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base pour la conception des manuels

7. Analyses et critiques

Du fait que c’est un document encore très nouveau, on commence seulement maintenant à avoir les premières évaluations plus concrètes concernant les résultats de l’application des niveaux de référence du Cadre Européen Commun de Référence

pour les Langues, non seulement à travers des chiffres, comme les résultats

d’eurobaromètre dont nous avons parlé au début de ce chapitre, mais aussi à travers les différentes analyses établies par des chercheurs des domaines les plus diverses de la didactique de langues.

Nous avons déjà fait référence dans cette étude à un colloque international de la Fédération Internationale de Professeurs de Français (FIPF) qui a eu lieu à Sèvres entre le 19 et le 21 juin 2007, entièrement dédié aux discussions concernant le

Cadre, montrant l’intérêt que le thème suscite au sein de la communauté de

didacticiens de langues. Pendant la rencontre, plusieurs chercheurs ont présenté des résultats concrets de l’utilisation du Cadre dans différents domaines de l’apprentissage de langues, en particulier du français, soit comme langue maternelle, étrangère, seconde ou sur objectifs spécifiques.

7.1 Cadre européen ou mondial ?

Une des premières choses qui attirent l’attention est sans doute la dimension que ce document a atteinte. Même en considérant qu’il a été conçu pour une application à niveau européen, ce qui a signifié une augmentation progressive du nombre des pays au fur et à mesure de leur entrée dans la communauté européenne, son domaine d’influence a sans aucun doute dépassé les frontières de l’Europe, pour arriver jusqu’au Brésil, pays qui en principe n’a pas de relations étroites avec le continent européen à propos des questions éducatives.

Selon Mohammed Miled (2007), lors de son intervention « Quelle est la place du CECRL dans le champ du FLS ? », le Cadre ouvre tout au long de son texte les possibilités d’un élargissement considérable de son champ d’action, particulièrement lorsqu’il utilise des expressions comme « Les utilisateurs du Cadre de Référence envisageront et expliciteront selon le cas… », où le terme « selon le cas » permet une adaptation plus ample que celle qui a

été imaginée au moment de la conception du document. Cette idée est partagée par Daniel Coste (2007a : 03), lorsqu’il affirme que

« Le Cadre de Référence est modulable, malléable, multiréférentiel, comportant de nombreux paramètres ajustables et c’est en contexte qu’une valeur est attribuée à chacun de ces paramètres, qu’un profil est établi, que des standards et des seuils indicateurs sont éventuellement fixés. »

Ces voies ont donc permis une reprise du texte en différents contextes, de manière très rapide et importante, à tel point que la majorité des chercheurs soulignent l’importance de prendre des précautions devant la possibilité d’utilisations indiscriminées des préceptes du Cadre. Miled (2007) même souligne qu’il convient d’éviter sa sacralisation, la « cadrôlatrie » selon les mots d’Evelyne Rosen (2007), ainsi qu’une application automatique de l’outil, qui doit être adapté aux différences sociolinguistiques de la région où il sera appliqué, par exemple. Un autre problème fait référence aussi à une possible utilisation directe de l’échelle des niveaux de référence, qui a été proposée pour des apprenants de langues étrangères et non pour ceux qui ont un contact constant avec la langue, comme c’est le cas de la langue seconde.

La question qu’on se pose donc est si les propositions du Cadre, concernant particulièrement la politique et la planification linguistiques, servent à tout le monde, de n’importe quel pays, dans n’importe quelle situation sociolinguistique. Les opinions sont diverses et parfois controverses, sans une réponse effective, mais à partir de certaines expériences, il existe une tendance à répondre de façon affirmative à cette interrogation. L’argument généralement utilisé pour l’affirmer est que le Cadre remplit un vide méthodologique et une standardisation évaluative exigée par la mobilité.

En ce qui concerne la nécessité d’une standardisation évaluative, l’argument est bien acceptable, car les facilités de mobilité actuelles ne sont pas restreintes à la situation géographique et économique de l’Europe, mais du monde en général. L’évolution technologique a fait qu’il est beaucoup plus simple et rapide de voyager à l’étranger aujourd’hui, permettant un contact beaucoup plus grand et constant entre les gens de différentes nationalités, qui se déplacent plus constamment pour aller étudier ou travailler ailleurs. Cette mobilité exige la connaissance d’une langue étrangère et sa conséquente maîtrise. Une standardisation de ces examens à niveau mondial faciliterait donc cette réalité, comme le montre Coste (2007a : 06)

« Il est normal en effet que les usagers et les utilisateurs des langues, employeurs et employés, étudiants et universités, dans un marché européen du travail et dans une société européenne de la connaissance, attendent de l’apprentissage des langues que non seulement il développe des capacités opérationnelles, mais aussi propose des mesures fiables et

reconnues de ces capacités qui les rendent validables dans différents lieux de l’espace européen et au hasard des trajectoires individuelles et des parcours de vie. »

Ainsi, nous percevons cette standardisation comme un objectif réel des concepteurs du Cadre, basée spécialement sur une demande des utilisateurs des langues qui exigent actuellement de l’apprentissage de la langue beaucoup plus que sa connaissance, mais aussi sa validation, en principe au niveau européen mais qui finalement s’est montrée comme une nécessité mondiale.

Malgré tout, l’idée que le Cadre puisse remplir un vide méthodologique est plus discutable, particulièrement parce qu’il n’apporte pas un vrai changement théorique, comme l’affirment plusieurs chercheurs (Hopkins, 1996 ; Abry, 2007) ; il serait plutôt un descripteur des situations d’apprentissage, comme nous pouvons le noter à partir de l’affirmation de Coste. Beacco (2004 : 28) refuse aussi cette perspective, lorsqu’il affirme que « Si l’on se situe ailleurs que sur le plan des contenus des stratégies méthodologiques, on peut estimer que le Cadre, qui n’est en aucune façon à considérer comme une méthodologie d’enseignement, aura cependant des effet méthodologiques », en

même temps qu’il dit comprendre les raisons qui ont pu provoquer cette discussion.

Une explication possible à la production de cette confusion est la densité même du texte du Cadre. Son recueil théorique et la reprise de différentes terminologies, de forme cohérente et organisée, donnent au document en même temps une force conceptuelle et une image de nouveauté, malgré son caractère d’outil plus pratique que théorique. Comme nous expose Riba (2006) :

« Le Cadre définit une méthodologie de description et d’analyse d’une situation d’apprentissage ou d’enseignement d’une langue vivante, avec entre autres avantages une terminologie. Nous ne nous attarderons pas sur ce point, controversé et symbolique d’évolutions épistémologiques, et prendrons le parti d’adopter cette approche, quitte à en fâcher certains. Cette terminologie a l’avantage de recueillir l’approbation d’experts européens, même si elle n’est pas dénuée de pièges dans sa traduction. Tradutore traditore. C’est en tous les cas un louable effort de transparence et de cohésion mutuelle permettant la comparaison entre les systèmes pédagogiques, élément fondamental de l’évaluation et de la qualification en langue. C’est aussi un document complet et cohérent qui prend en compte un grand nombre de situations, ainsi que la plupart des problématiques qui traversent cette discipline.

Enfin, rappelons qu’il n’est pas normatif ou prescriptif et qu’il constitue un outil didactique à la disposition de tout enseignant ou responsable éducatif à quelque niveau que ce soit. » (RIBA, 2006) Ainsi, le fait que le Cadre donne une base épistémologique à une action récurrente des professeurs a servi probablement d’assurance à leur travail en classe, favorisant aussi l’élargissement de leurs pratiques avec des objectifs précis.

Celle-là est en effet une des qualités les plus importantes du Cadre : il est objectif et précis, ce qui peut être une autre explication à la lecture du texte comme une nouvelle méthodologie pour l’enseignement de langues. Dans les mots de Coste (2007a : 03), « dans nombre des emplois auxquels il se prête, le Cadre opère comme une norme bien définie, un mode de mesure stabilisé, un étalonnage central et unique des compétences linguistiques ». Ainsi, comme il part de points pratiques et a pour but l’établissement d’une référence concrète à tous les impliqués dans le processus d’enseignement/apprentissage de langues, il devient applicable en même temps que cohérent avec la pratique de la classe. Autrement dit, son caractère pratique et son ouverture à une adaptation ponctuelle, basée sur les besoins et attentes des apprenants, permet une transposition didactique plus concrète au professeur, en l’assurant dans sa pratique en classe.

7.2 Elargissement des objectifs premiers

Reprenant cette idée d’un document dense dans la reprise des concepts théoriques qui forment la base pour l’application, il serait facile d’accepter une utilisation plus vaste de ces instructions. Initialement conçu comme un outil évaluatif, rapidement il a gagné un espace plus large, même si son premier objectif se maintient jusqu’à présent comme le principal. Comme l’expose Coste (2007a : 06), « Il est clair que les six niveaux ont constitué, pour le Cadre, le facteur principal de mise en visibilité et la composante la plus « portée » par les mouvements du moment ».

Toutefois, les possibilités d’amplification de cette perspective étaient envisagées déjà à l’intérieur du Conseil de l’Europe et, plus tard, dans la pratique de classe. Beacco (2004 : 25), par exemple, affirme que « Le Cadre européen commun de référence (CECRL) n’est pas un outil prescriptif mais, pas sa qualité et par ses intuitions didactiques, il offre une plate-forme de réflexion qui alimente aujourd’hui offres de cours et certifications ». Cette préoccupation de ne pas limiter le Cadre à un simple outil évaluatif était aussi une préoccupation de John Trim, directeur des projets « Langues Vivantes » du Conseil de l’Europe. Son intention d’amplifier le rôle joué par le document est témoignée par Coste (2007a : 03)

« Le premier déplacement opéré par l’impulsion de John Trim consista à faire en sorte que ce cadre de référence ne concerne pas seulement l’évaluation, mais aussi l’enseignement et l’apprentissage, et cela avec un souci de très large ouverture, sans aucun dogmatisme méthodologique. Le second élargissement consista à vouloir (…) que le cadre de référence soit un instrument de dialogue et de coopération avec ces espaces qui avaient été marqués par des traditions didactiques et pédagogiques autres, dont l’instrument à élaborer devait aussi rendre compte. »

Ainsi, dès le début le Cadre a été élaboré pour faire double usage, dans le sens qu’initialement le but était la création d’un outil d’évaluation pour aider dans les examens, en même temps qu’on voit à l’intérieur du groupe concepteur une tendance, comme celle de John Trim, très influente d’ailleurs, d’élargir cette fonction à des horizons plus amples.

L’intention était aussi, selon les concepteurs, d’établir quelque chose non imposée aux professeurs, qui seraient invités à mettre en évidence dans la transposition didactique de leurs cours ce qui est important à leurs apprenants, sans l’obligation de suivre des règles ou des normes qu’on suppose être imposées par le Conseil de l’Europe, à travers le Cadre. Par contre, avec sa disponibilité en 36 langues, il était normal de présumer qu’il y aurait des lectures différentes de celles qui ont été imaginées auparavant. Coste (2007b : 04) est conscient de cette reprise un peu détournée du texte et expose que

« (…) les choses ne sont pas passées exactement comme attendu. C’est plutôt l’inverse qui s’est souvent produit : le Cadre a été perçu comme une norme européenne, quasiment comme une prescription ou un injonction, à laquelle il conviendrait que les différents

contextes, bon gré mal gré, se conforment.(…) Le Cadre de Référence ainsi compris risquait (risque encore ?) dès lors de devenir un instrument fermé, une procédure du type top down. » Considérant ses lectures différentes, il faut donc maintenant imaginer ce que cela donnera après leur application dans des perspectives sociolinguistiques distinctes, fait inévitable étant donné que la reprise du Cadre dans les documents éducatifs officiels de plusieurs Etats membres est une réalité consolidée. De toute manière, les résultats prendront encore du temps pour être analysés de façon fiable et concrète, afin d’apporter une idée plus palpable évidente de la pratique de classe de langues.

7.3 Le Cadre au Brésil

En ce qui concerne le Brésil, la connaissance du Cadre Européen Commun de référence pour les langues arrive fondamentalement à travers les discours des méthodes et des matériels

didactiques pour l’enseignement du FLE, et non par la lecture effective du texte. Comme il n’y a pas forcement d’intérêt pour les examens internationaux, l’échelle des niveaux n’est nécessairement connue que superficiellement par la grande majorité des professeurs, même s’ils ont déjà entendu parler du thème.

Par contre, ainsi que dans plusieurs pays de l’Europe où les questions soulignées par le Cadre ont été incorporées aux documents éducatifs officiels, le dernier document du Ministère de l’Education du Brésil concernant l’enseignement de langues étrangères à l’école, en particulier l’espagnol, le OCN – « Orientações Curriculares Nacionais » reprend quelques points du Cadre particulièrement en ce qui concerne les questions théoriques et méthodologiques et le cite directement comme un exemple d’épistémologie à suivre. Sans trop s’approfondir sur l’échelle de niveaux, l’objectif est de montrer aux professeurs des écoles publiques qu’il existe une politique linguistique dans le pays basée sur les théories les plus modernes dans le champ de la didactique de langues.

Nous voyons donc que le modèle adopté au Brésil est en grande partie appuyé sur celui de l’Europe, mais cela se passe en grande partie aussi parce que les Européens ont été les premiers à réunir dans un seul document ce qui était pratiqué en classe et discuté dans différentes recherches autour du monde. Cette prise en considération du gouvernement brésilien rendra peut-être possible un changement de la situation actuelle, avec une connaissance plus grande du Cadre par les professeurs des écoles publiques du pays.

Chapitre VI : le manuel « Forum » et

sa conception