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Les liens produits-paysages dans les documents promotionnels

4.5 Analyse multicritère

La mise en place de cette méthode d’analyses statistiques avait pour objectif d’ap- profondir la connaissance des thèmes de la communication des AOC d’Auvergne et de Franche-Comté, et d’analyser le sens auquel renvoie la combinaison d’objets sur les images de l’échantillon.

La réalisation d’une Analyse des Correspondances Multiples permet de mettre en relation tous les descripteurs retenus pour l’analyse. Seuls les descripteurs que nous avons considérés comme pertinents pour le thème d’étude ont été pris en compte. Pour chaque région d’AOC, nous avons réalisé deux analyses multivariées en distinguant les descripteurs généraux de l’image, et les descripteurs plus spécifiquement centrés sur les objets mis en image. Cette analyse a été menée sur l’ensemble du corpus, soit, 277 images.

Le tableau 4.7 reprend les descripteurs utilisés pour chaque analyse par zone AOC et les résultats obtenus pour les trois premiers axes du plan factoriel de chaque analyse.

4.5. Analyse multicritère

Les résultats obtenus ont été synthétisés au sein de schémas représentant les trois premiers plans factoriels, dont la construction repose sur les contributions des variables les plus significatives pour chacun d’entre eux (Fig. 4.14 et Fig. 4.16). Ainsi, cette repré- sentation graphique permet de positionner les individus partageant les mêmes valeurs, ou des valeurs opposées. Pour chaque axe décrit, les individus les plus significatifs ont été ajoutés pour une plus grande visibilité des messages véhiculés au sein du corpus.

Comme le montrent les résultats du tableau concernant les valeurs de chaque axe par zone d’AOC, nous constatons tout d’abord que cette méthode est pertinente pour avoir une vision beaucoup plus détaillée des ensembles de descripteurs et de mieux les représenter. Nous n’avons pris en compte, dans l’interprétation, que les trois premiers facteurs dans la mesure où ils expliquent entre 40 et 50 % de la dispersion totale des variables, donc de l’information totale. Ce résultat nous semble suffisamment élevé pour l’interprétation de données qualitatives, d’autant plus qu’elle est couplée avec une analyse précise des caractéristiques de la communication pour chaque filière, d’un point de vue graphique mais aussi textuel. Si ces résultats statistiques avaient été moins élevés, ils auraient pu signifier une grande hétérogénéité du corpus d’images, et traduire l’absence de spécificités et de composantes qui soient communes à l’ensemble des filières d’AOC. Or, à l’inverse, ces résultats montrent bien la présence de caractéristiques et d’orientation sémiologique partagées.

Dans un souci de lisibilité et de comparaison, nous présentons les résultats par région d’AOC étudiée, mais aussi de manière schématique (Fig. 4.14). Le détail des analyses, composé d’extraits de résultats obtenus à partir du logiciel SPAD (tableaux et nuages de points) est présenté en annexes C et D.

4.5.1 Messages et valeurs associés aux AOC d’Auvergne

Cette typologie, centrée sur les caractéristiques plus spécifiques des différents objets paysagers mis en image dans le corpus des AOC d’Auvergne, nous a finalement permis de distinguer trois orientations de la communication des filières : un axe paysages- tradition, un second entre nature et culture, et le dernier différenciant des images sur lesquelles le paysage et ses composantes sont au centre du message et d’autres valorisant avant tout le produit. Nous pouvons, dès lors, relever les correspondances suivantes entre les différentes filières :

– Un premier groupe se compose d’images de paysages de montagne. Il valorise les grands espaces et renvoie à l’idée d’une nature vierge et sauvage. Ce premier type correspond majoritairement aux images de la filière AOC cantal, mais aussi à une partie du corpus de la filière AOC salers.

– Le second privilégie, à l’inverse, les images représentant des objets paysagers plus spécifiques renvoyant à une nature agricole. Ce type regroupe principalement les

Fig. 4.13 – Analyse des Correspondances Multiples (données générales) des images promotionnelles des AOC d’Auvergne (L. Ménadier, 10/2010)

4.5. Analyse multicritère

– Enfin, le dernier groupe comporte des images à portée plus générale, qui semblent destinées à un public plus large (consommateurs, touristes). Il s’agit en effet d’images plus génériques représentant le produit, mais aussi des groupes de per- sonnes (souvent des promeneurs), dans un cadre de moyenne montagne. Ces messages sont majoritairement portés par l’AFA, d’une part, et par l’AOC saint- nectaire, d’autre part.

Ces premiers résultats, en particulier l’appartenance de certaines filières à plusieurs groupes d’images, montrent avant tout la cohérence globale du message transmis par les filières d’AOC d’Auvergne étudiées. Lorsque le paysage est mis en scène, celui-ci est central dans la communication. Néanmoins, nous avons pu noter, à travers cette analyse, des nuances dans les thèmes paysagers privilégiés par les filières, entre vues panoramiques (AOC cantal) et objets paysagers de détail s’insérant dans un cadre plus général qui n’est alors plus le sujet central du message (AOC salers en particulier).

Ainsi, nous pouvons d’ores et déjà avancer l’idée de la présence d’une diversité de liens entre produits et paysages sur les documents promotionnels des AOC d’Auvergne, qui, même s’ils renvoient, dans l’ensemble, à une vision commune de l’AOC et des messages à transmettre aux consommateurs, traduisent néanmoins des positionnements différenciés par filière. L’AOC salers, en particulier, semble tendre vers cet équilibre tandis que les AOC cantal et saint-nectaire communiquent soit sur des éléments très généraux, soit sur des objets paysagers qui font débat aujourd’hui (race salers, buron) et qui ne sont plus une évidence dans le contexte actuel de l’évolution des systèmes de production.

Ces résultats, combinés aux conclusions émises pour l’analyse initiale par filière, nous amènent finalement à définir le gradient de naturalité comme fil directeur de la communication pour les filières AOC d’Auvergne.

4.5.2 Messages et valeurs associés aux AOC de Franche-Comté

L’observation des axes (Fig. 4.16) nous amène tout d’abord à caractériser la forte homogénéité des messages promus par les filières franc-comtoises. Ces AOC distinguent, elles aussi, des messages généraux, centrés sur les caractéristiques du cadre physique de l’aire d’appellation, et des messages plus précis, focalisés sur des objets paysagers particuliers.

Nous pouvons toutefois distinguer deux types d’illustrations.

– Des images valorisant l’herbe et, plus globalement, la dimension agricole du ter- ritoire de production. Au sein de cette orientation, nous pouvons également faire ressortir, d’une part, des images insistant sur l’animal et, d’autre part, des images axées sur les produits.

– Des images valorisant les autres composantes du territoire, qu’elles renvoient à la végétation, telles que les formations arbustives, ou au bâti.

Quant aux objets paysagers mis en image, ceux-ci diffèrent sur plusieurs points de ceux présents sur les images des AOC d’Auvergne. La dimension patrimoniale est

Fig. 4.15 – Analyse des Correspondances Multiples (données générales) des images promotionnelles des AOC de Franche-Comté (L. Ménadier, 10/2010)

4.5. Analyse multicritère

moins présente, et semble plus corrélée au caractère agricole du territoire. Les lieux de vie et de travail sont fortement représentés, aussi bien dans leur dimension individuelle (exploitation agricole) que collective (village). Certes, les clochers régionaux typiques sont présents, mais dans une très faible proportion. Les pratiques actuelles sont éga- lement bien mises en avant, qu’il s’agisse des fenaisons ou du pâturage. Les pratiques de traite au pré sont absentes des documents promotionnels, ce système étant moins utilisé qu’en Auvergne.

Au final, à partir des analyses multicritères, nous avons pu dégager pour chaque filière d’AOC la ou les orientations principales de la communication. Pour les AOC auvergnates, il s’agit de l’axe « naturalité ». Celui-ci distingue en effet les images qui, d’un côté, vont proposer un discours centré sur une nature vierge, sur les grands espaces etc., et de l’autre, vont insister sur la culture locale associée au produit et les traditions : la race salers, la gerle, le bâti traditionnel, etc.

Pour les AOC franc-comtoises, cet axe est également présent, mais le caractère humanisé et agricole semble plus développé : pratiques actuelles, troupeaux, fenaisons, et autres objets paysagers végétaux relatifs à la production (herbe, flore) sont ainsi particulièrement mis en exergue.

Conclusion

A partir des deux types d’approches, statistiques et textuelles, réalisées par filière tout d’abord, puis par zone d’AOC régionale, ce chapitre nous a permis de comprendre les messages et valeurs véhiculés par les filières d’AOC d’Auvergne et de Franche- Comté, ainsi que la place tenue par le paysage dans la communication.

Nous avons ainsi dégagé les points communs, nous pourrions dire génériques, de la communication des AOC fromagères, et qui pourraient également se retrouver aisément auprès d’autres types de produits :

– La description de l’aire d’appellation. – Les caractéristiques physiques du terroir.

– Les savoir-faire des hommes pour l’élaboration du produit.

– Les modalités de protection et les règles du cahier des charges qui contribuent à la qualité du fromage.

– Le goût spécifique du fromage.

– Le paysage mobilisé sous plusieurs formes : des vues d’ensemble ou panoramas, et des zooms réalisés sur certains objets composant le paysage agricole.

– La place centrale de la vache et de l’herbe parmi ces objets paysagers.

Nous avons par ailleurs constaté l’inégal développement de chacun de ces thèmes par les différentes AOC de notre échantillon. Ainsi, les AOC auvergnates, en particulier saint-nectaire et cantal, communiquent largement sur le nouveau cahier des charges, dans la mesure où il s’agit d’une étape importante de leur histoire, qui tend vers le

renforcement des liens entre le produit et son territoire d’origine, et qui a des répercus- sions économiques très fortes. Les caractéristiques des aires de production sont décrites dans une dimension large d’appartenance à l’Auvergne volcanique. L’AOC salers, dont le cahier des charges n’a pas fait l’objet d’une révision récente (la dernière modification du cahier des charges date de 2000), insiste sur le caractère fermier et traditionnel des modes de fabrication. Le terroir est également décrit de manière globale, centré sur l’Auvergne et les espaces herbagers des monts du Cantal en particulier. Sa saisonnalité explique cette orientation. Les règles du cahier des charges sont également présentées. Parmi les AOC franc-comtoises, l’AOC comté dispose d’une pluralité de supports de communication, extrêmement variée et développée. Sur ces thèmes généraux, cette filière développe plus largement certains aspects, notamment relatifs aux pratiques ou à la vie du collectif et de la filière en général. L’AOC morbier tend à communiquer sur le produit et l’originalité de son trait de cendre. L’AOC mont d’or, de la même manière que l’AOC salers, communique sur le caractère saisonnier de sa production, et sur l’originalité de sa présentation dans une boîte en bois. Les espaces forestiers du territoire et les paysages du Haut Doubs sont fortement mis en valeur au sein des discours. Enfin, l’AOC bleu de Gex propose une communication centrée sur les aspects techniques et réglementaires.

Au regard des paysages types, encore bien présents dans la communication de ces AOC, et des orientations plus précises prises par chacune des filières pour promouvoir le produit, nous distinguons quatre statuts différents donnés au paysage, ainsi que des exemples significatifs illustrant chacun d’entre eux.

– Le paysage comme décor de l’activité agricole : la représentation des pra- tiques de traite au pré pour les AOC d’Auvergne.

– Le paysage comme produit de l’activité agricole : les fenaisons ou le pâ- turage, incluant des vues générales ou plus précises.

– Le paysage comme patrimoine d’un territoire : les clochers, les sommets montagneux, le bâti traditionnel.

– Le paysage comme symbole du produit et des valeurs traditionnelles de l’AOC : la flore qui confère un goût spécifique au produit, la nature du substrat (par exemple volcanique), les hauts pâturages et les pré-bois comme cadre de présentation du fromage.

Ces résultats relatifs à la communication des AOC posent, au final, diverses ques- tions quant à la compréhension des liens entre produits et paysages. Nous avons, en effet, pu constater que la communication des AOC restait assez générale. Elle nous semble ainsi transposable, dans les thèmes qu’elle développe, à bien d’autres produits, AOC ou non.

Les images les plus pertinentes en termes de communication et de différenciation des produits restent celles qui développent en outre des thèmes précis et non reproductibles. Ceux-ci sont dépendants des caractéristiques des aires de production, mais aussi de la précision et de l’importance des règles définies dans les cahiers des charges. En effet,

4.5. Analyse multicritère

plus elles sont nombreuses, explicites et strictes, plus les thèmes de la communication peuvent être précis pour définir l’identité et la spécificité du produit.

Ce constat est particulièrement visible à travers la comparaison des corpus des deux régions. En Auvergne, la communication est plus variée qu’en Franche-Comté, et assez souvent centrée sur les caractéristiques physiques du territoire, au-delà des aspects techniques d’obtention du produit.

Face à ces résultats et observations, l’analyse du point de vue des agriculteurs sur les liens entre leurs produits, leurs pratiques et les paysages de l’aire de production nous permettra de répondre aux questions suivantes :

– Quelles règles des cahiers des charges contribuent à façonner les objets paysagers emblématiques des produits ?

– Quels objets sont effectivement présents sur les exploitations des zones de pro- duction et quelle importance recouvrent-ils aux yeux des producteurs ?

– Jusqu’où aller dans la description des pratiques mises en œuvre ?

– Quel regard les producteurs portent-ils sur les modèles paysagers associés à leurs produits ?

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Les liens produit-paysage dans les cahiers