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Professeur honoraire de l’Université de Genève

Introduction

Sans chauvinisme aucun, il me paraîtrait étrange, pour ne pas dire incongru, dans un Colloque consacré au « Père de la Patrie Corse » se tenant à Genève de ne pas évoquer la figure de Rousseau, le Citoyen de Genève, et singulière-ment son Projet de Constitution pour la Corse.

C’est d’abord que cet écrit de Rousseau apparaît bien rédigé à la sugges-tion ou à la demande, expresse ou implicite, médiate ou immédiate – nous y reviendrons – du héros de l’indépendance corse, formulée par son com-patriote le Capitaine Mathieu Buttafoco. Et c’est ensuite que cet appel à Rousseau va propulser dans l’opinion publique le Citoyen de Genève au rang de « Législateur des Corses »1, certains le qualifiant même de « Solon des Corses » (Boswell)2.

Je sais donc tout particulièrement gré aux organisateurs de ce Colloque de m’avoir invité à présenter cette communication en dépit de mon incompé-tence concernant l’histoire de la Corse en général et Pasquale Paoli en par-ticulier. Le seul titre auquel je puis intervenir – et c’est sans doute la raison de ma présence ici aujourd’hui – c’est ma réédition ce mois-ci de l’œuvre po-litique la moins connue de Rousseau, dont la rédaction précède immédia-tement celle du Projet de Constitution pour la Corse, à savoir celle des Lettres

1 Avant l’ironique propos de la Correspondance littéraire de F. M. Grimm du 15 janvier 1765 : « Un assez plaisant contraste encore, c’est de voir M. Rousseau mettre le feu dans sa patrie au mo-ment où il s’est fait le législateur des Corses », voir la Lettre du Capitaine Mathieu Buttafoco à Rousseau du 31 août 1764 et surtout celle de Jacques-François De Luc au même Rousseau du 7 novembre 1764 : « … puisqu’il est vrai que les Corses vous souhaitent pour leur législateur » (Correspondance complète de Jean-Jacques Rousseau (CC), ed. R. A. Leigh, t. XXI, Banbury 1974, n° 3475, p. 86 et t. XXII, Banbury, 1974, n° 3629, p. 27.

2 Cf. James Boswell,An Account of Corsica. The Journal of a Tour to Corsica and Memoirs of Pascal Paoli, (Glasgow 1768, Londres 1769) ; 1retr. fr. J. P. I. Du Bois, Relation de l’Isle de Corse, La Haye 1769, p. 227 ; éd. critique et tr. fr. J. Viviès, Etat de la Corse, Paris, CNRS, 1992, p. 213.

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écrites de la Montagne3. C’est en effet dans les Montagnes neuchâteloises, à Môtiers dans le Val-de-Travers, que Rousseau reçoit au début de septembre 1764 l’invitation à se faire le « Législateur des Corses » que lui adresse en son nom propre et au nom de Pasquale Paoli (1725-1807) le Capitaine Mathieu Buttafoco (1731-1806)4. Et c’est dans cet environnement de montagnes de la Principauté dépendant du Roi de Prusse, où il s’est réfugié depuis plus de deux ans5, que Rousseau se met à sa tâche de « Législateur des Corses ».

Il s’en faut de beaucoup cependant que l’intérêt de Rousseau pour la Corse et les Corses ne date que de cette fin d’été 1764. On cite toujours à cet égard – et Rousseau lui-même s’y référera dans le XIIeLivre des Confessions en évoquant les péripéties de ses relations avec la Corse6– le fameux passage du IIeLivre du Contrat Social, rédigé en 1760 déjà à Montmorency et qui de-vait effectivement déterminer la démarche de ses interlocuteurs corses, Paoli comme Buttafoco :

« Il est encore en Europe un pays capable de législation, c’est l’île de Corse.

La valeur et la constance avec laquelle (sic) ce brave peuple a su recouvrer et défendre sa liberté mériterait (sic) bien que quelque homme sage lui apprît à la conserver. J’ai le pressentiment qu’un jour cette petite île étonnera le monde »7.

Si l’on trouve bien déjà dans ce texte du Contrat Social les motifs et les ob-jectifs de ce qui sera le Projet de Constitution pour la Corse, à savoir une organi-sation de la liberté de la Corse qui permette aux Corses de conserver ce bien si chèrement acquis, il ne livre pas pour autant la clef de l’intérêt de Rousseau pour la Corse. Je pense en effet que les raisons de l’intérêt de Rousseau pour la Corse sont beaucoup plus profondes que celles qui affleurent dans ce texte du Contrat Social de 1760-1762. Les raisons de l’intérêt de Rousseau pour la Corse ne relèvent pas simplement de l’admiration à la mode dans l’Europe éclairée pour la vaillance du peuple corse, modèle et symbole de résistance à la tyrannie8. Ces raisons ne relèvent pas non plus de l’illustration que la

3 Cf. Jean-Jacques Rousseau,Lettres écrites de la Montagne. Lausanne-Paris, Ed. l’Age d’Homme, coll. Poche suisse, 2007.

4 Cf. Lettre du Capitaine Mathieu Buttafoco à Rousseau du 31 août 1764, op. cit. supra n. 1, t. XXI, n° 3475, p. 85-88.

5 C’est le 10 juillet 1762 que, chassé d’Yverdon par les autorités bernoises, J. J. Rousseau s’établit à Môtiers à l’invitation de Madame Boy de la Tour (1715-1780) ; il y résidera jusqu’au 10 septembre 1765, soit très exactement trois ans et deux mois. Voir Les Confessions, L.XII, Œuvres complètes (OC), I, Paris 1959, pp. 592 et 634-636 ; cf. Raymond Trousson,Jean-Jacques Rousseau, Paris 2003, pp. 532-533 et 608-609, ainsi que Monique et Bernard Cottret,Jean-Jacques Rousseau en son temps, Paris 2005, pp. 346 et 405, dans la littérature rousseauiste la plus récente.

6 Cf. OC, I, ed. cit., p. 648.

7 Cf. OC, III, ed. cit., Paris 1966, L.II, ch. X in fine, p. 391.

8 Cf. Sven Stelling-Michaud,Introduction au Projet de Constitution pour la Corse, OC, III, ed. cit.

Paris 1966, p. CXCIX, de même que Barbara de Negroni,Introduction au Projet de Constitution …,

Jean-Jacques Rousseau, Législateur des Corses Corse pourrait offrir des thèses du Second Discours – le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes – ou du Contrat Social9.

Les raisons de l’intérêt de Rousseau pour la Corse tiennent à mon sens plus profondément, d’une part, sur un plan objectif, à une certaine analo-gie, qui n’a pas dû échapper à l’historien du Gouvernement de Genève que fut Rousseau10, entre l’histoire de l’indépendance genevoise et l’histoire de l’indépendance de la Corse, c’est-à-dire aux éléments de similitude entre les étapes et le sort du combat du peuple de Genève et de celui du peuple corse pour la liberté. Et d’autre part, sur un plan subjectif, les raisons profondes de l’intérêt de Rousseau pour la Corse me paraissent tenir à la même motiva-tion personnelle de défense et de conservamotiva-tion de la liberté politique. C’est en ce sens qu’on peut dire – comme l’ont fait formellement les Cottret dans l’intitulé d’un des chapitres de leur récente biographie de Rousseau, mais sans en approfondir, ni en justifier le sens – que la Corse apparaît aux yeux de Rousseau comme une « nouvelle Genève »11. Et c’est en ce sens aussi que le Projet de Constitution pour la Corse est à comprendre dans la ligne de l’argu-mentation des Lettres écrites de la Montagne.

Or on a le plus généralement interprété dans l’histoire de la pensée poli-tique comme dans la littérature relative à Rousseau le Projet de Constitution pour la Corse dans le contexte de la pensée politique théorique de Rousseau, telle qu’elle est développée dans le Contrat Social ou dans le Discours sur l’Economie politique. On a ainsi le plus souvent présenté ce Projet de Rousseau comme une

« pure construction de l’esprit »12, comme un exemple d’« expérimentation de ses théories »13, au mieux comme une illustration de son œuvre de politique appliquée14, mais toujours à partir des principes définis dans le Contrat Social ou des thèses du Discours sur l’Economie politique. Mais un examen attentif du contexte comme du texte même du Projet de Constitution pour la Corsemontre bien que cet écrit relève spécifiquement de l’œuvre de pensée politique pra-tique de Rousseau, bien distincte de son œuvre de pensée polipra-tique théorique

Ed. Garnier-Flammarion, Paris 1990, p. 25. Sur la Corse dans l’opinion européenne, voir notam-ment Pierre Antonetti, Histoire de la Corse, Paris 1973, pp. 360-364, ainsi que, en relation avec Boswell et Rousseau, Jean Vivies,op. cit. supra n. 2, pp. 8-14, et Antoine-Marie Graziani,Pascal Paoli, Père de la Patrie corse, Paris 2002, pp. 212-222.

9 Cf. S. Stelling-Michaud,op. cit., p. CCII, de même que B. de Negroni,op. cit., pp. 26-28.

10 Voir J.J. Rousseau,Histoire du Gouvernement de Genève,OC, V, ed. cit. Paris, 1995, pp. 497-529.

11 Cf. M. et B. Cottret, op. cit. supra, n. 5. IIIePartie, ch. 20 : La Corse, nouvelle Genève ?, pp. 388-406.

12 Cf. François Quastana,Les projets d’organisation politique de la Corse au XVIIIème siècle (1729-1796), Mémoire de Diplôme, Institut d’Etudes politiques, Aix-en-Provence, 1999, p. 92.

13 Cf. Paul Arrighi,Histoire de la Corse, Paris, 1966, p. 85.

14 Cf. S. Stelling-Michaud,op. cit., pp. CCII et CCIX, ainsi que B. de Negroni,op. cit., pp. 15-17, et plus récemment M. et B. Cottret,op. cit., p. 389.

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et élaborée à Môtiers, dans le Jura neuchâtelois, en commençant par lesLettres écrites de la Montagne15. Bien plus, le Projet de Constitution pour la Corse a été conçu et rédigé et est à comprendre dans le cadre des mêmes catégories que celles de l’argumentation des Lettres de la Montagne et de l’Histoire du Gouver-nement de Genève rédigées parallèlement par Rousseau à Môtiers.

Mais il y a plus encore : c’est dans les Montagnes neuchâteloises que Rousseau aborde l’histoire et l’organisation de la liberté de la Corse. Méditant et écrivant parmi ces populations de montagne – les Montagnons – évoquées avec admiration dans la Lettre à d’Alembert16 et si proches de celles du Valais décrites dans la XXIIIeLettre de la IrePartie de la Nouvelle Héloïse17, Rousseau a tout naturellement à l’esprit l’exemple des Cantons Suisses, de leurs habi-tants, de leur histoire, de leur organisation politique et de leur économie.

Ainsi, sur l’arrière-plan implicite de Genève et de son histoire vient se greffer le modèle suisse dans son approche de l’organisation de la liberté de la Corse.

Et c’est de là que procèdent toutes les références récurrentes du texte du Projet de Constitution pour la Corse au modèle helvétique d’organisation politique, de régime économique ou d’administration financière.

Tel est le sens de l’intitulé de cette communication :

« Jean-Jacques Rousseau, Législateur des Corses ou ‹ la Corse nouvelle Ge-nève › ? L’organisation de la liberté de la Corse, la Suisse et GeGe-nève vues des Montagnes Neuchâteloises ».

Ainsi, dans un premier temps, nous évoquerons dans une IrePartie le contexte de l’élaboration et de la rédaction du Projet de Constitution pour la Corse dans la double perspective que nous avons définie : celle du contexte objectif des similitudes implicites et explicites existant, d’une part, entre l’histoire de la Corse et l’histoire de Genève, et d’autre part, entre l’histoire de la Corse et l’histoire suisse. Ensuite, en un second temps, nous aborderons dans une IIePartie les principales articulations de l’œuvre même du Projet de Constitution pour la Corse comme les conditions de son élaboration, sa concep-tion et surtout la structure de son argumentaconcep-tion.

Nous conclurons brièvement en évoquant le destin des écrits de pensée politique pratique de Rousseau et la comparaison qu’on peut établir entre ses idées et celles de Pasquale Paoli.

15 Voir notre Préface à J.J. Rousseau, Lettres écrites de la Montagne,ed. cit., 2007, pp. 9-10.

16 Cf. J.J. Rousseau,Lettre à d’Alembert, OC, V, ed. cit., pp. 55-56.

17 Cf. J.J. RousseauLa Nouvelle Héloïse, OC, II, ed. cit., Paris 1964, pp. 79-81.

Jean-Jacques Rousseau, Législateur des Corses

I

re

Partie

En un premier temps, je voudrais donc m’arrêter au double contexte dans lequel s’inscrivent l’intérêt et la réflexion de Rousseau concernant la Consti-tution de la Corse. Il s’agit à mon sens, je vous le rappelle, du contexte objec-tif implicite des similitudes existant entre l’histoire de la Corse et l’histoire de Genève, d’une part, ensuite de celui des similitudes explicites qui existent entre l’histoire de la Corse et l’histoire de la Suisse, d’autre part.

Quant au contexte objectif implicite, s’agissant pour commencer des simi-litudes existant entre l’histoire de la Corse et l’histoire de Genève, les paral-lèles et les analogies entre la Corse et Genève ne manquent pas de frapper comme ils ont dû frapper Rousseau, auteur d’une Histoire du Gouvernement de Genève demeurée fragmentaire18.

Il y a d’abord ainsi, de toute antiquité, la position géopolitique stratégique de la Corse en Méditerranée comme celle de Genève entre Alpes et Jura. Il y a ensuite dès le Moyen-Age les luttes historiques entre les puissants voisins, Pise et Gênes pour la Corse, Comtes de Genève et Comtes de Savoie pour Ge-nève. Mais il y a aussi par ailleurs, du Moyen-Age au XVIIIesiècle, les péripé-ties similaires de l’essor du mouvement communal, de l’arbitraire des impôts et de celui de l’administration de la Justice. Et il y a enfin, à l’époque même de Rousseau, l’ambivalence redoutable de la garantie de la France, puissance pro-tectrice, lourde des incorporations et autres réunions à venir pour la Corse comme pour Genève trente ans plus tard.

Concernant la position géopolitique stratégique de la Corse et de Genève, de même que la Corse, troisième île de la Méditerranée occidentale par sa di-mension, est une étape, une « zone de passage privilégiée » et une base straté-gique d’importance sur les principales routes maritimes de la Méditerranée19, de même Genève est au carrefour des grandes voies de communication conti-nentales européennes du Nord au Sud et de l’Ouest à l’Est à l’extrémité du Plateau Suisse et au débouché des principaux cols des Alpes et du Jura20.

L’une et l’autre seront ainsi les enjeux de rivalités durables entre les grandes puissances européennes en fonction de leur importance stratégique.

Si un Sampiero Corso pourra dire en plein XVIesiècle que la « Corse est le frein de l’Italie et des autres pays »21, un Pomponne de Bellièvre, ambassadeur

18 Cf. op. cit., supra, n. 10, OC, V, ed. cit., pp. 497-529.

19 Cf. Michel Vergé-Franceschi,Histoire de la Corse : t. 1 :Des origines au XVIIesiècle, Paris 1996, pp. 31-32 et P. Arrighi-F. Pomponi,Histoire de la Corse, Paris 2003, p. 5.

20 Cf. Alfred Dufour,Histoire de Genève, Paris, 3eéd., 2004, pp. 4-5.

21 Cité par P. Arrighi,op. cit. supra n. 13 (1966), p. 47.

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d’Henri III auprès des Suisses, qualifiera à la même époque Genève de « clé des Suisses »22. On verra même jusqu’aux Confédérés helvétiques à l’autre extrémité de la Suisse présenter Genève en 1584 comme une des cornes du

« taureau suisse » pointée contre la France23 tout comme d’autres qualifieront bien plus tard la Corse de « pistolet braqué au cœur de l’Italie »24. Rien d’éton-nant alors à ce que la Corse comme Genève ne cessent d’être l’objet d’abord des convoitises de leurs puissants voisins, puis des appétits de conquête des grandes puissances européennes. Ainsi l’Ile de Beauté comme la Cité du bout du Léman seront-elles très tôt entre le XIeet le XIIIesiècle l’objet de rivalités, la première de Pise et de Gênes25, la seconde des Comtes de Genève et de Savoie26. Et c’est à la même époque, vers la fin du XIIIesiècle, que se fortifient définitivement en Corse la prédominance de Gênes sur Pise comme à Genève celle de la Maison de Savoie sur celle des Comtes de Genève27.

De même la Corse et Genève seront plus tard l’objet des visées de leurs voisins, la première des puissances méditerranéennes, la seconde de la Sa-voie. Et toutes deux mêmes –horresco referens– seront un moment menacées par les prétentions d’hégémonie, voire par les rêves des Souverains Pontifes28

22 Cité par William E. Monter, De l’Evêché à la Rome protestante, in Histoire de Genève, éd.

P. Guichonnet, Lausanne-Toulouse 1974, p. 159. Sur Bellièvre, cf. Dictionnaire historique de la Suisse, art. Bellièvre, vol. II, Bâle-Hauterive 2003, p. 127, et sur ses ambassades en Suisse, E. Rott,Histoire de la représentation diplomatique de la France auprès des Cantons suisses, t. 2, Berne 1902, pp. 11-12 & 18-24, 100-104, 153-154, 327 et 345.

23 Cf. Der Schweizer Stier, page de titre du manuscrit Concordia aller 13 Orthen gemeiner loblichen Eydtgenoss(en)schaft, 1584, Bibliothèque universitaire de Bâle.

24 Cf. P. Arrighi,op. cit., loc. cit.

25 Cf. P. Antonetti,op. cit. supra n. 8, pp. 121-144 ;Histoire de la Corse, dir. P. Arrighi, Toulouse 1990, pp. 149-169 ; M. Vergé-franceschi, op. cit. supra n. 19, pp. 103-116 et P. Arrighi-F. Pomponi, op. cit. supra, n. 19, pp. 28-33.

26 Cf. A. Dufour,op. cit. supra n. 20, pp. 14-16.

27 La défaite des Pisans à la bataille navale de la Meloria amorçant le triomphe de la domination génoise sur la Corse (cf. M. Vergé-Franceschi,op. cit., t. I, pp. 115-116, et P. Arrighi-F. Pomponi, op. cit. p. 29) se trouve coïncider à quelques années près avec celui de la Maison de Savoie à Genève qu’illustrent l’usurpation par celle-ci du vidomnat et la prise du Château de l’Ile en 1287, consacrées par le Traité d’Asti conclu en 1290 entre l’Evêque de Genève Guillaume de Conflans (1287-1294) et le Comte de Savoie Amédée V (1285-1323), (cf. A. Dufour,op. cit., pp. 16-17).

28 De Grégoire VII (1073-1085) à Clément XIII (1758-1769) la Corse fait l’objet d’une sollicitude par-ticulière des Souverains Pontifes, qui la considèrent de façon récurrente comme faisant partie du « Patrimoine de Saint-Pierre » ; voir notamment P. Antonetti,op. cit, pp. 118-121, le chapitre de l’ Histoire de la Corse, op. cit. supra. n. 25, dû à Huguette Taviani, pp. 129-148 (La Corse, Terre de Saint Pierre), celui d’A. M. Graziani,op. cit. supra, n. 8, pp. 153-171 (Un retour à la « Terre vaticane ») ainsi que les développements de M. Vergé-Franceschi,op. cit., t. I, p. 104 et t. II, pp. 328-329. Pour Genève, c’est à partir du Duc Amédée VIII de Savoie, devenu le Pape Félix V (1440-1449), et jusqu’à Sixte-Quint (1585-1590) que va s’affirmer la même sollicitude pontificale, cf. A. DUFOUR, op. cit. pp. 29-30 et p. 65, ainsi que Histoire de Genève des origines à 1798, publ.

par la Société d’histoire et d’archéologie de Genève, Genève 1951, pp. 146 et 297.

Jean-Jacques Rousseau, Législateur des Corses – une perspective dont les Vieux Genevois, à jamais traumatisés, ne se remet-tront pas jusqu’à nos jours.

Pareillement, la Corse et Genève seront encore beaucoup plus tard les enjeux des rivalités entre les mêmes grandes puissances européennes que représenteront la France et l’Angleterre29. A cet égard, nous y reviendrons, ce n’est pas seulement en Corse que la France va se poser en puissance protec-trice, c’est également – et dès Henri IV – à Genève, où s’établira en 1679 un Ré-sident de France, qui n’aura de cesse d’obtenir des Conseils de la République un total alignement sur la politique de Versailles et jusqu’au refus en 1691 de l’établissement d’un Résident d’Angleterre30.

Mais les similitudes entre l’histoire de la Corse et celle de Genève ne sont pas seulement d’ordre géopolitique et stratégique ; elles se retrouvent sur le plan intérieur dans les différentes péripéties du combat pour la liberté, de l’essor du mouvement communal aux XIIIe-XIVesiècles à Genève comme en Corse, à partir de la Banda di Dentro, aux diverses étapes de la lutte contre l’arbitraire des impôts génois et de la justice génoise qui coïncident avec celles de la lutte du peuple de Genève contre l’arbitraire des impôts pour les for-tifications entre 1715 et 1734 et celui de la justice aux peines arbitraires en l’absence de tout Code31.

Il n’est pas enfin jusqu’aux interventions de la France au XVIIIesiècle comme puissance protectrice et garante de la paix, en Corse comme à Genève, qui ne présentent d’étranges analogies, quant à leurs circonstances, quant à leurs modalités et quant à leurs effets.

Quant à leurs circonstances, en Corse comme à Genève, c’est à la requête des autorités établies de Gênes comme du patriciat genevois que le Roi de

29 A ce sujet, voir entre autres l’éclairante étude géopolitique de Lucien Bely. Aux origines de la présence anglaise en Méditerranée, in La Corse et L’Angleterre – XVIème-XIXème siècles, éd.

M. Vergé-Franceschi, Ajaccio, 2005, pp. 13-27.

M. Vergé-Franceschi, Ajaccio, 2005, pp. 13-27.