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● 5.2 Analyse des entretiens

Dans le document Quand la douleur s invite dans le soin (Page 25-38)

Je tiens à relever que les trois soignants interrogés se situent dans la même tranche d'âge (40-50 ans), on peut donc en supposer qu’ils aient une conception de vie similaire.

Néanmoins, ils diffèrent dans leurs expériences professionnelles et personnelles. La confrontation de leurs idées est donc intéressante car chacun amène des points de vue très variés.

➤ La douleurs induites par les soins.

Dans un premier temps, j’ai demandé aux soignants de me donner trois mots clés qui caractérisent au mieux celle-ci. Les réponses apportées me paraissaient complètement contradictoires au départ, mais ont été au final très intéressantes à décomposer.

J’ai pu au fil de chaque entretien les mettre en relation avec le discours qu’ils tenaient à ce sujet et faire un lien entre leurs représentations et les mots clés donnés.

Les mots clés de Mme C, sont “Peur, Passages Obligés”, termes pour lesquels j’associe une consonance assez négative. J’ai pu comprendre à la suite de notre échange que ce sont des termes, auxquels elle pense toujours lorsqu'elle va réaliser un soin qui va selon elle amener forcément de la douleur. A ces deux mots, elle introduit également le terme de

“rôle infirmier primordial” qui me permet de faire un lien avec nombreux de ses propos dans lesquels elle prend son rôle infirmier très à cœur et pour lequel elle engage une réflexion fréquente dans le but de réadapter ses compétences.

Les mots cités par Mr O , “Fréquente, Gérable et Évitable”, sont totalement en accord avec son discours et des possibilités qui lui sont allouées dans le service où il exerce.

Mme S, cite “Sensibilité personnelle, Préparation du soin et Accompagnement.”; terme pour lesquels j’associe les compétences qu'elle a développé lors de son diplôme universitaire.

Tous ces mots clés m’ont permis de constater que chaque soignant a des projections très différentes concernant les douleurs induites mais que pour autant ils portent tous une attention particulière à celle-ci.

Aucun soin spécifique n’a été décrit par les soignants comme induisant le plus de douleur.

Les pansements ont tout de même été évoqué deux fois. Mme C et Mr O ont surtout mis en

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avant des douleurs durables que va amener la chronicité des plaies, plus que sur celle que vont amener les soins.

Mme C, a également introduit l'appréhension de certains soins qui pourraient rendre la prévention des douleurs induites moins évidente. “Les soins que j’appréhende le plus à réaliser sont ceux , pour qui la douleur sera moins facile à gérer."

La notion de stress a été mentionnée à plusieurs reprises par les trois soignants. Ce stress présent pour diverses raisons lors des hospitalisations est relevé comme une composante pouvant intensifier le ressenti douloureux du patient. Pour Mme S, le contexte émotionnel du patient constitue une grande partie du message douloureux imprimé par le cerveau.

Le seuil de tolérance a été décrit de manière unanime comme un paramètre multidimensionnel et individuel. Il en découle donc des différences dans le ressenti douloureux d'un patient à un autre, et d'un jour à un autre. "Je suis convaincu que chaque personne a un seuil de tolérance différent en fonction de sa personnalité, de son vécu antérieur et de son état psychologique et physique du moment." (Mme C)

De cette réflexion sur le seuil de tolérance, la notion d'inégalité face aux ressentis désagréables a été introduite. "Nous ne sommes pas tous égaux aux stimulis douloureux car nous n'avons pas tous les mêmes récepteurs à la douleur". (Mme S) Il a été suivi par le concept d'individualisation des soins et de son importance dans la prévention et la compréhension des douleurs induites. A plusieurs reprises, les soignants ont évoqué le fait que la douleur des uns n'est pas forcément la douleur des autres, et que le patient doit être considéré comme un individu unique pour adapter au mieu ses soins. "... il ne faut pas banaliser, et adapter sa façon de faire en fonction du patient dont on s'occupe".

Au sujet de la tolérance à la douleur et des différences qu’elle peut engager d’un patient à un autre, Mr O, m’a parlé d’une grande évolution à ce sujet, dans le service des urgences.

Le fait d’avoir dans ce type de service une présence médicale jour et nuit et du matériel à disposition facilite grandement les prises en charge. Il m’explique également qu’ils travaillent beaucoup sur protocole et que cela leurs permet de réagir rapidement en fonction de leur analyse clinique. Certains traitements comme le méopa sont très souvent utilisés dans son service dans le soulagement des douleurs aiguës et induites. “Pas besoin de médecin pour nous valider la prescription médicale, nous avons été formés et nous l’utilisons très fréquemment dans des contextes de douleurs induites ou autres".(Mr O)

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Je m’interroge donc sur les raisons qui font qu’aux urgences il y a la possibilité de l’utiliser sur protocole alors que dans beaucoup d’autres services celui-ci n’est pas présent.

Le gâte control, est une théorie peu connue du personnel interrogé. Le principe de courcicuiter le message douloureux par un tapotement ou par un toucher appuyé a démontré une efficacité non négligeable dans plusieurs études lors de soins effractifs. Je me demande donc si les soignants avaient connaissance de cette théorie, l'utiliserait t'il au quotidien?

➤ Les représentations.

Le besoin de formation et l’avantage qu’elle peut apporter ont été évoqué dans mes trois entretiens. Mr O et Mme C, qui n’ont pas de formation complémentaire concernant la douleur souhaitent vivement pouvoir en suivre une pour acquérir de nouveaux savoirs à mettre à disposition des patients mais également à leurs collègues. Une formation pourrait leur permettre d'avoir des échanges constructifs avec leur pairs et de faire évoluer les soins.

Mme S, qui elle a un diplôme universitaire douleur qualifie sa formation comme un plus non négligeable dans les savoirs qu’elle lui a apporté. “Cette formation ne m’a pas plus sensibilisée à la douleur des patients mais elle m’a donné les bonnes cartes pour agir…”

Elle ajoute le fait que son expertise est très appréciée par ses collègues et qu’on lui demande souvent conseil.

Je fait donc un flash back sur mes analyses de situations en début de travail et me questionne sur les raisons qui auraient poussées l'infirmière à ne pas mettre de moyen préventif avant son soin. Il est évident que pour elle la douleur qu’elle allait induire n’était pas sa priorité et que cela était en grande partie lié aux représentations qu’elle pouvait avoir de ce soin :“ce n’était pas si terrible que ça”. Mais aujourd'hui, et après expertise des données je me demande si elle était assez formée ou même informée des moyens possibles dans la prévention des douleurs. Son jugement n’était-il pas tronqué par un manque de connaissances sur les moyens de prévention mis à disposition ? un manque d’expérience?

ou bien des valeurs personnelles et professionnelles qui ne font pas de la douleur de l’autre une priorité...

Un autre exemple m’a été cité lors d’un entretien, celui de la prévention des douleurs liées aux soins chez les enfants. Certaines personnes seraient plus attentives à leurs douleurs plutôt qu'à celle de l’adulte. Mais que constitue cette différence? Un défaut d’empathie ?

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Une projection à la douleur qui pourrait être vécue par ses propres enfants ? ou de part des représentations qui dicteraient les enfants comme plus vulnérables à la douleur ?

J’ai introduit la notion d’identité professionnelle lors d’un entretien. De nombreux éléments la composent tels que les valeurs personnelles, les expériences antérieures dans la profession, la maturité... Mme C, m’a à plusieurs reprises exprimé le fait que ses valeurs personnelles et professionnelles sont des éléments avec lesquelles elle souhaite être en accord. Elle introduit la notion de frustration quand elle trompe ses valeurs. Cette réflexion me ramène à penser que travailler dans la frustration ne permet pas au soignant d’avoir une ouverture d’esprit et de pouvoir prendre en compte la personne dans sa globalité.

L’expérience et la maturité ont été cités comme des facteurs aidants dans la relation et réflexion concernant les démarches de soins.

La notion de stress et d’appréhension des soins ont été relevées comme des points importants pouvant influencer les douleurs induites dans la majorité de mes entretiens. Les techniques non médicamenteuses citées ont toutes été mises en relation avec ces notions dans le but de prévenir les douleurs liées à un soin. L’hypnose a été mentionné par deux infirmiers comme bénéfique pour les patients. Malgré que Mr O, n’est pas de formation spécifique à la pratique de celle-ci, il s’en inspire et y trouve des bénéfices non négligeables dans la prise en charge globale du patient. Mme C, elle, a pu l’expérimenté à titre personnelle lors de soins et y a trouvé un grand intérêt dans le soulagement du stress et de la douleur qui leurs sont associés.

Ensuite, je mettrai en lien deux techniques citées par Mr O et Mme S. La cohérence cardiaque que Mme S utilise de manière non officielle en accord avec les patients et qui se révèle une technique efficace et très appréciée des patients. Elle utilise une application sur son téléphone qui consiste à adapter sa respiration sur un rythme sonore afin de réguler son rythme cardiaque et ainsi avoir un effet anxiolytique. “...La cohérence cardiaque a un effet anxiolytique reconnu et elle est très intéressante à utiliser lors de soins douloureux qui durent longtemps…”(Mme S)

La seconde est celle de la respiration accompagnée que Mr O pratique régulièrement en accord avec les patients qui sont en capacité de l’exercer. Elle s’inspire de la cohérence cardiaque car elle consiste à faire respirer le patient en même temps que lui sur un rythme d’inspiration et expiration lent et profond. A cette technique il lui rattache deux avantages :

“Cela permet au patient de diminuer son stress grâce à une respiration moins rapide et de

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le faire également se concentrer sur sa respiration et non sur l’environnement qui l’entoure”.(Mr O).

Je peux donc faire le lien avec le principe de distraction. Lors de mon premier entretien pour ma phase exploratoire, l’infirmière m’avait déjà introduit ce concept comme très aidant dans les rapports avec le patient lors d’un soin douloureux. Engager une discussion sur des sujets captivants permet aux patients de se détacher du moment douloureux qu’il est entrain de vivre.“Les femmes tu les fais parler de leurs gamins, ça marche à tous les coups”.(Mme N)

Mr O et Mme S utilisent fréquemment la distraction également dans leur prise en soins. Le fait de faire dévier les pensées du patient vers quelques choses d’agréable, est un moyen efficace pour diminuer le stress présent et de détourner le patient de la douleur présente.

J’introduirai également à se moment de mon analyse le discours de Mme C qui annonce la communication comme primordiale dans la relation avec les patients. Elle va permettre au patient d’être rassurer et de comprendre la nécessité des soins qui lui sont prodigués, d’être écoutés et rassurés. De plus, le comportement du soignants à l'égard du patient va lui prouver notre authenticité, notre disponibilité , notre capacité d’empathie et de regard positif sur lui. Selon Carle Rogers, étudié lors de mes études, ses attitudes seraient fondamentales dans la relation à l’autre, d’autant plus importante dans un contexte de soins où le patient est en position de vulnérabilité. Mme S, ajoute à un moment de son discours :

“plus que des techniques médicamenteuses, je pense que des qualités relationnelles sont bénéfiques pour prévenir des douleurs induites”. Selon elle, le travail en binôme serait également essentiel pour le bien être du patient. “Quand les soins sont réfléchis à deux, c’est toujours mieux...On a chacun son rôle et des visions différentes des soins…” Ce propos me renvoit à mes propres expériences vécues quand j'exerçais en tant qu’aide soignante. Le travail en binôme est une aubaine quand il est question de douleur induite.

Effectivement, chacun a un rôle bien précis centré sur le bien être du patient qui se montre intéressant dans ce genre de situation.

➤ La relation soignant soigné.

Beaucoup de facteurs ont été décrits lors de mes entretiens comme importun dans la relation soignant soigné et pouvant donc rendre certaines situations plus difficiles à gérer pour le soignants. En majorité, les émotions ont été relatées comme indispensables dans la relation soignant soigné mais pouvant créer également des incommodités. Mme C, me

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parle de situation pour elle difficile à gérer dès lors qu’elle effectue une projection sur la situation et que ses émotions sont trop présentes. “Les situations où je suis touchée émotionnellement sont plus difficiles à gérer”. Elle essaye de les reconnaitre au maximum pour ne pas qu’elles deviennent gênantes dans la relation. Mr O, lui, m’explique que grâce à son expérience dans la profession il a appris à gérer ses émotions et surtout à reconnaître ses limites, ce qui lui permet de se préparer à certaines situations ou de passer le relais si cela est possible. Mme S ne m’a pas apporté de réponse concernant une composante pouvant la gêner dans la relation avec les patients mais plutôt ce qu'elle trouve bénéfique.

Elle introduit tout de même le concept d’empathie que je trouve intimement lié à celui des émotions. Je suis persuadée que le soignant va avoir de l’empathie envers un patient en réponse aux émotions qui vont l’animer dans la relation avec lui; et que ces deux concepts en finalité ne font qu’un. Mme S, m’explique que lors de situations difficiles ou la douleur du patient est très présente, elle va essayer de mettre son empathie de côté de manière à être plus dans l’analyse et la compréhension de la situation et pouvoir à posteriori rectifier pour que cela n’arrive plus. Je trouve intéressant de mettre en relation ces trois discours car les émotions sont individuelles mais qu’il faut en avoir conscience car elles peuvent être gênantes parfois dans la relation avec les patients si celles-ci sont trop présentes ou encore pas reconnues par le soignant lui même. Certains mécanismes de défense, tels que l’évitement, la banalisation, la dissociation... peuvent se mettre en place pour lutter contre le malaise interne que le soignant est en train de vivre et qui sera dommageable pour le patient. Quand Mme C, nous parle de “projection” avec les patients, cela constitue un mécanisme de défense contre ses propres émotions devenant gênant dans la relation.

Après avoir écouter et analyser ces entretiens, je pense en comprendre que le soignant ne peut “bien soigner” que si il sait reconnaître ses émotions, ses difficultés et que cela sera utile à son perfectionnement et à l’amélioration de ses pratiques.

Des points clés dans la relation soignants soigné ont été relevés par les infirmiers. La relation de confiance, l’importance du toucher relationnel ou thérapeutique, l’authenticité, le sourire et la posture du soignant dès l’entrée dans la chambre du patient vont être les clés permettant de faciliter la relation entre le soignant et le soigné dans des contextes qui sont parfois peu propices aux échanges. "Ce que tu renvoies au patient dès l'entrée dans la chambre facilite l'échange et donc indirectement la confiance entre le soignant et le soigné". Je fais un parallèle avec les concepts d’identité professionnelle et de posture professionnelle, exposés en première partie de ce travail, et de l’impact qu’elle peut avoir

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dans l’accompagnement des patients. Je trouve capital de relever comme composante essentielle dans la prise en soins des patients, la cohérence et la cohésion d’équipe que Mme S m’a très bien décrites et mises en relation avec l’importance du travail en binôme dans les soins procurés aux malades.

5.3 Synthèse

Je tiens à souligner que ce travail ne représente qu’une partie infime de la population soignantes et n’est donc pas généralisable. Cependant, elle constitue la base d’une réflexion qui pourrait être élargie à l’ensemble du personnel médical et paramédical car la douleur est un sujet auquel nous avons tous et serons encore tous confrontés dans notre carrière.

Au cours de tous mes entretiens réalisés dans le cadre de ce travail, j’ai réalisé que ma réflexion de départ, qui concernait les soignants et la prise en compte de la douleur des patients lors des soins était erronée. Mes deux analyses de situations qui relatent des situations vécues et qui opposent deux soignants dans leurs prises en charge de la douleur induite est en fait loin d’être la réalité. A ce niveau de mon travail, je remet donc en question une phrase que j'ai écrite précédemment : “Dans toutes les situations que j’ai pu vivre et observer, j’ai remarqué qu’une majorité des soignants minimise la douleur qu’ils peuvent induire.” Après recherche et réflexion à ce sujet, je peux maintenant critiquer ce premier constat. Je pense en fait que les soignants ne minimisent pas la douleur qu’ils induisent mais plutôt qu'ils ne savent pas réagir face à celle ci car elle implique plusieurs problématiques. Est ce le manque de formation? Le manque d’expérience? La communication verbale et le choix des mots qui sont parfois mal adaptés? Un défaut d’évaluation de la douleur? Un positionnement encore fragile face à une équipe médicale et paramédicale ? … Tant d'hypothèses qui pourraient donner du sens à mon questionnement de départ, à savoir : L'identité professionnelle peut elle influencer la prévention et la priorité que l’infirmière va donner à la douleur induite lors de ses soins, auprès de patients adultes?

A la suite de mes entretiens, j’ai pu établir un premier constat : les soignants sont dans la grande majorité très impliqués dans la prise en charge de la douleur. En effet, lors des cinq

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entretiens réalisés dans le cadre de ce travail; tous ont répondu comme étant très impliqués sur ce sujet.

Les trois entretiens de ma phase approfondie m’ont permis également de répondre schématiquement à ma question de départ. L’identité professionnelle dans laquel le soignant se construit et évolue tout au long de sa carrière guide inévitablement ses choix quand il s’occupe des patients. Un article portant sur l’identité professionnelle m’a également fait comprendre que l’identité professionnelle n’est pas figée dans une représentation commune à la profession infirmier mais bien construite en rapport à des éléments très personnels et singuliers, qui vont évoluer à tout moment en fonction des expériences, des acquis supplémentaires… Dans cet article, Anne Vega ethnologue a cherché à démontrer que le poids des représentations sur la profession d’infirmier peut parfois guider le soignant à se construire selon ses caractéristiques.

La fonction d’infirmière technicienne resterait valorisée dans le système français où perdure l’image gratifiante de la collaboration médicale au détriment des activités de soins, de bien-être et de confort auprès du patient qui, elles, restent trop souvent “ingrates”, en tout cas peu valorisantes aux yeux des équipes médicales et paramédicales. (Ledesma L, 2014, p.2)

L’infirmière Mme R, lors d’un de mes premiers entretiens m’avait également parlé de la distinction de ses deux identités professionnelles et que cela pouvait influencer le raisonnement clinique. Même si l’infirmière n’est pas clivée dans un type d’identité,

L’infirmière Mme R, lors d’un de mes premiers entretiens m’avait également parlé de la distinction de ses deux identités professionnelles et que cela pouvait influencer le raisonnement clinique. Même si l’infirmière n’est pas clivée dans un type d’identité,

Dans le document Quand la douleur s invite dans le soin (Page 25-38)

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