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4.5 Etude des diff´erents obstacles

4.5.3 Aile cambr´ee

Explication de la portance inverse

Nous reprenons ici la discussion men´ee dans [47]. Nous avons vu en section 3.1.5 que la mousse en ´ecoulement autour d’une aile cambr´ee exerce une portance de sens oppos´e `a l’a´erodynamique. Nous allons ici montrer comment l’analyse locale des champs permet d’expliquer cet int´eressant ph´enom`ene. Pour ce faire, nous reportons ensemble les champs de vitesse, d’aire des bulles et de tenseur

Fig. 4.31 – Champ des vitesses autour du carr´e. -6 -4 -2 2 4 6 x 1.1 1.2 1.3 1.4 1.5 vx -6 -4 -2 2 4 6 x -0.4 -0.2 0.2 vy

Fig. 4.32 – Trac´e de vx/hvxi1 (gauche) et de vy/hvxi1 (droite) en fonction de x, sur un axe situ´e `a 1,2 au-dessus du sommet de l’obstacle, pour le cercle de diam`etre 30 mm ( rouge), et pour le carr´e (⋆ verte).

-6 -4 -2 2 4 6 0.2 0.4 0.6 0.8 1 1.2 1.4

Fig. 4.33 – Trac´e de vx/hvxi1 en fonction de x sur l’axe de sym´etrie de l’´ecoulement, pour le cercle de diam`etre 30 mm ( rouge), et pour le carr´e (⋆

verte).

de texture autour de l’aile en figure 4.34, et nous tra¸cons leurs variations 1 cm au-dessus et en-dessous de l’aile en figure 4.35.

Le champ de vitesse montre que les parties convexes de l’aile imposent une constriction `a l’´ecoulement. Au bord de fuite pointu, le champ de vitesse est r´egulier, ce qui rappelle la condition de continuit´e de Kutta en a´erodynamique [8, 70]. La figure 4.34 montre la d´eformation des bulles des deux cˆot´es de l’aile : ´etirement vertical dans la r´egion concave (sous le bord de fuite) et horizontal dans les r´egions convexes (au-dessus de l’aile et sous le bord d’attaque). Ce comporte-ment qualitativecomporte-ment diff´erent transparaˆıt clairecomporte-ment sur le trac´e deMxx (figure 4.35).

Les corr´elations visibles en figure 4.34 et 4.35 nous permettent d’expliquer le sens de la portance. Dans les r´egions convexes, au-dessus de l’aile et en-dessous dans l’intervalle 0 < x < 1,8 cm, l’´ecoulement se resserre et s’acc´el`ere, et les bulles sont ´etir´ees dans la direction de l’´ecoulement. D’apr`es (2.13), la contrainte ´elastique principale est donc horizontale. Dans la r´egion concave, en-dessous de l’aile pourx >1,8 cm, le sc´enario s’inverse, et la contrainte ´elastique principale est verticale. La r´esultante verticale des contraintes ´elastiques est donc bien dirig´ee vers le bas. Par ailleurs, l’aire des bulles diminue dans les r´egions convexes et augmente dans la r´egion concave, et vice-versa pour la pression d’apr`es l’´equation (2.7). La r´esultante de pression verticale est donc ´egalement dirig´ee vers le bas. Plus quantitativement, nous avons calcul´e la contribution de tension des liens et de pression `a la traˆın´ee et `a la portance en int´egrant les champs de contraintes ´elastiques et de pression au plus pr`es possible de l’aile (voir section 5.4.1 pour la m´ethode). La contribution de tension vaut ainsi 0,11 mN en traˆın´ee, et 0,48 mN en portance (vers le bas), et celle de pression vaut 0,40 mN en traˆın´ee et 1,32 mN en portance. Additionnant ces deux contributions, on trouve des valeurs remarquablement proches des traˆın´ee et portance seuil effectivement mesur´ees (figure 3.18) : 0,51 mN en traˆın´ee, et 1,80 mN en portance.

Fig.4.34 – Champs de vitesse (fl`eches), de pression (niveaux de gris) et de tenseur de texture (ellipses) autour de l’aile.

Discussion et validit´e de notre explication

Ce sc´enario explicatif n’est en principe valide qu’en r´egime quasistatique. Ce-pendant, on a montr´e en section 4.4 que dans la gamme de d´ebits ´etudi´es, les champs sont ind´ependants du d´ebit (au rescaling de la vitesse pr`es), donc qu’on reste dans ce r´egime ; d’ailleurs, la portance augmente tr`es peu avec le d´ebit (fi-gure 3.18). La portance inverse apparaˆıt donc comme un effet ´elastique, signature des propri´et´es de seuil de la mousse.

Cet effet est-il g´en´erique ou sp´ecifique ? ´Ecartons d’autres contributions pos-sibles. Tout d’abord, pour exclure de possible artefacts sp´ecifiques `a notre syst`eme exp´erimental, Simon Cox a simul´e (Surface Evolver [15]) une mousse 2D incom-pressible autour d’un obstacle asym´etrique, et a observ´e la mˆeme d´eformation des bulles, dans le sens de l’´ecoulement dans les r´egions convexes et perpendiculaire-ment `a l’´ecouleperpendiculaire-ment dans les r´egions concaves, ainsi que la mˆeme portance (du cˆot´e convexe vers le cˆot´e concave). Ensuite, on peut se demander si les bords du canal jouent un rˆole. En fait, le sc´enario propos´e est qualitativement ind´ependant de la pr´esence de bords ; c’est l’asym´etrie de l’obstacle qui est essentielle. On n’at-tend donc qu’une faible variation quantitative de la portance avec le rapport entre la largeur de l’aile et du canal, et pas un changement de signe. Enfin, la perte de charge contribue `a la traˆın´ee (num´eriquement, elle contribue pour 0,11 mN `a 50

-0,4 -0,3 -0,2 -0,1 0 0,1 0,2 0,3 -5 0 5 10 Re la tive va ria tio ns x-xleading (cm) 0 0.2 -0.2 -0,3 -0,2 -0,1 0 0,1 0,2 -5 0 5 10 Re la tive va ria tio ns x-xleading (cm) 0 0.2 -0.2

(a)

(b)

Fig.4.35 – Vitesse, aire des bulles et d´eformation statistique (a) 1 cm au-dessus et (b) 1 cm en-dessous de l’aile (mˆemes donn´ees que la figure 4.34). La composante vx de la vitesse (), l’aire des bulles (•) et la composante Myy du tenseur de texture (△) sont adimensionn´ees par leur valeur `a l’entr´ee (2,7 mm·s−1, 16 mm2 and 3,5 mm2, respectivement), et nous repr´esentons leur variation en fonction de xpar rapport au bord d’attaque. Les lignes pointill´ees verticales symbolisent les bords d’attaque et de fuite. Noter l’inversion `a 1,8 cm apr`es le bord d’attaque.

ml·min−1 et jusqu’`a 0,46 mN pour le d´ebit maximal de 565 ml·min−1), mais pas `a la portance.

Plus g´en´eralement, notre sc´enario explicatif n’invoque que l’´elasticit´e de la mousse, et est donc probablement g´en´eralisable `a tous les fluides visco´elastiques. En effet, il est compatible avec d’autres ph´enom`enes (comme par exemple l’ef-fet Weissenberg, le gonflement des polym`eres en extrusion [109, 99, 133, 10], la s´edimentation des particules [69] ou encore l’effet Magnus inverse [138]) ob-serv´es ou pr´edits, pour lesquels les fluides non-newtoniens agissent `a l’oppos´e des fluides newtoniens en r´egime inertiel. Plus pr´ecis´ement, les contraintes normales pr´esentes dans les fluides visco´elastiques agissent en sens inverse de la pression dans le r´egime inertiel [76, 77]. D’ailleurs, une ´etude de l’´ecoulement d’un fluide du second ordre autour du mˆeme profil montre la mˆeme portance inverse de fa¸con non ambigu¨e [139]. Toutefois, il convient de noter que contrairement au cas des mousses, fluides `a seuil, la portance inverse devrait s’annuler `a d´ebit tendant vers z´ero, et qu’elle devrait croˆıtre avec le d´ebit avec une pente proportionnelle aux contraintes normales. Ce cas est diff´erent du nˆotre, o`u l’on mesure essentiellement une portance seuil. Tous ces arguments sugg`erent donc que la portance inverse est un effet g´en´erique des fluides ´elastiques.

Nous avons parl´e de portance inverse en r´ef´erence `a l’a´erodynamique, qui est un r´egime tr`es ´eloign´e du nˆotre. On peut se demander ce qu’il en est pour un fluide newtonien soumis `a un ´ecoulement `a bas nombre de Reynolds, cas plus proche du nˆotre. Curieusement, `a notre connaissance il n’existe pas d’´etude th´eorique, num´erique ou exp´erimentale ayant trait´e d’un probl`eme aussi saugrenu. Nous avons donc cherch´e des ´el´ements de r´eponse dans un cas o`u une approche th´eorique est possible : l’´ecoulement autour d’une sph`ere l´eg`erement d´eform´ee [63]. En effet, la surface d’un tel objet est d´ecrite par l’´equationr=a

" 1 +ε +∞ X k=0 fk(θ, ϕ) #

, o`u lesfksont les combinaisons lin´eaires

des harmoniques sph´eriques d’ordre k, et o`u εest suppos´e ˆetre un petit param`etre. Il est alors possible de d´evelopper une approche en perturbations r´eguli`eres et de montrer qu’au premier ordre, cet objet, plac´e dans un ´ecoulement de vitesse `a l’infini U~, subit une force [63] : ~ F = 6πηa ~ U+ε ~ U f0−101 (U~ ·∇~)∇~(r2f2) . `

A cet ordre, une portance ´eventuelle est donc li´ee aux harmoniques sph´eriques d’ordre 2. Or ces harmoniques ne capturent pas l’asym´etrie ´eventuelle d’un profil : Y20

3 cos2θ−1 ne d´epend pas de ϕ, Y22 sin2θ e2iϕ reste sym´etrique dans les plans

ϕ = 0 et ϕ = π/2, et Y21 sinθcosθ e est orthogonal `a toute puissance impaire de cosϕ, n´ecessaire `a d´ecrire cette asym´etrie (exemple : r =a(1 +εcosϕ)). Donc au premier ordre, une sph`ere asym´etriquement d´eform´ee ne subit aucune portance de la part d’un fluide newtonien `a bas nombre de Reynolds. Il serait int´eressant d’´etendre la th´eorie au second ordre pour voir si l’on pr´edit alors une portance ; cependant, `a notre connaissance, cette extension n’a jamais ´et´e r´ealis´ee.