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2.4 MEC : critiques et améliorations

2.4.2 Les améliorations de la MEC

Comme cité précédemment, la MEC fut largement critiquée à cause des nombreux biais qui accompagnent l’administration du questionnaire. Ceci permet d’obtenir des ré- sultats erronés qui n’aident pas davantage à la décision. Ces critiques sont divisées en deux catégories : des critiques destructives et d’autres constructives. Celles destructives refusent l’utilisation de la MEC pour l’évaluation des biens non-marchands car le scénario hypothétique ne permet pas de mesurer les préférences des individus, et de déterminer leurs valeurs économiques comme le cas de la valeur de non-usage. Cette dernière n’est pas considérée comme une valeur économique puisque son évaluation crée des « motifs

altruistes non significatifs pour un économiste » (Diamond and Hausman, 1994).

Les travaux adressant des critiques dites constructives cherchent à montrer et prouver les inconvénients et les biais de la MEC. Ces travaux contribuent largement à l’améliora- tion de cette méthode en tenant compte de toutes ses difficultés. Depuis le commencement

de son usage comme l’une des méthodes d’évaluation des biens non-marchands, la MEC ne cesse d’évoluer et d’élargir son champ d’application tout en prenant en considération les critiques qui lui ont été adressées. De ce fait, la qualité de ses résultats a été améliorée en donnant une certaine crédibilité et validité au scénario contingent proposé aux indi- vidus interrogés (Carson and Mitchell, 1995). Les cadres théorique et empirique ont été enrichis : c’est ce qui, par exemple, a permis à la commission américaine (1993) de fixer un protocole guidant l’administration de la MEC (Arrow et al., 1993).

Plusieurs praticiens ont bien prouvé les difficultés rencontrées en utilisant la MEC pour évaluer des biens non-marchands. Toutefois, ils ne recommandent pas le rejet de cette méthode, mais plutôt la continuité de son usage avec la prise en considération de différents problèmes liés à son design et son administration. Ils suggèrent plus d’effort, d’expériences et d’imagination pour résoudre ses lacunes afin d’avoir une évaluation cré- dible et pertinente des biens non-marchands. De plus, ils s’opposent à ceux qui rejettent catégoriquement le recours à la MEC. Ils s’interrogent sur l’alternative qui est capable de fournir des mesures hypothétiques plus crédibles que celles du travail contingent. En résolvant les biais et les problèmes que rencontre la MEC, la qualité de ses mesures peut être améliorée ainsi que la crédibilité de la méthode dans son ensemble (Hanemann, 1994). Devant l’incapacité de certaines méthodes d’évaluation directes et indirectes (prix hé- doniste, coût de transport...), la MEC assure la mesure d’une bonne part des biens non- marchands, malgré les fortes critiques. Ceci rend service aux décideurs en leur aidant à la prise de décision quant aux politiques publiques telles que les politiques de conservation et la protection de l’environnement qui se focalisent sur des actifs et biens non-marchands. Les travaux qui traitent la validité de la MEC, suggèrent des améliorations méthodolo- giques, techniques et empiriques, et parfois la combinaison entre les deux dernières. À titre d’illustration, on peut citer : l’amélioration de la mesure du consentement à payer à travers l’intégration de la qualité de perceptions des individus interrogés dans le modèle d’estimation (Whitehead, 2006), la proposition de tests de robustesses en améliorant le design du questionnaire utilisé afin d’assurer une MEC pertinente et crédible (Arrow et al., 1993; Carson and Mitchell, 1995), le traitement du biais lié à la désirabilité sociale (Laugh- land et al., 1994; Leggett et al., 2003), l’amélioration de la qualité de la MEC en tenant compte du biais lié à l’enquête directe « Yea-Saying » (Blamey et al., 1999), l’analyse de la pertinence de la MEC à travers la comparaison entre les différentes manières dont le questionnaire est administré (face à face, par e-mail, par téléphone) (Ethier et al., 2000; Butori and Parguel, 2010), la proposition d’un modèle d’estimation hybride pour la mesure du consentement des individus interrogés en combinant la méthode contingente et celle des coûts de transport (la méthode contingente des coûts de transport) (Appéré, 2004; Alban et al., 2008), et le traitement de l’excès des zéros de protestation dans l’enquête

à travers la proposition des modèles des zéros inflatés (Zero Inflated Models)22 (Allison,

2012; Greene, 2007).

2.5

Conclusion

L’impossibilité d’accorder une valeur monétaire pour une part des biens sur le marché ordinaire et réel a motivé les économistes à instaurer des méthodes alternatives pour le faire. L’évaluation des biens qui échappent au marché ordinaire (biens non-marchands) peut être représentée par le surplus (consommateur ou compensateur) dont peuvent béné- ficier les individus après une modification liée au bien en question (exemple : amélioration de la qualité d’une zone naturelle). Parmi les méthodes alternatives pour évaluer les biens non-marchands, nous citons la méthode d’évaluation contingente qui se base sur le scénario hypothétique proposé aux individus directement. Cette méthode fut critiquée largement à cause des biais et lacunes qu’accompagnent son administration et son déroulement. De ce fait, ses praticiens ne cessent de l’améliorer méthodologiquement et empiriquement en répondant aux critiques qui lui ont été adressées.

Dans certains cas, la MEC se trouve comme le seul outil de valorisation des biens non- marchands. Pour cela, les praticiens proposent l’amélioration de sa qualité et sa crédibilité, au lieu d’abandonner son utilisation. Elle réconforte les décideurs quant aux choix et à la mise en place des politiques publiques telles que les politiques de conservation.

La MEC donne plus de flexibilité aux praticiens que les autres méthodes d’évaluation. Elle permet d’effectuer des analyses et des évaluations in situ ex ante. Elle est choisie pour déterminer les perceptions des acteurs locaux (pêcheurs et visiteurs) qui exercent des activités dans la zone des îles Kuriat. De plus, la MEC nous permet de mesurer le CAP et le CAR de ces acteurs et par la suite l’élaboration d’une politique de compensation qui indemnise les acteurs ayant subi un préjudice à travers la taxation des gagnants. L’ap- plication des autres méthodes d’évaluation comme les méthodes des coûts de transport et de prix hédonistes n’est possible qu’avec l’existence d’une relation de complémentarité entre un actif marchand et l’actif non-marchand qui fait l’objet de l’évaluation (Rulleau et al., 2009). Dans notre cas d’étude, les évaluations de CAR et de CAP ne sont pas liées à des biens marchands. Les autres méthodes d’évaluation de préférences déclarées comme l’approche délibérative et la méthode de transfert des bénéfices sont écartées, car leur validité et leur fiabilité ne sont pas totalement prouvées (Genty et al., 2005; Reveret et al., 2008). Dans cette thèse, le cas d’étude de la future AMP nécessite une analyse

ex ante spécifique qui tient compte de la particularité des acteurs impliqués qui sont, a priori, hostiles (exemple : les pêcheurs) à toute action collective en matière de gestion des

ressources naturelles.

22. Parmi les modèles des zéros inflatés, nous évoquons ; le modèle de poisson des zéros inflatés (zero inflated poisson), le modèle binomial négatif des zéros inflatés (zero inflated negative binomial), le modèle de probit ordonné des zéros inflatés (zero inflated ordered probit model). Pour plus de détails, voir (Allison, 2012).

Chapitre 3

Les îles Kuriat à Monastir : cas

d’étude et questionnaires

3.1

Introduction

Les îles Kuriat font partie des zones marines et côtières qui ont été proposées pour constituer de futures aires marines protégées en Tunisie. Elles subissent des fortes pres- sions naturelles et anthropiques. La diversité des acteurs impliqués dans l’usage de ces deux îles rend la mission des décideurs difficile. Comme l’indique la littérature, la réus- site d’une AMP est dépendante de la résolution des conflits d’intérêts, de la prise en considération des avis des acteurs impliqués et de l’analyse des impacts liés à sa mise en place. Les informations concernant ces éléments-clés ne sont pas disponibles pour le projet de future AMP aux îles Kuriat. Une telle politique de conservation est inspirée des travaux des institutions environnementales locales et régionales (APAL/SCET-TUNISIE, 1999, 2000; CAR/ASP-PNUE/PAM, 2008, 2010; PNUE/PAM, 2014). Pour mieux gérer la future AMP, les décideurs publics ont besoin de clarifier les effets de ce projet en- vironnemental et de déterminer leur distribution entre les acteurs impliqués. Il semble nécessaire de préciser les impacts de l’AMP sur chaque type d’activité humaine et la dé- termination des intérêts et des perceptions des acteurs impliqués pour aider les décideurs publics à instaurer une gouvernance efficiente de l’AMP. Le maintien d’un consensus entre les différentes parties prenantes n’est faisable qu’avec la mise en place d’une distribution équitable des impacts de ce projet entre les acteurs concernés. Réussir une telle politique de conservation n’est pas un objectif facile à atteindre, surtout face à l’absence des in- formations qui concernent les activités humaines et les avis et perceptions des acteurs impliqués. Ces informations nécessitent d’être prises en considération et intégrées au plan de gestion de la future AMP afin d’augmenter les chances de réussite. À ce stade, l’admi- nistration des questionnaires aux acteurs concernés par le projet d’AMP aux îles Kuriat semble primordiale afin de déterminer avec plus de précision ceux qui seront gagnants et ceux qui seront perdants. Ceci facilite la mission des décideurs publics de résolution des conflits d’intérêt et de mise en place d’une gestion durable et efficace de la future AMP.

À priori, les principaux acteurs qui seront impactés par la mise en place d’une AMP

aux îles Kuriat sont les pêcheurs côtiers et les visiteurs qui se rendent en excursion sur les îles. Les pêcheurs subissent une contrainte dans leur activité à cause de la fermeture de l’une de leurs zones de pêche (zone de Kuriat) et par la suite risquent un manque à gagner. Les visiteurs vont probablement bénéficier d’une amélioration environnementale (écosystèmes marins et côtiers) grâce à la protection de la zone.

Dans notre cas d’étude (les îles Kuriat), une part des pêcheurs risque de contester la mise en place d’une AMP dans la zone pour ne pas en subir les conséquences négatives sur leur activité de pêche. À ce niveau, la mise en place d’une politique de compensation, entre les acteurs gagnants et ceux qui seront perdants, est recommandée par la littérature sur les AMP pour avoir une meilleure acceptabilité auprès des acteurs locaux. Pour ce faire, un questionnaire est adressé aux pêcheurs côtiers pour connaître leur avis quant à la mise en place d’une AMP dans la zone des îles Kuriat et déterminer leur consentement à recevoir (CAR) pour accepter ce projet. Puis un deuxième questionnaire qui s’intéresse à la dé- termination du consentement à payer (CAP) des visiteurs des îles Kuriat pour bénéficier de l’amélioration que génère l’AMP. L’indemnisation des acteurs qui vont probablement subir de préjudices suite à la mise en place de l’AMP permet d’envisager son acceptabilité auprès des parties prenantes et d’assurer sa pérennité. Plusieurs raisons peuvent motiver la taxation des acteurs qui vont bénéficier des améliorations environnementales une fois le projet établi. Les politiques de conservation souffrent du manque de financement à long terme parce qu’elles sont financées publiquement et la durabilité de leur financement se confronte souvent à des restrictions budgétaires. L’autofinancement est une alternative permettant d’atteindre leurs objectifs notamment à long terme. L’indemnisation des ac- teurs perdants améliore l’équité sociale et augmente l’acceptabilité de ces politiques.

Ce chapitre est composé de deux parties. La première partie présente les îles Kuriat et la seconde expose la construction et le déroulement des deux questionnaires.