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Vers une analyse structurale des complexes de traduction des ARNm de sélénoprotéines

III Etude du mécanisme de traduction des ARNm de sélénoprotéines

III.2.3 Vers une analyse structurale des complexes de traduction des ARNm de sélénoprotéines

Nous avons précédemment montré que la présence du codon UGASec induit un blocage naturel du ribosome sur l’ARNm de SelM dans les extraits de réticulocytes de lapins (voir résultats III.2.1). Nous avons donc choisi de tirer avantage de cette propriété pour purifier des complexes de traduction, assemblés in vitro dans des lysats de réticulocytes de lapin en suivant une méthode développée dans notre laboratoire (Chicher et al., 2015; Prongidi-Fix et al., 2013). L’ARNm de SelM a été ligué à un oligo-désoxynucléotide biotinylé créant ainsi une molécule chimère ARNm/ADN biotinylé. Cette molécule a été immobilisée sur des billes magnétiques de Streptavidine et incubée avec les RRL afin de former les complexes de traduction. Après plusieurs étapes de lavage, les complexes sont élués spécifiquement par digestion de la partie ADN de la molécule chimère à la DNase I, libérant les complexes de traduction dans des conditions natives. Le contenu en ARN des différentes étapes de la purification a été analysé sur gel d’agarose (Figure 72A). On peut ainsi observer la présence de l’ARNm de SelM et des ARN ribosomiques 28S et 18S dans l’éluat final (Figure 72A, piste élution), confirmant la purification de ribosomes associés à l’ARNm de SelM. L’analyse des complexes par spectrométrie de masse a, par ailleurs, permis d’identifier la présence des 32 protéines composant la sous-unité 40S et de 45 protéines sur les 46 qui composent la sous-unité 60S, ainsi que de nombreux facteurs de traduction. Il est intéressant de remarquer que les facteurs eEF1A et eEF2 sont majoritaires ; les complexes purifiés semblent donc essentiellement correspondre à des complexes d’élongation. L’analyse structurale des complexes par microscopie électronique a été réalisée en collaboration avec Yaser Hashem (IBMC, Strasbourg). Dans un premier temps, la coloration négative par l’acéate d’uranyle et leur visualisation par microscopie électronique a confirmé que les complexes étaient homogènes, formaient peu d’agrégats, et étaient en quantité suffisante pour une analyse structurale à haute résolution (Figure 72B). Une première série d’images a ainsi pu être collectée par cryo-microscopie électronique à l’aide du microscope Tecnai F30 Polara (Centre de Biologie Intégrative, IGBMC, Illkirch). Des clichés d’environ 50.000 particules ont pu être collectés (Figure 72C). Le traitement des images a été effectué par A. Simonetti, à l’aide du logiciel RELION (Scheres, 2012).

Figure 72. Analyse structurale des complexes traductionnels assemblés sur l’ARNm de SelM par cryo-microscopie électronique.

En collaboration avec le laboratoire de Y. Hashem (IBMC, Strasbourg)

(A) Suivi de purification des complexes. Etape 1 : l’ARNm de SelM est ligué à un oligodésoxynucléotide biotinylé puis immobilisé sur des billes magnétiques-streptavidine. Etape 2 : les billes couplées à l’ARNm de SelM sont incubées avec les RRL afin de former les complexes de traduction. Elution : Les complexes sont élués spécifiquement par digestion de l’extrémité ADN à la DNase I. FT : surnageant (Flow-Through), W : lavages (Wash). (B et C) Clichés de microscopie électronique des complexes de traduction associés à l’ARNm de SelM, par la méthode de coloration négative à l’acétate d’uranyle (B) ou par cryo-microscopie électronique (C). (D) Reconstitution 3D des structures des 3 classes de complexes sélectionnées (réalisé par A. Simonetti) grâce au programme UCSF Chimera. La sous-unité ribosomique 40S est représentée en jaune, la sous-unité 60S en bleu, l’ARNt dans le site A est en rose, dans le site P en vert et dans le site E en orange. Le site de liaison putatif de SBP2 au sein du ribosome (hélice ES7L-E de l’ARNr 28S) est indiqué par cercle rouge. La flèche rouge indique la zone d’interaction entre l’hélice H16 de l’ARNr 18S et la protéine ribosomique S3, indicatif de la présence d’ARNm.

Le tri des particules a été réalisé par classification 3D (RELION) à partir des 36.000 particules sélectionnées après classification 2D, et a conduit à l’obtention de 5 classes de complexes. Seules les trois classes les plus homogènes ont été analysées. La classe majoritaire (classe 1) est composée de 18.000 particules et a permis d’obtenir, par reconstitution 3D, une structure à 12Å de résolution (Figure 72D). Elle correspond au ribosome 80S en phase d’élongation avec 3 ARNt canoniques localisés respectivement dans les sites A/A, P/P, E/E. Un ARNt a été déposé dans le site A du ribosome par le facteur eEF1A, qui s’est ensuite dissocié, et la translocation n’a pas encore eu lieu. Au sein du complexe, on observe que l’hélice 16 de l’ARNr 18S interagit avec la protéine ribosomique S3, indiquant la présence d’un ARNm (flèche rouge, Figure 72D). Dans la classe 2 (4217 particules), le ribosome adopte une conformation différente et a subit une légère rotation appelée “mouvement de rochet“ durant l’étape de transpeptidation (Figure 72D) (Frank and Agrawal, 2000). En effet, 2 ARNt sont visibles, dans des états hybrides intermédiaires au niveau des sites A/P et P/E (Moazed and Noller, 1989). Des états de ce type ont été observés dans d’autres structures obtenues par cryo-microscopie électronique (Budkevich et al., 2011), notamment lorsque le ribosome 80S est bloqué sur un ARNm par des structures de type pseudonœuds (Flanagan IV et al., 2010; Moran et al., 2008). Les anticodons sont restés dans leur position initiale par rapport à la petite sous-unité. Cet état précède l’étape finale de translocation qui est assurée par eEF2 (Noller et al., 2002; Wilden et al., 2006). Enfin, dans la classe 3 (3618 particules), l’ARNm semble être absent car l’interaction entre l’hélice 16 de l’ARNr 18S et la protéine S3 ne sont pas visibles. Dans cette classe, le ribosome adopte également une conformation de pré-translocation et on peut observer la présence du facteur eEF2 à l’entrée du site A. Curieusement, un seul ARNt est présent dans le site P/E, indiquant que eEF2 ne pourrait procéder à l’étape de translocation et que le ribosome serait bloqué dans cette configuration. Ce ribosome s’est peut-être dissocié de l’ARNm.

Le site putatif de liaison de SBP2 au ribosome, c’est à dire l’hélice ES7L-E localisée dans le segment d’extension 7 de l’ARNr 28S (Kossinova et al., 2014) est indiqué par un cercle rouge, on n’y remarque pas de densité supplémentaire (Figure 72D). Ceci est cohérent avec le fait que l’association de SBP2 au ribosome ne se ferait que lors de l’étape de recodage après accommodation du Sec-ARNt[Ser]Sec dans le site A du

ribosome ; pendant les autres étapes de la traduction SBP2 reste liée à l’ARNm (Kossinova et al., 2013). Par ailleurs, ni la protéine SBP2 ni le facteur d’élongation eEFSec n’ont été retrouvés par spectrométrie de masse au sein des complexes que nous avons purifiés. L’ensemble de ces résultats indique que nous n’avons pas purifié de complexe de recodage. De même, aucun complexe de terminaison n’a été obtenu. Puisque les complexes de traduction sont naturellement bloqués sur l’ARNm contenant un codon UGASec (voir Figure 60B), il est intriguant que nous n’ayons pas observé de signature structurale pouvant expliquer cette particularité. En effet, si le ribosome était bloqué au niveau du UGASec nous devrions observer la présence d’un facteur empêchant le mécanisme de terminaison, ou une interaction de l’ARN SECIS au niveau du ribosome. Cependant, aucune densité additionnelle n’a été observée sur nos structures. L’ARNt[Ser]Sec est le plus grand des ARNt et possède des caractéristiques structurales qui le distingue facilement des ARNt canoniques (voir chapitre I.2.1.1 de l’Introduction). Avec des bras A et D plus longs et un bras variable possédant une orientation particulière, l’ARNt[Ser]Sec présente une conformation unique. eEFSec, est similaire au facteur d’élongation canonique eEF1A, qui est impliqué dans l’incorporation des 20 autres acides aminés. Il présente cependant un domaine additionnel en C-terminal absent dans eEF1A (voir chapitre I.2.2.2.a de l’introduction). Ainsi, si l’ARNt[Ser]Sec et le facteur eEFSec avaient été présents dans les complexes purifiés, leurs caractéristiques structurales nous auraient permis de les distinguer de la machinerie de traduction canonique.

En conclusion, cette approche nous a permis de purifier pour la première fois des complexes de traduction associés à un ARNm de sélénoprotéine dans des conditions compatibles à une analyse structurale par cryo-microscopie électronique. Contrairement à ce que nous attendions, les complexes que nous avons purifié ne sont cependant pas des complexes de recodage, mais des complexes d’élongation. Des expériences futures viseront donc à complémenter les extraits de RRL par les différents facteurs essentiels et spécifiques du mécanisme de recodage des sélénoprotéines tels que SBP2, eEFSec et le Sec-ARNt[Ser]Sec afin d’augmenter les chances de purifier un complexe de recodage.