contrôlée par l’armée, là où se trouve également, une forte présence des gangs :

« Maintenant c’est horrible, c’est pire qu’avant, ma mère m’a dit que les militaires frappent les gens dans la rue. Ma mère m’a raconté que mon frère était sorti faire des courses, il y avait un groupe de personnes et les militaires ont crié de s’arrêter là. Les gens se sont mis à courir et mon frère leur a dit de ne pas bouger. Mais comme finalement ils sont partis en courant les militaires leur ont tiré au- dessus.

En ce qui concerne le travail, bon là-bas celui qui veut trouver du boulot le trouve. Mais il y a trop de délinquance et on ne peut même pas vendre des vêtements ou ouvrir un petit commerce parce que les Maras viennent vous demander de l’argent […] De l’autre côté de ma rue, il n’y a presque plus aucun résident parce qu’ils se sont tous fait expulser. Tout le monde dit que ce sont que les Maras, mais il y a aussi des gangs du Salvador qui viennent pour s’approprier des maisons », Andrea, hondurienne.

Viviana quant à elle est partie du Honduras à cause des menaces des gangs et de la violence, elle a également laissé ses deux enfants avec sa mère. Elle est originaire de Santa Barbara au Honduras, une région où l’on produit du café et où l’on trouve l’exploitation des mines.

« À Santa Barbara il y a la production de café et il y a des mines aussi. Les hommes qui travaillent dans les mines s’en sortent mieux que les autres. Les autres doivent trouver ce qu’ils peuvent faire. Par exemple, ils vendent des libres de fer à cinquante ou soixante centimes, ce n’est ne pas une vie. En plus il y a des familles avec neuf ou dix enfants […] ce n’est pas très facile la vie là-bas.

C’est violent ?

Là-bas c’est chaud, il y a des morts tous les jours, des cambriolages. Les Maras se sont appropriés de tous les quartiers et entre les gangs, il y a toujours de disputes. On essaye de ne pas entrer en conflit avec eux, mais ça ne marche pas, donc on préfère partir » Viviana, hondurienne.

Toutes les deux ont été arrêtées par les agents migratoires lorsqu’elles se trouvaient à El Ceibo, à la frontière entre le Guatemala et le Mexique. Andrea était enceinte de deux mois, elle dénonce que les agents migratoires roulaient très vite sur les ralentisseurs même en sachant qu’elle était enceinte afin de lui faire perdre son bébé. Cela a contribué à ce que dans les jours suivants, Andrea ait fait une fausse couche alors qu’elle se trouvait au centre de rétention de l’Institut National de Migration. D’après Andrea, elle demandait à être amenée à l’hôpital, mais les agents du centre lui disaient qu’elle mentait, qu’elle n’était pas enceinte :

« Je me suis disputée avec beaucoup de ces gens-là parce qu’ils me disaient que je n’étais pas enceinte et que j’avais tout inventé, que je mentais. Moi, je voulais parler avec les gens de droits de l’Homme, mais les agents n’ont m’a pas laissé » Andrea, hondurienne.

Après beaucoup insister et avoir fait un malaise dans le centre de rétention, les agents de migration l’ont amené à l’hôpital, mais elle avait déjà perdu son bébé. Après l’hôpital, les agents l’ont amené de nouveau au centre de rétention où elle dit avoir reçu de mauvais traitements, notamment de la part de la responsable du centre de rétention :

« Quand je suis sortie de l’hôpital ils m’ont ramené encore au centre de rétention, avec l’air conditionné à dix-huit degrés c’était trop froid, j’avais les lèvres cassées, les couettes sentaient le pipi, j’ai eu une irritation dans la peau. J’avais la nausée et je demandais des médicaments, mais ils me disaient ici ce n’est pas une pharmacie, je fermais mes yeux et j’avais la tête qui tourne. Je ne

voulais pas manger, la nourriture n’avait pas de sel, elle n’avait pas de goût. J’ai mangé que les biscuits qu’ils nous donnaient » Andrea, hondurienne.

Parmi les mauvais traitements reçus durant les vingt-quatre jours passés au centre, il y avait de la violence psychologique, particulièrement des insultes.

« La responsable du centre disait : pourquoi avez-vous quitté votre pays ? Pourquoi êtes-vous là ? Vous les migrants vous vous laissez remplir l’esprit par des idées du HCR, on va voir si toi et les autres filles qui sont ici vous allez tenir ».

Andrea a reçu uniquement trois appels pendant son séjour au centre, cependant sa mère lui a affirmé plus tard qu’elle l’appelait tous les jours. Les agents qui travaillent au centre de rétention ne transféraient pas les appels et ils ne lui disaient pas non plus combien de temps elle allait rester :

« J’ai senti que je gâchais ma vie là-bas. Les toilettes étaient horribles, il n’y a pas de portes que divisent et tout le monde doit faire sa douche nue. Pas tout le monde tire la chasse d’eau et il y a une odeur qui nous fait plus avoir faim. On était tous enfermés, pendant vingt-quatre jours je n’ai pas vu le soleil » Andrea, hondurienne.

Viviana signale aussi avoir subi de mauvais traitements durant les quatre jours qu’elle est restée au centre :

« On était beaucoup dans une salle, je ne pouvais pas dormir, j’étouffais. Comme il y avait trop de monde, nous restions assises pour faire de la place aux autres qui arrivaient. Ils éteignaient les lumières et quand je voulais dormir, il y avait des enfants qui me marchaient au-dessus, car ils jouaient, il y avait un bébé qui venait de naître. Pour laver les vêtements, on devait les porters mouillés parce qu’il n’y avait rien pour les sécher, on avait mal après, car on devait porter les vêtements mouillés et il y avait l’air conditionné froid […] On n’avait pas le droit de parler avec les gens qu'y travaillaient, ni avec le gardien ni avec la concierge parce que s’ils parlaient avec nous ils risquaient de se faire virer. Les Mexicains ne pouvaient pas établir de communication avec les migrants » Viviana, hondurienne.

Toutes les deux voulaient avoir accès à la justice. Dans leurs récits elles racontent qu’elles demandaient à voir le responsable de droits de l’Homme, mais les agents de migration leur interdisaient. Ainsi, c’étaient les autres migrants qui leur ont expliqué la possibilité de faire une demande d’asile, mais les agents de migration ne voulaient pas leur laisser-faire. Après avoir

insisté, elles ont tout de même réussi à faire la demande et elles ont été transférées au refuge migrant.

« Quels sont vos projets pour l’avenir ?

« Si j’obtiens les papiers je vais travailler ici et un jour peut-être aller aux États-Unis » , Andrea, hondurienne.

« Mon objectif si je réussis à avoir des papiers est de ramener mes enfants ici. Je chercherai un travail, alors je pourrais payer une chambre et mes enfants pourront venir vivre avec moi. [Au Honduras] J’ai quitté mon travail à cause des menaces […] je n’ai pas envie de retourner dans mon pays. J’ai confiance en Dieu, quand j’ai marché jusqu’ici, je demandais à Dieu que tout se passe bien, que rien de mauvais ne m'arrive Si je me fais expulser, alors je reviendrai de toute façon ici parce que je ne peux pas retourner vivre au Honduras. La seule manière de m’en sortir, c’est de venir vivre ici»

J’ai appelé une copine pour avoir des nouvelles de mes enfants, je ne vais pas vous mentir, j’ai peur … j’ai laissé mes enfants, mais j’espère qu’un jour ils comprendront. J’ai deux garçons de douze et cinq ans et une fille de deux ans. C’est triste quand on quitte son pays, ce jour-là ma copine est partie en larmes. Quand je suis partie, je ne faisais que penser à revenir, ma fille criait, mais je ne pouvais pas faire marche arrière. Ma fille me disait maman ne pars pas, et les deux autres s’accrochaient à mes pieds et mes bras » Viviana, hondurienne.

Andrea et Viviana sont deux exemples de femmes qui reconstruisent leur récit biographique. Dans les deux cas, ce sont leurs enfants qui les ont motivées à quitter leurs pays. Les enfants marquent le départ du parcours migratoire et établissent également la finalité du parcours. Ainsi, si elles réussissent à avoir des papiers, elles vont faire venir leurs enfants au Mexique.

D’ailleurs, dans leur discours, elles ont réclamé aux responsables du centre de rétention, la possibilité de parler avec les responsables des droits de l’Homme. Ainsi, même avant le refuge migrant elles se voyaient déjà comme des sujets avant droits. Dans leurs récits biographiques, elles se décrivent comme demandant de bons traitements, du respect et de la dignité. Elles ne sont pas que des figures qui ont été emprisonnées et qui ont dû subir de mauvais traitements dans le centre de rétention. Au contraire, elles étaient déjà conscientes de leurs droits.

Figure 31. Une mère dit au revoir à ses enfants avant quitter son pays. Source : extrait d’une bande dessinée distribuée aux migrants par le Haut-Commissariat pour les Réfugiés