• Aucun résultat trouvé

Evolution des techniciens

3.1 Cadre théorique et questions de recherche

3.1.3 Analyse de besoins fondée sur les tâches

Michael Long (2005) propose de fonder son analyse de besoins sur les tâches ( task-based needs analysis). Cette proposition nous paraît tout à fait pertinente pour notre étude, car la tâche est un dénominateur commun à la fois à l’entreprise et à l’IUT.

Marie-Françoise Narcy-Combes indique : « l’approche par les tâches nous est apparue le mieux à même de réduire la distance entre idéal théorique et réalité du terrain » (2008 : 5). La réduction de cette distance vise à s’approcher le plus possible de l’adéquation formation-emploi. Jean Vincens, dans son article concernant l’adéquation formation-emploi après les filières professionnelles de l’enseignement supérieur nous donne cette définition de l’emploi : un emploi est un ensemble de tâches habituellement confiées à un individu. L’adéquation qualitative entre un emploi donné et un individu exige au minimum que cet individu soit capable d’exécuter les tâches constitutives de cet emploi pour obtenir le résultat souhaité. (Vincens, 2005 : 150)

Jean Vincens souligne également que cette adéquation qualitative est relative et tend vers l’adéquation qualitative absolue, qui elle, n’est jamais atteinte. Il donne ensuite une définition large d’une formation : « une activité qui tend à faire acquérir des capacités à l’individu ». Il poursuit: « ce que nous devons faire pour analyser l’adéquation formation-emploi, c’est exprimer la formation en termes d’éléments distincts appropriés à la mise en rapport avec les emplois ». L’approche par les tâches peut donc remplir ce rôle « d’éléments distincts » puisque les tâches sont présentes dans les deux environnements.

Il convient tout d’abord de placer cette approche dans le domaine éducatif. L’approche communicative des années 1980-1990 devient « perspective actionnelle » avec le CECRL (2000), où la communication fait partie des tâches. Claude Puren mentionne ce changement de compétence sociale de référence langagière comme le passage de « la capacité à échanger ponctuellement des informations avec des étrangers » à celle de « travailler dans la durée en langue étrangère avec des locuteurs natifs et non natifs de cette langue » (2009: 29). De même, il évoque le changement de compétence de référence culturelle comme le passage de la compétence interculturelle, puis multi-culturelle à la compétence « co-culturelle ». Il précise :

Une « co-culture » peut se définir précisément comme l’ensemble des conceptions partagées que certains acteurs se sont créées et/ou qu’ils ont acceptées en vue de leur type d’action conjointe dans un environnement social déterminé : c’est ce que l’on entend par exemple lorsque l’on parle de « culture scolaire » ou de « culture d’entreprise ». (id. : 31) En effet, le CECRL fait ce rapprochement entre usager et apprenant d’une langue, les considérant tous deux comme des « acteurs sociaux » (CECRL, 2000 : 15). L’apprentissage de la langue est considéré comme une forme d’usage de celle-ci.

Le chapitre 7 du CECRL est consacré aux tâches et à leur rôle dans l’enseignement des langues. La définition et les précisions données sont les suivantes :

les tâches ou activités sont des faits courants de la vie quotidienne dans les domaines personnels, public, éducationnel et professionnel. L’exécution d’une tâche par un individu suppose la mise en œuvre stratégique de compétences données afin de mener à bien un ensemble d’actions finalisées dans un certain domaine avec un but défini et un produit particulier. (id. : 121)

Les contextes de l’utilisation de la langue sont répartis ici en quatre domaines, et il est précisé que de nombreuses situations peuvent appartenir à plusieurs domaines.

Les compétences mises en œuvre peuvent être générales, s’appuyant sur les savoirs, savoir-faire, savoir-être et savoir apprendre ainsi que la « compétence à communiquer langagièrement » (id. : 17) avec des données linguistiques, sociolinguistiques et pragmatiques.

Deux catégories de tâches sont mentionnées dans le CECRL, tout d’abord :

[les] tâches « cibles » ou de « répétition » ou « proches de la vie réelle » sont choisies en fonction des besoins de l’apprenant hors de la classe, que ce soit dans les domaines personnel ou public ou en relation à des besoins plus particulièrement professionnels ou éducationnels. (id. : 121)

En second lieu, il est fait mention de tâches dites « pédagogiques », « assez éloignées de la vie réelle et des besoins des apprenants », qui visent à développer une compétence communicative.

Les tâches qui intéresseront notre étude seront essentiellement ces tâches « cibles », « proches de la vie réelle », tâches de communication liées au domaine professionnel. Ces

tâches sont décrites par Rod Ellis comme « real-world activities » et « real world processes of language use » (2003). Jean-Paul Narcy-Combes distingue les macro-tâches, « diverses situations repérées, dans la vie courante ou professionnelle, par exemple, permettant de construire des macro-tâches » et les micro-tâches, « plus circonscrites et moins réalistes » (2005).

Florence Mourlhon-Dallies précise au sujet du français sur objectifs spécifiques (FOS), mais ceci n’est pas particulier au FOS, que :

progressivement, les enseignants et les formateurs intègrent dans leurs pratiques la notion de tâches, qui est d’ailleurs parfaitement en phase avec le quotidien de publics professionnels en situation de travail, dans la mesure où ces publics sont par définition appelés à effectuer des tâches professionnelles en langue étrangère. (2008 : 64)

En effet, dans le milieu professionnel, l’approche par les tâches est également utilisée. Edgar Morin mentionne l’évolution du travail en entreprise ainsi :

dans l’entreprise, le vice de la conception taylorienne du travail fut de considérer l’homme uniquement comme une machine physique. En un deuxième temps, on a réalisé qu’il y a aussi un homme biologique ; on a adapté l’homme biologique à son travail et les conditions de travail à cet homme. Puis, quand on a réalisé qu’il existe aussi un homme psychologique, frustré par des tâches parcellaires, on a inventé l’enrichissement des tâches. (1990/2005 : 121)

Les descriptions de métiers peuvent être formulées, entre autres indications, en termes de tâches par des professionnels :

most « ready-made » job descriptions produced by domain experts […] are typically formulated in terms of background knowledge, performance standards and tasks. (Long, 2005 : 22)

Cette approche par les tâches est liée à une approche par compétences (APC). Le ministère de l’éducation québécois, dans un document intitulé L’ingénierie de la formation professionnelle et technique, définit la « compétence » comme « un regroupement ou un ensemble intégré de connaissances, d’habiletés et d’attitudes permettant de faire, avec succès, une action ou un ensemble d’actions telles qu’une tâche ou une activité de travail » (<Gouvernement du Québec, 2002 : 5>). Les connaissances, habiletés et attitudes correspondent aux savoirs, savoir-faire et savoir-être. En 2005, une place plus importante est laissée « à la mobilisation des savoirs et à l’évolution de la compétence dans le temps ». La définition suivante de la compétence est donnée :

pouvoir d’agir, de réussir et de progresser qui permet de réaliser adéquatement des tâches, des activités de vie professionnelle ou personnelle, et qui se fonde sur un ensemble organisé de savoirs : connaissances et habiletés de divers domaines, stratégies, perceptions, attitudes. (<Gouvernement du Québec, 2005 : 8>)

La visée apparaît plus dynamique, incluant présent et futur. L’adverbe « adéquatement » est utilisé, rappelant le lien entre formation et emploi.