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Analyse des droits de préemption ruraux au regard

154. Objectif commun : l'aménagement foncier rural.

L'objectif pr emier de tout dr oit de pr éemption est avant tout d'assur er l'aménagement fonci er, qu'il soit ur bain ou r ur al. Les droits de pr éemption du pr eneur (

Section 1

) et de la SAFER (

Section 2

) visent à assur er cette fonction en mili eu r ur al .

Section 1 – Aménagement foncier rural et droit de préemption du preneur

155. Double fonction.

A notr e sens, et pour les r aisons que nous allons évoquer, le dr oit de pr éemption du pr eneur est un droit non seulement au ser vice de la propr iét é individuelle (

I

), mais égal ement au ser vice de l'intér êt génér al (

II

) .

I – La préemption du preneur au service de la propriété individuelle ?

156. Un droit à deux visages.

Le droit de pr éemption du pr eneur peut êtr e abor dé, comme tout dr oit de pr éemption, sous deux angles. De pr ime abor d, il sembl e légitime de penser qu'il s'agit d'une pr érogative qui va à l'encontr e du dr oit de pr opr iété (

A

). En analysant davantage le mécanisme, il en r essor t finalement un droit au ser vice de la pr opr iété individuelle (

B

).

A – Une prérogative en conflit avec le droit de propriété

157. Double atteinte au droit de propriété

. Le droit de pr éemption du pr eneur por te une atteinte cer taine non seulement au dr oit de pr opr iété du bailleur (

1

), mais encor e au droit de propr iété de l'acquér eur évincé (

2

)

1 – Une prérogative en conflit avec le droit de propriété du bailleur

158. Choix limité en cas de vente

. L'existence même du droit de pr éemption du pr eneur por te une atteinte cer taine au droit de propr iét é du bailleur. En effet , lor sque les conditions de mise en œuvr e de la pr éemption par le pr eneur sont r éunies, le pr opr iétair e vendeur ne peut ali éner le bien loué qu'en tenant compte de la pr ér ogative offer te au locatair e.

De ce fait , le vendeur peut ne pas êtr e en mesur e de choisir son acquér eur, et donc d'user de son dr oit de propr iété «

de la manière la plus absolue

», et cel a alor s même qu'il n'en fait pas «

un usage prohibé par les lois ou les règlements

»213

(ali éner un bien n'est pas contr air e à la loi ou aux r èglement s à par tir de l'instant où le pr opr iétair e du bien l'est r éellement). Ce conflit entr e droit de propr iété et dr oit de pr éemption peut êtr e mis en avant au tr aver s d'un ar r êt du tr ibunal de gr ande instance de Lyon214

, qui a jugé le droit de pr éemption «

contraire

aux dispositions très générales de l'article 544 du Code civil

».

A contrario

, un ar r êt r écent de la Cour de cassation215

estime que l'atteinte for mée par le dr oit de pr éemption au dr oit de pr opr iété est pr opor tionnell e à l'objectif pour suivi.

2 – Une prérogative en conflit avec le droit de propriété de l’acquéreur évincé

159. Droit de propriété conditionnel

. Le droit de pr opr iété du bailleur n'est pas le seul à êtr e mis à mal par le droit de pr éemption du pr eneur. En effet , le droit de pr opr iété de l'acquér eur évincé subit lui aussi une atteinte cer taine, en ce sens qu'un échange des consentement s a li eu avant même l'exer cice du dr oit de pr éemption. En d'aut r es ter mes, vendeur et acquér eur sont d'accor d sur la chose et le pr ix, mais l'acquér eur d'or igine est seulement titulair e d'un dr oit de pr opr iété conditionnel. Cette affir mation pr évaut t ant en mati èr e de vente amiabl e que d'adjudi cation. Dans le pr emier cas les par ti es ont signé un compromis de vente, sous condition suspensive de non exer cice de son droit de pr éemption par le pr eneur. Dans le second cas, l'adjudicat air e est le der nier enchér isseur, mais se heur te au possible exer cice de son droit de pr éemption par le pr eneur.

Il est également possible d'affir mer que la peine est double pour l'acquér eur évincé, puisqu'en cas de pr éemption ir r égulièr e, il a la possi bilité de demander la nullité de la vente216 assor tie de dommages-intér êts, mais ne peut se substituer au pr éempteur. Autr ement dit , l'acquér eur initial est non seulement évincé, mais ne peut pr étendr e à la pr opr iété du bi en en cas de pr éemption ir r égulièr e.

213 Article 544 du Code civil 214 V. supra, note n°2 215 Ibid.

B – Une prérogative au service de la propriété individuelle

160. Accession à la propriété et limite.

A contr e-cour ant de ce qui a été affir mé pr écédemment , un cer tain nombr e d'éléments per mettent d'envisager le droit de pr éemption du pr eneur comme un dr oit au ser vice de la pr opr iété individuelle. En effet , cette pr érogative per met une accession à la propr iété (

1

), non sans limite (

2

) cependant.

1 – Un droit au service de l'accession à la propriété

161. Fonction sociale. Réunion de l'exploitation et de la propriété.

Le dr oit de pr éemption du pr eneur r evêt une fonction sociale en ce sens qu'il per met aux fer mier s d'accéder en pr ior ité à la pr opr iété. Dans la mesur e où le pr eneur est « en place », il semble en effet légitime que celui-ci soit pr ior itair e pour acquér ir la pr opr i été qu'il exploite : il en a une connaissance appr ofondie.

De plus, la faculté de pr éempter per met la r éunion entr e les mêmes mains de l'exploitation et de la pr opr iété. Il s'agit là d'un fact eur de stabilité non négligeable217

pour le pr eneur. Celui-ci peut en effet opér er les aménagements qu'il souhaite afin que l'exploitation de ses ter r es se fasse dans des conditions optimales (ou à tout le moins dans des conditions qui r épondent à sa volonté). Exploiter une ter r e louée ne le per met pas toujour s, les r appor ts entr e le bailleur et le pr eneur en dépendent . La mi se en place d'un droit de pr éemption au pr ofit du pr eneur r ésulte donc d'une volonté du législateur de pr ivilégier un cer tain type d'exploitation : l'exploit ation en fair e-valoir dir ect (par opposition au fair e-valoir indir ect). Cette affir mation se confir me lor sque l'on se r epor te aux débats du 29 mar s 1946 à l'Assemblée nationale, au cour s desquel s les par lementair es évoquent le dr oit de pr éemption comme per mettant «

l'accession des travailleurs non seulement à la propriété individuelle que

nous considérons comme le prolongement de la personnalité et comme une garantie de la liberté

de l'homme, mais encore à la dignité et à une plus grande liberté

»218

.

Enfin, pr ivilégier l'exploitation en fair e-valoir dir ect per met de mieux r épar tir la pr opr iété. L'idée qui pr édomine est celle d'une ter r e exploitée par de

«petits propriétaires

terriens

»219

. Ainsi que le souligne un auteur, le dr oit de pr éemption n'est donc pas la «

négation

» de la pr opr iété, mais «

l'instrument de son amélioration

»220

. En définitive, l'accès à

217 L. LORVELLEC, Droit rural, Masson, 1987, n°207 218 Déb. A.N 29 mars 1946, n°1247

219 P. OURLIAC, L'évolution du droit de préemption, RD rur. 1982, p. 127 220 C. SAINT-ALARY-HOUIN (C.), op. cit., LGDJ, Paris, 1979, t. CLXIV, n°410

la propr i été est bi en un moyen de r éal iser l'aménagement foncier r ur al, malgr é l'existence d'au moins une limite.

2 – Limite

162. Enjeu du marché immobilier

. Le pr ix de l'immobilier, et en par ticulier des ter r es en milieu r ur al, n'est-il pas le pr incipal ennemi du dr oit de pr éemption du pr eneur ? La question mér ite d'êtr e posée. En effet , si l'intention du législateur de voir accéder le pr eneur à la pr opr iété est compr ise de tous, la r éalité pr atique oblige à por ter un r egar d plus pr agmatique sur le mécanisme. A l'heur e où le pr ix des ter r es est à la hausse221

, tous les pr eneur s en place ont-il r éellement vocation à accéder à la pr opr iété ? De plus, le coût des investissements postér i eur s à l'achat de la ter r e r epr ésent e toujour s une char ge financièr e plus ou moins lour de pour le néo-acquér eur.

Cet aspect financi er doit impér ativement êtr e pr is en compte lor sque l'on évoque l'espr it du dr oit de pr éemption du pr eneur. Une inst allation r éussie passe nécessair ement par un effor t financier. Or, l'effor t financier demandé aux pr eneur s est cr oissant au fil des années du fait de la hausse du pr ix du foncier. Nous voyons ici un sér ieux obstacle à la mise en œuvr e d'un dr oit qui est non seulement au ser vice de la pr opr iété, mai s également au ser vice de l'int ér êt génér al.

II – La préemption du preneur au service de l'intérêt général

163. Esprit du statut du fermage.

Afin de compr endr e en quoi le dr oit de pr éemption du pr eneur est au ser vi ce de l'intér êt génér al, il convi ent de se r epor ter à l'espr it du statut du fer mage, et par ticulièr ement aux débats par lementair es de 1946.

En effet , le législateur lui-même affir mait déjà à cette époque qu'il avait l'ambition de contr ibuer «

au bien général de la nation, notamment en créant le droit de préemption au profit

de l'exploitant

»222

. L'idée dominante était que la ter r e appar tient à celles et ceux qui la tr availlent , et cela pour le bien commun. Il s'agit donc de combiner exploitation individuelle et intér êt coll ect if, la pr emi èr e per mettant de satisfair e le second.

Il est per mi s de penser que le dr oit de pr éemption du pr eneur ser t avant tout ce der nier, mais tel n'est pas le cas. Cer tes, le pr eneur est le pr emi er bénéficiair e de cet accès à la

221 V. notamment le site lancé le 30 mai 2013 par les SAFER : http://www.le-prix-des-terres.fr/ 222 Déb. A.N. 29 mars 1946, n°1245

pr opr iété, mai s l'amélior ation de la stabilité du fer mage et l'amélior ation de l'exploitat ion contr ibuent à r éaliser l'aménagement foncier r ur al, et par conséquent sont au ser vice de l'int ér êt génér al. Les par lement air es de l'époque vont même jusqu'à affir mer que le fait pour le pr eneur d'entr evoir la possibilité de devenir pr opr iét air e va l'encour ager à «

exploiter avec

plus d'ardeur

»223

. L'idée peut êtr e compr ise en ce sens que le pr eneur a tout intér êt à exploiter au mieux une ter r e qu'il a vocation à acquér ir. L'affir mation est moins vr aie si le pr eneur sait per tinemment qu'il n'aur a pas les moyens de pr éempter.

En tout état de cause, le droit de pr éemption du pr eneur a été institué et maintenu afin de sat isfai r e l'intér êt génér al. La r éalisation de l'aménagement foncier r ur al par ticipe de cette idée. Il convi ent à pr ésent de r echer cher s'il en va de même en mati èr e de dr oit de pr éemption de la SAFER.

Section 2 – Aménagement foncier rural et droit de préemption de la SAFER

164. Sources légale et décrétale.

Le dr oit de pr éemption de la SAFER per met de r éaliser l'aménagement foncier r ur al. Il suffit de se r éfér er au nom de cette str uctur e pour en avoir la pr euve : sociétés d’aménagement foncier et d’ét ablissement r ur al. Pour ce fair e, lesdites sociét és acquièr ent des ter r es pour ensuite les r étr océder. Ces acquisitions s'opèr ent soit par voie amiable, soit par voie de pr éemption. S'agissant de cette seconde voie, un texte exige expr essément que la pr éemption r éponde à une ou plusi eur s finalités : l'ar ticle L. 143-2 du Code r ur al et de la pêche mar itime (

I

). Notons qu'à notr e connaissance aucun texte se r éfér ant au dr oit de pr éemption du pr eneur n'évoque la finalité de celui-ci. De plus, alor s que le pr eneur en place pr éempte en ver tu de la loi, une condition supplémentair e s'impose à la SAFER : une habilitation administr ative par décr et (

II

).

I – La poursuite d'objectifs légaux : constat et critique

165. Annonce

. Dans un pr emier temps, nous r appeller ons les finalités limitativement énumér ées par le législateur (

A

), avant d'abor der l'ar ticle L. 143-2 du Code r ur al et de la pêche mar itime sous un angle plus cr iti que (

B

) .

A – Constat

166. Constat de l'élargissement progressif des finalités.

A l'or igine, le dr oit de pr éemption de la SAFER avait pour objet les finalités suivantes :

« 1° L'installation, la réinstallation ou le maintien des agriculteurs ;

2° L'agrandissement et l'amélioration de la répartition parcellaire des exploitations

existantes conformément à l'article L. 331-2 ;

3° La préservation de l'équilibre des exploitations lorsqu'il est compromis par l'emprise

de travaux d'intérêt public ;

4° La sauvegarde du caractère familial de l'exploitation ;

5° La lutte contre la spéculation foncière ;

6° La conservation d'exploitations viables existantes lorsqu'elle est compromise par la

cession séparée des terres et de bâtiments d'habitation ou d'exploitation ».

Au fur et à mesur e de l'élar gi ssement de ses missions, la SAFER a vu les object ifs assignés à son dr oit de pr éemption s'accr oîtr e. Ainsi, la loi d'or ientation agr icole n° 99-574 du 9 juillet 1999 a insér é les points 7° et 8° à l'ar ticle L. 143-2 du Code r ur al et de la pêche mar itime, aujour d'hui ainsi r édigés :

« 7° La mise en valeur et la protection de la forêt ainsi que l'amélioration des structures

sylvicoles dans le cadre des conventions passées avec l’État ;

8° La réalisation des projets de mise en valeur des paysages et de protection de

l'environnement approuvés par l’État ou les collectivités locales et leurs établissements publics ».

Enfin, un point 9° a été insér é par la loi n°2005-157 du 23 févr ier 2005 r elative au développement des ter r itoir es r ur aux :

« 9° Dans les conditions prévues par le chapitre III du titre IV du livre Ier du code de

l'urbanisme, la protection et la mise en valeur des espaces agricoles et naturels périurbains ».

B – Critique

167. Annonce.

Le constat de l'élar gissement des missions de la SAFER étant dr essé, il convient à pr ésent de por ter un r egar d cr itique non seulement sur les dispositions de l'ar ticl e

L. 143-2 du Code r ur al et de la pêche mar itime (

1

), mais également sur le pr ojet de loi d'avenir pour l'agr icultur e, l'alimentation et la for êt (

2

). En effet , ce der nier pr opose une r éécr itur e de l'ar ticle nous intér essant .

1 – Approche critique de l'article L. 143-2 du Code rural et de la pêche maritime

168. Droit de préemption de la SAFER et lutte contre la spéculation foncière

. L'ar ticle L. 143-2 du Code r ur al et de la pêche mar itime mentionne expr essément «

la lutte

contre la spéculation foncière

» au tit r e des finalités du droit de pr éemption de la SAFER. Dans la mesur e où un cer tain nombr e de données sont r endues publiques au sujet de l'évolution du pr ix des ter r es, il sembl e possible de dr esser un constat : l'objectif de lutte contr e la spéculation foncièr e n'a été que par tiellement atteint .

En effet , depuis la mise en place du droit de pr éemption de la SAFER (1962) jusqu'en 1974, le pr ix moyen en euros cour ants et à l'hectar e des ter r es libr es de location a ét é multiplié par 3,3. Par all èlement , le pr i x moyen en eur os constants et à l'hectar e pour ces mêmes ter r es a augmenté de 4 200 euros. Eu égard à ces chiffr es224

, for ce est de constater que le dr oit de pr éemption de la SAFER n'a pas eu un effet immédiat sur la lutte contr e la spéculation foncièr e.

Par la suite, l'évolution des pr ix a connu une cer taine stabi lité pendant cinq ans, avant de connaîtr e une for te décr oi ssance jusqu'en 1996. Le pr ix moyen des ter r es libr es à l'hect ar e en eur os constants a chuté de plus de 6 000 eur os, tandis que le pr ix moyen des mêmes ter r es à l'hect ar e en eur os cour ants enr egistr ait une baisse de 480 euros. Bien qu'aucune donnée ne per mette d'affir mer que cette baisse des pr ix soit étr oitement liée à la mise en œuvr e de son dr oit de pr éemption par la SAFER, il s'agit d'une infor mation impor tante.

La pér iode s'étant écoulée entr e 1996 et 2013 a sans cesse vu cr oîtr e le pr ix moyen des ter r es et pr és. Pour la seule année 2013, la SAFER r ecense une augment ation de 6,2% du pr ix moyen des ter r es libr es, ainsi qu'une augment at ion de 4,3% du pr ix moyen des ter r es louées.

Le pr incipal outil dont dispose la SAFER afin de lutter contr e la spéculation foncièr e demeur e la pr éemption avec r évision du pr ix. Toutefois, dans un r écent r appor t de la Cour des comptes sur l'activité des SAFER, est souligné le fait que «

les rares préemptions faites avec

demande de révision du prix aboutissent dans 85 % des cas à un retrait de la vente

»225 .

224 http://www.le-prix-des-terres.fr/levolution-des-prix/prix-des-terres-et-pres/prix-des-terres-et-pres-france? locative=1&safer_recherche=Lancer+la+recherche

225 C. comptes, 11 févr. 2014, Rapp. Public « Les SAFER : les dérives d'un outil de politique d'aménagement agricole

En somme, il semble légitime de s'inter r oger quant à l'efficacité de la lutte contr e la spéculation foncièr e via le dr oit de pr éemption de la SAFER. Eu égar d aux chiffr es pr oposés par les SAFER elles-mêmes, il semble per mis d'évoquer un échec r elatif. Afin de justifier cet échec, les SAFER avancent notamment l'ar gument d'une fer metur e continue du mar ché depuis 1999226

.

169. Droit de préemption de la SAFER et sauvegarde du caractère familial de

l'exploitation.

L'une des cr iti ques pouvant êtr e for mulée à l'égar d de l'ar ticle dont il est question se situe au point 4°. Celui-ci mentionne en effet la «

sauvegarde du caractère familial

de l'exploitation

», alor s même qu'a été suppr imé le but de «

contribuer à la constitution ou à la

préservation d'exploitations familiales à responsabilité personnelle

» dans l'ar ticle L. 331-1 du Code r ur al et de la pêche mar itime, r elatif au contr ôle des str uctur es227